COUR D'APPEL DE PARIS 1ère chambre, section H ARRET DU 23 SEPTEMBRE 2003
AUDIENCE SOLENNELLE
(N , 7 pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 2002/18852 Pas de jonction Décision déférée à la Cour : Saisine sur déclaration de renvoi après cassation de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 mars 2002, d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris, 1ère chambre du 14 mars 2000, prononcé sur recours contre la décision n° 98-D-34 du Conseil de la concurrence en date du 2 juin 1998 DEMANDEUR A LA SAISINE : L'Etablissement AEROPORTS DE PARIS - ADP prise en la personne de son président du conseil d'administration ayant son siège 291, boulevard Raspail - 75675 PARIS CEDEX 14 Représenté par Me OLIVIER, avoué, 200, rue de Lourmel - 75015 PARIS Assisté de Me H. LEHMAN, SCP SAINT SERNIN LEHMAN, avocat au barreau de Paris, 72, avenue Victor Hugo - 75116 PARIS, toque P 286 DEFENDEUR A LA SAISINE : Me Baudouin LIBERT, pris en sa qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de cession de la société TAT EUROPEAN TAT EA demeurant 19, avenue Carnot - 91100 CORBEIL ESSONNES Représenté par la SCP VARIN-PETIT, avoués, 22, rue Saint-Augustin - 75002 PARIS Assisté de Me F. PRUNET,
avocat au barreau de Paris, 20, rue Quentin Bauchart - 75008 PARIS EN PRESENCE : du Ministre de l'Economie, des Finances et du Budget, Représenté aux débats par Monsieur X..., muni d'un mandat régulier. COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 1er juillet 2003, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur GRELLIER, président Monsieur LACABARATS, président Madame PEZARD, président Monsieur REMENIERAS, conseiller Monsieur SAVATIER, conseiller qui en ont délibéré. GREFFIER : Lors des débats : Madame PADEL, greffier MINISTERE PUBLIC : Représenté lors des débats par Monsieur Y..., substitut général, qui a fait connaître son avis. ARRET : - contradictoire - prononcé publiquement par Monsieur GRELLIER, président, - signé par Monsieur GRELLIER, Président, et par Madame PADEL, greffier, présenté lors du prononcé.
Après avoir, à l'audience publique et solennelle du 1er Juillet 2003, entendu les conseils des parties, les observations de Monsieur le représentant du Ministre chargé de l'Economie et celles du Ministère public, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ; L'établissement public Aéroports de Paris (ADP), qui détient un monopole sur l'ensemble des installations du transport aérien civil localisé en région parisienne, met à la disposition des compagnies aériennes, contre rémunération, des terrains, ouvrages et installations d'aéroports. Il offre également des "services d'assistance en escale", contre rémunération des compagnies aériennes. Saisi par la société TAT European Airlines (TAT) pour des pratiques mises en oeuvre par ADP et les sociétés du groupe Air France en ce qui concerne l'affectation aux différentes compagnies des aérogares de l'aéroport d'ORLY et sur sa saisine d'office portant sur la situation de la concurrence sur le marché des locaux et espaces nécessaires aux activités de compagnies aériennes mis à leurs
disposition par ADP sur l'aéroport d'ORLY, le Conseil de la concurrence a décidé, par décision n° 98-D-34 du 2 juin 1998, que la société AIR FRANCE, la société AIR INTER devenue AIR FRANCE EUROPE et ADP s'étaient rendues coupables d'entente et que ADP s'était en outre rendu coupable d'abus de position dominante et a prononcé diverses sanctions pécuniaires. Il ressort de cette décision que le Conseil de la concurrence a considéré que le regroupement des activités du groupe AIR FRANCE à ORLY OUEST autorisé le 4 mai 1994 par le directeur général de l'aviation civile (DGAC) procédait d'une entente entre ADP et le groupe AIR FRANCE, et que la décision du 17 juin 1994 d'ADP refusant à TAT d'ouvrir à partir d'ORLY OUEST de nouvelles liaisons ainsi que l'obligation faite à TAT par ADP d'utiliser le personnel d'ADP pour les services dits d'assistance en escale constituaient des abus de position dominante. Saisie d'un recours contre cette décision, la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 23 février 1999, rejeté le déclinatoire de compétence déposé par le préfet de la région d'Ile-de-France. Le conflit ayant été élevé, le Tribunal des conflits a, par décision du 18 octobre 1999, confirmé l'arrêté de conflit en ce qu'il concernait les effets attachés à la décision du DGAC du 4 mai 1994 et à la décision de ADP du 17 juin 1994 et l'a annulé pour le surplus ; il a déclaré nuls et non avenus la procédure relative aux effets attachés à ces actes administratifs et l'arrêt précité de la cour d'appel de Paris en ce qu'il déclarait la juridiction judiciaire compétente pour en connaître. Suite à cette décision du Tribunal des conflits, la cour d'appel de Paris a statué sur le recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence. Par arrêt du 14 mars 2000, elle a estimé que la décision du Conseil avait été annulée dans toutes ses dispositions par celle du Tribunal des conflits. Sur pourvoi du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, la Cour de cassation, par arrêt du 12 mars 2002, a
cassé l'arrêt de la cour d'appel en toutes ses dispositions et renvoyé les parties devant la même cour d'appel, autrement composée. La Cour de cassation a considéré que la Conseil de la concurrence avait distingué deux pratiques d'abus de position dominante attribuées à ADP, que le Tribunal des conflits n'a expressément exclu la compétence du Conseil que pour celle des pratiques ayant consisté à refuser à TAT l'ouverture de nouvelles liaisons à partie d'ORLY OUEST, qu'il en résultait que le dispositif par lequel le Conseil a décidé que ADP avait enfreint les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L 420-2 du code de commerce comportait implicitement deux chefs de condamnation distincts dont l'un n'avait pas été annulé, que subsistaient dans la procédure les actes ou la partie des actes ne concernant pas les actes administratifs annulés, ainsi que les saisines du Conseil en ce qui concernaient les faits entrant dans le champ de ses attributions. Le 30 octobre 2002, ADP a saisi la cour d'appel de Paris puis a formé, le 17 décembre 2002, un recours en interprétation devant le Tribunal des conflits pour sa décision du 18 octobre 1999. Aux termes de son mémoire déposé devant la cour d'appel, ADP demande à cette cour :
- de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt interprétatif du Tribunal des conflits ;
- à titre subsidiaire, d'annuler la procédure et la décision du Conseil de la concurrence. Me LIBERT, administrateur judiciaire et commissaire à l'exécution du plan de cession de la société TAT, demande à la cour :
- de rejeter la demande de sursis à statuer ;
- de rejeter le recours formé par ADP ;
- de condamner ADP au paiement d'une sanction pécuniaire ;
- de comdamner ADP à lui payer 15.000 euros au titre de l'article 700
du NCPC. Dans ses observations écrites, le ministre chargé de l'économie demande à la cour de rejeter les moyens soulevés par ADP et de prononcer à son encontre une sanction pécuniaire.
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Sur la demande de sursis à statuer
Considérant qu'ADP fait valoir sur ce point qu'un doute subsiste sur la portée de la décision du Tribunal des conflits qui est susceptible de priver de toute base légale la sanction pécuniaire prononcée contre l'établissement public ; Mais considérant que c'est en des termes dépourvus de toute ambigu'té que le Tribunal des conflits a limité l'annulation de la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence à deux des trois pratiques qui avaient justifié sa saisine, la compétence de cet organisme et son pouvoir de sanction étant maintenus pour la question de l'assistance en escale fournie par ADP aux compagnies aériennes ; qu'il n'existe ainsi aucun motif de sursis à statuer ;
Sur la demande d'annulation de la procédure et de la décision du Conseil de la concurrence Considérant qu'ADP soutient que le problème de la conduite des passerelles ne constitue qu'un élément marginal de la procédure, qu'il a fait l'objet d'une instruction particulièrement sommaire, qu'il existe une indivisibilité entre cette question et les autres pratiques pour laquelle la procédure a déjà été annulée par
l'effet de la décision du Tribunal des conflits, qu'ADP est dans l'impossibilité de connaître les pièces retenues contre lui au titre de cette pratique accessoire et le contour précis du grief, qu'aucune information loyale ne lui a été donnée à cet égard, enfin que les droits de la défense ont été atteints du fait de la présence du rapporteur et du rapporteur général au délibéré du Conseil de la concurrence ; Considérant cependant, en ce qui concerne le déroulement de la procédure antérieure à la décision du Conseil de la concurrence, que le principe du respect dû aux droits de la défense et la nécessaire loyauté des investigations menées par le rapporteur du Conseil de la concurence n'ont pas été affectés en l'espèce dès lors qu'ADP a été clairement informé, par la notification de griefs, que la pratique d'abus de position dominante qui lui était reprochée se rapportait à plusieurs pratiques de discrimination distinctes, au nombre desquelles figurait explicitement le sort réservé à TAT en matière de services de conduite des passerelles ; que tant l'acte de notification des griefs (pages 52 et 53) que le rapport définitif du rapporteur (page 37) comportaient des développements autonomes suffisamment précis pour permettre à ADP de s'en expliquer ; que le caractère accessoire d'une telle pratique, au regard des autres griefs ayant justifié l'ouverture de l'enquête, n'étant pas à lui seul susceptible d'établir l'indivisibilité de la procédure, et l'annulation partielle de celle-ci ayant laissé subsister les actes et pièces, ou la partie de ces actes et pièces, concernant le service de conduite des passerelles non atteint par l'annulation, les moyens invoqués par ADP, pour la procédure d'instruction, ne sont pas fondés ; Considérant en revanche qu'il est constant que le rapporteur et le rapporteur général étaient présents au délibéré de la décision du Conseil de la concurrence ; que cette circonstance est contraire à l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme, dès lors que le rapporteur a procédé à des investigations utiles pour l'instruction des faits dont le Conseil a été saisi et que cette instruction du rapporteur a été conduite sous le contrôle du rapporteur général ; que la décision du Conseil rendue dans ces conditions doit être annulée ; Considérant que cette annulation laissant subsister le pouvoir de la cour de se prononcer sur les pratiques qui ont été soumises au Conseil, il convient d'examiner le grief contesté par ADP ;
Sur le grief d'abus de position dominante Considérant qu'il résulte des pièces de la procédure qu'après avoir imposé à TAT d'exercer ses activités sur l'aéroport d'ORLY SUD, ADP a également contraint cette compagnie à recourir aux équipes de l'établissement public pour assurer, contre rémunération, le service de la conduite de la passerelle entre l'aérogare et les aéronefs alors que, d'une part, TAT avait par le passé, comme les autres compagnies, la faculté de prendre en charge directement l'exécution de ce service et que, d'autre part, la même obligation n'a pas été prescrite à l'égard de la compagnie AIR FRANCE, à ORLY OUEST ou à ORLY SUD pour les quelques lignes qu'elle y a exploitées encore jusqu'au mois de janvier 1996 ; qu'en outre, quelques compagnies aériennes opérant à ORLY SUD ont été dispensées de l'obligation imposée à TAT ; qu'il s'agissait d'entreprises pour lesquelles les services d'assistance en escale étaient fournis par AIR FRANCE, alors même que celle-ci ne devait plus être présente à ORLY SUD ; Considérant que la discrimination ainsi opérée de la part d'un établissement disposant d'une situation monopolistique sur les marché des infrastructures et installations de l'aéroport d'ORLY constitue un abus de position dominante, au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce, qui ne saurait être justifié par des contraintes liées à la gestion du service, non démontrées, ni par la relative brièveté de la période de temps au cours de laquelle
cette pratique a eu lieu ; Considérant que contrairement à ce que soutient ADP, le fait qu'une sanction unique ait été prononcée par le Conseil de la concurrence pour l'ensemble des pratiques en cause n'empêche pas la cour d'appel de déterminer celle qui doit être infligée à l'établissement pour le seul fait susceptible d'être retenu, à condition de se conformer, pour ce fait, aux exigences de l'article L. 464-2 du code de commerce ; Considérant que même si elle constitue un fait accessoire par rapport à ceux ayant justifié l'engagement de la procédure, une pratique discriminatoire comme celle mise en oeuvre au préjudice de TAT constitue une atteinte grave aux règles de la concurrence et a causé un dommage important à l'économie, dès lors que, selon les pièces versées aux débats, 80% des embarquements et débarquements de passagers des avions de TAT devaient se faire par l'intermédiaire de passerelles amovibles, que la pratique imposée à TAT lui a occasionné un coût annuel de l'ordre de 6 millions de francs (915.000 euros), que TAT a perdu les investissements en temps et en personnel qu'elle avait consacrés à l'exercice d'une activité qu'elle assurait pour elle-même ou d'autres compagnies, que les mêmes sujétions ne pesaient pas sur la compagnie AIR FRANCE, manifestement favorisée par ADP ; Considérant qu'ADP ayant réalisé, au cours du dernier exercice clos avant la décision du Conseil de la concurrence, un chiffre d'affaires hors taxes de 7.199.100.650 francs (1.097.495.819 euros), il convient, en tenant compte des éléments généraux et individuels ci-dessus exposés, de lui infliger une sanction pécuniaire de 200.000 euros ; Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à Me LIBERT, es qualités, la totalité de ses frais de procédure non compris dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS Rejette la demande de sursis à statuer présentée par ADP, Annule la décision n° 98-D-34 du 2 juin 1998 prononcée par le Conseil de la concurrence, Statuant à nouveau : Dit que l'établissement Aéroports de Paris a enfreint les dispositions de l'article L.420-2 du code de commerce, Inflige à Aéroports de Paris une sanction pécuniaire de 200.000 euros, Condamne Aéroports de Paris à payer à Me LIBERT, es qualités, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du NCPC, Condamne Aéroports de Paris aux dépens. LE GREFFIER
LE PRESIDENT