X... / GENERAL ACCIDENT mandat apparent et croyance légitime du tiers COUR D'APPEL DE PARIS 7 chambre, section Y... ARRET DU 5 MARS 2002 (N , 8 pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 2000/5383 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris, 5ème chambre, en date du 26.01.2002 Date ordonnance de clôture : 7.01.2002 APPELANT : Société GENERAL ACCIDENT Vie 42 rue de la Victoire PARIS 9ème Représentée par la SCP GAULTIER KISTNER, avoué Assistée de Me H. FLORAND, avocat INTIME : Monsieur Jacques X... La Z... 83350 RAMATUELLE Représenté par la SCP ROBLIN CHAIX DE LAVARENE, avoué Assisté de Me AUCUY, avocat COMPOSITION DE LA COUR Lors des débats : Monsieur Michel GASTEBOIS, conseiller siégeant en application de l'article 786 du NOUVEAU CODE DE PROCÉDURE CIVILE à laquelle les avocats ne se sont pas opposés. Lors du délibéré : PRESIDENT : Monsieur Alain DECHEZELLES A... : M. Michel GASTEBOIS et Mme Dominique DOS REIS GREFFIER Dominique BONHOMME-AUCLERE DEBATS Y... l'audience publique du 29.02.2002 ARRET prononcé publiquement par M. Alain DECHEZELLES, président, qui a signé la minute avec D. BONHOMME-AUCLERE
Mme B... a confié au mois de décembre 1992 à une dame C... une somme de 850 000 francs en espèces, en contrepartie de laquelle cette dernière lui a remis deux bons de capitalisation au porteur photocopiés et falsifiés, intitulés "GENACAPI 887". S'étant ultérieurement aperçue de la supercherie dont elle était victime, Mme B... a exigé de Mme C... la signature d'une reconnaissance de dette le 15 mai 1995, dont les termes n'ont pas été respectés par cette dernière.
Ensuite de la plainte pénale déposée par Mme B... et d'autres victimes de ses agissements, Mme C... a été reconnue coupable d'escroquerie par jugement du 26 décembre 1996 et condamnée à régler
à Mme B... 900 000 francs de dommages et intérêts.
Mme B... étant décédée le 14 octobre 1997, son légataire universel M. X... a assigné le 16 juillet 1998 la société GENERAL ACCIDENT VIE pour la voir condamner, sur le fondement du mandat apparent, au paiement de la somme de 841 000 francs assortie des intérêts au taux conventionnel de 8 % à compter du 8 décembre 1992 avec capitalisation à chaque échéance annuelle des intérêts capitalisés courus sur une année, et 50 000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par jugement du 26 janvier 2000, le Tribunal de Grande Instance de Paris a fait droit au principal de la demande de M. X..., lui a alloué 10 000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et a ordonné l'exécution provisoire.
La société GENERAL ACCIDENT VIE, autorisée par ordonnance du 24 mars 2000 du délégataire du Premier Président de cette Cour, à consigner le montant des condamnations, a relevé appel de ce jugement dont elle sollicite l'infirmation, demandant à la Cour de dire la demande en paiement de M. X... irrecevable et subsidiairement mal fondée et de le condamner au paiement d'une indemnité de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, aux motifs essentiels que : - l'action engagée par M. X... en qualité de légataire universel de Mme B... est prescrite, par application des dispositions de l'article l'article L 114-1 du Code des Assurances, le point de départ du délai biennal de prescription devant être fixé au plus tard au jour où Mme B... a porté plainte contre Mme C..., - les éléments pris en compte par le tribunal pour retenir la croyance légitime de Mme B... au mandat apparent de Mme C... ne sont ni probants ni pertinents, alors que ni l'âge, ni l'état de santé ne sont déterminants en la matière, et les circonstances particulières de l'espèce excluent une telle croyance,
qui doit être appréciée au jour de la remise des fonds et en considération des aptitudes particulières de Mme B..., commerçante avisée ; par ailleurs le tribunal correctionnel de DRAGUIGNAN a nécessairement écarté la qualité de mandataire de l'assureur de Mme C... en la condamnant à régler des dommages et intérêts à Mme B..., - l'assureur ne saurait se voir condamner à exécuter un contrat qui ne repose que sur des bons falsifiés, et la faute de Mme B... qui a remis d'importantes sommes en espèces, au mépris des dispositions législatives prohibant de tels versements, exclut l'application du mandat apparent.
M. X... a conclu à la confirmation du jugement entrepris, a demandé à la Cour d'ordonner la déconsignation des fonds remis entre les mains de la SCP GAULTIER KISTNER, et de condamner la société GENERAL ACCIDENT VIE au paiement d'une indemnité de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, faisant valoir que : - la prescription biennale de l'article L 114-1 du Code des Assurances n'est pas applicable au litige qui porte sur la responsabilité d'un mandataire d'une part, et, d'autre part, la prescription est portée à dix ans pour les contrats d'assurance-vie dans lesquels le bénéficiaire est différent de l'assuré, tel étant le cas des bons au porteur dont il réclame l'exécution, - les lettres du délégué régional de GENAC VIE, M. D..., établissent l'intervention conjointe de ce dernier et de Mme C... dans la prospection des bons litigieux, et démontrent que Mme C... était un agent commercial du cabinet OPTIMASSUR de CANNES et du cabinet CASTEU, SCP d'agents généraux de la Cie GENERAL ACCIDENT à NICE, - la croyance de Mme B..., femme âgée et mentalement fragilisée, au mandat de Mme C... est démontrée par l'ensemble des pièces produites, et notamment par le bulletin de souscription GENAC INVESTISSEMENT BIS portant un numéro de code 50883, qui avait été
remis à Mme B... à l'occasion du placement d'une première somme de 92 500 F, - la qualification d'escroquerie retenue à l'encontre de Mme C... exclut l'existence d'un mandat conféré par Mme B... à cette dernière, et l'assureur doit assumer les conséquences de cet abus de mandat, dans la mesure où il est responsable des engagements pris pour le compte ou au nom du mandant, les allégations relatives à une faute de Mme B... ne pouvant être sérieusement prises en compte. SUR CE, LA COUR Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription
Considérant que l'article l'article L 114-1 du Code des Assurances dispose que toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance ; Que le dernier alinéa de cet article, qui porte le délai de prescription à dix ans pour les contrats d'assurance sur la vie lorsque le bénéficiaire est une personne distincte du souscripteur ne s'applique pas aux contrats de capitalisation qui ne sont pas, par nature, des contrats d'assurance vie ;
Considérant que le contrat GENACAPI 887 est, selon ses Conditions Générales, un contrat de capitalisation régi par le Code des Assurances d'une durée de 8 ans à compter de sa date d'effet qui prévoit, en cas de décès du contractant sa transmissibilité de plein droit à ses héritiers, et non le versement d'un capital à un bénéficiaire désigné ;
Considérant que l'action engagée par M. X..., légataire universel de Mme B..., et porteur des bons litigieux contre la société GENERAL ACCIDENT VIE, en exécution d'un contrat de capitalisation au porteur, ne dérive pas d'un contrat d'assurance vie, contrairement à ce qu'à retenu de façon erronée le tribunal, et n'est donc pas soumise au délai décennal de prescription du dernier alinéa de l'article L 114-1 du Code des Assurances, mais au délai biennal prévu
par le premier alinéa de ce texte, et cela alors même que l'action engagée aurait pour fondement la responsabilité de l'assureur du fait de son mandataire apparent ;
Considérant que les bons litigieux ayant été émis le 26 décembre 1992 pour une durée de huit ans, l'action en paiement de leur contre-valeur peut être exercée jusqu'au 26 décembre 2004 soit par le souscripteur, soit par le porteur . Qu'il en résulte que l'action en paiement engagée par M. X... le 16 juillet 1998 n'est pas prescrite ; Sur le mandat apparent
Considérant qu'il est constant et non contesté que l'appelante n'a pas établi les bons de capitalisation en litige, qui sont des faux forgés par un tiers dépourvu de mandat régulier, Mme C... ;
Considérant que le mandant peut être engagé sur le fondement d'un mandat apparent, même en l'absence de faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l'étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs ;
Considérant que pour retenir la qualité de mandataire apparent de Mme C..., les premiers juges ont relevé que du fait de son grand âge et de son état de santé, ainsi que du climat de confiance précédemment instauré par Mme C... avec laquelle elle était en affaires depuis nombre d'années et qui détenait du papier à en-tête de la société GENERAL ACCIDENT VIE, Mme B... pouvait légitimement croire au mandat de Mme C..., sans rechercher "ce que son âge et son état de santé ne lui permettaient pas à l'évidence, quelle était la situation juridique exacte de son interlocutrice" ;
Considérant cependant que Mme B..., commerçante avisée à la retraite, rompue aux affaires et qui était conseillée par des amis, dont M. X... lui-même selon les procès verbaux de l'enquête pénale
produits aux débats, ne faisait l'objet, lorsqu'elle a contracté avec Mme C... d'aucune mesure de protection des majeurs, que le juge d'instruction a d'ailleurs rendu une ordonnance de non-lieu partiel pour écarter la circonstance d'escroquerie aggravée, en relevant que la preuve de la particulière vulnérabilité de Mme B... n'avait pu être apportée ;
Considérant que ces mêmes procès verbaux de la procédure pénale établissent que Mme C... qui était apporteur d'affaires et commerciale pour le compte de divers cabinets de courtage (OPTIMASSUR) et d'agents généraux (CASTEU) et qui détenait en cette qualité divers documents afférents à des placements d'assurance, s'était présentée à Mme B... comme "conseiller financier UAP" et avait, en cette qualité, fait souscrire à celle-ci plusieurs contrats UAP dans des conditions tout à fait régulières, puis continué à lui dispenser des conseils destinés à faire fructifier ses économies ; Que Mme C... a d'ailleurs été condamnée par le tribunal correctionnel sous la prévention "d'avoir entre le mois d'octobre 1991 et le 12 juin 1995, en faisant usage de la fausse qualité de conseiller financier de l'UAP et en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce en remettant des bons de placement ou autres documents falsifiés, trompé des personnes physiques..." ; Que rien ne démontre par conséquent que Mme C... se soit présentée à Mme B... comme représentante accréditée de la société GENERAL ACCIDENT VIE ou se soit comportée comme telle, ni que Mme B... ait eu, lors de la remise des fonds, la conviction que Mme C... était agent de la Cie GENERAL ACCIDENT VIE, alors même qu'ayant récemment (automne 1991) souscrit par l'intermédiaire de sa conseillère des contrats UAP, et procédé à d'autres opérations financières, Mme B... était à même de comprendre et constater que Mme C... n'était mandatée par aucun assureur en particulier ;
Considérant qu'aucune indication ou mention figurant sur les bons de capitalisation au porteur litigieux n'était davantage de nature à autoriser Mme B... à croire légitimement en la qualité de représentante de GENERAL ACCIDENT de Mme C..., ces documents n'étant accompagnés ni de reçus, ni de garanties quelconques, la seule remise de Conditions Générales dans une plaquette de présentation ne pouvant dispenser le souscripteur de vérifier l'étendue des pouvoirs de l'intermédiaire avec lequel il traite ; Que les circonstances accompagnant la remise de sommes considérables en espèces à un tiers, dans ces conditions et avec une telle inconséquence, ne justifient pas une croyance légitime de Mme B... aux pouvoirs d'un mandataire, mais caractérisent un excès de confiance fautive, exclusif de la protection due à l'apparence ;
Considérant enfin que si Mme B... a exigé de Mme C... la signature d'une reconnaissance de dette assortie d'intérêts, et déposé une plainte pour escroquerie devant le juge d'instruction, elle n'a, de son vivant, engagé aucune procédure en paiement contre la société GENERAL ACCIDENT VIE, circonstance qui démontre s'il en était besoin, sa pleine conscience de l'absence de mandat de représentation de Mme C... ; Qu'au demeurant, M. X... n'a produit aux débats ni la plainte de Mme B... ni son procès-verbal d'audition ;
Considérant qu'au vu de ces éléments, M. X... n'établit pas ni l'existence de circonstances de nature à légitimer la croyance de son auteur à l'étendue des pouvoirs de Mme C..., ni même l'existence d'une croyance de Mme B... à la qualité de mandataire de Mme C... ; Qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, de dire la demande de M. X... recevable mais mal fondée ;
Et considérant que l'équité ne commande pas absolument de faire droit
à la demande formulée par l'appelante au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; PAR CES MOTIFS La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
Dit la demande de M. X... recevable mais mal fondée,
Ordonne la déconsignation des condamnations mises à la charge de la société GENERAL ACCIDENT VIE par le jugement dont appel,
Déboute la société GENERAL ACCIDENT VIE de sa demande au titre de l'article 700 Nouveau Code de Procédure Civile,
Condamne M. X... aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés par la SCP GAULTIER KISTNER GAULTIER, avoué, dans les conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le Président,
Le Greffier,