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08/06/2000 | FRANCE | N°1999/20733

France | France, Cour d'appel de Paris, 08 juin 2000, 1999/20733


COUR D'APPEL DE PARIS 1ère chambre, section C ARRET DU 8 JUIN 2000

(N , 13 pages) Numéro d'inscription au répertoire général :

1999/20733 Pas de jonction Décisions dont appel : Jugements rendus les 6 juin 1995 et 16 janvier 1996 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS (1ère chambre, 1ère section - ETAT DES PERSONNES) RG n :

1994/25684 Date ordonnance de clôture : 4 mai 2000 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : AU FOND APPELANT :

Monsieur Georges X...

né le 1er octobre 1944 à POINTE A PITRE (Guadeloupe)

de nationalité

française

demeurant 6bis, rue Sadi Carnot

97110 POINTE A PITRE

Représenté par la S.C.P. MEN...

COUR D'APPEL DE PARIS 1ère chambre, section C ARRET DU 8 JUIN 2000

(N , 13 pages) Numéro d'inscription au répertoire général :

1999/20733 Pas de jonction Décisions dont appel : Jugements rendus les 6 juin 1995 et 16 janvier 1996 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS (1ère chambre, 1ère section - ETAT DES PERSONNES) RG n :

1994/25684 Date ordonnance de clôture : 4 mai 2000 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : AU FOND APPELANT :

Monsieur Georges X...

né le 1er octobre 1944 à POINTE A PITRE (Guadeloupe)

de nationalité française

demeurant 6bis, rue Sadi Carnot

97110 POINTE A PITRE

Représenté par la S.C.P. MENARD -

SCELLE-MILLET, avoué

Assisté de Maître DELIGNERE,

avocat à la Cour (D 465) INTIMEE :

Madame Madeleine Y...

née le 7 mars 1955 à Ebrine (Liban)

demeurant 70, boulevard Garibaldi

75015 PARIS

Représentée par la S.C.P. LAGOURGUE, avoué

Assistée de la S.C.P. CHAIBAN - KLOPP

plaidant à l'audience par Maître CHAIBAN,

avocat à la Cour ( P 245)

COMPOSITION DE LA COUR :

lors du délibéré

Président : Madame Z...

Conseiller : Monsieur A...

Conseiller : Madame B..., cette dernière appelée d'une autre chambre pour compléter la Cour.

GREFFIER

lors des débats et du prononcé

de l'arrêt : Mlle C...

MINISTERE PUBLIC

Représenté aux débats par Monsieur D...,

Avocat Général, qui a été entendu en ses explications.

DEBATS

à l'audience du 12 mai 2000 tenue en chambre du conseil,

Madame Z..., Magistrat chargé du rapport, a

entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Elle en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.

ARRET - CONTRADICTOIRE

prononcé publiquement par Madame Z...,

Président, qui a signé la minute avec

Mlle C..., Greffier. * * *

Georges X..., né le 1er octobre 1944 à Pointe à Pitre, de nationalité française, et Madeleine Y..., née le 7 mars 1955 à Ebrine (Liban), de nationalité libanaise, se sont mariés le 2 juin 1991 devant l'officiant religieux d'Amchit (Liban).

Après enregistrement de l'acte de mariage au bureau de l'état civil du Mont Liban (Liban) le 25 juin 1991, l'acte à été transcrit le 16 juillet 1991 sur les registres du Consulat Général de France à Beyrouth.

A la demande de Georges X..., après une ordonnance de non conciliation du 15 novembre 1991, le divorce entre les époux a été prononcé par jugement du tribunal de grande instance de Pointe à Pitre du 12 février 1994 pris sur le fondement des articles 233 et suivants du code civil. Sur l'appel interjeté par Georges X..., la cour d'appel de Basse-Terre, par arrêt du 20 mai 1996, a sursis à statuer en l'attente de la décision de cette cour sur la nullité du mariage.

Sur l'action en nullité de mariage formée par Georges X... par assignation du 31 octobre 1994, le tribunal de grande instance de Paris a, par jugement du 6 juin 1995, - vu les articles 146, 170, 180 et 181 du code civil, - déclaré l'action en nullité recevable, - déclaré l'action non fondée en application de l'article 170 du code

civil, - avant dire droit sur les autres fondements ordonné d'une part la projection du film pris lors de la cérémonie du mariage et de la réception l'ayant suivie et d'autre part la comparution personnelle des parties.

Les parties ont été entendues par le tribunal le 26 septembre 1995.

Par jugement du 16 janvier 1996, le tribunal a - débouté Georges X... de toutes ses demandes, - condamné Georges X... à payer à Madeleine Y... les sommes de 5 000 francs de dommages-intérêts et de 10 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur l'appel de ces deux jugements interjeté par Georges X... qui maintenait sa demande d'annulation du mariage et qui invoquait des décisions des tribunaux religieux libanais ayant préalablement prononcé la nullité du mariage, cette cour, par arrêt du 14 octobre 1997, a - ordonné la jonction des deux procédures, - ordonné le retrait des débats de l'attestation de EL-KHOURY SEMAAN communiquée par fax le 11 septembre 1997, - déclaré recevable l'appel du jugement du 6 juin 1995 interjeté le 10 septembre 1997, - sur la régularité internationale du jugement du tribunal maronite unifié de première instance de Zouk Mosbeh (Liban) du 7 février 1995 et de l'arrêt confirmatif du tribunal maronite d'appel de Zouk Mosbeh du 9 mai 1996 : - renvoyé l'affaire à la mise en état, - invité les parties à produire un certificat de non pourvoi, - invité les parties à présenter leurs observations sur la régularité internationale de ces décisions.

Par ordonnance du 18 juin 1998, la procédure a été radiée les parties

n'ayant pas accompli les actes de procédure qui leur incombaient dans les délais impartis.

Par conclusions "signifiées le 8 octobre 1999, ressignifiées le 12 octobre 1999 avec seconde mise au rôle" (selon les mentions figurant sur ces conclusions) et déposées le 14 octobre 1999, Georges X... a fait réinscrire l'affaire.

*

* *

Georges X... demande à la cour, dans des conclusions déposées le 20 avril 2000, de : - débouter Madeleine Y... de sa demande de péremption d'instance, - dire qu'elle n'a aucune qualité pour se prévaloir de la nullité des jugements religieux d'annulation de mariage prononcés par les autorités religieuses libanaises, - constater que lui-même ne demande pas la nullité ou l'absence d'effets en France de ces jugements, - constater que les jugements d'annulation de mariage rendus par les juridictions libanaises les 7 février 1995 et 9 mai 1996 doivent donc sortir leur plein effet en France, - en conséquence, constater la nullité du mariage, - subsidiairement constater que le mariage est irrégulier tant pour des raisons de forme que de fond et en prononcer la nullité, - dire en toute hypothèse que ce mariage ne pourra sortir aucun effet et que tout acte accompli ou toute obligation souscrite en considération de ce mariage devront être annulés, - débouter Madeleine Y... de toutes ses demandes, - la condamner, outre aux dépens, à lui payer la somme de 50 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur le moyen tiré de la péremption, il soutient tout d'abord que

l'arrêt du 14 octobre 1997 est un arrêt mixte, si bien que toute l'instance échappe à la péremption. Il ajoute qu'il a obtenu le 28 septembre 1999 un certificat de coutume, ce qui démontre qu'il s'est préoccupé auprès d'un avocat libanais d'exécuter les démarches ordonnées par la cour de même d'ailleurs que l'intimée.

Concernant les décisions libanaises ayant annulé le mariage, il prétend que Madeleine Y... qui est à l'origine de ces procédures n'a aucun intérêt et est irrecevable à invoquer en France leur inopposabilité alors qu'elles ne lui causent aucun grief. Il précise qu'il n'a formé aucun pourvoi en cassation contre ces décisions quand il en a eu connaissance.

Il indique que, si la décision d'un tribunal religieux de première instance ne peut jamais être définitive, c'est le tribunal maronite d'appel, par un arrêt confirmatif, qui donne le caractère définitif à la décision. Il soutient que la compétence internationale des juridictions libanaises ne soulève aucune difficulté, que lui-même n'a pas invoqué le privilège de l'article 15 du code civil et qu'il n'existe aucune compétence exclusive de la juridiction française pour statuer sur la nullité du mariage. Il conteste que les juridictions libanaises soient incompétentes en matière de statut personnel quand les parties ne sont pas toutes deux de nationalité libanaise. Il dit que l'incompétence devant être soulevée in limine litis, le fait que sa nationalité française impose de saisir les juridictions civiles libanaises et non les juridictions religieuses est sans incidence sur la régularité des décisions, alors surtout qu'il n'a formé aucun pourvoi en cassation. S'agissant de la loi applicable, il invoque l'article 310 du code civil et dit qu'en toute hypothèse la cause d'annulation est commune aux lois libanaise et française qui

interdisent toutes deux le mariage sous condition. Il précise encore que les deux lois exigent un consentement pour la validité du mariage. Il dit que les décisions étrangères ne sont pas contraires à l'ordre public et qu'aucune fraude n'est alléguée par lui, Madeleine Y... ne pouvant se prévaloir de sa propre fraude.

Subsidiairement, sur la nullité du mariage demandée à la cour, il soutient que le mariage est nul en application de l'article 170 du code civil pour non respect des formalités de publicité et alors que la famille de la femme avait une intention frauduleuse établie par les irrégularités formelles (impossibilité qu'il ait lui même remis une copie de l'acte de mariage au Consulat Général de France, inexactitudes dans l'acte établi par le fondé de pouvoir du Patriarcat, bizarreries de la demande de visa de la femme) et par la clandestinité du mariage à l'égard de la famille X... Il prétend encore que les conditions de forme prévues par la loi libanaise : production d'un certificat prénuptial et annonce verbale n'ont pas été respectées. Sur le fond, il indique que les lois libanaise et française exigent toutes deux un consentement au mariage et conclut à l'absence de consentement réel d'une part de Madeleine Y..., celle-ci ayant eu pour seul but de sortir du Liban en guerre et de se rendre en France et d'autre part de lui-même dans la mesure où, à 47 ans, il n'avait pas l'intention de se marier et où il a été enlevé à l'aéroport et marié sous la contrainte.

*

* *

Dans des conclusions du 21 avril 2000, Madeleine Y... demande à la cour de - dire l'instance périmée, - subsidiairement constater l'irrégularité internationale des décisions des tribunaux

maronites, - dire que ces deux décisions ne peuvent être reconnues en France ni y produire aucun effet, - dire que la loi française est applicable au litige, - confirmer les jugements des 6 juin 1995 et 16 janvier 1996, - y ajoutant condamner Georges X... à lui payer la somme de 100 000 francs de dommages-intérêts supplémentaires, - subsidiairement, pour le cas où les décisions des tribunaux maronites seraient reconnues en France, dire qu'elles produiront leur plein effet notamment en ce qui concerne la condamnation au paiement de dommages-intérêts, - dans tous les cas, condamner Georges X... à lui payer une somme de 30 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur la péremption de l'instance, elle prétend que le dernier acte interruptif est constitué par les conclusions de l'appelant signifiées le 16 septembre 1997, soutenant que ni l'arrêt avant dire droit du 14 octobre 1997 ni l'ordonnance de radiation n'ont interrompu le délai. Elle conteste le caractère interruptif de la lettre du 8 avril 1998 et du certificat de coutume du 28 septembre 1999 ainsi que de celui qu'elle-même a fait établir.

Sur la régularité des décisions des tribunaux maronites, elle prétend avoir intérêt et être recevable à soulever leur irrégularité dans la mesure où leur reconnaissance la priverait de la prestation compensatoire accordée par le tribunal de grande instance de Point à Pitre. Elle dit que les tribunaux maronites ont excédé leur pouvoir, la juridiction civile étant seule compétente dans la mesure où l'époux est national d'un pays, la France, où le statut personnel relève du droit civil, le fait que Georges X... soit également de confession maronite étant sans incidence. Elle ajoute que les tribunaux libanais n'étaient pas internationalement compétents en

l'état de la nationalité différente des deux époux et la juridiction compétente selon les règles du droit international libanais étant celle du domicile du défendeur. Elle précise que la seule loi applicable était le droit civil français en application de l'article 310 du code civil et qu'en toute hypothèse, la condition résolutoire qu'elle avait imposée était sans influence sur la régularité du mariage. Elle prétend que les décisions libanaises ne sont pas définitives, un recours en nullité pouvant toujours être fait devant la cour de cassation en raison de l'excès de pouvoir commis par le tribunal.

Sur la demande de nullité du mariage formée devant la cour, elle affirme que la loi française est seule applicable. Elle conteste toute fraude et clandestinité du mariage permettant une annulation pour absence de publications par application de l'article 170 du code civil. Elle indique que Georges X... ne prouve pas que les conditions de forme de la loi libanaise - dont il n'établit pas le contenu - n'ont pas été respectées. Elle affirme que le consentement de chacun des deux époux au mariage était réel, le mari ayant librement consenti au mariage contrairement à ce qu'il prétend, n'ayant pas été enlevé à l'aéroport et n'ayant subi aucune pression physique ou morale et elle-même ayant eu une véritable intention matrimoniale.

*

* *

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 mai 2000, alors que Georges X... avait fait signifier et déposer de nouvelles conclusions ce même jour.

Madeleine Y... a demandé à la cour le renvoi de l'affaire et subsidiairement le rejet des conclusions et des pièces nouvelles les accompagnant.

Georges X..., en réponse, sollicite également le renvoi de l'affaire, et subsidiairement, pour le cas où ses conclusions du 4 mai 2000 seraient écartées, le rejet des conclusions de Madeleine Y... en date du 21 avril 2000. Il invoque des difficultés pour conclure en raison de son domicile en Guadeloupe.

A l'audience du 12 mai 2000, la demande de renvoi a été rejetée. Il a été décidé que la cour statuerait sur l'admission ou le rejet des conclusions en même temps que sur le fond. Sur ce, la Cour,

Considérant que les conclusions de Madeleine Y... en date du 21 avril 2000 ne faisaient que répondre à celles signifiées la veille par Georges X... ; qu'il n'y a pas lieu de les écarter des débats ; qu'en revanche les conclusions de Georges X... signifiées le jour même de la clôture alors qu'il avait disposé d'un délai de douze jours pour répondre - délai amplement suffisant nonobstant le lieu du domicile de l'appelant à une époque où ce type de document peut être transmis autrement que par voie postale - doivent être écartées pour violation du principe de la contradiction ; Sur la péremption :

Considérant qu'en vertu de l'article 386 du nouveau code de procédure civile l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; que le point de départ du délai est déterminé par la dernière diligence de l'une quelconque des parties ; que, pour être interruptive, une diligence doit émaner d'une partie

et non d'un tiers ou du juge, prendre la forme d'une démarche processuelle quelconque, faire partie de l'instance susceptible de péremption et être destinées à la continuer en lui donnant une impulsion ;

Qu'il convient, pour que la péremption puisse être utilement invoquée, que les plaideurs conservent la maîtrise de la procédure ; Qu'en l'espèce, après signification et dépôt de conclusions le 11 septembre 1997 pour le compte de Georges X..., une ordonnance de clôture a été rendue le 16 septembre 1997 et, l'affaire ayant été plaidée le jour même, un arrêt le 14 octobre 1997 ; que les parties ayant perdu la maîtrise de la procédure le jour de l'ordonnance de clôture et ne l'ayant retrouvée qu'après le prononcé de l'arrêt, il convient de considérer que le point de départ du délai de péremption est le 14 octobre 1997, jour du prononcé de l'arrêt qui, se limitant à déclarer l'appel du jugement du 6 juin 1995 recevable et à renvoyer l'affaire à la mise en état pour conclusions des parties sur la régularité internationale des décisions des juridictions libanaises, est seulement avant dire droit ;

Considérant qu'après radiation par ordonnance du conseiller de la mise en état du 18 juin 1998, l'affaire a été réinscrite au vu de conclusions pour le compte de Georges X... signifiées le 8 octobre 1999, ressignifiées le 12 octobre 1999 et déposées le 14 octobre 1999 avant l'expiration du délai de deux ans ;

Que par suite le moyen tiré de la péremption doit être rejeté ; Sur l'efficacité internationale des décisions des tribunaux maronites

libanais :

Considérant que Georges X... invoque deux décisions - dont il produit des copies authentiques - rendues sur la demande de Madeleine Y..., la première le 7 février 1995 par le tribunal maronite unifié de première instance de Zouk Mosbeh (Liban) qui a annulé le mariage des époux Georges X.../Madeleine Y... "pour cause de l'attachement du mariage à une condition apposée dans l'avenir car le mari ne l'a pas accomplie" et condamné Georges X... à payer à Madeleine Y... une somme de vingt millions de livres libanaises ou son équivalent en dollars américains à la date de l'exécution et la seconde le 9 mai 1996 par la cour d'appel maronite de Zouk Mousbeh qui, après signification du jugement par la femme et sur sa demande, a confirmé le jugement du 7 février 1995 ; qu'il estime que ces deux décisions doivent "sortir" leur plein effet en France ;

Considérant que, pour s'opposer à la demande de Georges X..., Madeleine Y... conclut à l'inopposabilité en France des décisions des juridictions maronites, celles-ci ayant dépassé leur pouvoir juridictionnel en statuant sur l'annulation d'un mariage entre un étranger dont le statut personnel est régi par le droit civil et une libanaise maronite, étant internationalement incompétentes et n'ayant pas appliqué la loi compétente selon les règles françaises de droit international privé ; qu'elle ajoute que, un recours en nullité étant toujours possible devant la cour de cassation dans la mesure où les juridictions religieuses ont commis un excès de pouvoir, ces décisions ne sont pas définitives ;

Mais considérant, ainsi que le soutient à juste titre Georges

X..., que Madeleine Y..., qui a saisi elle-même le tribunal maronite unifié d'une demande d'annulation de mariage et de dommages-intérêts et qui a obtenu entière satisfaction, est irrecevable à invoquer en France l'inopposabilité des décisions étrangères rendues à son bénéfice ;

Et considérant que, pour établir le caractère définitif de ces décisions, Georges X... produit un certificat de coutume dressé par M. Zakhia, avocat à la cour, qui indique sans être sérieusement contredit que

"Selon la procédure, la décision du tribunal maronite unifié de première instance ne peut jamais être définitive.

C'est le Tribunal Maronite d'Appel, donnant un arrêt confirmatif qui donne le caractère définitif.

Après ce stade, l'Etat accepte l'exécution de cet arrêt de caractère définitif" ;

Qu'il justifie, par la production d'un acte de divorce enregistré le 11 septembre 1996 faisant expressément référence à l'annulation du mariage par le Tribunal d'Appel Maronite et à l'exécution le 30 septembre 1996, que les autorités civiles libanaises ont accepté l'exécution des décisions des juridictions maronites ;

Que Madeleine Y... n'établit pas qu'un recours en nullité devant la cour de cassation est à tout moment possible dans la mesure où les juridictions religieuses auraient excédé leur pouvoir ; qu'au surplus, à le supposer possible, Georges X... renonce expressément dans ses conclusions à un tel recours qui ne serait vraisemblablement pas ouvert à Madeleine Y..., demanderesse et bénéficiaire des décisions des juridictions maronites

;

Que les décisions de ces juridictions étant définitives, leur efficacité internationale doit être reconnue et, par voie d'infirmation des jugements déférés, la demande en nullité du mariage formée devant la juridiction française déclarée irrecevable ; Sur l'exequatur des décisions des tribunaux maronites libanais :

Considérant qu'à titre subsidiaire, l'efficacité internationale des décisions étrangères étant reconnue, Madeleine Y... demande qu'elles soient déclarées exécutoires en France, notamment en ce qu'elles ont condamné Georges X... à lui payer une somme de vingt millions de livres libanaises ; que l'appelant, qui revendique le plein effet de ces décisions, ne s'oppose pas à cette demande ;

Considérant que l'épouse étant de nationalité libanaise (sa naturalisation française ne datant que de 1997) et le mariage ayant été célébré au Liban, le litige se rattachait d'une manière caractérisée à ce pays ; qu'il n'existe aucune compétence exclusive française en matière de nullité de mariage et que Georges X... n'invoque pas le privilège de juridiction de l'article 15 du code civil ; que les juridictions libanaises étaient donc internationalement compétentes pour statuer sur le litige, le juge français de l'exequatur n'ayant pas à connaître de la répartition interne au Liban des compétences entre les juridictions civiles et religieuses ;

Considérant que selon les règles françaises de droit international privé, les conditions de fond du mariage sont régies par la loi personnelle de chacun des époux ; que la loi française exige un

consentement plein et entier au mariage ; que l'application, par les juridictions maronites, du seul droit canon qui prohibe un consentement donné sous condition aboutit à un résultat équivalent à l'application distributive des deux lois, étant précisé que la révision au fond est interdite au juge de l'exequatur ;

Considérant que Georges X..., qui seul pourrait s'en prévaloir, n'invoque aucune violation de l'ordre public procédural ; que l'annulation d'un mariage pour défaut de consentement plein et entier ne heurte pas la conception française de l'ordre public international ; qu'enfin aucune fraude n'est démontrée ;

Que par suite l'exequatur des deux décisions doit être ordonné ; Sur l'article 700 nouveau code de procédure civile et les dépens :

Considérant que les circonstances de la cause et l'équité imposent de ne pas faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au bénéfice de l'une ou l'autre des parties ;

Que chacune d'entre elles succombant sur nombre de ses prétentions, il convient de partager les dépens de première instance et d'appel par moitié entre les parties ;

Par ces motifs, - déclare irrecevables les conclusions signifiées et déposées le 4 mai 2000 pour le compte de Georges X... ainsi que les pièces communiquées le même jour, - dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les conclusions signifiées par Madeleine Y... le 21 avril 2000 pas plus que les pièces communiquées le même jour, - rejette le moyen tiré de la péremption, - infirme les jugements déférés et statuant à nouveau, - déclare exécutoires en France le jugement du 7 février 1995 du Tribunal Maronite Unifié de Première

instance de Zouk Mosbeh (Liban) ayant annulé le mariage de Georges X... et de Madeleine Y... et condamné Georges X... à payer à Madeleine Y... une somme de vingt millions de livres libanaises ou son équivalent en dollars américains à la date de l'exécution, ainsi que l'arrêt confirmatif de la Cour d'Appel Maronite (ou Tribunal d'Appel Maronite) du 9 mai 1996, - précise qu'en cas de paiement de cette condamnation en francs français, le montant de la condamnation en monnaie étrangère devra être converti d'abord en euros puis en francs français, - déclare irrecevable l'action en nullité de mariage engagée par Georges X... devant les juridictions françaises, - rejette toute autre demande des parties, - fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties, - admet dans cette limite les avoués de la cause au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Numéro d'arrêt : 1999/20733
Date de la décision : 08/06/2000

Analyses

CONFLIT DE JURIDICTIONS - Effets internationaux des jugements - Exequatur - Conditions

Lorsque les juridictions étrangères étaient internationalement compétentes pour statuer, le juge français de l'exequatur qui n'a pas à connaître de la répartition interne dans ce pays des compétences entre juridictions doit ordonner l'exequatur notamment lorsque la loi personnelle de chacun des époux était applicable, que la décision de la juridiction étrangère aboutit à un résultat équivalent par application distributive des deux lois, lorsque la conception française de l'ordre public international n'est pas heurtée et qu'aucune fraude n'est démontrée


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2000-06-08;1999.20733 ?
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