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14/11/2002 | FRANCE | N°JURITEXT000006941493

France | France, Cour d'appel de Paris, 14 novembre 2002, JURITEXT000006941493


COUR D'APPEL DE PARIS 1ère chambre, section B ARRET DU 14 NOVEMBRE 2002

(N , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 2000/20013 2000/20371 Décision dont appel : Jugement rendu le 14/09/2000 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS 17è Ch. RG n : 1999/20561 Date ordonnance de clôture : 6 Septembre 2002 Nature de la décision :

CONTRADICTOIRE Décision : CONFIRMATION INTERVENANTS EN REPRISE D'INSTANCE et comme tels APPELANTS Madame NENY VEUVE X... Y... tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administratrice légale de sa fille Camille X... demeurant 16

Boulevard Raspail 75007 PARIS Mlle X... Z..., Chloé demeurant 16 Boule...

COUR D'APPEL DE PARIS 1ère chambre, section B ARRET DU 14 NOVEMBRE 2002

(N , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 2000/20013 2000/20371 Décision dont appel : Jugement rendu le 14/09/2000 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS 17è Ch. RG n : 1999/20561 Date ordonnance de clôture : 6 Septembre 2002 Nature de la décision :

CONTRADICTOIRE Décision : CONFIRMATION INTERVENANTS EN REPRISE D'INSTANCE et comme tels APPELANTS Madame NENY VEUVE X... Y... tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administratrice légale de sa fille Camille X... demeurant 16 Boulevard Raspail 75007 PARIS Mlle X... Z..., Chloé demeurant 16 Boulevard Raspail 75007 PARIS Monsieur X... A..., Pascal, Thomas demeurant 42 rue Trévise 75009 PARIS représentés par la SCP VERDUN-SEVENO, avoué assistés de Maître MARCHAND, avocat au Barreau de Paris, M1852 APPELANT Monsieur B... Jean C... ... par la SCP VERDUN-SEVENO, avoué assisté de Maître MOJICA, avocat au Barreau de Paris, E457 CABINET CHATEL INTIMES : Madame D... E... ... par Maître MELUN, avoué assisté de Maître BASILE, avocat au Barreau de Paris, D559 Maître BROUARD-DAUDE POUR STE CAMERONE PRODUCTIONS demeurant 34 rue Saint Anne 75001 PARIS Maître FRECHOU POUR STE IDEAL FILMS demeurant 18 rue Séguier 75006 PARIS représentés par la SCP VARIN-PETIT, avoué COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats Monsieur GRELLIER, Président, Monsieur DIXIMIER, F..., qui, par application de l'article 786 du nouveau code de procédure civile, ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés, puis en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré. Lors du délibéré Président :

Monsieur GRELLIER F... : Madame BRONGNIART F... : Monsieur DIXIMIER G... : lors des débats et du prononcé de l'arrêt Madame H...

MINISTERE PUBLIC : à qui le dossier a été préalablement communiqué :

représenté aux débats par Madame I..., Substitut Général, qui a présenté des observations orales. DEBATS : A l'audience publique du 12 septembre 2002 ARRET : prononcé publiquement par Monsieur GRELLIER, Président, qui a signé la minute avec Madame H..., G...

En février 1969, André D..., père divorcé de trois enfants, se retrancha avec ses enfants dans sa ferme à CESTAS (Gironde), refusant de rendre les enfants à l'issue d'un week-end durant lequel il avait leur garde;// Après plus de deux semaines de siège au cours duquel André D... abattit un gendarme, ordre fut donné à la gendarmerie d'investir la ferme; André D... tua alors ses deux plus jeunes enfants restés à ses côtés, puis se suicida;// De ce fait divers, dont les médias rendirent amplement compte, un film a été tiré, d'abord intitulé "Nous mourirons ensemble", puis "Fait d'hiver", sorti en salle le 28 avril 1999, présenté en avant première en avril 1998 au festival cinématographique d'Arcachon, réalisé par Robert X..., écrit par Jean-Claude B... et produit par les sociétés IDÉALS FILMS et CAMERONE PRODUCTIONS;// Estimant que ce film, de la conception duquel elle a été tenue entièrement à l'écart, porte atteinte à sa vie privée a été réalisé dans des circonstances fautives à son endroit, E... D... a engagé une action

judiciaire fondée sur les articles 9 et 1382 du Code civil;// Selon jugement, assorti de l'exécution provisoire, prononcé le 14 septembre 2000 par le Tribunal de grande instance de Paris, Robert X... et Jean-Claude B... ont été sur le fondement de l'article 1382 du Code civil condamnés in solidum à payer à E... D... la somme de 150 000 francs à titre de dommages et intérêts; en outre, cette même décision a fixé la créance de E... D... à l'égard "in solidum" de Me FRECHOU, liquidateur de la société IDEAL FILMS et de la SCP BROUARD DAUDE, liquidateur de la société CAMERONE PRODUCTIONS, à la somme de 150 000 F et a mis hors de cause la société Canal Plus;// Robert X... et Jean-Claude B... ont frappé d'appel ce jugement; l'action de Robert X... a été, à son décès, reprise par ses ayants droits, Y... NENY, sa veuve et A..., Julietteet Camille X..., ses enfants; estimant que le film n'est pas de nature à porter atteinte à l'intimité de la vie privée de Mme E... D..., ils concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes articulées sur l'article 9 du Code civil et à l'infirmation de la décision en ce qu'elle a retenu une faute à l'égard de Mme E... D... et en particulier de la méconnaissance d'un droit d'information et de regard sur leur création; ils sollicitent en conséquence la restitution de la somme de 11 433, 68 F, quote part dont les appelants se sont acquittés en vertu de l'exécution provisoire;// Me Patrice FRECHOU, es-qualité de mandataire judiciaire à la liquidation de la SARL IDEAL FILMS et la SCP BROUARD DAUDE - BROUARD es-qualité de mandataire judiciaire à la liquidation à la liquidation de la SA CAMERONE PRODUCTIONS concluent, par appel incident, au débouté de Mme E... D... de toutes ses demandes et à l'irrecevabilité de Mme E... D... en ses demandes relatives aux sociétés en liquidation, pour n'avoir demandé aucune fixation de créances au passif de ces sociétés; // Mme E...

D... demande à la Cour de constater que le film d'abord intitulé "Nous mourirons ensemble", puis "Fait d'hiver" porte atteinte à l'intimité de sa vie privée, ouvrant droit à réparation sur le fondement de l'article 9 du Code civil; elle demande en conséquence à la Cour de la recevoir en son appel reconventionnel, de débouter les appelants de leur appel principal, de constater que le film en cause porte atteinte à l'intimité de sa vie privée et constitue une violation de l'article 9 du Code civil ouvrant droit à réparation; de constater que le dommage porté à sa vie privée s'est trouvé réalisé dès la diffusion du film au cinéma et a perduré du fait des nouvelles diffusions intervenues à la télévision, suite à la cession de droits à CANAL PLUS puis au rachat des droits d'exploitation du film par la société AWA PRODUCTIONS; // Elle prie la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné conjointement et solidairement Monsieur Robert X..., en sa qualité de réalisateur, Monsieur Jean-Claude B..., en sa qualité de scénariste, la société de production CAMERONE PRODUCTIONS et Me FRECHOU, es-qualité de mandataire liquidateur de la société IDEAL FILMS, producteur délégué, à réparer le préjudice causé du fait de l'atteinte portée à l'intimité de sa vie privée et de ses sentiments, sauf à prévoir la condamnation des défendeurs à 25 000 ä par application de l'article 9 du Code civil et à porter à 15 500 ä au minimum la somme due par les mêmes défendeurs sur le fondement de l'article 1382 du Code civil; elle demande enfin leur condamnation à lui verser une somme de 10 000 ä sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; // SUR QUOI LA COUR Se référant pour un plus ample exposé des faits, des moyens et prétentions des parties à la décision déférée et aux conclusions échangées en appel; Considérant qu' au soutien de leur appel, les consorts X... et M. Jean-Claude B... font valoir que E... D... ne peut se prévaloir d'une atteinte à sa

vie privée dès lors qu'il n'est pas contesté que les lieux du drame ainsi que les noms et prénoms des protagonistes ont été modifiés; qu'ainsi, l'identification de la personne adulte que E... D... est devenue est impossible; qu'en conséquence, la sphère de sa vie privée n'est pas atteinte; Considérant, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, que les appelants font observer en premier lieu que le fait de s'inspirer d'un événement réel est exclusif de toute faute, sauf à interdire toute création littéraire, artistique ou cinématographique tirée de faits divers; en deuxième lieu, que l'oeuvre cinématographique ne révèle aucune intention de nuire; en troisième lieu, que Mme E... D... ne peut, contrairement à l'opinion des premiers juges, être titulaire d'un droit de regard sur un film de pure création; qu'un tel droit de regard serait incompatible avec le droit de création reconnu à l'auteur; Me FRECHOU et la SCP BROUARD D'AUDE, es-qualité de mandataire liquidateur des sociétés IDEAL FILM et CAMERONE PRODUCTION font valoir que les sociétés qu'ils représentent n'ont commis aucune faute; ils font en outre, valoir que le Tribunal a statué ultra petita, aucune fixation de créance n'ayant été formulée contre les productions du film par Mme E... D...; qu'au surplus, cette dernière ne justifie pas avoir régulièrement déclaré sa créance au passif des liquidations judiciaires des sociétés IDEAL FILM et CAMERONE PRODUCTION; Mme E... D... fait de son côté valoir que le film litigieux constitue essentiellement une atteinte à sa vie privée en ce qu'il relate très exactement les événements de CESTAS survenus du 31 janvier au 17 février 1969; que la seule atteinte à la vie privée, en l'espèce établie, ouvre droit à réparation à son profit même en l'absence de toute démonstration d'un dommage; que la tragédie qu'elle a vécue a irrémédiablement bouleversé son existence et appartient au périmètre de sa vie privée, dans laquelle le film

constitue une intrusion arbitraire, même si les faits en cause ont, par le passé, été largement divulgués; que son préjudice réside dans la nouvelle divulgation d'un épisode très marquant de son enfance, préjudice aggravé par la campagne publicitaire pour la promotion du film justement effectuée autour de l'authenticité de ce drame; Considérant que, sans qu'il y ait lieu de s'arrêter aux variations relatives à la formulation de l'objet des prétentions de Mme E... D... à l'occasion de la sortie du film "Nous mourirons ensemble", devenu "Fait d'hiver", il est constant que le film litigieux retrace très fidèlement les événements survenus à la ferme dite du Sayet à CESTAS (Gironde) , début février 1969; que le film souligne tout particulièrement le caractère borné et la rigidité psycho pathologique du père, la fuite durant la nuit de E... D... qui, pressentant le pire, tenta vainement, pour n'avoir pu l'arracher au sommeil, de s'enfuir avec son jeune frère Francis; l'organisation méthodique de la résistance d'André D..., aidé pour ce faire, de ses deux jeunes enfants, admirateurs fascinés de leur père, capable de tenir à distance pendant plus de deux semaines grâce à ses fusils, l'ordre et la justice, également et attentivement méprisés; que le film retrace aussi l'attitude de la mère ancrée dans son refus de céder aux pressions d'André D..., son ex mari, muré dans sa négation du divorce et de ses conséquences et pourtant pressentie par les gendarmes pour être la seule en mesure d'éviter une issue dramatique, annoncée par D... ; Considérant que l'ensemble du film, en raison de l'authenticité des scènes décrites, au regard de la relation de ces événements, fidèlement et complètement rapportés dans la presse d'alors, tels la mort d'un gendarme, l'angine de la petite soeur et la faim qui tenaille les deux enfants Francis et Aline, souligne à l'envi, non seulement les sentiments et d'André D... et de son ex épouse Micheline J..., père et mère de

E... l'un envers l'autre, mais encore les sentiments et attitudes des trois enfants envers chacun de leurs parents désunis; qu'il s'ensuit qu'une telle divulgation, en elle-même licite pour se rapporter à des faits largement rendus publics il y a près de trente ans, constitue une immixtion dans le for intérieur de E... D... pour s'analyser en un rappel de faits et situations irrésistibles profondément et irrémédiablement traumatisants; Considérant de surcroît que le scénario du film "Fait d'hiver" reconstitue les quinze derniers jours de la vie du père et des deux jeunes frère et soeur de E... qui ont, tous les trois, transformé la maison familiale où E... D... a grandi, en camp retranché; que cette période, si douloureuse et bouleversante pour l'intéressée, est un élément constitutif de sa vie et partant, de sa personnalité; Que par cette évocation de faits, pour lointains et anciens qu'ils soient, le film constitue une intrusion grave et même une ingérence dans la vie familiale, dont les souvenirs, même anecdotiques, des bons comme des mauvais jours, constituent le substrat et appartiennent au patrimoine de l'individu; Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en ne recueillant pas l'autorisation expresse de E... D... de réaliser le film en cause, Robert X..., réalisateur du film et M. Jean C... B..., scénariste, ont méconnu les dispositions de l'article 9 du Code civil; Que cet article a en effet vocation à s'appliquer quelle que doit la notoriété de l'individu qui en réclame le bénéfice et quelles qu'aient été les circonstances de cette notoriété; Considérant qu'il y a lieu d'accueillir la demande de E... D... en ce qu'elle est fondée sur l'article 9 du Code civil; qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur les demandes formées à titre subsidiaire ; Considérant qu'il découle des écritures de Mme E... D... que sa demande s'articule sur son absence d'autorisation ou même d'assentiment à

divulguer l'histoire véridique et tragique qui a marqué son enfance et bouleversé sa vie; que cette divulgation, quel que soit le média utilisé, caractérise, comme ci-dessus analysé, l'atteinte à la vie privée; Qu'ainsi, il résulte de ce qui précède que le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé condamnation in-solidum de Robert X..., aujourd'hui décédé et dont les ayants droits ont régulièrement repris l'action et de M. Jean-Claude B...; Qu'il convient également les deux sociétés en cause ayant été le support nécessaire à l'atteinte à la vie privée de Madame E... D... de fixer in-solidum à l'égard de Me BROUARD DAUDE, la créance de Mme E... D... à la somme de 150.000 francs sur le passif de la société CAMERONE PRODUCTIONS, Mme E... D... ayant été relevée de la forclusion de déclaration de sa créance par ordonnance du juge commissaire en date du 9 octobre 2000; que s'agissant de la société IDEAL FILM, représentée par son mandataire Me FRECHOU, il n'est pas justifié que Mme E... D... ait obtenu d'être relevée de la forclusion; qu'il s'ensuit que la demande de Mme E... D... à l'encontre de la société IDEAL FILM, représentée par Me FRECHOU, est irrecevable;hantal D... à l'encontre de la société IDEAL FILM, représentée par Me FRECHOU, est irrecevable; PAR CES MOTIFS Confirme le jugement relativement à la condamnation prononcée in solidum ; Y ajoutant, Déclare irrecevable la demande de Madame E... D... de fixation de créance au passif de la société IDEAL FILMS, Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne in solidum, les consorts X..., Monsieur Jean C... B..., et Maître BROUARD-DAUDE ès qualités à payer à Madame E... D... la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile . Condamne in solidum les consorts X..., Monsieur Jean-Claude B... et Maître BROUARD DAUDE ès qualités aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de

l'article 699 du nouveau Code de Procédure civile. ; LE G...

LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Numéro d'arrêt : JURITEXT000006941493
Date de la décision : 14/11/2002

Analyses

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE

En ne recueillant pas l'autorisation expresse de l'intéressé de réaliser un film relatant une période de sa vie, le réalisateur et le scénariste de ce film ont méconnu les dispositions de l'article 9 du Code civil.La divulgation qui a été ainsi faite, quel que soit le média utilisé, caractérise l'atteinte à la vie privée.


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2002-11-14;juritext000006941493 ?
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