Répertoire Général : 01 / 36431
Sur appel d'un jugement du Conseil de Prud'hommes de Paris section commerce du 24 avril 2001
COUR D'APPEL DE PARIS
18ème Chambre, section D
ARRET DU 26 FEVRIER 2002
(N, pages) PARTIES EN CAUSE 1)
SOCIETE AMIDIS ET CIE Z. I. Route de Paris 14120 MONDEVILLE APPELANTE représentée par Maître BEURTHERET, avocat au barreau de Paris (P88) 2)
Mademoiselle Gracha X...... 94400 VITRY SUR SEINE INTIMEE comparante assistée par Maître MISIRACA substituant Maître KADRI, avocat au barreau de Paris (B316) COMPOSITION DE LA COUR : Statuant en tant que Chambre Sociale Lors des débats et du délibéré : Président
La salariée a été affectée au rayon bazar à compter du 1er mars 1997 et a alors perçu une prime exceptionnelle de 1 500 F par mois, sa qualification (employée libre service 3D) et son coefficient (140) demeurant inchangés. Par lettre du 23 janvier 1998, la société Amidis et Cie a confirmé à Melle X... qu'elle était affectée à compter du 20 janvier 1998 au rayon ultra frais et que la prime exceptionnelle de 1 500 F liée à son affectation au rayon bazar ne lui serait plus versée. Melle X... a saisi le 3 février 1998 le conseil de prud'hommes d'une demande aux fins d'obtenir un rappel de salaire sur la base d'une qualification de chef de rayon. Les parties sont convenues, suivant accord du 24 mars 1998, qu'à compter du 1er avril 1998, et pendant une période probatoire de 12 mois, Melle X... ferait fonction de chef de rayon, en charge des marchandises générales, et percevrait une prime exceptionnelle mensuelle de 2 200 F et qu'un point serait fait fin mars 1999. Il était prévu, en cas de constat positif, de nommer Melle X... en qualité de chef de rayon marchandises générales coefficient 200, la prime mensuelle exceptionnelle étant intégrée à son salaire de base. En cas de constat négatif, la société Amidis et Cie se réservait la possibilité de mettre fin sans préavis ni indemnité à cette période probatoire, Melle X... retrouvant alors ses conditions de rémunération et horaire antérieures. Melle X... a été élue déléguée du personnel le 8 avril 1998.
Suivant note du 9 décembre 1998, la société Amidis et Cie a informé la salariée qu'en application de l'accord relatif aux classifications des salariés conclu le 30 mai 1997 par les partenaires sociaux, l'appellation de sa fonction au 1er janvier 1999 devenait employé commercial 2, niveau de classification 2, filière employée. Par lettre du 6 janvier 1999, Melle X... a informé la société Amidis et Cie qu'elle refusait cette classification qui ne correspondait ni à ses fonctions réelles ni à ses précédentes qualifications de chef de rayon.
Par lettre du 26 janvier 1999 faisant suite à un entretien du 22 janvier 1999, la société Amidis et Cie, estimant que la période probatoire de Melle X... n'était pas concluante, y a mis un terme et a rétabli la salariée en qualité d'employée commerciale niveau 3, lui précisant que son salaire s'établirait au 1er février 1999 à 8 477 F, par intégration de la prime de 1 500 F qu'elle percevait auparavant, la prime de 2 200 F perçue depuis le 24 mars 1998 étant quant à elle supprimée. Melle X... a contesté le 9 février 1999 cette décision, constitutive, selon elle, d'une rétrogradation et sanctionnant son comportement syndical. La société Amidis et Cie a réfuté cette analyse par lettre du 17 février 1999.
C'est dans ces conditions que Melle X... a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 10 mars 1999 de demandes tendant, dans leur dernier état, à obtenir le paiement de rappel de salaire, d'heures supplémentaires, de dommages-intérêts pour harcèlement moral et discrimination syndicale et d'une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et la remise de bulletins de paie conformes portant la qualification chef de rayon puis manager. Melle X... a été affectée, avec son accord, au rayon épicerie à compter du 6 septembre 1999, ses horaires de travail étant modifiés. Elle est, depuis le 20 décembre 1999, en arrêt de travail pour maladie. Par jugement du 24 avril 2001, le conseil de prud'hommes a condamné la société Amidis et Cie à payer à Melle X... les sommes suivantes :
-89 746, 81 F à titre de rappel de salaire de mars 1997 au 1er septembre 1999,-8 974, 68 F au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 1er septembre 1999 ;
-30 000 F à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;
-5 000 F au titre l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il a en outre ordonné la remise de bulletins de paie conformes. Melle X... a été déboutée du surplus de ses demandes. La société Amidis et Cie a interjeté appel le 3 juillet 2001. Elle conclut à la réformation du jugement déféré et demande à la Cour de débouter Melle X... de l'intégralité de ses demandes et de la condamner au remboursement de la somme de 74 902, 17 F, payée en exécution du jugement, et au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle fait valoir que le poste de chef du rayon non alimentaire (bazar textile) occupé par M. Y... jusqu'en mars 1997 a été supprimé car il faisait double emploi avec celui de M. Z..., chef de département ; que Melle X... n'a donc pas occupé des fonctions de chef de rayon de mars 1997 à mars 1998, mais d'employée principale coefficient 170. S'agissant de la période du 1er février au 30 septembre 1999, elle indique qu'il a été mis un terme à la période probatoire de Melle X... et que celle-ci a alors cessé de faire fonction de chef de rayon. Elle soutient qu'en tout état de cause, Melle X... a perçu pendant la totalité de la période en cause une rémunération très supérieure au minimum conventionnel prévu pour un chef de rayon et ne peut prétendre au même salaire que celui perçu par les chefs de rayon boulanger et fruits et légumes, qui ont un travail différent. Melle X... conclut à la confirmation du jugement en ses dispositions relatives au rappel de salaire et congés payés afférents et à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle demande à la Cour de porter le montant des dommages-intérêts pour harcèlement moral à 7 700 euros et d'ordonner la remise de bulletins de paie conformes sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, que la Cour se réservera le droit de liquider. Elle conclut à l'infirmation du jugement en sa disposition relative aux heures supplémentaires et demande à la Cour de condamner la société Amidis et Cie au paiement de la somme de 995, 55 euros à ce titre outre les congés payés afférents. Elle sollicite en outre l'allocation de la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel. Elle soutient avoir exercé des fonctions de chef de rayon du 1er mars 1997 au 30 septembre 1999 et réclame un rappel de salaire sur le fondement de la règle " à travail égal, salaire égal ", faisant valoir que les salaires de base attribués aux chefs de rayon coefficient 200, au sein du magasin, sont supérieurs au sien. La Cour se réfère, pour l'exposé détaillé des moyens des parties, aux conclusions déposées à l'audience du 22 janvier 2002, visées par le greffier.
MOTIVATION
. sur la demande en rappel de salaire Aux termes de l'annexe 1 à la convention collective, dans sa rédaction alors applicable, les fonctions d'employée principale coefficient 170, que, selon la société Amidis et Cie, Melle X... a exercées de mars 1997 à mars 1998 sont définies ainsi : Employé chargé d'un poste impliquant une autonomie d'action et des initiatives dans l'organisation du travail, dans le cadre de directives précises et contrôlées dans leur application. Les fonctions de chef de rayon 1er degré coefficient 200, qualification revendiquée par Melle X... pour cette période, sont quant à elles définies comme suit : Est responsable de la gestion, de l'organisation et de l'approvisionnement de son rayon suivant les critères établis par la société. Il peut éventuellement, dans le cadre de directives précises, être amené à effectuer des achats. A sous ses ordres plusieurs employés dont il anime et coordonne le travail sous la responsabilité de son supérieur hiérarchique. A moins de 10 personnes sous ses ordres. L'autonomie de gestion et surtout l'animation d'une équipe sont donc les deux critères essentiels de distinction entre les deux fonctions. Il résulte notamment d'une attestation du 2 mars 1998 émanant de M. E..., alors directeur du magasin, qu'il n'y a pas lieu de mettre en cause puisqu'aucun litige n'opposait à ce moment-là l'attestant à la société Amidis et Cie, que Melle X... occupait alors le poste de chef de rayon textile et bazar en remplacement de M. Y.... Les attestations de Melle A... et Messieurs B... et C... confirment que Melle X... a occupé cette fonction depuis le départ de M. Y.... La société Amidis et Cie ne fournit aucun élément démontrant que le poste de M. Y..., devenu chef de département, aurait été effectivement supprimé. L'attestation de M. D..., ancien directeur du magasin, est en effet dénuée de valeur probante, l'intéressé ayant à tout le moins quitté ses fonctions depuis avril 1997, date d'embauche de M. E..., et ne pouvant par conséquent connaître la situation exacte du magasin pour la période de mars 1997 à mars 1998. Par ailleurs, l'attestation de M. F..., ancien chef de département, aux termes de laquelle du fait du départ de M. Y..., Melle X... n'aura occupé, jusqu'à son propre départ qu'un poste d'employée principale justifiant ainsi sa prime mensuelle, qui ne précise pas la date de départ de l'intéressé, ne donne aucune précision sur la nature exacte des fonctions exercées par la salariée et ne saurait donc contredire les attestations produites par l'intéressée, visées ci-dessus. Enfin, la société Amidis et Cie ne conteste pas les allégations de Melle X... selon lesquelles elle avait sous ses ordres trois salariés, dont les noms apparaissent d'ailleurs sur les états de présence du rayon. Il résulte donc de ces éléments que la salariée a exercé les fonctions de chef de rayon du 1er mars 1997 au 31 mars 1998. En revanche, les attestations produites par la salariée ne suffisent pas à remettre en cause la lettre de l'employeur du 17 février 1999, selon laquelle Melle X... n'était plus responsable, depuis le 1er février 1999, notamment de l'organisation et de l'animation de l'équipe. La salariée ne justifie d'ailleurs pas qu'elle aurait, à compter de cette date, continué à être convoquée aux réunions d'encadrement. Il n'est dès lors pas établi que Melle X... ait continué à exercer les fonctions de manager de rayon 1, classification ayant remplacé celle de chef de rayon depuis le 1er janvier 1999, après qu'il eut été mis fin à sa période probatoire. L'intéressée, qui a perçu pendant la période où elle a exercé les fonctions de chef de rayon un salaire de 8 307, 30 F puis de 9 177 F, réclame un rappel de salaire sur le fondement de la règle " à travail égal, salaire égal ", en prenant pour élément de comparaison les salaires perçus par Messieurs G... et H..., chefs de rayon coefficient 200, rémunérés sur la base d'un salaire mensuel de 11 564 F, retenu par le conseil de prud'hommes. En application de cette règle énoncée par les articles L. 133-5 4° et L. 136-2 8° du Code du travail, l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés de l'un ou l'autre sexe, pour autant que les salariés en cause effectuent un même travail ou un travail de valeur égale. En vertu de l'article L. 140-2, alinéa 3, du Code du travail, sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. En l'espèce, M. G... exerce les fonctions de chef de rayon boulangerie ; M. H... est pour sa part chef du rayon fruits et légumes. La gestion du rayon boulangerie exige une qualification particulière ; celle du rayon fruits et légumes impose de lourdes charges de gestion des stocks, le volume de marchandises à traiter étant beaucoup plus important en raison notamment de la nécessité de leur renouvellement. Ces deux postes impliquent donc des contraintes spécifiques que n'a pas en revanche à assumer le chef du rayon bazar, d'une importance moindre. Les fonctions de chef de rayon fruits et légumes entraînent ainsi une charge physique ou nerveuse plus importante que celle résultant des fonctions de chef du rayon bazar. Il en résulte que le travail effectué par Messieurs G... et H... n'a pas une valeur égale à celui accompli par Melle X..., de sorte que la différence de rémunération des salariés est justifiée par des éléments objectifs. Melle X... ne peut dès lors prétendre à un rappel de salaire. Le jugement sera par conséquent réformé sur ce point.
. sur les heures supplémentaires
Melle X... soutient qu'elle a effectué de mars 1997 à juillet 1999 40, 5 heures par semaine, soit 1, 5 heure supplémentaire par semaine, et produit sur ce point un " planning marchandises générales textiles " portant le cachet de la société Amidis et Cie faisant état d'un horaire hebdomadaire de 41, 5 heures, établi selon elle par Mme Pennuenne, ce qui n'est cependant pas formellement démontré. Elle fait état des horaires suivants :- de 7 à 13 h et de 15 à 17 h les lundi, mardi, jeudi et samedi-de 7 à 13 h les mercredi et vendredi, soit 44 heures par semaine, dont il y aurait lieu de déduire 1, 5 heure de pause quotidienne. Or, déduction faite d'une telle pause, l'horaire serait inférieur à 39 heures. La société Amidis et Cie, qui fait état d'un horaire hebdomadaire de 39 heures, ne précise pas l'horaire de Melle X... mais fournit des états de présence mensuels pour la période en cause, dont certains ont été remplis par l'intéressée, ne précisant certes pas les horaires journaliers, mais précisant le nombre d'heures par semaine. Il résulte des documents respectivement produits par les parties que Melle X... n'a pas accompli d'heures supplémentaires. Le jugement sera dès lors confirmé sur ce point.
. sur le harcèlement moral
L'accord conclu par les parties prévoyait qu'il pouvait être mis fin à la période probatoire sans préavis ni indemnité. Il a été mis un terme à cette période, dont la durée était fixée à douze mois, après presque onze mois au motif qu'elle n'était pas concluante. Or, la lettre du 26 janvier 1999 n'a jamais été précédée de la moindre observation à l'égard de Melle X... dont l'insuffisance n'est d'ailleurs pas démontrée. Ce courrier apparaît dès lors comme " la réponse " de la société Amidis et Cie au propre courrier de Melle X..., reçu le 8 janvier 1999, par lequel celle-ci a contesté sa nouvelle classification d'employée niveau 2 qui ne correspondait pas aux fonctions exercées avant la période probatoire. A compter de cette date, les relations entre les parties se sont manifestement dégradées, de nombreux courriers recommandés étant échangés entre elles après la saisine du conseil de prud'hommes. Par lettre du 20 août 1999, la société Amidis et Cie a reproché à Melle X... son absence du 18 août 1999 faisant suite à celle des 2 et 11 août 1999 sans avoir averti ses responsables. Or, le bulletin de paie de l'intéressée fait état d'absence pour congés payés et jours fériés chômés pendant le mois d'août. De plus, l'intéressée était en arrêt de travail pour maladie à compter du 18 août 1999, de sorte que ces reproches sont manifestement injustifiés. Il résulte par ailleurs des pièces que Melle X... a été à nouveau changée de service le 26 novembre 1999, soit un peu plus de deux mois après son affectation au rayon épicerie. En outre, la société Amidis et Cie l'a invitée par lettre du 30 novembre 1999 à justifier de son absence pour maladie du 29 novembre 1999 par certificat médical, lui rappelant les dispositions du règlement intérieur selon lesquelles l'absence pour maladie doit être justifiée par un certificat médical dans un délai de trois jours. Or, à cette date, Melle X... était encore dans les délais pour faire parvenir ce document. L'absence de justification objective de la rupture de la période probatoire, les reproches injustifiés faits à Melle X... et son nouveau changement d'affectation, sans explication, alors que l'instance prud'homale était en cours, ne s'inscrivent dès lors pas dans le cadre normal de
l'exercice du pouvoir d'organisation et de direction de l'employeur et ont eu pour effet de dégrader l'état de santé de la salariée ainsi qu'en atteste le certificat médical versé aux débats. C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a estimé que le harcèlement moral était établi. Le montant du préjudice subi de ce fait par Melle X... sera évalué à la somme de 2 000 euros. Le jugement sera donc réformé sur ce point.
. sur la discrimination syndicale
Les dispositions du jugement sur ce point ne sont pas critiquées.
. sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Il convient d'allouer à Melle X... une somme globale de 1000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Il n'y a pas lieu à application dudit article au profit de la société Amidis et Cie.
. sur la demande de remboursement de la société Amidis et Cie
Melle X... devra rembourser à la société Amidis et Cie la somme perçue au titre de l'exécution provisoire, sous déduction des sommes qui lui sont allouées.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Réformant partiellement le jugement déféré et ajoutant,
Condamne la société Amidis et Cie à payer à Melle X... les sommes suivantes :
-2 000 euros (deux mille euros) à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;
-1 000 euros (mille euros) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Déboute Melle X... de ses demandes en paiement de rappel de salaire et congés payés afférents et en remise de bulletins de paie ;
Dit que Melle X... devra rembourser à la société Amidis et Cie la somme perçue au titre de l'exécution provisoire, sous déduction des sommes allouées par le présent arrêt ;
Déboute la société Amidis et Cie de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Confirme pour le surplus le jugement déféré ; Condamne la société Amidis et Cie aux dépens.