Grosses délivrées
REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
1ère Chambre - Section A
ARRET DU 28 FEVRIER 2006
(no , 5 pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 04/23268 Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Novembre 2004 -Tribunal de Grande Instance de PARIS. ( 1ère chambre, 1ère section) RG no 03/9471 APPELANTE Madame Valérie X... épouse Y... 1 ter, rue Fernand Jorelle 95420 SAINTT GERVAIS représentée par Me François TEYTAUD, avoué à la Cour assistée de Me Laurent IVALDI, avocat au barreau de VAL D'OISE, toque T 129 INTIMES Monsieur André Z... A... B... le Triton Place du Général De Gaulle 78990 ELANCOURT S.C.P. André Z... - Eric DECOENE Notaires B... le Triton Place du Général De Gaulle 78990 ELANCOURT représentés par la SCP ARNAUDY - BAECHLIN, avoué à la Cour assistés de Me Bruno CHALLAN-BELVAL, avocat au barreau de PARIS, toque P 70 INTIMES Monsieur Daniel C... A... 3, rue de Turbigo 75001 PARIS S.C.P. Daniel ANGENIEUX Paul CEYRAC Daniel C... Corinne BUHREN Notaires 3, rue de Turbigo 75001 PARIS représentés par la SCP GUIZARD, avoués à la Cour assistés de Me Michel RONZEAU, avocat au barreau de PARIS, plaidant pour la SCP PETIT RONZEAU, toque P 499 COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 24 janvier 2006, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. DEB , président
M. GRELLIER, président
Mme HORBETTE, conseiller
qui ont délibéré, Greffier, lors des débats : Mme RIGNAULT D... public : représenté lors des débats par Mme TERRIER-MAREUIL, avocat général, qui a fait connaître son avis ARRET :
- contradictoire
- prononcé en audience publique par M. DEB , président.
- signé par M. DEB , président et par Mme RIGNAULT, greffier présent lors du prononcé.
Mme X... épouse Y... a antérieurement été mariée à M. Pascal E..., sans contrat préalable. Leur divorce a été prononcé le 11 mai 1998 sur l'assignation du 18 avril 1996 de Mme X... et après qu'eut été rendue le 27 mars 1996 une ordonnance de non conciliation. Ce divorce a été transcrit à l'état civil le 16 juin 1998.
Cependant M. E... a acquis, seul, un appartement à Elancourt (Yvelines), par acte du 29 janvier 1997 reçu par M. Z..., notaire, et en présence de M. C..., également notaire, conseil de M. E...
Sous la rubrique "acquéreur" il est mentionné dans l'acte que M. E... est "époux en instance de divorce de Madame X... Valérie Yvonne F...".
Sous la rubrique " déclaration d'origine des deniers" il y est précisé que la somme provient "à hauteur de 110.000 francs des deniers propres de M. E... ne dépendant pas de la communauté existant actuellement entre lui même et son épouse, et pour le surplus, soit la somme de 350.000 francs d'un prêt de même montant qu'il a contracté..."
Mme X... a été, le 27 juin 2002, condamnée par le Tribunal de Grande Instance de Versailles, solidairement avec M. E..., au paiement de diverses sommes dues au syndicat des copropriétaires de l'immeuble où était situé l'appartement, le tribunal ayant écarté son argumentation selon laquelle, ignorant tout de cette vente, elle ne pouvait être tenue des charges d'un bien propre et ayant au contraire dit que le bien était présumé être un acquêt de communauté et que le divorce n'était opposable aux tiers qu'à compter de la mention en marge des actes d'état civil.
Estimant que l'origine de sa condamnation au paiement de ces sommes se trouvait dans une faute des notaires, elle les a poursuivis en réparation de son préjudice.
Par jugement du 10 novembre 2004, le Tribunal de Grande Instance de Paris l'a déboutée de sa demande aux motifs qu'elle n'établit aucune fraude de M. E... à son endroit ni aucune faute des notaires auxquels ce dernier avait demandé de ne rien dire à Mme X... et qu'elle était dépourvue de moyens d'action pour s'opposer à la vente. Le jugement retient en outre, employant le conditionnel, que l'arriéré de charges de la copropriété "a en principe été retenu" par le notaire lors de la vente de ce bien par M. E... pour en conclure qu'il n'y aurait pas de préjudice. Il a condamné Mme X... à payer à chaque notaire les sommes de 1000 ç de dommages et intérêts pour procédure abusive et 1500 ç d'indemnité procédurale.
CECI ÉTANT EXPOSÉ,
Vu l'appel de Mme X... épouse Y...,
Vu ses conclusions déposées le 18 novembre 2005 selon lesquelles, poursuivant l'infirmation du jugement, elle sollicite la condamnation solidaire de MM. Z... et C... et des scp Z...- DECOENE et ANGENIEUX-CEYRAC-GILLES-DE BUHREN à lui payer la somme de 6490,87 ç
en réparation de son préjudice matériel et celle de 5000 ç pour son préjudice moral, ainsi que celle de 2000 ç au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Vu les conclusions déposées le 23 juin 2005 par lesquelles M. Z... et la scp Z...- DECOENE (ci après M. Z...) demandent à la cour de débouter Mme X... de son appel et de confirmer le jugement entrepris et de la condamner à leur payer les sommes de 2000 ç de dommages et intérêts et 2500 ç au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Vu les conclusions déposées le 20 décembre 2005 aux termes desquelles M. C... et la scp ANGENIEUX-CEYRAC-GILLES-DE BUHREN (ci après M. C...) demandent la confirmation du jugement, le débouté des demandes de Mme X... et, à titre subsidiaire, l'évaluation de son préjudice à 3750 ç, le versement de 2000 ç en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
SUR CE, LA COUR,
Considérant que Mme X... argue de ce que les notaires sont également responsables, l'un comme rédacteur et l'autre comme conseil, de la sécurité juridique de leur acte et qu'en l'espèce le bien acquis avait vocation à être un bien commun puisque lui était applicable l'article 262-1 du code civil dans sa rédaction ancienne selon laquelle les effets du divorce entre époux remontent à l'assignation pour ce qui est de leurs biens et que, si le divorce n'avait pas été prononcé, elle aurait pu obtenir l'annulation de la vente en application de l'article 262-2 du même code, tous éléments que les notaires auraient dû fournir à l'établissement prêteur au lieu de lui indiquer, comme ils l'ont fait, qu'il s'agissait d'un bien propre ;
Qu'elle leur reproche d'avoir également, du fait du silence demandé par M. E... sur cet acte, fait comme sil ne s'agissait pas d'un bien
ayant vocation à être commun, en application de l'article 1401 du dit code, et à induire en conséquence des charges communes ; qu'elle considère qu'ils ont donc participé de la fraude commise par M. E... à son encontre en ne vérifiant pas s'il ne cherchait pas à la léser ; Qu'elle souligne en outre leur mauvaise foi lorsqu'ils soutiennent que la vente ultérieure du bien a apuré la dette du syndicat des copropriétaires puisque son prix a été, conformément à l'article 20 de la loi du 10 juillet 1965, retenu ; qu'elle entend démontrer à cet égard que la créance du syndicat était supérieure au prix de vente et qu'elle continue donc à être poursuivie par lui ;
Considérant que les notaires doivent s'abstenir de prêter leur ministère pour conférer le caractère authentique à une convention dont ils savent qu'elle méconnaît les droits d'un tiers ; qu'à défaut ils engagent leur responsabilité vis à vis de ces tiers ;
Considérant à cet égard que MM. Z... et C... savaient pertinemment que M. E... souhaitait dissimuler son achat immobilier à Mme X... ; qu'ils ne pouvaient se méprendre sur le sens de ce souhait qui ne pouvait avoir d'autre but que de faire échapper ce bien aux futures opérations de partage de la communauté ; qu'ils ne pouvaient pas plus ignorer que, étant acquis à ce moment de la procédure de divorce au moyen d'un emprunt, même contracté par un seul, le dit bien avait vocation à entrer, au moins pour partie, dans la communauté, quand bien même l'achat en question figurait au nombre des actes qu'un époux peut faire seul, ces professionnels ne pouvant sérieusement suggérer une confusion entre les pouvoirs des époux et la composition de la communauté ; qu'il s'agissait donc bien d'une fraude de M. E... aux droits de son épouse d'alors à laquelle ils ont participé en toute connaissance de cause ; que s'ils ne pouvaient nécessairement savoir que M. E... serait dans l'incapacité d'assumer
les charges liées à cet achat, leur qualité de professionnels du droit devait les conduire à envisager cette possibilité et les conséquences qu'elle pouvait avoir sur Mme X... ;
Considérant que pour tenter d'échapper à leur responsabilité, MM. Z... et C... ne sauraient avancer que, fût elle informée par eux de l'existence de cette vente, Mme X... eût été privée de moyens d'action ; qu'en effet, la vente ayant été faite en fraude de ses droits, elle pouvait en poursuivre la nullité en application de l'article 262-2 du code civil et 262-1 dans sa rédaction en vigueur à l'époque ou, à tout le moins, obtenir qu'elle lui soit inopposable ; Considérant que ces deux notaires ne sauraient pas plus avancer que le prix de la vente ultérieure du bien a entièrement désintéressé la copropriété, invoquant les dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1965 à cet égard, dans la mesure où il résulte des pièces versées aux débats et d'ailleurs des propres écritures de M. C... que la somme versée au syndicat et provenant du prix de vente ne couvrait pas l'intégralité de la dette qui était constituée d'ailleurs, en vertu du jugement du 27 juin 2002, également d'intérêts et de frais divers ; qu'en effet le montant de la vente était de 14.630,85 ç alors que la créance du syndicat s'élevait à 20.060,85 ç, l'acceptation de la mainlevée de l'hypothèque n'emportant pas, au demeurant, renonciation au reste de la créance ainsi qu'en atteste un courrier du conseil du syndicat daté du 17 juin 2003 adressé précisément à M. C... et s'établissant alors à 5430 ç ;
Qu'en outre, et contrairement à ce qu'affirment les intimés, Mme X... apporte bien la démonstration, par les pièces qu'elle fournit, des sommes qu'elle a déjà versées et de ce qui lui reste devoir selon les causes du jugement, les documents de poursuite qui mentionnent
des acomptes lui étant adressés à elle personnellement ;
Considérant en conséquence qu'il sera fait droit à la demande de l'appelante, à hauteur de la somme qu'elle demande au titre de son préjudice matériel, dont elle justifie et en réparation du préjudice moral évident qu'elle a subi, se trouvant exposée à des poursuites et des menaces de saisies auxquelles elle a dû faire face et qui ont leur source dans la dissimulation de l'achat dont les notaires se sont fait les complices ;
Qu'on ne saurait lui objecter qu'il lui fallait faire valoir ses arguments devant le tribunal de Versailles ou à l'encontre de son mari alors que, au vu du raisonnement suivi par cette juridiction, il apparaît qu'elle avait peu de chance de triompher en appel et alors que la dissimulation faite par M. E... ne retire rien à la faute commise par les notaires ;
Considérant enfin qu'est certain le dommage subi par Mme X... par l'effet de la faute des professionnels, alors même qu'elle disposerait, contre son ex-mari, d'une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice ;
Considérant que, pour l'ensemble de ces motifs, la décision querellée sera infirmée et les scp ANGENIEUX-CEYRAC-GILLES-DE BUHREN et Z...- DECOENE, condamnées in solidum à indemniser Mme X... de son entier préjudice ;
Qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais de procédure qu'elle a du engager ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement du 10 novembre 2004 rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris et statuant à nouveau,
Dit que MM. C... et Z... ont commis une faute
Condamne in solidum la scp ANGENIEUX-CEYRAC-GILLES-DE BUHREN, et la
scp Z...- DECOENE à payer à Mme X... les sommes de 6490, 87 ç (six mille quatre cent quatre vingt dix euros et quatre vingt sept cents) en réparation de son préjudice matériel et de 5000 ç (cinq mille euros) en réparation de son préjudice moral ;
Les condamne sous les mêmes conditions à lui payer la somme de 2000 ç au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et les condamne aux entiers dépens dont ceux d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT