Grosses délivrées
REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
REPARATION DES DETENTIONS PROVISOIRES DECISION DU 6 DECEMBRE 2006No du répertoire général : 05/7060
Décision contradictoire en premier ressort Nous, Renaud BLANQUART, Conseiller à la Cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Gilles DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé, avons rendu la décision suivante :Statuant sur la requête envoyée par lettre recommandée et reçue au greffe le 29 mars 2005 par Maître Lydie LALLEMANT-BIF, avocat de Monsieur Guy X..., ... ;Vu les pièces jointes à cette requête ;Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire du Trésor notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;Vu les conclusions du requérant notifiées par lettre recommandée avec avis de réception;Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 8 novembre 2006 ;Vu l'absence de Monsieur Guy X... ;Ou', Maître Lydie LALLEMANT-BIF, avocat de Monsieur Guy X..., Maître Fabienne DELECROIX, avocat représentant Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor, ainsi que Madame Marthe CORONT-DUCLUZEAU, avocat général, les débats ayant eu lieu en audience publique, le 8 novembre 2006, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3,
149-4, 150 et R. 26 à R. 40-7 du code de procédure pénale ;*Le 19 septembre 2002, Monsieur X..., né le 15 février 1947, a été mis en examen des chefs d'escroqueries aggravées, faux, usage de faux, corruption active, recel aggravé et fourniture illégale de main-d'oeuvre. Le même jour, il a été placé en détention provisoire. Le 14 novembre 2002, la Chambre de l'instruction a ordonné sa mise en liberté sous condition de cautionnement. Il a sollicité la mainlevée de ce contrôle judiciaire et par ordonnance du 2 décembre 2002, le magistrat instructeur a fixé à 1.500 ç le montant du cautionnement préalable à sa libération. Le 4 décembre 2002, Monsieur X... a été remis en liberté après s'être acquitté du paiement de cette somme. Par ordonnance du 30 novembre 2004, il a bénéficié d'une décision de non-lieu, après, donc, une incarcération de 2 mois et 16 jours, cette décision étant définitive.Par requête déposée le 29 mars 2005, aux fins de réparation à raison d'une détention, suivie de conclusions du 14 avril 2006, Monsieur X... fait valoir que sa détention provisoire lui a causé un préjudice moral et matériel, qu'il a sombré dans un état dépressif très grave dont il n'arrive plus à sortir, en dépit de soins ; qu'il a dû être hospitalisé le 11 mars 2005, à raison de l'aggravation de son état dépressif ; qu'il a dû saisir les juridictions administratives pour obtenir l'indemnisation de la perte de ses deux entreprises due à des retards de paiement dans les marchés publics qui lui avaient été attribués ; que sa détention provisoire était sans fondement.- S'agissant de ce préjudice moral, il sollicite l'allocation de la somme de 50.000 ç, augmentée d'intérêts au taux légal à compter de la demande,- S'agissant des honoraires d'avocat qu'il a dû exposer, il sollicite l'allocation de la somme de 16.744 ç.Subsidiairement, il demande que soit ordonnée une mesure d'expertise.Il sollicite également la somme de 2.000 ç sur le fondement de l'article 700 du NCPCIl ajoute que l'ordonnance de
non-lieu prononcée à son égard est une ordonnance mixte, selon laquelle certaines infractions sont prescrites et d'autres ne sont pas suffisamment caractérisées, que la constatation par la Cour d'appel de la prescription des faits est indifférente à l'application des dispositions de l'article 149 du CPP qui ne vise que les ordonnances de non-lieu ; que si l'ordonnance prononcée à son égard n'avait été fondée que sur la prescription des faits, la loi du 9 mars 2004, empêchant une indemnisation dans cette hypothèse, ne lui aurait pas été applicable rétroactivement, eu égard à la date de sa détention.Dans ses conclusions du 18 janvier et du 5 avril 2006, Monsieur l'Agent judiciaire du Trésor fait valoir, après l'avoir estimé recevable, que la requête est irrecevable au motif que la loi du "9 novembre 2004", applicable à compter du 11 mars 2004, exclut de l'indemnisation les cas dans lesquels la prescription de l'action publique est intervenue après la libération du requérant.Subsidiairement, il fait valoir - S'agissant du préjudice moral invoqué, que l'hospitalisation de Monsieur X... est intervenue plus de 2 ans après sa sortie de détention, aucun lien direct ne pouvant être établi entre ces deux événements ; que les entreprises du requérant ont été liquidées en 1993 et 1998, plusieurs années avant son placement en détention ; que le combat du requérant devant les tribunaux administratifs n'est pas lié à sa détention provisoire. Il ajoute qu'il demeure que Monsieur X... était âgé de 55 ans au moment de son placement en détention, n'avait jamais été condamné et que cette première incarcération lui a incontestablement causé un traumatisme ; il estime qu'il peut être alloué au requérant, de ce chef, la somme de 3.000 ç.- S'agissant des honoraires d'avocat réclamés, il fait valoir que seuls les frais directement liés à la détention peuvent donner lieu à indemnisation et propose qu'il soit alloué à ce titre la somme de 6.000 ç.Il ajoute que la demande de
Monsieur X... fondée sur l'article 700 du NCPC doit être ramenée à de plus justes proportions. Monsieur le Procureur Général fait valoir que la loi du 9 mars 2004 exclut l'indemnisation en cas de prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne comme fondement de la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement ; que ce texte s'applique à toutes les demandes en réparation formées à compter de l'entrée en vigueur de la dite loi, soit le 11 mars 2004 ; que l'ordonnance de non-lieu rendue le 29 novembre 2004 à l'égard de Monsieur X... est fondée sur la prescription des infractions reprochées à ce dernier, reprenant les termes de l'arrêt du 15 octobre 2004 de la Chambre de l'instruction constatant la prescription de tous les faits reprochés au requérant. Il en conclut que la présente requête est exclue des dispositions de l'article 149 du Code de procédure pénale. Il conclut, en conséquence, à l'irrecevabilité de cette requête et à son rejet.SUR QUOI,Sur la recevabilité de la requête :Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 149 du NCPC, en leur rédaction du 9 mars 2004, aucune réparation n'est due lorsque la décision de non-lieu a pour seul fondement la prescription de l'action publique intervenue après la libération du requérant;Que la requête aux fins d'indemnisation de Monsieur X... datant du 29 mars 2005, elle est soumise aux dispositions précitées applicables à compter du 11 mars 2004 ;Que, par ordonnance du 29 novembre 2004, le magistrat instructeur a constaté que "les faits" visés par l'information étaient "prescrits", qu'il s'y ajoutait qu'ils étaient insuffisamment caractérisés et qu'il n'existait pas, dès lors, de charges suffisantes contre Monsieur X... d'avoir commis les infractions qui lui étaient reprochées ;Que la prescription de l'action publique s'agissant de l'ensemble de ces infractions, si elle a, ainsi été constatée le 29 novembre 2004, était acquise ou "est intervenue",
selon les faits, entre le 12 novembre 1996 et le 31 janvier 2002, et en tout état de cause avant que Monsieur X... ait été libéré ;Qu'il résulte de ce qui précède que Monsieur X... a fait l'objet d'une décision de non-lieu qui n'a pas été fondée sur la seule prescription de l'action publique et que cette prescription "est intervenue" avant sa libération ; que la requête est, donc, recevable ;Sur le préjudice moral :Attendu que le moyen tiré d'une absence de fondement de la détention provisoire ne peut être pris en considération dans le cadre de la présente procédure qui prévoit un principe d'indemnisation automatique indépendamment du bon ou du mauvais fonctionnement de l'institution judiciaire ;Que Monsieur X... était âgé de 55 ans lorsqu'il a été placé en détention pour une durée de 2 mois et 16 jours ; que son casier judiciaire ne mentionne aucune condamnation; que le choc carcéral incontestable qu'il a subi, du fait de sa détention, doit donner lieu à réparation ; qu'il doit être tenu compte, pour fixer le montant de cette réparation, des circonstances d'aggravation du préjudice considéré et, plus particulièrement, du fait que le requérant n'avait jamais été détenu précédemment et qu'il a rencontré, ce dont il justifie par une attestation du 11 mars 2005, des problèmes psychologiques depuis sa sortie de détention, a dû prendre un traitement médicamenteux régulièrement depuis ce moment et a dû consulter régulièrement un psychiatre- psychothérapeute, que son état s'étant dégradé depuis 3 semaines, il a été hospitalisé avec son accord, le 11 mars 2005, dans une clinique spécialisée ; qu'il justifie d'un traitement médicamenteux entre le mois de septembre 2004 et le mois de janvier 2005 ;Que le requérant ne justifie pas de ce que sa saisine des juridictions administratives pour obtenir l'indemnisation de la perte de ses deux entreprises soit directement liée à sa détention ;Qu'il convient, au vu de ce précède, d'indemniser son préjudice moral par
l'allocation de la somme de 11.400 ç ;Sur les honoraires d'avocat :Attendu que, s'agissant des honoraires d'avocat, seuls les frais directement liés à la détention peuvent donner lieu à indemnisation ;Qu'au vu des justificatifs produits par le requérant, il convient de faire droit à sa demande, en déduisant de sa réclamation une somme correspondant à sa demande de mainlevée du contrôle judiciaire ; qu'il convient de lui allouer, de ce chef, la somme de 12.744 ç ;Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur X... les frais irrépétibles qu'il a exposés pour la présente instance ; qu'il convient de lui allouer la somme de 2.000 ç, de ce chef ;PAR CES MOTIFSVu les articles 149 à 150 et R. 26 à R. 40-7 du Code de procédure pénale,Disons la requête recevable,Allouons à Monsieur X... :- une indemnité de 11.400 ç, en réparation de son préjudice moral,- une indemnité de 12.744 ç, en réparation de son préjudice matériel.- la somme de 2.000 ç sur le fondement de l'article 700 du NCPC.Ainsi fait, jugé et prononcé par le magistrat délégué soussigné, le 6 décembre 2006, où étaient présents : Monsieur Renaud BLANQUART, Conseiller, Madame Marthe CORONT-DUCLUZEAU, Avocat Général et Monsieur Gilles DUPONT, Greffier.LE GREFFIER LE MAGISTRAT DELEGUE