COUR D'APPEL DE PARIS 5è chambre, section C ARRET DU 29 SEPTEMBRE 2000
(N , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 1997/21100 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 01/07/1997 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS 18/1è Ch. RG n :
1996/20737 Date ordonnance de clôture : 9 Juin 2000 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : CONFIRMATION APPELANTS :
S.A.R.L. X... / MICHEL KARINE prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 76 rue de Provence 75009 PARIS représentée par la SCP COSSEC, avoué assistée de Maître CRESPIN, Toque D2003, Avocat au Barreau de PARIS S.C.I. PROVENCE 76 prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 76 rue de Provence 75009 PARIS représentée par la SCP COSSEC, avoué assistée de Maître CRESPIN, Toque D2003, Avocat au Barreau de PARIS INTIME : Madame Y... Z... ... par la SCP ROBLIN-CHAIX DE LAVARENE, avoué assistée de Maître AUDRAS, Toque P119, Avocat au Barreau de PARIS, SCP LEVY ET ASSOCIES COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré, Président : Madame DESGRANGE A... : Monsieur BOUCHE A... : Monsieur SAVATIER B... : A l'audience publique du 30 juin 2000 GREFFIER : Lors des débats et lors du prononcé de l'arrêt Greffier : Madame C..., ARRET : Prononcé publiquement par Madame le Président DESGRANGE, qui a signé la minute avec Madame C..., Greffier.
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* La SARL Michel KARINE ci-après dénommée société X..., dont Madame D... est gérante, exploite un salon de coiffure, esthétique, soin du corps et du visage, manucure, massage sous l'enseigne "Michel D..." dans lequel Madame Y... est entrée le 1er mai 1994 pour y exercer l'activité d'esthéticienne.
A la différence des autres personnes travaillant dans le salon qui sont liées à la société X... par contrat de location gérance, aucun contrat écrit n'a été signé entre les parties; Madame Y... versant cependant une redevance mensuelle à la société X....
En 1996, des difficultés sont apparues entre la société X... et Madame Y...; leurs relations professionnelles se sont altérées et les parties se sont opposées sur la nature juridique de leurs liens contractuels.
Se prévalant d'exercer son activité en qualité d'artisan indépendant, Madame Y... a saisi à plusieurs reprises le juge des référés, pour obtenir l'autorisation qui lui a été refusée, d'installer une ligne téléphonique personnelle. Cette juridiction a également refusé de statuer sur la demande de la société X... de voir prononcer l'expulsion de Madame Y... à la suite de la rupture qu'elle lui avait notifiée le 29 juillet 1996 d'un contrat d'occupation précaire. Les juges du fond ont souhaité voir mis en cause la SCI PROVENCE 76, propriétaire des locaux et ont statué par un jugement prononcé le 1er juillet 1997 par le tribunal de grande instance de Paris. Dans cette décision ils ont dit que le contrat liant Madame Y... à la société
X... depuis le 1er mai 1994 était un contrat de travail et ont condamné la société X... à payer à Madame Y... la somme de 129.600F représentant les loyers indûment versés ainsi que la somme de 10.500F montant du dépôt de garantie.
Par ordonnance du 29 octobre 1997, le Premier Président a débouté la société X... de sa demande tendant à la suspension de l'exécution provisoire dont est assorti le jugement déféré.
La société X... et la société SCI PROVENCE 76 ont interjeté appel du jugement prononcé le 1er juillet 1997 par le Tribunal de Grande Instance de Paris.
Dans leurs dernières conclusions signifiées le 2 mars 1998 auxquelles il est renvoyé, les appelantes contestent la qualification de contrat de travail retenue par les premiers juges qu'ils estiment contraire, à la fois aux dispositions de l'article 120-3 du Code du Travail, aux déclarations de Madame Y... et aux relations ayant existé entre les parties Ils concluent à titre principal à la confirmation du jugement, faisant valoir que Madame Y... a le statut de travailleur indépendant.
A titre subsidiaire, les appelantes sollicitent une mesure d'instruction ayant pour objet de reconstituer les recettes encaissées par Madame Y... du 1er mai 1994 au 1er septembre 1995, de disposer d'un avis sur la rémunération moyenne octroyée à Paris pour la fonction assurée par Madame Y... et de faire les comptes entre les parties.
Les appelantes sollicitent en tout état de cause la condamnation de
Madame Y... à leur payer la somme de 10.000F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Dans ses conclusions signifiées le 7 mai 1998 auxquelles il est renvoyé, Madame Y... conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et à la condamnation in solidum de la société X... et de la SCI PROVENCE 76 au paiement de la somme de 10.000F HT sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
L'intimée fait siens les motifs des premiers juges en relevant qu'elle s'est trouvée, à l'égard de la clientèle, du local et de la gestion de son activité, dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de la société X... que le tribunal a exactement caractérisé.
SUR CE, LA COUR :
Considérant que la Cour est saisie du litige opposant la société X... et Madame Y... qui sont liées par une convention verbale depuis le 1er mai 1994 en vertu de laquelle Madame Y... a exercé jusqu'au 1er septembre 1997 son activité d'esthéticienne au sein du salon de coiffure-esthétique, soins du corps et du visage, manucure, massage, à l'enseigne MICHEL D..., exploité par la société X... et dont Madame D... est la gérante.
Considérant que les appelantes soutiennent, à partir de l'analyse qu'elles font des faits de la cause, que Madame Y... a exercé son activité avec le statut de travailleur indépendant; qu'elles font valoir que celle-ci a revendiqué ce statut tout au long de la
procédure jusqu'à la décision du tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 1er juillet 1997, a dit qu'en raison de l'existence d'un lien de subordination juridique, Madame X... a été liée à la société X... par un contrat de travail, thèse à laquelle les appelantes relèvent que Madame Y... s'est tardivement ralliée, qu'elle soutient en cause d'appel et que les appelantes estiment erronée.
Considérant que Madame X... convient dans ses écritures qu'elle a pu croire bénéficier d'une certaine autonomie au début de ses relations avec la société X... mais fait valoir qu'elle a constaté qu'il n'en était rien dès sa première tentative pour la concrétiser, lors de la demande d'installation d'une ligne téléphonique personnelle à laquelle la société X... a opposé un refus formel; que faisant également l'analyse des conditions dans lesquelles elle a exercé son métier au sein du salon de la société X..., elle s'est ralliée en cause d'appel à l'analyse juridique des premiers juges ayant retenu l'existence d'un contrat de travail.
Considérant qu'il appartient au juge de donner ou de restituer leurs exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la détermination que les parties auraient proposée.
Considérant que les appelantes ne peuvent, pour critiquer l'application faite par le tribunal, de l'article 120-3 du Code du travail tirer argument de l'immatriculation de Madame Y... au répertoire des métiers; qu'en effet si l'article L120-3 alinéa 1 de ce code instaure une présomption d'absence de contrat de travail pour les personnes physiques immatriculées audit répertoire, l'alinéa 2 du même article précise expressément que la présomption instituée à
l'article 1 peut-être levée lorsque les personnes visées à cet alinéa fournissent des prestations à un donneur d'ouvrage dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci;
Qu'ainsi même si Madame Y... a voulu bénéficier du statut de travailleur indépendant, la présomption sera écartée s'il est établi qu'elle s'est trouvée dans des conditions établissant un lien de subordination juridique permanente avec la société X...
Considérant à cet égard que la clientèle traitée par Madame Y... était indiscutablement attachée au salon D...; qu'il est établi par la production du livre de rendez-vous que la gérante du salon ou sa déléguée avait seule la responsabilité de ce livre, qu'elle assurait l'accueil téléphonique et physique de tous les clients fréquentant le salon; que Madame Y... n'a jamais été autorisée par la société X... à disposer d'une ligne téléphonique personnelle en dépit des tentatives réitérées qu'elle a menées en ce sens, devant plusieurs instances judiciaires.
Considérant que la clientèle traitée par Madame Y... en soins esthétiques ne lui appartenait pas; qu'il s'agissait de clients issus de l'ensemble de la clientèle du salon D...; qu'il faut relever que la société X... n'a jamais fait figurer sur la vitrine du salon le nom de Madame Y... et que sur les cartes professionnelles de cette dernière, il est porté la mention expresse qu'elle est esthéticienne au salon D...;
Considérant que l'organisation de l'activité de Madame Y... a entièrement reposé sur la société X...; qu'il n'est pas contesté que
c'est celle-ci qui fixait le prix des prestations fournies par Madame Y...; que la gérante de la société X... percevait les paiements de tous les soins de toutes sortes, pratiqués dans le salon D..., y compris les soins d'esthétique prodigués par Madame D..., à la seule caisse de l'établissement, qu'elle contrôlait les tarifs pratiqués et visait l'établissement de la comptabilité journalière de chacune des personnes travaillant dans le salon.
Considérant que Madame Y... devait fournir ses prestations dans l'amplitude des heures d'ouverture du salon auquel elle ne pouvait accéder en dehors desdites heures, puisqu'elle ne disposait pas des clés du salon mais seulement de celles de la cabine dans laquelle elle dispensait aux clients qui lui étaient confiés, des soins d'esthétique; que ces soins avaient lieu sur une table de massage appartenant au salon D...
Considérant que les relations entretenues par Madame Y... avec les fournisseurs des produits liés à son activité d'esthétique et sa gestion du stock de ses produits ne peuvent suffire à démontrer l'autonomie dont la société X... prétend qu'elle a bénéficié, de nombreux salariés ayant cette même responsabilité; qu'est également dénué de pertinence l'argument que développent les appelantes selon lequel Madame Y... effectuait son travail sous sa seule responsabilité dans la mesure où sa qualification professionnelle n'exigeait pas un contrôle de tous les instants et qu'il entrait naturellement dans ses compétences de personne qualifiée et spécialisée en esthétique de décider seule des techniques et des méthodes à appliquer.
Considérant que le local dont a disposé Madame Y... consistait en
une petite cabine placée à l'intérieur du salon et qu'il était destiné à permettre d'isoler les clients pendant les soins; qu'il n'est pas contesté que l'assurance de ce local et son entretien étaient à la charge de la société X...
Considérant qu'outre les soins spécifiques d'esthétique, Madame Y... était tenue de dispenser des soins manucures, communément considérés comme l'accessoire d'autres soins tels la coiffure et qu'en cette circonstance fréquente, Madame Y... recevait des directives précises de la responsable du salon D... pour s'occuper des clientes;
Considérant que le mode de rétribution de Madame Y... s'organisait par le reversement effectué par la société X... du montant des prestations effectuées par l'esthéticienne, celle-ci réglant à la société X... une redevance mensuelle que les parties ont improprement appelée "loyers" en l'absence de tout contrat de location gérance ou de sous location, que l'une comme l'autre, ont exclu de la qualification de leurs relations professionnelles; que cette organisation de la rétribution de Madame Y... n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail; qu'il ne s'agit que d'un mode, parmi de nombreux autres, du versement au salarié de sa rémunération celle-ci demeurant un critère essentiel du contrat de travail; qu'il importe peu que la rémunération soit issue, comme en l'espèce, d'un calcul en fonction de la tâche accomplie et que Madame Y... n'ait pas revendiqué la délivrance de bulletins de paie.
Considérant que l'ensemble de ces éléments, desquels il résulte que Madame Y... devait se plier aux contraintes d'horaires fixés par la société X..., qu'elle exécutait son travail dans les locaux de
celle-ci, qu'elle recevait des directives de la responsable du salon D... et que son activité d'esthéticienne s'exerçait dans le cadre du service organisé du salon, apportent la preuve que Madame Y... s'est trouvée dans un lien de subordination juridique permanent à l'égard de la société X..., et qu'ils caractérisent le lien salarial. Considérant en conséquence que le jugement déféré ayant dit que le contrat liant depuis le 1er mai 1994 Madame Y... et la société X... est un contrat de travail, doit être confirmé.
Considérant que Madame Y... fait justement valoir que par courrier du 1er août 1997, la société X... a procédé à sa mise à pied, suivie de son licenciement sans indemnité de préavis ni de licenciement, notifiée par courrier du 5 septembre 1997; que ces pièces sont produites aux débats; qu'il n'est pas contesté que le Conseil des Prud'hommes est saisi du litige opposant Madame Y... et la société X... à la suite des décisions susvisées; que cette juridiction est seule compétente pour fixer le salaire et faire les comptes entre les parties.
Qu'il n'y a pas lieu en conséquence d'ordonner la mesure d'instruction sollicitée par la société X... pour faire les comptes entre les parties, le Conseil des Prud'hommes appelé à statuer sur le licenciement étant seul compétent ; que la demande de la société X... sera rejetée;
Que pour ces mêmes motifs, il n'appartenait pas aux premiers juges de condamner la société X... à restituer à Madame Y... la somme de 129.600F qualifiés à tort par le tribunal de loyers indûment perçus
ni celle de 10.500F montant du dépôt de garantie;
Que le sort de ces sommes versées à l'occasion des rapports contractuels des parties, qualifiés par cette Cour de contrat de travail, relèvent de la compétence du Conseil des Prud'hommes;
Que le jugement, en ce qu'il a condamné la société X... à payer à Madame Y... les sommes de 129.600F et 10.500F, sera infirmé.
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de ne pas faire application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Déclare recevable l'appel formé par la société X... et la société SCI PROVENCE 76.
Confirme le jugement déféré sauf en celle de ses dispositions ayant condamné la société X... à payer à Madame Y... les sommes de 129.600F et 10.500F;
Rejette toutes demandes autres ou contraires aux motifs.
Condamne solidairement les sociétés X... et SCI PROVENCE 76 au paiement des dépens de première instance et d'appel, avec admission pour ces derniers de l'avoué concerné, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT