RÉPUBLIQUE FRANOEAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANOEAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
22ème Chambre A
ARRET DU 13 Septembre 2006
(no , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : S 05/00371 Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Octobre 2004 par le conseil de prud'hommes de Créteil section Encadrement RG no 03/00441 APPELANT Monsieur Olivier X... Y... la Tournelle Bât 3G Rue Pierre Curie 91370 VERRIERES LE BUISSON comparant assisté de Me Arnaud MOQUIN avocat au barreau de PARIS, toque : P 82 INTIMEE SAS SICAER Cours d'Alsace Bât B4B Pla 403 94619 RUNGIS CEDEX représentée par Me Bruno Dominique THOLY avocat au barreau de PARIS, toque : P 279 COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 31 Mai 2006, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame VIROTTE-DUCHARME, Président
Madame LACABARATS, Conseiller
Madame NADAL, Conseiller
qui en ont délibéré GREFFIER :
Madame Z..., lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par Madame VIROTTE-DUCHARME, Président,
laquelle a signé la minute avec Madame Z..., Greffier présent lors du prononcé. Vu le jugement du 5 octobre 2004 du Conseil de prud'hommes de CRETEIL (section encadrement) qui a dit que le licenciement à l'encontre de M. X... pour faute grave était justifié, l'a débouté de tous ses chefs de demande et l'a condamné aux dépens. Vu l'appel relevé par M. X... de cette décision et ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience au terme desquelles il demande à la Cour - de condamner la société SICAER à lui payer les sommes suivantes :
. 14 511,48 ç à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
. 1 451,14 ç à titre de congés payés sur préavis,
. 1 612,39 ç à titre de rappel sur mise à pied,
. 161,24 ç à titre d'indemnité de congés payés sur rappel de salaire, et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 4 février 2003 et capitalisation à compter du 4 février 2004 dans les termes de l'article 1154 du code civil,
. 61 767,22 ç à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
. 20 000,00 ç à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et de santé consécutif au licenciement,
. 29 022,96 ç au titre de l'indemnité de non concurrence prévue à l'avenant du 20 novembre 2002, subsidiairement une somme de 21 767,22 ç à titre de dommages et intérêts à raison de l'application pendant quatre mois et demi d'une clause de non concurrence nulle telle que figurant au contrat initial, et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2004 et capitalisation des intérêts à compter du 22 janvier 2005, - d'ordonner la remise des documents légaux (fiches de paie, attestation ASSEDIC, certificat de travail) sous astreinte de 50 ç par jour et par document à compter du huitième jour suivant notification de l'arrêt à intervenir et de voir la Cour se réserver la faculté de liquider l'astreinte, - de condamner la
société SICAER à lui payer la somme de 5 000 ç au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux dépens. Vu les conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par la société SICAER qui demande à la Cour de confirmer le jugement, de débouter M. X... de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2 000 ç au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux dépens. SUR CE, LA COUR Considérant que M. X... qui avait été précédemment salarié du 2 janvier 1992 au 21 janvier 1996 de la société SICAER (Société d'Intérêt Collectif Agricole "Entrepôts de RUNGIS"), a été engagé en qualité de responsable de marché du secteur R D H (restauration hors domicile) statut cadre niveau VIII échelon 2 suivant contrat à durée indéterminée du 27 août 2001 à compter de cette date par cette société dont l'activité consiste à commercialiser des produits alimentaires du groupe POMONA et qui applique la convention collective de Commerce de Gros et occupe habituellement moins de onze salariés ; Que le contrat de travail prévoyait une rémunération annuelle de base de 351 000 F pour 217 jours de travail, versée en 13 mensualités de 27 000 F à laquelle s'ajoutait une prime pouvant varier de 0 à 15% de la rémunération annuelle de base et dont le montant était en fonction de la réalisation d'objectif, ainsi qu'une clause de non concurrence ; Que par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 décembre 2002, la société SICAER a confirmé à M. X... sa proposition d'un poste de commercial à la vente dans le domaine de la restauration commerciale, statut cadre, avec mission de développer, suivant un programme coordonné avec le responsable de marché, la clientèle indépendante de la restauration commerciale moyennant un salaire de 3 200 ç sur treize mois outre une prime possible de 0 à 15% en fonction de la réalisation d'objectifs fixés annuellement et a précisé qu'il attendait sa réponse ; Que par lettre
recommandée du 3 janvier 2003 M. X... a confirmé à son employeur qu'il n'acceptait pas les conditions qui lui avaient été proposées dans le courrier précédent ; Que M. X... a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué le 13 janvier 2003 à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement pour le 17 janvier 2003 puis licencié pour faute grave, sans indemnité de préavis, dans les termes suivants : "En fin d'après - midi le vendredi 10 janvier 2003 vous avez refusé de coordonner votre travail et l'organisation de votre prospection avec le responsable du secteur sur lequel je vous ai affecté depuis le 1er janvier 2003. Ceci malgré les instructions très claires et réitérées par votre responsable de département consécutivement à votre attitude. Du fait de votre comportement, vous nous mettiez dans l'impossibilité de pouvoir organiser votre travail ainsi que celui de l'équipe de ce secteur, tenant compte du risque de télescopage en prospection de la nécessaire planification et coordination de cette activité. Suite à ce rappel liminaire, votre position a été que l'unique activité envisageable, de votre point de vue, au sein de notre société ne pouvait s'exercer que sur les marchés publics, malgré des compétences objectifs pour d'autres marchés et qu'en conséquence vous confirmiez votre refus définitif de votre nouvelle affectation". Que M. X... a contesté le bien fondé successivement de sa mise à pied puis de son licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception des 14 janvier et 24 janvier 2003. SUR LE LICENCIEMENT Considérant qu'au soutien de son recours, M. X... fait valoir que son licenciement a été prononcé uniquement en raison de son refus légitime d'une modification substantielle de son contrat de travail concernant sa rémunération et ses fonctions. Considérant que la société SICAER qui invoque le pouvoir de direction de l'employeur, rétorque que les refus réitérés de M. X... des changements de ses conditions de travail avec maintien de son statut
conventionnel, de sa rémunération et de sa classification, sont constitutifs de faute grave. Considérant que si le changement des conditions de travail relève du pouvoir de direction de l'employeur et s'impose au salarié, il n'en va pas de même pour une modification d'un élément essentiel du contrat de travail qui requiert son accord. Considérant qu'en présence du contrat de travail qui fixe le montant de la partie fixe de la rémunération et le mode de calcul de la partie variable en proportion de celle-ci, la lettre du 20 décembre 2002 emportait manifestement modification de la rémunération dont la partie fixe était ramenée de 4 116,12 ç à 3 200 ç et dont la partie variable passait au maximum pour un taux de 15% de 8 026,43 ç à 6 240 ç. Considérant que la société SICAER prétend que, lors de l'entretien préalable, elle aurait fait une dernière proposition à M. X... qui l'aurait immédiatement refusée, de maintenir son salaire, et en veut pour preuve l'attestation de M. BRACHET, conseiller du salarié ; que cependant, si ce témoignage est admissible en preuve, il se borne à relater que M. A... s'était engagé à ne pas modifier ses conditions de travail ni son statut, sans évoquer en aucune manière le salaire et son prétendu maintien, mais seulement la question de la coordination des activités respectives de M. X... et de son collègue pour éviter le "télescopage en prospection". Considérant qu'il s'ensuit que la nouvelle affectation de M. X... au poste de responsable de marché entraînait une réduction de sa rémunération contractuelle ce qui constitue une modification de son contrat de travail qui ne pouvait lui être imposée sans son accord. Considérant qu'alors que le licenciement ne peut avoir pour cause que le motif réel et sérieux de la modification du contrat de travail et non le refus de celle-ci qui ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse, force est de constater que la société SICAER qui ne se prévaut que d'un changement des conditions de travail et n'invoque
ainsi aucun motif de la modification en question dans la lettre de licenciement fixant les limites du litige, ne justifie pas de la nécessité pour elle de procéder à cette modification, en sorte que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, sans avoir à rechercher l'éventuelle autre modification apportée à ses fonctions. Considérant que compte tenu de l'ensemble du préjudice tant matériel que moral subi par lui du fait de son licenciement abusif, il y a lieu d'allouer à M. X... qui justifie être resté au chômage avant de retrouver un emploi similaire le 2 juin 2003, la somme de 20 000 ç à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive qui en assure suffisamment la réparation ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. SUR LE PREJUDICE MORAL ET DE SANTE Considérant qu'à l'appui de sa demande de dommages et intérêts complémentaire à ce titre, M. X... invoque l'atteinte à son image dans un milieu professionnel restreint suite à la mise à pied à titre conservatoire et au licenciement pour faute grave et le syndrome dépressif dont il a été atteint jusqu'en septembre 2003 en conséquence de son licenciement selon le certificat médical de son médecin traitant ; Que cependant, le règlement de la somme allouée au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive suffit à compenser l'entier préjudice moral subi par M. X... sans qu'il y ait lieu à dommages et intérêts complémentaires ; étant observé qu'il a retrouvé rapidement un emploi similaire dans le même secteur d'activité sans pâtir auprès de son nouvel employeur, au service duquel il avait précédemment travaillé de juin 1996 à juin 2000, de la connotation disciplinaire donnée à son licenciement par la société SICAER ni de l'invocation d'une faute grave, et qu'en outre le seul certificat du docteur B..., médecin généraliste, qui ne peut que se faire l'écho des doléances de son patient, ne peut utilement attester de la cause de l'état dépressif constaté par lui ; que sa
demande sera dès lors rejetée; SUR L'INDEMNITE DE PREAVIS ET LA MISE A PIED A TITRE CONSERVATOIRE Considérant que par suite de la solution donnée au litige M. X... a droit à l'indemnité compensatrice de préavis, aux congés payés sur préavis, au salaire de la mise à pied outre les congés payés incidents dont les montants ne sont pas contestés; que les sommes ainsi allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation du Conseil de prud'hommes. SUR L'INDEMNISATION DE LA CLAUSE DE NON CONCURRENCE Considérant que M. X... fonde, à titre principal, sa demande sur un avenant adressé par la société SICAER en novembre 2002 prévoyant de rémunérer la clause de non concurrence à hauteur de 50% de la rémunération moyenne mensuelle et de la limiter à un an, dont il prétend qu'il l'a retourné signé à son employeur, en ne gardant par devers lui que l'exemplaire non signé ; Que si la société SICAER ne disconvient pas avoir proposé un tel avenant suite au revirement jurisprudentiel du 10 octobre 2002, elle ajoute que M. X... l'a refusé et n'a jamais retourné ce document signé à son employeur ; Que cet avenant dont il n'est pas démontré qu'il a été revêtu de la signature du salarié ni même qu'il ait été accepté par lui, ne peut être utilement opposé par M. X... à la société SICAER. Considérant qu'à titre subsidiaire, M. X... fonde sa demande dont le montant est calculé par lui sur la base de 100% de salaire pendant quatre mois et demi, sur la clause de non concurrence illicite car sans contrepartie financière, prévue au contrat de travail et respectée par lui jusqu'au 2 juin 2003 ; Considérant que la société SICAER s'y oppose, en faisant valoir que M. X... savait pertinemment qu'il n'était pas lié par une clause de non concurrence indemnisée et qu'au surplus il l'a sciemment violée dès le 2 juin 2003. Considérant qu'une clause de non concurrence n'est licite que si elle est
indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives ; Que le respect par un salarié d'une clause de non concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice. Qu'en l'espèce, le contrat de travail comportait une clause de non concurrence qui interdisait à M. X... d'entrer au service d'entreprises concurrentes et de s'intéresser à des affaires concurrentes pendant deux ans dans les départements d'Ile de France / Région parisienne, mais ne prévoyait pas de contrepartie financière en sorte que la clause est nulle ; Qu'en réparation du préjudice subi par M. X... qui a respecté cette clause illicite jusqu'au 2 juin 2003, il y a lieu, au vu des éléments d'appréciation dont la Cour dispose, de lui allouer la somme de 10 000 ç qui portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; SUR LA REMISE DE DOCUMENTS Considérant que la solution donnée au litige implique de faire droit à la demande de remise de documents conformes au présent arrêt mais sans prévoir d'astreinte qui ne s'impose pas ; SUR LA CAPITALISATION Considérant que la capitalisation des intérêts sur les sommes allouées sera ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil ; Considérant que la société SICAER, partie perdante, sera condamnée aux dépens ; PAR CES MOTIFSPAR CES MOTIFS INFIRMANT le jugement, STATUANT A NOUVEAU, DIT que le licenciement est abusif, CONDAMNE la société SICAER à payer à M. X... les sommes suivantes :
- 14 511,48 ç (quatorze mille cinq cent onze euros quarante huit centimes) à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1 451,14 ç (mille quatre cent cinquante et un euros quatorze centimes) à titre de congés payés sur préavis,
- 1 612,39 ç (mille six cent douze euros trente neuf centimes) à titre de rappel de salaire sur la mise à pied,
- 161,24 ç (cent soixante et un euros vingt quatre centimes) à titre de congés payés incidents, ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation du Conseil de prud'hommes,
- 20 000,00 ç (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
- 10 000,00 ç (dix mille euros) à titre de dommages et intérêts pour la clause de non concurrence, ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, DIT que les intérêts échus des sommes allouées, dus pour une année entière seront capitalisés année par année à compter de la date de la demande qui en a été faite à savoir : le 4 février 2003, lors de la saisine du Conseil de prud'hommes, pour les sommes de nature salariale et pour les dommages et intérêts pour rupture abusive, et le 24 juin 2004 à l'audience du bureau de jugement pour les dommages et intérêts au titre de la clause de non concurrence, ORDONNE la remise par la société SICAER à M. X... des fiches de paie, de l'attestation destinée à l'ASSEDIC et au certificat de travail conformes au présent arrêt, DIT n'y avoir lieu à astreinte, DEBOUTE M. X... du surplus de ses demandes, CONDAMNE la société SICAER aux dépens, VU l'article 700 du nouveau code de procédure civile : CONDAMNE la société SICAER à payer à M. X... la somme de 2 000 ç (deux mille euros) à ce titre, REJETTE la demande formée par la société SICAER sur le fondement de ce texte.
LE GREFFIER LE PRESIDENT