COUR D'APPEL DE PARIS 1 chambre, section P ORDONNANCE DU 12 AVRIL 2002
Numéro d'inscription au répertoire général : 2002/60305 Nature de la décision : Contradictoire NOUS, François CUINAT, Président de Chambre à la Cour d'Appel de PARIS, agissant par délégation de Monsieur le Premier Président de cette Cour, assisté de Josette DUCOURNAU, Greffier. Vu l'assignation en référé délivrée à la requête de :
Madame X..., Michèle, Jacqueline Y..., ... ; DEMANDERESSE (PRESENTE) Ayant pour avoué la SCP DUBOSCQ PELLERIN et pour avocat maître KALTENBACH à :
Monsieur Vitor DE Z..., ... ; DEFENDEUR Comparant en personne Et après avoir entendu le conseil de la demanderesse et M. DE Z... en ses explications lors des débats de l'audience publique du 12 avril 2002 :
. . . / Mme X... Y... a saisi la justice, sur le fondement de l'article R.321-12 du Code de l'organisation judiciaire, de la contestation l'opposant à M. Vitor DE Z... au sujet des conditions des funérailles de leur fils, Miguel DE Z..., décédé le 26 mars 2002, dans sa 26ème année, par suicide. Mme Y... demandait à être
autorisée à faire procéder à l'incinération du corps, ainsi que son fils en avait -aux termes de trois attestations qu'elle produit- exprimé le souhait, et à conserver les cendres, indiquant à l'audience avoir l'intention de les disperser, probablement dans l'océan. M. DE Z... s'y opposait en invoquant ses convictions religieuses, la nouvelle atteinte que l'incinération porterait au corps du défunt, et la détresse dans laquelle le plongerait la crémation qui l'empêcherait de faire son deuil de son enfant. Par jugement du 9 avril 2002, exécutoire de plein droit sur minute, le président du Tribunal d'instance de VINCENNES a : - débouté X... Y... de ses demandes ; - donné acte aux parties de leur accord en ce qui concerne l'administration des soins conservateurs au corps de Miguel DE Z... ; - laissé les dépens à la charge de Mme Y.... Le premier juge a motivé sa décision en retenant : . que Miguel DE Z... n'avait laissé aucune disposition écrite pour régler ses funérailles ou simplement pour exprimer sa volonté en la matière ; . que si trois attestations sont versées aux débats, par lesquelles une amie, un ami et un grand-oncle rapportent des propos de l'intéressé en faveur de la crémation, les graves troubles de la personnalité dont il était atteint interdisent de tenir ces déclarations pour l'expression indiscutable de sa volonté, sans qu'il y ait lieu de remettre en question ces attestations ; . que les parents du jeune homme, concernés au premier chef, ont le droit de voir prise en compte leur propre souffrance et sont fondés à se prévaloir du trouble que peut apporter à leur deuil une modalité qui heurte trop durement leurs convictions ; . qu'en demandant non seulement à faire procéder à la crémation, mais encore à être autorisée à disposer de l'intégralité des cendres en vue de les disperser dans la nature, la requérante outrepasserait le contenu des attestations dont elle se prévaut, son fils Miguel n'ayant pas exprimé le désir de ne reposer nulle part, de
n'avoir aucune sépulture et de ne garder aucune trace après son décès ; . que M. DE Z... invoque légitimement la souffrance que ce projet et l'appropriation qui en découle infligeraient à ses convictions. Mme X... Y... a relevé appel de ce jugement le 10 avril 2002, soit dans le délai de vingt-quatre heures imparti à cet égard par l'article L.321-12 du code précité. Elle fait valoir qu'elle a vécu maritalement avec Vitor DE Z... jusqu'en décembre 1983 ; que leur fils Miguel est né le 2 novembre 1976 et a été reconnu par son père ; qu'à la suite de la séparation de ses parents, il a été élevé par elle ; qu'il a eu ensuite des relations chaotiques avec son père ; que depuis cinq ans, Miguel était sans emploi, souffrait de graves troubles de la personnalité -de schizophrénie- et était suivi au Centre médico-psychologique de Vincennes ; qu'il vivait chez elle et qu'elle lui apportait le soutien moral indispensable à son état ; que Vitor DE Z..., qui avait d'abord consenti à l'incinération, s'y est opposé le jour venu, en présence de l'entourage. . . . / 2ème page Reprenant les trois attestations produites devant le premier juge, elle rappelle que : . Mlle Emilie A..., qui connaît Miguel depuis 1994 et a entretenu avec lui, jusqu'à son décès, des relations amicales très fortes, atteste ainsi : "J'ai recueilli à plusieurs reprises lors de conversations privées avec mon ami Miguel sa volonté de vouloir être incinéré s'il décédait" ; . M. Thomas B..., ami de Miguel, s'exprime ainsi :
"Il y a trois semaines, au cours d'une discussion sur la mort avec mon ami Miguel, je lui ai fait part de mon désir d'incinération s'il m'arrivait quelque chose. Miguel m'a dit que ce serait également son choix" ; . M. André C..., grand-oncle maternel, indique pour sa part : "Au cours d'une conversation sur les réunions de famille, lors du mariage de son frère le 23 mars dernier, Miguel DE Z... m'a confié que n'appartenant à aucune religion et n'aimant pas les cimetières, il
préférerait être brûlé" ; Elle soutient que le premier juge aurait dû retenir la volonté du défunt, exprimée sans ambigu'té au moins à trois époques différentes et auprès de trois personnes proches ; que ces volontés doivent primer, l'article 3 de la loi du 15 novembre 1887 impliquant que même en l'absence de testament, ces volontés puissent être exprimées de quelque façon que ce soit ; qu'elle n'a demandé à disposer de l'intégralité des cendres que pour tenter de régler par anticipation un nouveau conflit susceptible de naître ; que cependant, lors des débats devant le premier juge, M. DE Z... n'a exprimé à ce propos aucun voeu, qu'elle était pourtant prête à entendre. Elle conclut en demandant au premier président de la cour d'appel d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de : - l'autoriser à faire procéder à l'incinération de son fils Miguel ; - statuer ce que de droit concernant la disposition des cendres ainsi recueillies ; - condamner Vitor DE Z... aux dépens.
* Au début de l'audience, M. Vitor DE Z... demande le renvoi de l'affaire, si possible au lundi 15 avril, afin de lui permettre de saisir un avocat pour assurer sa défense, au mieux de ses intérêts, dans le souci de préserver la volonté de son fils défunt ; il déclare en effet avoir pris conscience, à la lecture des conclusions déposées au nom de son épouse, de la nécessité d'être défendu par un avocat, tant il a la conviction d'avoir été manoeuvré et accablé de pressions pour consentir à un procédé de crémation qu'il ne peut accepter, dès lors que son fils ne l'aurait pas réellement et incontestablement demandé. L'avocat de Mme Y... fait valoir qu'un renvoi a déjà été accordé la veille, jeudi 11 avril, pour assurer un parfait respect du
contradictoire et que M. DE Z... ne peut encore réclamer un renvoi qui est contraire à la prescription impérative de la loi, laquelle dispose, aux termes de l'article R.321-12 du Code de l'organisation judiciaire, que le premier président doit statuer "immédiatement". Il est décidé de joindre l'incident au fond et de poursuivre l'audience. * L'audience reprenant sur le fond du litige, l'avocat de Mme Y... expose que celle-ci est avant tout soucieuse de faire prévaloir la volonté exprimée par son fils, auprès de trois personnes différentes, au sujet da la crémation ; elle précise que le premier juge a
. . . / 3ème page cru devoir écarter les attestations en se fondant sur l'état psychologique déficient de Miguel, mais que le témoignage d'Emilie A... concerne une période antérieure à la maladie de Miguel qui ne s'est déclarée qu'à la fin de 1998 ; elle souligne que la volonté de l'intéressé a été ainsi affirmée à plusieurs reprises. M. Vitor DE Z... s'oppose à cette demande et fait le récit des événements depuis qu'il a été informé du suicide de son fils ; il a la conviction d'avoir été victime de pressions incessantes de la part de la famille de Mme Y..., d'avoir été "pris en otage" pour lui arracher son accord pour l'incinération qui est un procédé contraire
à ses convictions profondes et dont il n'accepte pas qu'il soit employé pour son fils alors que la volonté de celui-ci ne lui semble nullement prouvée par les attestations versées aux débats. Il invoque au contraire les échanges qu'il a pu avoir avec Miguel, au sujet de lectures de l'Ancien et du Nouveau Testament -car lui-même est croyant- et affirme que son fils ne lui a jamais parlé de la crémation et qu'il ne critiquait en rien l'inhumation traditionnelle des chrétiens. Il renouvelle ses prises de position devant le premier juge et exprime à nouveau avec force qu'il ne peut pas admettre -ni même imaginer- que le corps de son fils soit incinéré, alors que celui-ci ne l'a nullement demandé. Il demande le débouté de l'appel et la confirmation du jugement entrepris. Après avoir répondu aux questions du délégataire du premier président et étant conviés à prendre la parole une dernière fois : - Mme Y... maintient son opposition à l'inhumation traditionnelle, afin -selon elle- de respecter la volonté de son fils, telle qu'elle estime que celui-ci l'a fait connaître avec précision et sans équivoque auprès de trois personnes dignes de foi ; - M. DE Z... maintient son opposition à une crémation que son fils n'a -selon lui- jamais demandée. Sur interrogations, ils précisent respectivement : - Mme Y... : qu'elle ne s'oppose pas à un "partage des cendres" dont elle sait qu'il est possible s'il est demandé par la famille du défunt ; qu'elle tient cependant à disperser les cendres qui lui reviendraient, car elle a le sentiment profond que le souvenir et les sentiments envers le disparu s'expriment par la pensée et non pas par la matérialisation de tombes ou de niches dans un columbarium ; que, pour une inhumation traditionnelle, elle pourrait disposer d'une place dans un caveau de famille neuf et inoccupé en province ; - M. DE Z... : qu'il ne dispose pas d'un caveau de famille ou même d'une simple tombe en France, mais qu'il s'emploierait à en faire aménager une, si
l'inhumation traditionnelle qu'il demande était accordée. SUR CE, Attendu que M. Vitor DE Z... a été régulièrement assigné en cause d'appel pour le jeudi 11 avril, 9 h 30 ; qu'il ne s'est pas présenté ; que l'avoué de Mme Y... et l'intéressée elle-même, présente à l'audience, ont eux-mêmes demandé, dans l'intérêt du contradictoire, un renvoi de l'affaire au lendemain à 10 h ; que ce renvoi leur a été accordé ; que Vitor DE Z... s'étant présenté à 10 h 30, peu après le départ de l'appelante, de son avoué et de son avocat, l'intéressé a été avisé par nos soins du renvoi -dès lors contradictoire- au vendredi 12 avril à 10 heures ;
. . . / 4ème page Attendu que, dans ces conditions et au regard des prescriptions de l'article L.321-12 du Code de l'organisation judiciaire, il n'y a pas lieu d'accorder un nouveau renvoi ;
* Attendu qu'il est constant que Miguel DE Z..., décédé le 26 mars 2002 dans sa 26ème année, vivait épisodiquement avec sa mère et avait des relations plus distendues avec son père ; qu'il n'a établi aucun écrit dans les formes prévues par l'article 3 de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles ; qu'il n'avait exprimé lui-même, directement, auprès de l'un ou de l'autre de ses parents, aucune volonté en faveur de l'incinération ou contre ce procédé ;
Attendu que, indépendamment de la valeur des arguments invoqués par Vitor DE Z... en faveur de l'inhumation traditionnelle permettant de disposer d'un lieu de sépulture favorisant le travail de deuil, il convient de rechercher la volonté du défunt pour la faire primer ; que celle-ci résulte suffisamment des trois attestations produites, qui sont particulièrement explicites ; qu'il ne ressort du dossier aucune raison de douter de leur véracité ; qu'en outre, le respect et la sincérité dus au mort -comme à la Justice- par ceux qui les établissent ne conduisent pas à les mettre en doute ; qu'il convient en conséquence d'autoriser Mme Y... à faire incinérer le corps de son fils ; Attendu que, pour autant, il reste possible aux parties de s'accorder : - soit pour se partager les cendres en demandant au responsable du crématorium de partager les cendres entre deux urnes qui leur seront respectivement remises ; - soit pour rechercher un columbarium susceptible de procurer une alvéole permettant d'accueillir l'urne funéraire dans laquelle seront recueillies les cendres de leur fils, ce qui laisserait à Vitor DE Z... comme aux autres membres de la famille un lieu de repère, de souvenir et de recueillement, au moins pour toutes les années pour lesquelles ses parents conviendraient de prolonger la concession, laissant ainsi à chacun le temps de suivre son chemin de deuil ; qu'il convient par conséquent d'accorder à Mme Y... le droit, après l'incinération et à défaut d'accord pour que chacune des parties reçoive la moitié des cendres dans une urne distincte qui lui soit personnellement remise, de recueillir l'unique urne contenant les cendres, mais de ne l'autoriser dans ce cas à les disperser qu'après un délai de six mois et dans le cas seulement où elle-même et Vitor DE Z... ne seraient pas parvenus à un accord sur la location d'un emplacement dans un columbarium ou l'aménagement de tout autre lieu de sépulture ou de conservation de l'urne dans des conditions de décence et
d'accessibilité convenant à tous deux ; [* Attendu qu'en raison de la nature du litige, lequel oppose les parents au sujet de la destination du corps d'un enfant décédé, il convient de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens, de première instance et d'appel ;
*]
. . . / 5ème page PAR CES MOTIFS, Rejetons la demande de renvoi présentée par M. Vitor DE Z... ; Infirmons en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 avril 2002 entre les parties ; Statuant à nouveau : - Disons qu'il est suffisamment établi que Miguel DE Z... avait choisi de se faire incinérer ; - Autorisons Mme X... Y... à faire procéder à l'incinération du corps de son fils, Miguel DE Z..., décédé le 26 mars 2002 ; Miguel DE Z..., décédé le 26 mars 2002 ; - Accordons à Mme Y... le droit, après l'incinération et à défaut d'accord entre les parties pour que chacune des parties reçoive la moitié des cendres dans une urne distincte qui lui soit personnellement remise, de recueillir l'unique urne contenant les cendres, mais ne l'autorisons dans ce cas à les disperser qu'après un délai de six mois et dans le cas seulement où elle-même et Vitor DE Z... ne seraient pas parvenus à un accord sur la location d'un
emplacement dans un columbarium ou l'aménagement de tout autre lieu de sépulture ou de conservation de l'urne funéraire ; - Disons que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens, en première instance et en appel. Disons que la présente ordonnance est exécutoire sur minute, en application de l'article R.321-12 du Code de l'organisation judiciaire. Ordonnance rendue le vendredi 12 avril 2002 à 14 heures par M. François CUINAT, président de chambre, lequel a signé la minute avec Mme Josette DUCOURNAU, greffier. 6ème page