COUR D'APPEL DE PARIS 5è chambre, section B ARRET DU 14 MARS 2002
(N , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 1996/09544 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 22/02/1996 par le TRIBUNAL DE COMMERCE de PARIS 14è Ch. RG n : 1993/46028 Arrêt ADD EXPERTISE rendu le 27/O2/1998 par la Cour d'Appel de PARIS 5 ème Chambre B Date ordonnance de clôture : 21 Décembre 2001 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : ARRET AU FOND APPELANTE :
S.A.R.L. STATION SERVICE X... agissant poursuites et diligences de son liquidateur Monsieur Paul X... ayant son siège 19 rue Richard Wagner 5715O CREUTZWALD représentée par Maître RIBAUT, avoué assisté de Maître JOURDAN, Avocat au Barreau de PARIS, INTIMEE : S.A. ESSO S.A.F. prise en la personne de son président directeur général ayant son siège 2 rue des Martinets 92569 RUEIL MALMAISON Cedex représentée par la SCP TAZE-BERNARD-BELFAYOL-BROQUET, avoué assistée de Maître DAMERVAL, Avocat au Barreau de PARIS, (SCP CHEMINAIS SAINT SAUVEUR DAMERVAL BLANCHE) COMPOSITION DE LA COUR Lors des débats et du délibéré Monsieur MAIN: Président Madame PEZARD: Présidente de Chambre Monsieur FAUCHER: Conseiller DEBATS à l'audience publique du 31 JANVIER 2002 GREFFIER Lors des débats et du prononcé de l'arrêt Madame LAISSAC ARRET Contradictoire prononcé publiquement par Monsieur MAIN, Président, lequel a signé la minute avec Madame LAISSAC, greffier Vu l'arrêt du 27 février 1998 par lequel la Cour a : - confirmé le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 22 février 1996 ayant rejeté les demandes d'annulation des contrats de mandat et de location gérance des 10 août 1981 et 30 septembre 1985 liant la SARL X... à la SA ESSO SAF, - dit que la société X... avait droit en tant que mandataire au remboursement par la société ESSO SAF des pertes résultant de l'exécution du mandat, - constaté que la société X... soutenait que le mandat et la location gérance étaient indissociables, - ordonné une expertise, confiée à Monsieur
Bernard Y..., à l'effet de chiffrer les éventuelles pertes de la société X... durant l'exécution des deux contrats susvisés, d'en déterminer l'origine et de préciser en particulier celles qui sont imputables à l'exécution du mandat de distribution des carburants, en tenant compte d'une équitable rémunération des époux X... compte tenu du temps consacré à la vente des carburants et des responsabilités encourues et plus généralement de fournir à la Cour les éléments nécessaires à la décision qu'elle doit rendre en application de l'article 2000 du Code civil;
Vu le rapport d'expertise clos le 28 novembre 2000;
VU les dernières conclusions du 27 septembre 2001 dans lesquelles la société STATION SERVICE X... demande à la Cour : - de condamner la société ESSO à lui payer, au titre de remboursement des pertes nées de l'exécution du mandat pour les années déficitaires et sans compensation avec les années éventuellement positives, la somme de 2.410.064 francs avec intérêts de droit à compter du 1er juillet 1986 (terme moyen) à titre de supplément de dommages-intérêts si besoin est ou, à défaut, de l'acte introductif d'instance, - de juger que les époux X... ont droit à une rémunération complémentaire raisonnable calculée sur la base de 300.000 francs l'an, soit, après défalcation des salaires déjà perçus et ventilation entre l'activité de mandat et de location gérance, la somme de 881.073,60 francs avec intérêts de droit à compter du 1er juillet 1986 (terme moyen) à titre de supplément de dommages-intérêts si besoin est ou, à défaut, à compter de l'acte introductif d'instance, - de juger que l'expert a inexactement apprécié au regard des règles légales l'incidence du compte carburant dans la comptabilité de la société X... et de condamner la société ESSO à lui payer, au titre des pertes de
carburant, la somme de 391.380 francs avec intérêts de droit à compter du 1er juillet 1986 (terme moyen) à titre de supplément de dommages-intérêts si besoin est ou, à défaut, à compter de l'acte introductif d'instance, - d'ordonner, à titre subsidiaire, une expertise sur les pertes de carburant, - de condamner en tout état de cause la société ESSO à lui payer 250.000 francs au titre de ses frais irrépétibles.
Vu les ultimes écritures du 9 novembre 2001 dans lesquelles la société ESSO SAF prie la Cour : - sur les pertes imputables au mandat, de débouter à titre principal la société X... de ses demandes dans la mesure où l'examen des résultats de la période d'exploitation de l'appelante démontre une faute de celle-ci ou, subsidiairement, de fixer les pertes d'exploitation à la somme de 99.460 francs avec intérêts de droit à compter de l'arrêt à intervenir, - sur la rémunération complémentaire des gérants de débouter à titre principal la société X... de cette demande, la rémunération des gérants pour la période considérée étant supérieure à celle prévue par les AIP applicables ou, à titre subsidiaire, de fixer cette rémunération à la somme de 213.258 francs avant incidence fiscale, - sur le fonctionnement du compte carburant d'entériner le rapport de l'expert et de débouter la société X... de sa demande.
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SUR CE :
1 - Sur les pertes d'exploitation :
Considérant qu'aux termes de l'article 2000 du Code civil : "Le mandant doit aussi indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l'occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable";
Considérant que pour s'opposer à l'indemnisation sollicitée par la société X..., la société ESSO SAF fait valoir que son mandataire, dont le volume de carburant vendu a chuté entre 1987 et le 15 mai 1990, date de cessation de son activité, s'est davantage préoccupé d'un autre fonds de commerce, n'a pas respecté les règles comptables existantes et n'a donc pas agi en bon commerçant au sens de l'article précité, ce que conteste l'appelante qui reproche à sa cocontractante d'avoir pratiqué des prix artificiellement élevés;
Considérant toutefois que les griefs formulés par l'intimée ne peuvent être retenus dans la mesure où, durant l'exécution des contrats successifs des 10 août 1981 et 30 septembre 1985 associant un mandat pour la vente des carburants et une location-gérance pour des activités annexes, en particulier la vente des lubrifiants, elle ne justifie ni avoir fait le moindre reproche à la société X... dont elle connaissait les animateurs depuis 1966, ni du bien fondé de ses allégations sur l'option qui aurait été prise par l'appelante de privilégier l'activité de location-gérance, ni du préjudice qu'elle aurait subi en raison des carences comptables de sa cocontractante;
Qu'en conséquence la Cour ne peut que faire droit en son principe à la demande de la société X... tendant à être indemnisée des pertes par elle essuyées lors de l'exécution ou à l'occasion de l'exécution
de son mandat;
Considérant à cet égard que pour évaluer celles-ci l'expert a procédé à l'examen de chacun des exercices comptables puis, pour chacune des activités concernées, à une répartition des charges et des produits afin de reconstituer les résultats dégagés par l'activité de mandat et celle de location-gérance;
Considérant que pour cette répartition Monsieur Bernard Y..., en l'espèce, au regard des éléments de la cause, a légitimement : - pris en compte des assiettes comparables, ce qui n'est pas le cas des chiffres d'affaires TTC des deux activités en raison des taxes incluses dans la vente des carburants, auxquelles ne sont pas assujetties les activités relevant de la location-gérance, - réparti les charges et les produits non directement imputables à une activité au prorata des ventes de carburant HT et du chiffre d'affaires HT de l'activité de location-gérance (exemple : charges d'exploitation carburant), - a retenu pour le reste des clés de répartition tenant compte pour chacun des postes concernés de l'importance de l'activité en cause, de sorte que c'est à juste titre que, par exemple, les salaires, honoraires et taxe d'apprentissage ont été affectés forfaitairement à hauteur de 80 % à l'activité mandat et à hauteur de 20 % à l'activité location-gérance;
Considérant que, ceci étant, la société X...: - ne démontre pas le bien fondé de son calcul non soumis à l'expert devant lequel elle s'est d'ailleurs abstenue de proposer une quelconque méthode de répartition des charges et des produits, - ne peut reprocher à l'expert d'avoir évalué ses pertes d'exploitation en tenant compte des années déficitaires et non déficitaires dans la mesure où ce
technicien s'est conformé à sa mission consistant à chiffrer les pertes globalement "durant l'exécution des deux contrats susvisés", - ne permet pas, faute par elle de communiquer sa comptabilité définitive, d'analyser les comptes de l'exercice 1983/1984, la Cour ne pouvant, s'agissant de résultats comptables, se satisfaire de l'approche "empirique", exclusive de toute précision, à laquelle à dû recourir Monsieur Bernard Y...;
Considérant que, au vu de ce qui précède et du tableau analytique de la répartition des charges et des produits par activité figurant à l'annexe 1 bis du rapport d'expertise, l'activité mandat a dégagé une perte de 619.933 francs et l'activité location-gérance a dégagé un bénéfice de 548.657 francs;
Considérant cependant que, comme l'observe l'intimée, les pertes dégagées par l'activité de mandat ont permis de diminuer le montant de l'impôt sur les sociétés qui aurait dû être acquitté sur les bénéfices dégagés par l'activité de location-gérance, de sorte que, compte tenu de l'économie d'impôt qui s'élève à 208.992 francs, la société X... est en droit d'obtenir la somme de 619.933 francs - 208.992 francs = 410.941 francs ou 62.647,55 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt qui évalue les pertes subies;
2 - Sur la rémunération des époux X... :
Considérant que les époux HAKEL, animateurs de la société X..., ont déjà perçu, à titre de rémunération, pour la période s'étendant du mois d'août 1981 au mois de mai 1990, une somme de 1.511.158 francs que l'expert a incluse dans la détermination des résultats de chacune des activités;
Considérant qu'au vu du rapport de Monsieur Bernard Y..., l'appelante réclame pour ses gérants, au titre de l'exécution du mandat, une rémunération complémentaire "raisonnable" de 881.073,60 francs, demande à laquelle s'oppose la société ESSO SAF en arguant de ce que les époux X... ont perçu une rémunération supérieure à celle des AIP et de ce que, en tout état de cause, cette demande est excessive; Considérant que les parties étaient, ce qui n'est pas contesté, liées par des Accords Interprofessionnels (AIP) prévoyant une rémunération garantie au profit des gérants de stations services; Que la société ESSO SAF se devait donc de garantir ce minimum contractuel qui, faisant la loi des parties, était jugé "raisonnable" ou "équitable" par celles-ci ; que l'intimée ne pouvait donc être tenue au delà ; Considérant que Monsieur Bernard Y... a calculé la rémunération due en application des AIP et a abouti à une somme de 1.287.748 francs ; Que celle-ci étant inférieure aux salaires effectivement perçus par les époux X..., l'appelante, créancière de commissions et non de rémunérations, ne peut prétendre, pour ses animateurs, obtenir des salaires complémentaires ;
3 - Sur le compte carburant :
Considérant que, se référant à des documents qui, établis en 1991 par une société AGEC, mettraient en évidence, selon elle, une très grande dérive de son compte carburant, la société X... se prétend créancière de l'intimée pour une somme de 391.380 francs ou, subsidiairement, sollicite la désignation d'un expert;
Considérant qu'il y a lieu à cet égard de relever que, ayant à justifier du bien fondé de cette créance, la société X... a demandé
au conseiller de la mise en état d'enjoindre à la société ESSO SAF de produire "l'historique de son compte carburant";
Qu'elle a, par ordonnance du 6 octobre 2000, été déboutée de cette demande, motif pris, d'une part de ce qu'il y avait lieu de s'étonner que la société X... ait pu remettre à l'expert une note d'un cabinet de gestion sans pouvoir produire les pièces sur lesquelles s'est fondé ce cabinet, d'autre part de ce qu'il n'appartenait ni au conseiller de la mise en état ni à l'intimée de suppléer la demanderesse dans l'administration de la preuve;
Que, consécutivement à cette décision, son conseil a, comme cela ressort des pages 9 et 10 du rapport de Monsieur Bernard Y..., adressé à ce technicien le 31 octobre 2000 les tableaux de livraisons et de ventes de carburant pour la période s'étendant du mois de janvier 1985 au mois de mai 1990 en précisant qu'il demandait à sa cliente de mettre à sa disposition "les documents de base qui ont permis l'établissement de ces tableaux";
Considérant que l'expert, de son côté, a adressé aux parties le 7 novembre 2000 une note dans laquelle il constatait qu'il n'avait reçu ni information complémentaire, ni observation de la part de la société X... sur : - la justification de la perte de carburants, - les insuffisances relevées dans sa comptabilité, - la répartition des charges entre les activités relevant du mandat et de la location gérance;
Qu'il a été amené à clôturer ses opérations d'expertise sans avoir reçu les justifications réclamées, de sorte que la société X... n'est pas fondée à prétendre, comme elle le fait dans ses écritures,
que l'expert "a refusé de recevoir" les pièces sur lesquelles a travaillé la société AGEC;
Que tout au contraire il s'est efforcé de trouver l'origine de la perte invoquée et s'est vu contraint, au regard des éléments communiqués, de constater l'absence d'éléments probants après avoir observé : - que le cabinet AGEC ne précisait pas la date à laquelle le stock avait été jaugé contradictoirement, - que, en application d'instructions administratives, l'appelante était tenue d'effectuer le premier jour ouvré de la semaine un rapprochement entre le stock réel et le stock théorique et, en cas de différence supérieure à 600 litres par cuves, d'en aviser immédiatement le chef de secteur, - que les pertes de carburant dues aux différences de température ont été estimées par le cabinet AGEC à un montant de 191.929 francs pour la période du 1er janvier 1985 au 15 mai 1990 et sont à rapprocher de celles enregistrées en charges sur la période du 19 août 1981 au 15 mai 1990 et dont le montant cumulé s'élève à 169.109 francs;
Considérant que, au vu de ce qui précède et du fait que la preuve de la créance de la société X... n'est pas rapportée par les seules "situations journalières des stocks et recettes" des mois de mai à juillet 1987 versées aux débats devant la Cour sans explication ni démonstration, il convient, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise, de débouter l'appelante de ses demandes;
4 - Sur les demandes accessoires :
Considérant que, ayant pour partie obtenu gain de cause, la société X... est fondée à obtenir une indemnité de 12.200 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Considérant que, pour sa part, la société ESSO SAF sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui comprennent le coût de l'expertise;
PAR CES MOTIFS :
Vu l'arrêt du 27 février 1998,
Condamne la société ESSO SAF à payer à la société X... les sommes de : - 62.647,55 euros pour les pertes d'exploitation avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, - 12.200,00 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Déboute les parties de toutes autres demandes, condamne la société ESSO SAF aux dépens de première instance et d'appel, lesquels comprennent le coût de l'expertise, et admet Maître RIBAUT, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile. Le Greffier Le Président.