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25/10/2000 | FRANCE | N°1999/07817

France | France, Cour d'appel de Paris, 25 octobre 2000, 1999/07817


COUR D'APPEL DE PARIS 1è chambre, section A ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2000 (N , 6 pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 1999/07817 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 27/01/1999 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS 1ère Ch./1ère section - RG n : 1998/00031 Date ordonnance de clôture : 19 septembre 2000 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : RÉFORMATION APPELANT : Monsieur Y... demeurant- 29120 PONT L'ABBE représenté par la SCP GIBOU-PIGNOT-GRAPPOTTE-BENETREAU, avoué assisté de Pierre JUNG, Toque R013, substituant Maître Monique PE

LLETIER, Toque C489, Avocat au Barreau de PARIS INTIME : MONSIEUR...

COUR D'APPEL DE PARIS 1è chambre, section A ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2000 (N , 6 pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 1999/07817 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 27/01/1999 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS 1ère Ch./1ère section - RG n : 1998/00031 Date ordonnance de clôture : 19 septembre 2000 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : RÉFORMATION APPELANT : Monsieur Y... demeurant- 29120 PONT L'ABBE représenté par la SCP GIBOU-PIGNOT-GRAPPOTTE-BENETREAU, avoué assisté de Pierre JUNG, Toque R013, substituant Maître Monique PELLETIER, Toque C489, Avocat au Barreau de PARIS INTIME : MONSIEUR L'AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR dont les bureaux sont sis 207, rue de Bercy - 75572 PARIS CEDEX 12 représenté par la SCP JOBIN, avoué assisté de Maître Patrice MERVILLE, Toque G890,substituant Maître LEROY, Toque G891, Avocat au Barreau de PARIS COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré, Président : M. Christian CHARRUAUL; Conseiller : Mme Geneviève BREGEON et M. Dominique GARBAN DÉBATS : A l'audience publique du 20 septembre 2000 MINISTÈRE PUBLIC représenté lors des débats par Madame Brigitte GIZARDIN, substitut du Procureur Général qui a développé ses conclusions orales. GREFFIER : Lors des débats et du prononcé de l'arrêt : Madame Ngoc-Ngon NGUYEN ARRÊT :

Contradictoire Prononcé publiquement par Monsieur CHARRUAULT, Président, lequel a signé la minute avec Madame NGUYEN, Greffier - * * *

De l'union de fait ayant existé entre Mme X... et M. Y... est née, le 26 novembre 1989, une enfant prénommée M....

Prétendant qu'à raison de l'altération des facultés mentales de Mme X... celle-ci n'était plus en mesure d'assumer l'autorité parentale à l'égard de M..., M. Y... a, par requête du 3 janvier 1994, demandé au juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de

Quimper de la lui déférer.

Par ordonnance du 15 février 1994, le juge aux affaires familiales a attribué à M. Y... l'exercice de l'autorité parentale à l'égard de M..., fixé le lieu de la résidence habituelle de celle-ci chez M. Y... et dit que le droit de visite et d'hébergement de Mme X... à l'égard de M... s'exercera selon le libre accord de ses père et mère. Sur requête de Mme X... en date du 28 mars 1995, le juge aux affaires familiales a, par ordonnance du 27 juin 1995, confié aux père et mère de M... l'exercice conjoint de l'autorité parentale à l'égard de celle-ci, fixé chez Mme X... le lieu de la résidence habituelle de M... et dit que le droit de visite et d'hébergement de M. Y... à l'égard de M... s'exercera selon le libre accord de ses parents.

Le 6 novembre 1996, Mme X... a donné la mort à M....

Après avoir mis en examen Mme X... du chef d'homicide volontaire sur mineure de 15 ans, le magistrat instructeur a dit n'y avoir lieu à suivre au motif que les faits reprochés à l'intéressée avaient été commis sous l'empire d'un trouble psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

Prétendant que le préjudice qu'il avait subi à raison de la mort de M... trouvait son origine dans un fonctionnement défectueux du service de la justice, constitutif d'une faute lourde, M. Y... a, le 15 décembre 1997, assigné l'Etat, représenté par l'agent judiciaire du Trésor public, devant le tribunal de grande instance de Paris en réparation de ce préjudice.

Par jugement du 27 janvier 1999, le tribunal a rejeté cette demande. LA COUR,

Vu l'appel formé contre cette décision par M. Y...,

Vu l'arrêt du 26 janvier 2000 invitant le président du tribunal de

grande instance de Quimper à transmettre au greffe de la cour l'entier dossier au vu duquel le juge aux affaires familiales a rendu l'ordonnance précitée du 27 juin 1995,

Vu les conclusions du 5 septembre 2000 en vertu desquelles M. Y..., poursuivant la réformation du jugement, demande à la cour de condamner l'Etat, représenté par l'agent judiciaire du Trésor public, à lui payer la somme de 300.000 francs à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Vu les conclusions du 12 septembre 2000 selon lesquelles l'agent judiciaire du Trésor public demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner M. Y... à lui payer la somme de 5.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

SUR CE,

Considérant, en droit, selon l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, que la responsabilité de l'Etat, du fait des dommages causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice, n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ;

Considérant, en l'espèce, que par ordonnance du 15 février 1994, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Quimper a décidé d'attribuer à M. Y... l'exercice de l'autorité parentale à l'égard de M... et de fixer le lieu de la résidence habituelle de celle-ci chez son père, aux motifs, d'une part, que M. Y... assume seul la charge effective de l'enfant qui vit auprès de lui depuis le départ de Mme X..., d'autre part, que l'éloignement de cette dernière, l'incertitude entourant son actuel état de santé, lequel détermine ses aptitudes en la matière, rendent inopportune l'éventualité d'un exercice conjoint de l'autorité parentale ;

Considérant que, prétendant que "son état de santé s'était stabilisé" et "qu'elle hébergeait et s'occupait en permanence" de M..., Mme X... a, par requête du 28 mars 1995, demandé au juge aux affaires familiales de lui attribuer conjointement avec M. Y... l'exercice de l'autorité parentale à l'égard de M... et de fixer chez elle le lieu de la résidence habituelle de celle-ci ;

qu'aux termes de son ordonnance du 27 juin 1995, le juge aux affaires familiales, devant lequel M. Y... n'a pas comparu, a accueilli cette demande au seul motif que "l'absence de moyen opposant soulevé par le père à la demande de la mère doit conduire à faire droit à celle-ci" ;

Considérant, toutefois, qu'en l'absence de production par Mme X... d'un quelconque élément de preuve propre à étayer ses allégations selon lesquelles "son état de santé s'était stabilisé", il incombait au juge aux affaires familiales, qui, dans sa précédente ordonnance du 15 février 1994 à laquelle renvoie l'ordonnance du 27 juin 1995, s'était expressément référé à "l'incertitude entourant l'état de santé" de Mme X... pour priver celle-ci de l'exercice de l'autorité parentale à l'égard de M... et fixer le lieu de la résidence habituelle de celle-ci chez son père, de vérifier l'exactitude desdites allégations ;

qu'il ne résulte ni de la teneur de l'ordonnance du 27 juin 1995, ni d'aucune des pièces du dossier de la procédure suivie devant le juge aux affaires familiales que celui-ci ait, soit personnellement, soit au moyen de toute autre mesure d'instruction, procédé à cette vérification ;

Considérant, certes, que M. Y... n'a pas formé appel à l'encontre de ladite ordonnance ;

Mais considérant que l'absence d'exercice de cette voie de recours ne peut être regardée comme une approbation, à tout le moins implicite,

des nouvelles dispositions arrêtées par le juge aux affaires familiales ;

Considérant, en effet, que la lettre recommandée de notification à M.. Y... de l'ordonnance du 27 juin 1995, a été retournée au secrétariat de la juridiction, revêtue de la mention "non réclamé, retour à l'envoyeur", de sorte qu'en vertu des dispositions de l'article 670-1 du nouveau Code de procédure civile, il incombait au secrétaire d'inviter Mme X... à procéder par voie de signification ; qu'il ne résulte d'aucune des pièces du dossier de la procédure suivie devant le juge aux affaires familiales qu'il ait été satisfait aux exigences de ce texte ;

qu'à raison de la méconnaissance de celles-ci, M. Y... n'a pas été informé de l'existence et des modalités d'exercice de la voie de recours ouverte à l'encontre de cette ordonnance ;

Considérant, en outre, que Mme X..., qui, le 7 septembre 1993, avait été hospitalisée d'office au centre hospitalier spécialisé des Landes à Mont-de-Marsan, pour avoir, dans un contexte de psychose hallucinatoire, porté des coups mortels à un tiers, a, le 10 mai 1994, été transférée au centre hospitalier spécialisé GOURMELEN à Quimper ;

que, le 2 mai 1995, le président du conseil général du Finistère a signalé au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Quimper que Mme X... se trouvait en situation de sortie d'essai d'hospitalisation d'office, et fait part à ce magistrat de ses interrogations sur les aptitudes de l'intéressée à prendre en charge sa fille M... ;

qu'au regard de la teneur de ces informations, il appartenait au ministère public, qui tient des dispositions de l'article 374, alinéa 3, du Code civil le pouvoir d'agir en modification des conditions

d'exercice de l'autorité parentale à l'égard d'un enfant naturel, d'en aviser sans délai le juge aux affaires familiales, lequel eût ainsi disposé, en temps utile, d'éléments propres à attirer son attention sur la précarité de la situation de Mme X..., partant à l'amener à s'interroger sur la compatibilité entre une telle situation et la fixation chez Mme X... du lieu de la résidence habituelle de M... ;

Considérant qu'il ne résulte d'aucune des pièces du dossier de la procédure suivie devant le juge aux affaires familiales que le ministère public ait porté lesdites informations à la connaissance de ce juge ;

Considérant, dès lors, que si, prise isolément, aucune des négligences ainsi constatées ne s'analyse en une faute lourde, en revanche, le fonctionnement défectueux du service public de la justice, qui découle de leur réunion, revêt le caractère d'un telle faute ;

que M. Y... est donc fondé à se prévaloir de celle-ci pour rechercher la responsabilité de l'Etat ;

Considérant que la décision du 27 juin 1995 fixant chez Mme X... le lieu de la résidence habituelle de M... a créé une situation propice à l'accomplissement par Mme X... des actes attentatoires à la vie de M..., de sorte qu'il existe un lien de causalité directe entre la faute lourde ainsi retenue et ces actes, partant le préjudice que cause à M. Y... la mort de M... ;

Considérant que la réparation de ce préjudice appelle, à raison de la particulière gravité de celui-ci, l'allocation de la somme de 300.000 francs à titre de dommages-intérêts ;

***

Considérant que l'Etat représenté par l'agent judiciaire du Trésor public n'obtenant pas gain de cause, il convient de le condamner aux

dépens et de rejeter la demande par lui formée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

qu'en revanche, il y a lieu d'accueillir la demande formée sur le même fondement par M. Y... ;

Par ces motifs,

Réforme le jugement rendu entre les parties le 27 janvier 1999 par le tribunal de grande instance de Paris ;

Condamne l'Etat représenté par l'agent judiciaire du Trésor public à payer à M. Y... la somme de 300.000 francs à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 10.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Rejette toute autre prétention ;

Condamne l'Etat représenté par l'agent judiciaire du Trésor public aux dépens de première instance ainsi qu'aux dépens d'appel lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile. Le Greffier

Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Numéro d'arrêt : 1999/07817
Date de la décision : 25/10/2000

Analyses

ETAT

ESPONSABILITÉ. - RESPONSABILITÉ DU FAIT DU FONCTIONNEMENT DÉFECTUEUX DU SERVICE DE LA JUSTICE- FAUTE LOURDE - DOMAINE D'APPLICATION La décision du juge aux affaires familiales, de modifier une ordonnance confiant au père naturel seul, l'exercice de l'autorité parentale à l'égard de sa fille, pour tenir compte notamment de l'état de santé de la mère, hospitalisée d'office pour avoir, dans un contexte de psychose hallucinatoire, porté des coups mortels à un tiers, prise sur la demande de la mère, en l'absence du père, non comparant, sans vérifier l'exactitude des propos de la mère, ni rechercher si son état de santé antérieur s'était amélioré, d'une part, ainsi que l'abstention du procureur de la République, averti par le président du conseil général de la sortie d'hospitalisation de la mère et de doutes existants sur son aptitude à prendre en charge sa fille, de porter ces informations à la connaissance du juge aux affaires familiales, d'autre part, constituent des négligences qui révèlent le fonctionnement défectueux du service public de la justice, et dont la réunion revêt le caractère d'une faute lourde, qui a créé une situation ayant permis à la mère d'attenter à la vie de sa fille ; qu'un lien de causalité directe existant entre la faute lourde ainsi retenue et la mort de la fille, une somme de 300.000 francs a été accordé au père en réparation de son préjudice ;


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Composition du Tribunal
Président : Président : - Rapporteur : - Avocat général :

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2000-10-25;1999.07817 ?
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