Grosses délivrées
REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
15ème Chambre - Section B
ARRET DU 20 OCTOBRE 2006
(no06/ , 06 pages) Numéro d'inscription au répertoire général :
05/05457 Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Février 2005 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG no 03/13634 APPELANT Monsieur Medhi X... ... représenté par Me Chantal BODIN-CASALIS, avoué à la Cour assisté de Me Eric CHARLERY, avocat au barreau de PARIS, toque : G 745 INTIMEE S.A. CORTAL CONSORS, prise en la personne de ses représentants légaux. Ayant son siège 5 avenue Kléber 75116 PARIS représentée par la SCP GUIZARD, avoués à la Cour assistée de la Me Hubert MOREAU, avocats au barreau de PARIS, toque P73 COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Septembre 2006, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Claire DAVID, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Evelyne DELBES, Conseiller
M. Thierry PERROT, Conseiller
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du nouveau Code de procédure civile Greffier, lors des débats : Mlle Céline SANCHEZ ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Madame Claire DAVID, Conseiller faisant fonction de Président
- signé par Madame Claire DAVID, et par Mlle Sandrine KERVAREC, greffier présent lors du prononcé.
Le 11 septembre 2000, M. X... ouvre auprès de la BANQUE CORTAL, pour procéder à des opérations en bourse, un compte titre qu'il crédite de 1 000 F, et perçoit, sous forme de prime, la même somme de la banque, à titre de gratification de bienvenue, puis verse, le 17 novembre 2000, 21 342,86 ç sur son compte, et acquiert, le 20 du même mois, sur le SRD, divers titres, à hauteur de 35 887,20 ç, constitués de valeurs spéculatives, notamment technologiques. Très vite, dès le 30 novembre 2000, la valeur de son portefeuille devient négative, et il procède, le 8 décembre 2000, à la vente de ses titres comptant.
Après avoir vainement mis M. X... en demeure, par télégramme du 9 janvier 2001, de régulariser sa position débitrice, la banque liquide, le 28 janvier 2001, ses positions sur le SRD, laissant son compte titre débiteur, à sa clôture, le 30 mars 2001, de 9 670,32 ç .
Suivant exploit du 5 septembre 2004, M. X... fait attraire la société CORTAL CONSORS, -anciennement BANQUE CORTAL-, devant le Tribunal de Grande Instance de PARIS, aux fins de paiement de 74 540 ç de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice né du retard de la banque à l'avertir de ses pertes, de son omission de bloquer, pour insuffisance de couverture, ses ordres sur le marché, et du temps qu'il a passé à refaire les comptes, moyennant l'allocation
d'une indemnité de 7 650 ç pour frais irrépétibles.
Par jugement du 23 février 2005, le Tribunal déboute M. X... de l'ensemble de ses prétentions, en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Appelant de cette décision par déclaration au Greffe du 8 mars 2005, M. X... entend, aux termes de ses dernières conclusions, du 27 juillet 2006, au sens de l'article 954 du Nouveau Code de Procédure Civile, voir :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- dire que la banque a commis des fautes à son égard :
* en s'abstenant, à l'ouverture du compte, de l'informer des règles de fonctionnement et risques spécifiques afférents au marché du Service à Règlement Différé, puis, durant la relation de compte, d'appliquer les procédures de calcul des couvertures et d'alerte du client prescrites par la réglementation applicable ;
* pour lui avoir fourni une information trompeuse sur la situation de son
portefeuille, en le privant de limiter ses pertes aux seuils fixés par la réglementation ;
* en refusant de lui faire connaître les conditions dans lesquelles elle avait fait fonctionner son compte titre, lui ayant valu de s'astreindre à un travail exceptionnellement fastidieux de reconstitution de chaque opération effectuée sur son
compte ;
- la condamner en 72 000 ç , en réparation de ses préjudices matériels et moraux, ainsi qu'en une indemnité pour frais irrépétibles de 3 000 ç.
La SOCIETE CORTAL CONSORS, -anciennement BANQUE CORTAL-, demande à la Cour, en ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du même
Code, régularisées le 31 août 2006, au visa des articles 1134 et suivants du Code Civil, de :- confirmer le jugement, en déboutant M. X... de ses demandes ;
- Y ajoutant : le condamner en 2 000 ç d'indemnité pour frais non répétibles.
L'appelant dépose, le 5 septembre 2006, des conclusions tendant au rejet des débats, pour tardiveté, des dernières écritures adverses, auquel l'intimée s'oppose, par conclusions régularisées le 11 septembre 2006.
CELA ETANT EXPOSE LA COUR,- Sur les dernières conclusions déposées par CORTAL le 31 août 2006 :
Considérant que ces dernières écritures, litigieuses, déposées par CORTAL le jour même de la clôture, ne contenant, par rapport à ses conclusions antérieures, du 8 juin 2006, que quelques précisions, aux seules fins d'expliciter, jurisprudence à l'appui, son argumentation déjà précédemment développée, sans autrement y ajouter sauf pour répondre à celle de M. X..., ne revêtent donc aucun caractère innovant, hors toute demande ou moyen supplémentaire, ayant seul pu légitimement nécessiter une réponse utile de la part de M. X..., en sorte qu'en l'absence de toute violation par la banque du principe du contradictoire, ses dernières écritures n'ont pas lieu d'être rejetées des débats ;- Sur les manquements de CORTAL à ses obligations :* Quant au devoir d'information :
Considérant que la convention d'ouverture par M. X... de son compte titre auprès de CORTAL en date du 11 septembre 2000 mentionne certes, en son article 10.1, que Le service offert concerne exclusivement la passation d'ordres sur la Bourse de Paris. La Banque CORTAL pourra transmettre, par l'intermédiaire de son choix, les ordres du Client aux fins d'exécution sur les marchés concernés. Le titulaire reconnaît avoir une parfaite connaissance de la réglementation et du
fonctionnement des marchés sur lesquels il souhaite intervenir. Il est conscient des fluctuations rapides qui peuvent intervenir sur certains marchés, et de leur caractère spéculatif ;
Considérant toutefois que l'insertion au contrat, pour toute information, de cette seule clause-type et de pur style reste en soi notoirement insuffisante à mettre utilement en garde un client profane contre les risques inhérents à la passation d'ordres de bourse, et notamment à ceux propres au service à règlement différé (SRD), alors qu'il n'est pas sérieusement contestable que M. X..., jeune chômeur, alors âgé de vingt-cinq ans, et n'ayant alors d'autre expérience professionnelle qu'en tant que moniteur de surf, soit dans un secteur d'activité fort éloigné des arcanes de la bourse, n'avait en pareille matière boursière aucune connaissance, n'étant en effet pas davantage démontré, ni même seulement allégué, qu'il l'eût autrement acquise par son expérience personnelle, au jour de l'ouverture de son compte titre auprès de la banque sans guichet CORTAL ;
Considérant qu'il en est d'autant plus ainsi que, même parrainé un tiers, étant donc lui-même déjà l'un de ses clients, l'intimée ne saurait en déduire que celui-ci, ayant ainsi introduit M. X... auprès d'elle, lui eût dispensé toutes informations requises qu'il lui incombait de fournir elle-même, de manière approfondie, à son nouveau client, n'ayant par ailleurs effectué, pour ouvrir son compte, qu'un dépôt initial de 1 000 F, doublé par la banque par l'octroi promotionnel d'une prime de même montant ;
Considérant que l'intimée ne peut notamment prospérer à soutenir que la seule ouverture par M. X..., avec le parrainage d'un tiers, d'un compte en ses livres, alors qu'elle figure de surcroît au nombre des banques sans guichet, ayant précisément vocation à permettre aux initiés d'intervenir en direct et à moindres frais sur les marchés
boursiers et financiers, exclurait chez son nouveau client toute qualité de profane, au motif qu'il en aurait été dûment informé par son parrain ;
Considérant en effet que le seul constat que M. X... ait entendu intervenir lui-même sur les marchés, dont le SRD, ne suffit pas à affirmer sa compétence, mais traduit bien plutôt en l'espèce des prises de risques peu calculés par un donneur d'ordres mal avisé, n'ayant pas eu pleinement conscience de l'ampleur des enjeux et aléas financiers de ses positions sur un marché sensible, alors surtout qu'il y investissait l'entière somme de 140 000 F (21 342,86 ) héritée de son père en valeurs de la nouvelle technologie, particulièrement sensibles car hautement spéculatives et donc aussi à haut risque ;
Considérant que le caractère averti ou initié de M. X... quant aux opérations boursières ne peut davantage s'inférer de la teneur des courriers circonstanciés qu'il n'a eu de cesse d'adresser à la banque qu'ensuite de la clôture de son compte titre et après avoir visiblement fait l'effort de se familiariser avec une matière dont il n'est toutefois pas plus établi qu'il l'ait originairement maîtrisée, n'ayant en effet qu'entendu comprendre, après coup, les raisons de sa prompte déconfiture, en s'ingéniant à reconstituer, a posteriori, les opérations intervenues, après maintes démarches, d'ailleurs largement vaines, auprès de la banque ;
Considérant que l'intimée, professionnelle de la banque et de la bourse, a donc commis une faute pour n'avoir pas, en méconnaissance des prescriptions des articles L 533-4 du Code Monétaire et Financier et 3-3-5 du règlement général du Conseil des Marchés Financiers, évalué la compétence professionnelle de son nouveau client, s'agissant de la maîtrise des opérations envisagées et des risques qu'elles peuvent comporter, en tenant compte de sa situation
financière, de son expérience en matière d'investissement et de ses objectifs quant aux services demandés, et en l'informant encore des caractéristiques des instruments financiers dont la négociation est envisagée, sans pouvoir être admise à exciper de la limitation de son rôle, aux termes des conditions générales énoncées au verso de la demande d'ouverture de compte dûment signée par l'intéressé, à la passation d'ordres de bourse sur la place de PARIS, après qu'il eut reconnu être informé dans les seuls termes précités de cette convention ;
Considérant que l'obligation d'information et de mise en garde de M. X... pesant sur la banque était au demeurant d'autant plus étendue que, celui-ci était appelé à intervenir sur le réseau Internet pour passer ses ordres en bourse, et qu'elle devait dès lors s'assurer, selon les termes de l'article 7 de la décision no 99-07 relative aux prescriptions et recommandations pour les services d'investissement offrant un service de réception-transmission ou d'exécution d'ordres de bourse comportant une réception des ordres via Internet, de ce que le client, sans compétence professionnelle ni expérience particulière en matière d'investissement financier, reçoive systématiquement l'information prévue à l'article 3-3-5 précité du règlement général, sous une forme consultable à l'écran ou par téléchargement, dès avant de passer son premier ordre via Internet ;
Considérant, de même, que la banque est encore mal venue à prétendre ériger en preuves de la parfaite information et de la compétence de son nouveau client son abstention à solliciter aucune explication ou information complémentaire de sa part, quand il lui appartenait de veiller à spontanément lui dispenser toutes informations requises par la nature même des opérations induites par l'ouverture d'un compte titre en ses livres, et à charge de rapporter positivement la preuve de l'accomplissement de ses propres obligations, en rendant
précisément compte de ses diligences à cet égard, ce en quoi elle reste largement défaillante ;
Considérant en effet que les obligations de la banque n'ont pu valablement se limiter à la seule information initiale de son nouveau client, inexpérimenté, dans les termes ci-dessus de la convention, et que celle-ci n'a pu être ensuite utilement complétée, au gré des opérations effectuées, par l'envoi à M. X... des avis d'opéré et autres relevés de compte mensuels avec situation de son compte titre, voire de tous autres éléments d'information, en admettant même que ces derniers aient été adressés à tous les clients, y compris ceux, comme l'appelant, -qui le conteste-, non titulaires d'un compte chèque CORTAL, ni bénéficiaires du service Cash Express , ou bien encore à la faveur de ses propres initiatives pour consulter la banque de données fournie par l'intimée via le réseau Internet ;* Quant aux opérations réalisées :
Considérant que M. X... n'est en revanche pas fondé à arguer des divers manquements par lui imputés à la banque au regard de l'obligation de couverture, qu'il s'agisse, ensemble, essentiellement de la méconnaissance de celle-ci en son quantum, ou bien encore des modalités de son calcul proprement dit, voire du défaut de blocage de ceux de ses ordres y ayant contrevenu lorsqu'elle était insuffisante, car inférieure aux seuils de 20 % en espèces ou 40 % en titres ;
Considérant qu'il est en effet de principe que le donneur d'ordres ne peut invoquer à son profit le non-respect de l'obligation de couverture, n'étant édictée que dans l'intérêt de l'opérateur et afin de pourvoir à la sécurité des marchés, mais non dans le sien propre, ce qui rend son moyen de ce chef inopérant, tant il ne peut se prévaloir de la violation de ces règles de couverture, ni davantage invoquer les erreurs qu'il impute encore à la banque en termes de modalités de calcul de la couverture, ayant dû amener à un défaut de
blocage de certains des ordres qu'il n'a pu passer qu'au mépris des taux de couverture requis ;
Considérant qu'il n'est pas plus acquis aux débats que CORTAL ait autrement failli à ses obligations pour n'avoir pas réagi lorsqu'il a investi, deux mois après l'ouverture de son compte, une somme de 21 343,19 ç , n'ayant pu constituer, pour la banque, -sinon certes pour lui-, une opération à ce point inhabituelle, au sens de l'article 3-3-7 du règlement général du CMF, même s'il s'agissait de la première, véritable, à laquelle il devait se livrer, et si elle représentait certes plus de 140 fois son dépôt initial, mais toutefois minime, de 1 000 F ; - Sur le préjudice :
Considérant par suite que le seul préjudice, né pour M. X... du seul manquement de la banque à son obligation d'information, ne consiste jamais qu'en la perte d'une chance d'avoir pu limiter ses pertes sur le marché SRD, s'il avait été, dès l'origine, dûment avisé des modalités de son fonctionnement et des risques encourus ;
Considérant, eu égard aux éléments de la cause, et notamment au montant globalement investi ainsi qu'aux positions exclusivement prises par M. X... sur des valeurs technologiques de la nouvelle économie, à haute valeur spéculative, mais aussi, et en contrepartie, à fort risque, que la perte de chance, induite par ce seul défaut d'information de la part de CORTAL, d'avoir pu mieux appréhender et donc limiter les risques financiers inhérents à ses opérations, sera intégralement réparée par l'allocation à l'intéressé d'une somme de 5 000 ç ;
Considérant que l'appelant sera par-là même débouté du surplus de ses prétentions indemnitaires autrement émises du chef de son préjudice financier jusqu'à hauteur de la somme de 14 383,77 ç, n'étant plus rattachable à son défaut d'information par la banque, mais tenant au non-respect de l'obligation de couverture dont il ne peut donc lui
faire utilement grief ;
Considérant que ses demandes tendant à l'indemnisation de son préjudice matériel seront pour le surplus également rejetées, comme étant infondées, s'agissant tant de l'allégation de ses débours en frais de transport vainement exposés pour tenter de rencontrer les dirigeants de CORTAL que du temps par ailleurs passé à réaliser, pendant cinq mois, un travail de reconstitution, à la rémunération duquel il ne saurait en effet prétendre, ni en son quantum, soit 57 000 ç , pendant 19 semaines, à raison de 5 jours de 6 heures de travail au coût horaire de 100 ç , ni, encore et surtout, en son principe même, puisque, aussi bien, son seul préjudice indemnisable ne procède, -et encore dans la limite de la perte de chance susvisée-, que de la défaillance de CORTAL en son obligation d'information, sans donc pouvoir résider dans la méconnaissance des règles de couverture dont il ne peut utilement se prévaloir ;
Considérant, dans ces conditions, qu'il ne justifie pas davantage de l'émergence d'un préjudice moral, ni d'aucun poste de préjudice dûment consommé et réparable, en sus de cette perte de chance, d'ores et déjà indemnisée ;- Sur les frais irrépétibles et dépens :
Considérant que CORTAL, succombant ainsi au moins partiellement sur l'action de M. X..., sera équitablement condamnée, au visa de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à lui payer une indemnité de 2 000 ç, en déduction de ses frais irrépétibles, tant de première instance que d'appel, non compris dans les dépens y afférents, dont la banque sera enfin intégralement tenue, et qui seront recouvrés, pour ceux d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ;PAR CES MOTIFS LA COUR Statuant publiquement et contradictoirement DIT n'y avoir lieu à rejet des débats des dernières conclusions régularisées le 31 août 2006 par la SA CORTAL CONSORTS ; INFIRME le jugement entrepris ;ET,
STATUANT A NOUVEAU CONDAMNE la SA CORTAL CONSORS, -anciennement BANQUE CORTAL-, à payer à M. X... : - la somme de 5 000 ç, à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice ;- celle de 2 000 ç, en déduction de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes, fins et prétentions ; CONDAMNE la SA BANQUE CORTAL, -anciennement BANQUE CORTAL-, aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés, pour ces derniers, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.