COUR D'APPEL DE PARIS 14ème chambre, section B X... DU 24 NOVEMBRE 2000
(N , 7 pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 2000/14744 Pas de jonction Décision dont appel : Ordonnance de référé rendue le 12/05/2000 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS - RG n :
2000/04964 (Mme Y...) Date ordonnance de clôture : 26 Octobre 2000 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : CONFIRMATION APPELANTE : S.A. CHAMPAGNE DE Z..., prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège 57 rue de Verdun 51204 EPERNAY BP.136 représentée par Maître BETTINGER, Avoué assistée de Maître LANDON, Toque M.79, Avocat au Barreau de PARIS INTIMÉS : Mme A... DE Z... A..., demeurant xxxxxxxxxxxxxxx 75116 PARIS Mme Raymonde DE Z... épouse B..., demeurant xxxxxxxxxxxxxxxxxxx 75116 PARIS Mme Pauline DE Z... épouse DE C..., demeurant xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx 75116 PARIS Mme D... xxxxxxxxxxxxxx E..., demeurant xxxxxxxxxxxxxxxxxxxx LEVALLOIS-PERRET M. F... DE G... LA E..., demeurant xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx xxxxx 92300 LEVALLOIS-PERRET Mme Isabelle DE G... LA E... épouse DE VINCENS DE H..., ... par la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, Avoué assistés de Maître HAZAN, Toque P.77, Avocat au Barreau de PARIS, SCP LUSSAN-BROUILLAUD COMPOSITION DE LA COUR, Lors des débats : M. CUINAT, magistrat rapporteur, a entendu les plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposé, puis il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré. Lors du délibéré :
Président : M. CUINAT I... : MM. J... et VALETTE DÉBATS : à l'audience publique du 26 octobre 2000 GREFFIER : lors des débats et du prononcé de l'arrêt : Mme K... X... : CONTRADICTOIRE Prononcé publiquement par M. CUINAT, Président, lequel a signé la minute de l'arrêt avec Mme K..., Greffier.
* Statuant sur l'appel formé par la SA CHAMPAGNE de Z... d'une ordonnance de référé rendue le 12 mai 2000 par le Président du Tribunal de grande instance de PARIS, lequel, saisi par les consorts de Z... et de G... LA E..., agissant en leur qualité d'héritiers de Boni de Z..., a : - interdit toute publicité utilisant l'image ou le nom et le prénom de Boni de Z..., sous astreinte de 5.000 F par infraction constatée, passé un délai de 48 heures à compter du prononcé de la décision ; - condamné la société CHAMPAGNE de Z... à payer la somme de 20.000 F à titre de dommages et intérêts provisionnels à chacun des demandeurs ; - rejeté toute autre demande ; - condamné la société CHAMPAGNE de Z... à payer la somme de 10.000 F à l'ensemble des demandeurs sur le fondement de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'à régler les dépens. Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 25 octobre 2000, la SA CHAMPAGNE de Z... fait valoir au soutien de son appel : - que le premier juge devait déclarer la demande irrecevable faute par les consorts de Z... et de G... LA E... d'avoir indiqué le fondement juridique de celle-ci ; - qu'il a méconnu l'objet du litige en introduisant des moyens que les demandeurs n'avaient pas invoqué ; - que les consorts de Z... et de G... LA E... qui avouent judiciairement se placer sur le terrain moral, alors que Boni de Z... est décédé depuis près de 70 ans, sont irrecevables à agir ; - qu'ils ne peuvent davantage se prévaloir d'un "aspect patrimonial" du droit à l'image, ce qui serait une application rétroactive de l'article 9 de la loi de 1970, laquelle prétention de ce fait ne serait pas recevable ; - que le lien de Boni de Z... avec le champagne de Z... a été justifié par des pièces non critiquées par les intimés ; - que le litige relève de la seule compétence du juge du fond en raison de l'existence de contestation sérieuse ; - que la condamnation à une indemnité provisionnelle
préjudicie au fond tant sur le principe de la responsabilité et du droit à réparation que sur le montant retenu qui est injustifié. Pour ces motifs, elle demande à la Cour : - de la déclarer recevable et bien fondée en son appel ; - d'infirmer en son entier l'ordonnance entreprise et statuant de nouveau : - de déclarer les prétentions des "demandeurs" irrecevables et mal fondées en application des articles 6 et 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et, 4, 5, 11, 12, 15 et 16 du NCPC ; - de dire, en conséquence, n'y avoir lieu à référé ; à titre subsidiaire, de constater en application de l'article 809 du NCPC à tout le moins l'existence d'une contestation sérieuse s'opposant à toute mesure provisionnelle et de déclarer les prétentions des "demanderesses" irrecevables et mal fondées et de les renvoyer à mieux se pourvoir ; à titre infiniment subsidiaire, de déclarer les "demandeurs" irrecevables et mal fondés à prétendre à l'allocation d'une décision provisionnelle en l'absence de décision ayant autorité et force de chose jugée établissant une quelconque responsabilité délictuelle et un quelconque droit à réparation, dans son principe et son quantum ; - de condamner à titre solidaire les "défendeurs" à lui verser la somme de 10.000 F au titre des frais irrépétibles, par application de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel. Dans leurs dernières conclusions du 19 octobre 2000, les consorts de Z... et de G... LA E..., intimés et appelants incidents, répondent : - que leur demande était expressément fondée sur les dispositions de l'article 809 alinéa 1 du NCPC, afin de faire cesser le trouble manifestement illicite causé par l'utilisation abusive de la personnalité de leur ancêtre Boni de Z..., dans les publicités de la SA CHAMPAGNE de Z... ; - que le premier juge n'a en aucune façon dénaturé l'objet du litige, ni omis de répondre aux moyens de défense invoqués par la SA CHAMPAGNE de Z... ; -
que la jurisprudence a reconnu avant la promulgation de la loi du 17 juillet 1970 que le droit à l'image a un caractère à la fois moral et patrimonial ; - qu'en leur qualité d'héritiers de Boni de Z..., ils ont qualité et intérêt à agir afin de défendre les droits attachés à l'utilisation commerciale de son image et de son nom ; - que les dispositions de l'article 809 alinéa 1 du NCPC permettent au juge de faire cesser un trouble manifestement illicite et que par voie de conséquence le moyen tiré de l'existence d'une contestation sérieuse qu'invoque la SA CHAMPAGNE de Z... est inopérant ; - que l'obligation incombant à la SA CHAMPAGNE de Z... de réparer le préjudice moral qui leur a été causé par la publicité incriminée n'est pas sérieusement contestable ; En conséquence, ils demandent à la Cour :
- de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a interdit toute publicité utilisant l'image ou le nom et le prénom de Boni de Z... ; - de l'infirmer pour le surplus ; - Y ajoutant : - de condamner la société CHAMPAGNE de Z... à verser à Mme A... de Z..., Mme de C..., Mme B..., à Mme D... de G... LA E..., à Mme de VINCENS de H... et à M. F... de G... LA E..., la somme de 200.000 F chacun à titre de dommages et intérêts provisionnels ; - d'ordonner la publication, en caractères noirs d'un demi centimètre de hauteur, sur fond blanc, du communiqué suivant, qui devra occuper une pleine page, sous le titre "PUBLICATION JUDICIAIRE", lui même en caractères de un centimètre de hauteur : " Par arrêt du .... la 14ème chambre de la Cour d'appel de Paris a constaté que l'utilisation de l'image et de la personnalité de Boni de Z... par la société Champagne de Z... dans ses publicités, constituait une association mensongère, abusive et dénigrante et a en conséquence ordonné l'interdiction de toute publicité pour le champagne de Z..., qui utiliserait la personnalité de Boni de Z... Elle a en outre condamné la
société Champagne de Z... à verser à Mesdames de Z..., B... et de C..., ainsi qu'aux consorts de G... La E..., héritiers de Boni de Z..., la somme de 200.000 F chacun à titre de dommages et intérêts provisionnels, somme qu'ils ont intégralement reversée à des associations d'aide aux personnes handicapées." ; - de dire que ce communiqué sera publié dans 10 magazines ou journaux au choix des demandeurs et aux frais de la défenderesse, sans que le coût de chaque insertion puisse dépasser 30.000 HT ; - de condamner la société CHAMPAGNE de Z... à verser aux demandeurs la somme de 50.000 F au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux entiers dépens ;
SUR CE, Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que la SA CHAMPAGNE de Z... a fait paraître dans le courant du mois d'avril 2000 dans des magazines dont le NOUVEL OBSERVATEUR et ELLE, des publicités utilisant l'image et le nom de Boni de Z..., homme politique français décédé en 1932 et figure notoire de la "Belle Epoque" aux droits duquel, ce qui n'est pas discuté, se trouvent les consorts de Z... et de G... LA E... ; que la première publicité incriminée représente sur une pleine page la photographie de Boni de Z... de face, assis sur une balustrade donnant sur un parc avec à sa droite une statue de femme nue, accompagnée de la légende sous l'étiquette du champagne de Z... : "De toutes les passions de Boni de Z..., l'histoire n'a retenu que sa passion pour le champagne" ; que la seconde publicité litigieuse faite sur deux pages, montre sur celle de gauche la photographie d'un palais dont une seule fenêtre est faiblement éclairée avec au premier plan dans la cour une calèche assortie de la légende "Palais rose construit pour le vicomte Boni de Z... en 1896", alors que sur celle de droite, entièrement en rouge, sur laquelle est seulement reproduite au centre l'étiquette du champagne
de Z..., figure la légende suivante :
"Baronnes, comtesses et autres dames se déplaçaient très volontiers chez Boni de Z... pour prendre livraison de son fameux champagne" ; Considérant qu'il ressort des énonciations de l'ordonnance entreprise et des pièces de la procédure de première instance que la demande des consorts de Z... et de G... LA E... était expressément fondée sur les dispositions de l'article 809 aliéna 1er du NCPC ; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de l'absence de fondement juridique de la demande introductive d'instance qu'invoque la SA CHAMPAGNE de Z... est dénué de pertinence et doit être écarté ; Considérant qu'il ne saurait être non plus utilement reproché au premier juge d'avoir dénaturé les termes de l'objet du litige, alors que, dans la limite de sa saisine, il était tenu de rechercher si les faits allégués par les consorts de Z... et de G... LA E... étaient constitutifs ou non d'un trouble manifestement illicite ; ; qu'il s'ensuit que c'est à juste titre que le premier juge a prescrit la mesure de remise en état qui s'imposait, en faisant interdiction, sous astreinte, à la SA CHAMPAGNE de Z... d'utiliser l'image ou le nom et le prénom de Boni de Z... ; Considérant qu'il apparaît également que le premier juge a fait une exacte appréciation du montant non sérieusement contestable de la créance indemnitaire alléguée par les consorts de Z... et de G... LA E... résultant du préjudice causé par la publicité illicite en leur allouant à chacun une provision de 20.000 F ; Considérant que la publication d'un communiqué dans les termes proposés par les intimés n'apparaît pas justifiée ; Considérant qu'en l'absence de toute autre critique émanant des parties, l'ordonnance entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions ; Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés ; Considérant que la SA CHAMPAGNE de Z...
qui succombe sur son appel, doit être condamnée aux entiers dépens et ne peut de ce fait prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du NCPC ;
PAR CES MOTIFS, LA COUR, Déclare la SA CHAMPAGNE de Z... mal fondée en son appel et l'en déboute ; Rejette l'appel incident des consorts de Z... et de G... LA E... ; En conséquence : Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ; Y ajoutant : Condamne la société CHAMPAGNE de Z... à verser aux consorts de Z... et de G... LA E... la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du NCPC ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société CHAMPAGNE de Z... aux entiers dépens ; Admet la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.
LE GREFFIER
LE PRÉSIDENT