COUR D'APPEL DE PARIS 5è chambre, section C ARRET DU 22 DECEMBRE 2000 (N , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 1999/07102 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 27/01/1999 par le TRIBUNAL DE COMMERCE de CRETEIL 4è Ch. RG n : 1998/01011 Date ordonnance de clôture : 12 Octobre 2000 Nature de la décision :
CONTRADICTOIRE Décision : REFORMATION PARTIELLE APPELANT : S.A. FRANCOIS prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège Centre d'activités Locaparc- 97/99 Quai Jules Guesde 94400 VITRY SUR SEINE représentée par la SCP ROBLIN-CHAIX DE LAVARENE, avoué assistée de Maître GHENASSIA, Toque D767, Avocat au Barreau de PARIS INTIME : S.A. DACTYL BURO prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 11 rue de la Halle 18000 BOURGES représentée par la SCP REGNIER-BEQUET, avoué assistée de Maître TANTON, Avocat au Barreau de BOURGES,
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré,
Président : Madame DESGRANGE
Conseiller : Monsieur BOUCHE
Conseiller : Monsieur SAVATIER
DEBATS :
A l'audience publique du 16 novembre 2000
GREFFIER :
Lors des débats et lors du prononcé de l'arrêt
Greffier : Madame BAUDUIN ,
ARRET : Prononcé publiquement par Monsieur BOUCHE, Conseiller le plus ancien, en remplacement de Madame DESGRANGE, Président empêchée,
lequel a signé la minute avec Madame BAUDUIN , Greffier.
La société FRANCOIS exploite le commerce de librairie-papeterie et de fournitures de bureau.
Par contrat du 18 mars 1994 à effet du 1er avril, elle a recruté Jean-Marc X... en qualité d'attaché commercial pour commercialiser la gamme de fournitures inscrite à son catalogue ; elle lui a confié par avenant du même jour un périmètre géographique indiqué "dans une fiche de poste non-contractuelle" indexée au contrat: 7ème, 14 ème et 15 ème arrondissements de Paris;
Jean-Marc X... a démissionné de ses fonctions le 9 juillet 1997 et a quitté la société FRANCOIS le 9 août suivant;
La société FRANCOIS a appris que son ancien salarié avait été recruté par un de ses concurrents la société DACTYL BURO; elle attribue à son démarchage de clients du secteur interdit par une clause de non-concurrence stipulée dans son contrat de travail du 18 mars 1994 la baisse substantielle de son chiffre d'affaires sur le secteur concerné.
Informée par lettres des 18 septembre et 23 décembre 1997 de l'existence de cette obligation de non-concurrence, la société DACTYL BURO n'a pas pris de mesures pour mettre fin à sa violation.
Assignée le 11 juin 1998 en paiement de 1.350.000F de dommages-intérêts et en cessation des agissements déloyaux, la société DACTYL BURO a été condamnée le 27 janvier 1999 par le tribunal de Commerce de Créteil à payer à la société FRANCOIS une somme globale de 40.000F de dommages-intérêts et une indemnité de 10.000F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société FRANCOIS a fait appel de cette décision assortie de l'exécution provisoire moyennant la fourniture d'une caution bancaire;
Dans ses dernières conclusions du 13 septembre 2000 dites en réplique et récapitulatives qui saisissent la Cour, la société appelante demande la confirmation de la compétence du tribunal de Créteil contestée par son contradicteur en première instance et devant la Cour, et la réformation du jugement entrepris afin que lui soient accordés 1.500.000F de dommages-intérêts à la suite de la baisse de son chiffre d'affaires , et 200.000F en réparation de son préjudice moral; elle réclame au surplus la publication de l'arrêt à intervenir et la condamnation de la société DACTYL BURO à lui payer 30.000F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile , en sus des 10.000F accordés par le jugement, et 33.898,73F de dépens comprenant les frais d'enquêteur privé et d'huissier.
La société FRANCOIS souligne
-le retard révélateur de sa mauvaise foi pris par son concurrent le 23 avril 1998 pour s'informer de l'existence de la clause litigieuse, alors qu'un huissier était intervenu dans l'entreprise,
-la réalité des agissements déloyaux de Jean-Marc X... et de son
nouvel employeur, comme en font foi de nombreux constats et interrogations de clients de la société FRANCOIS qui exercent leur commerce dans les trois arrondissements interdits à Jean-Marc X... ,
-enfin la parfaite connaissance par ce dernier et par son employeur de l'existence de la clause.
La société DACTYL BURO dans ses uniques écritures du 14 décembre 1999 reprend le moyen écarté par les premiers juges de leur incompétence et demande le renvoi de l'affaire devant la Cour d'appel de Bourges où se trouve son siège social.
Subsidiairement sur le fond, elle forme incidemment appel du jugement déféré afin d'être relevée de toute condamnation et de recevoir de son contradicteur une somme de 30.000F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société intimée soulève essentiellement l'inopposabilité de la clause de non-concurrence invoquée, le caractère non-contractuel du secteur sur lequel la société appelante souhaitait conserver son emprise, et l'existence dans les rapports d'enquête de nombreuses inexactitudes qui leur enlèvent toute crédibilité.
Enfin, elle prétend que la preuve n'est pas faite d'un quelconque préjudice qui lui serait imputable.
MOTIFS DE LA COUR
Sur la compétence
Considérant que la société DACTYL BURO reproche au tribunal de
Créteil d'avoir retenu sa compétence, en se fondant sur les dispositions de l'article 47 du Nouveau Code de Procédure Civile qui permet de résoudre les problèmes d'incompatibilité;
Que, sans contester en effet que son Président Directeur Général est magistrat consulaire auprès du tribunal de Commerce de Bourges, juridiction dans le ressort duquel se situe son siège social, la société DACTYL BURO soutient que le tribunal de Créteil saisi par la société FRANCOIS devait se déclarer incompétent au profit d'une juridiction limitrophe de celle de Bourges, comme le prescrit l'article 47;
Mais considérant que la société DACTYL BURO , dont l'établissement ou la succursale incriminée est situé à Thiais dans le ressort du Tribunal de Créteil, n'a jamais sollicité en première instance le renvoi de l'affaire devant un tribunal limitrophe de celui de Bourges, mais à Bourges même ou à défaut à Paris;
Qu'est désormais irrecevable comme nouvelle sa demande actuelle de saisine d'une Cour d'appel limitrophe de celle de Bourges;
Que la Cour de Paris, juridiction d'appel des décisions du tribunal de Créteil et lieu des agissements déloyaux allégués, est compétente. Sur la concurrence déloyale
Considérant que la société FRANCOIS a introduit dans le contrat de travail du 18 mars 1994 qui la liait à Jean-Marc X... un article 12 intitulé "clause de non-concurrence" ainsi libellé : "En cas de
cessation du présent contrat pour quelque cause que ce soit et quelque soit la partie à l'origine de la rupture, Monsieur X... s'engage expressément à ne pas concurrencer directement ou indirectement par elle-même ou par personne interposée la société Papeterie FRANCOIS. "La présente clause de non-concurrence s'applique pendant une durée de deux ans à compter de la rupture effective du contrat de travail et s'exerce sur le périmètre d'activité de Monsieur X... ";
Que l'article 3 de ce même contrat intitulé "périmètre d'activité" stipule : "Monsieur X... exercera son activité dans un périmètre géographique qui lui sera indiqué dans une fiche de poste non contractuelle indexée au contrat.. Il est. convenu entre les parties que l'énonciation de ce secteur non contractuel n'est pas exhaustif. La société se réservant le droit d'étendre lesdits secteurs, de les changer." ; qu'un "avenant à l'article 3 " daté du même jour et signé de l'employeur et du salarié énumère pour secteur de prospection les 7ème, 14ème et 15ème arrondissements de Paris.
Considérant que, suite à la démission de Monsieur X... à effet du 9 août 1997, la société FRANCOIS a appris son embauche par une société directement concurrente la société DACTYL BURO, qui lui a communiqué en cours de procédure son contrat de travail en date du 3 septembre 1997 ;
Qu'à réception de deux lettres recommandées d'avertissement des 18 septembre et 23 décembre 1997 démunies de toute ambigu'té, mais qui ne relataient pas le secteur d'application de la clause de non concurrence, la société DACTYL BURO n'a pas réagi; qu'en application du principe de vigilance, elle se devait pourtant d'interroger son
nouveau salarié qui, en réponse à sa lettre de démission du 9 juillet, ne pouvait ignorer le rappel reçu sans protestation que lui a fait la société FRANCOIS le 15 juillet de l'obligation de respecter pendant une année la clause de non-concurrence dans les trois arrondissements à nouveau énumérés;
Considérant que la société DACTYL BURO oppose à son concurrent l'omission de lui communiquer l'énoncé de la clause litigieuse, et en trouve l'explication dans la maladresse de sa rédaction et dans le caractère non-contractuel du secteur incriminé;
Qu'en réalité cette clause, rédigée avec moins de pertinence que celle de non-concurrence que la société DACTYL BURO a introduite dans son propre contrat, n'avait rien d'optionnel et s'imposait à Jean-Marc X... ; que la définition "non contractuelle" du secteur d'activité du salarié n'avait d'autre objectif que de laisser à l'employeur une souplesse d'évolution du secteur en fonction de sa politique et de ses objectifs de vente;
Qu'en toute hypothèse, à défaut de précision dans les avertissements des 18 septembre et 23 décembre 1997, relatifs aux arrondissements protégés, c'est à bon droit que les premiers juges se sont refusés à fonder la condamnation de la société DACTYL BURO sur une méconnaissance volontaire de la clause litigieuse opposable en l'espèce à Jean-Marc X... seul.
Considérant en revanche qu'en accordant à son nouveau représentant Jean-Marc X... pour secteur d'activité contractuel et exclusif (articles 4 et 5 du contrat du 3 septembre 1997) les seuls arrondissements 16ème , 17ème et 18ème de Paris , et en lui
interdisant expressément d'exercer son activité ailleurs et de faire aucune opération de quelque nature que ce soit pour son compte personnel, la société DACTYL BURO devait s'interroger sur la conquête de marchés par son salarié dans d'autres arrondissements;
Que la société DACTYL BURO ne pouvait que faire un rapprochement entre ces activités contraires aux prescriptions de son propre contrat, et les avertissements qu'elle avait préalables reçus de la société FRANCOIS;
Que sa négligence coupable doit ainsi être qualifiée de comportement de concurrence déloyale sanctionnable par des dommages-intérêts au profit de la victime la société FRANCOIS sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.
Considérant que cette dernière justifie par deux enquêtes privées accompagnées de photographies réalisées à sa demande en janvier et en février 1998 les reproches de démarchage déloyale par Jean-Marc X... aux sièges sociaux ou aux succursales de certains de ses clients situés dans son ancien périmètre d'activité ;
Que, quelques soient les inexactitudes de certaines affirmations de la société d'enquêtes PRESTIGE COMMUNICATION dues à une confusion entre siège et succursale de certains clients démarchés par Jean-Marc X... , et sans égard pour les sociétés situées dans les arrondissements protégés qui ne faisaient pas partie de la clientèle de la société FRANCOIS, cette dernière société fait la preuve de la disparition totale de six clients de la zone protégée passés à la concurrence de la société DACTYL BURO au cours du second semestre 1997 ou du premier semestre de 1998: Fongépar, Pax-Progress,
Dartevelle, Procorsan, Anpeec, et Jourdin-Moyal;
Que les autres clients du secteur ont nouvellement réparti leurs commandes pendant la même période entre les sociétés FRANCOIS et DACTYL BURO;
Considérant enfin que, pour s'opposer à la demande d'indemnisation, la société DACTYL BURO prétend que la preuve n'est pas rapportée du lien de causalité entre les pertes déplorées par son contradicteur et les activités concurrentes déloyales de Jean-Marc X... ;
Qu'en réalité la société DACTYL BURO n'a jamais soutenu dans ses écritures de première instance, et pas davantage devant la Cour, que ces marchés auraient été emportés par un autre de ses salariés sans lien contractuel avec la société FRANCOIS;
Que certains clients démarchés ont été interrogés par la société PRESTIGE COMMUNICATION; que certains ont reconnu avoir succombé aux arguments commerciaux de Jean-Marc X... qui se flattait d'avoir précédemment travaillé pour la société FRANCOIS (Anpec, Zola color, l'UDF.) à des prix plus élevés; que la baisse du chiffre d'affaires de la société FRANCOIS a correspondu au point de départ des agissements déloyaux;
Qu'en fonction d'un droit pour tout client de conserver son libre arbitre dans le choix de ses fournisseurs, et d'une possibilité de moindre performance du remplaçant de Jean-Marc X... dans le démarchage des arrondissements protégés de la société FRANCOIS, la Cour limite à 350.000F le préjudice commercial effectivement subi par cette société qui, mathématiquement, estime à 862.778F la baisse de
chiffre d'affaires ;
Qu'à ce préjudice s'ajoute une atteinte à son image de marque par les dénigrements dont elle a été l'objet de la part de son ancien salarié; qu'une indemnité de 100.000F lui sera accordée à ce titre;
Considérant que l'équité commande que l'appelante ne conserve pas la charge de ses frais irrépétibles de défense; qu'une indemnité de 30.000F s'ajoutera à celle de 10.000F au même titre allouée par le tribunal, en raison notamment des frais exposés pour prouver le bien-fondé du démarchage déloyal de son ancien salarié.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement du 27 janvier 1999 en ce qu'il a reconnu le comportement déloyal de la société DACTYL BURO à l'égard de la société FRANCOIS;
Le réformant sur le montant des condamnations,
Condamne la société DACTYL BURO à payer à la société FRANCOIS une somme globale de 450.000F de dommages-intérêts et une indemnité totale de 40.000F pour l'ensemble des frais irrépétibles exposés pour faire reconnaître ses droits en justice;
Condamne la société DACTYL BURO aux entiers dépens de premières instance et d'appel;
Admet la SCP ROBLIN CHAIX DE LAVARENNE avoué, au droit de recouvrement direct dans les conditions prévues par l'article 699 du
Nouveau Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER
LE PRESIDENT