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08/03/2000 | FRANCE | N°1999/07728

France | France, Cour d'appel de Paris, 08 mars 2000, 1999/07728


D COUR D'APPEL DE PARIS 1è chambre, section A X... DU 8 MARS 2000

(N , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 1999/07728 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 18/11/1998 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS 1ère chambre/1ère section RG n : 1998/10532 Date ordonnance de clôture : 18 Janvier 2000 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : CONFIRMATION PARTIELLE APPELANT au principal et INTIME à titre incident : MR. L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR representant l' Etat Francais dont les bureaux sont sis 207, rue de Bercy - 75572 PARIS C

EDEX 12 représenté par la SCP JOBIN, avoué assisté de Maître Jean...

D COUR D'APPEL DE PARIS 1è chambre, section A X... DU 8 MARS 2000

(N , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 1999/07728 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 18/11/1998 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS 1ère chambre/1ère section RG n : 1998/10532 Date ordonnance de clôture : 18 Janvier 2000 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : CONFIRMATION PARTIELLE APPELANT au principal et INTIME à titre incident : MR. L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR representant l' Etat Francais dont les bureaux sont sis 207, rue de Bercy - 75572 PARIS CEDEX 12 représenté par la SCP JOBIN, avoué assisté de Maître Jean-Louis LEROY, Toque G891, Avocat au Barreau de PARIS INTIMES au principal et APPELANTS à titre incident : Monsieur Y... Z... demeurant Lotissement Parans Saint-Michel - 30130 PONT SAINT ESPRIT Madame A... B... ... par la SCP VALDELIEVRE-GARNIER, avoué assistés de Maître Jean-Pierre CABANES, Avocat au Barreau de NIMES, COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré, Président : Madame Claire FAVRE C... : Monsieur Dominique GARBAN C... : Monsieur Henri LE DAUPHIN D... : A l'audience publique du 2 février 2000 MINISTÈRE PUBLIC représenté lors des débats par Madame Brigitte E..., substitut du Procureur Général qui a développé ses conclusions orales. GREFFIER : Lors des débats et du prononcé de l'arrêt : Madame Ngoc-Ngon F... X... : Contradictoire Prononcé publiquement par Madame FAVRE, Président, laquelle a signé la minute avec Madame F..., Greffier - * * *

Le 2 janvier 1986, M. Z... Y..., titulaire de 90% des actions représentant le capital de la société Coq Gard, ayant pour objet social "l'achat, la vente, la transformation et la commercialisation d'oeufs et de produits de basse-cour", a cédé ses titres à la société

coopérative agricole du Gouessant. A la même date, M. Michel G... a été nommé président du conseil d'administration.

Postérieurement à cette cession de contrôle, M. Y... a exercé les fonctions de cadre commercial au sein de la société Coq Gard, Mme B... A... étant, quant à elle, employée en qualité de comptable.

En novembre 1987, le commissaire aux comptes de la société Coq Gard a dénoncé au parquet des faits d'entrave à l'exercice de ses fonctions par les dirigeants de la société, laquelle a été mise en liquidation judiciaire en décembre 1987.

Une information judiciaire, ouverte en novembre 1987, a conduit à la mise en examen de M. Y... et Mme A..., ainsi que de MM. Michel G..., Yves Denis, Jean-Paul Cros et Gérard Auger

Respectivement renvoyés devant le tribunal correctionnel de Nîmes sous les préventions d'escroquerie, d'abus de biens sociaux et de pouvoirs, de publication de faux bilan, de faux en écriture privée et usage, de banqueroute et de complicité de banqueroute, de publication de faux bilan, de faux et usage de faux et d'abus de biens sociaux, M. Y... et Mme A... ont été relaxés par jugement du 29 novembre 1996, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 12 décembre 1997.

MM. Denis, Cros et Auger étaient également renvoyés des fins des poursuites les concernant tandis que M. G..., relaxé du chef d'abus de biens sociaux, était déclaré coupable du délit d'entrave aux vérifications ou contrôles des commissaires aux comptes et condamné à la peine de 10.000 francs d'amende avec sursis.

Par acte du 9 avril 1998, M. Y... et Mme A..., faisant valoir que la responsabilité de l'Etat était engagée sur le fondement de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, tant pour

déni de justice qu'à raison des fautes lourdes commises à l'occasion de la procédure ci-dessus visée, ont assigné l'agent judiciaire du Trésor devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par jugement du 18 novembre 1998, le tribunal, après avoir estimé que le délai de règlement du dossier d'instruction par le ministère public ne pouvait être tenu pour raisonnable, de sorte que le responsabilité de l'Etat se trouvait engagée pour déni de justice, a condamné l'agent judiciaire du Trésor à payer, à titre de dommages-intérêts, à M. Y... la somme de 50.000 francs et à Mme A..., celle de 20.000 francs, une indemnité de 15.000 francs leur étant, en outre, allouée en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La cour ;

Vu l'appel formé par l'agent judiciaire du Trésor à l'encontre de cette décision ;

Vu les conclusions en date du 29 novembre 1999 par lesquelles l'appelant, poursuivant la réformation du jugement déféré, demande à la cour, à titre principal, de débouter M. Y... et Mme A... de toutes leurs demandes et, à titre subsidiaire, de réduire le montant des indemnités allouées par les premiers juges ;

Vu les conclusions en date du 23 septembre 1999 par lesquelles M. Y... et Mme A..., intimés et appelants incidemment, demandent à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que l'Etat avait engagé sa responsabilité pour déni de justice et en sa dispositions relative à l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - de le réformer en ce qu'il a rejeté leurs demandes tendant à la

réparation du préjudice causé par les fautes lourdes commises au stade de l'instruction, à celui du règlement du dossier et à celui du jugement ordonnant une expertise,

- de condamner l'appelant à payer, à titre de dommages-intérêts :

. à M. Y..., la somme de 400.000 francs au titre de son préjudice matériel (constitution d'un dossier en défense et honoraires d'avocats) et celle de 900.000 francs au titre de son préjudice moral,

. à Mme A..., la somme de 450.000 francs,

- de condamner l'agent judiciaire du Trésor à payer, à chacun d'eux, la somme de 15.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

SUR CE :

Sur le déni de justice :

Considérant que toute personne accusée d'une infraction a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable ; que la méconnaissance de ce droit, constitutive d'un déni de justice au sens de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, oblige l'Etat à réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ;

Considérant que l'existence d'un tel déni de justice s'apprécie à la lumière des circonstances propres à chaque espèce ; qu'il y a lieu, en particulier, de prendre en considération la nature de l'affaire, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure, et les mesures mises en oeuvres par les autorités compétentes ;

Considérant que la procédure pénale visant M. Y... et Mme A..., a été ouverte par un réquisitoire du ministère public en date du 9 novembre 1987 ; que le juge d'instruction ayant communiqué la procédure au procureur de la République, aux fins de règlement, le 20

juin 1991, le réquisitoire tendant au renvoi des prévenus devant le tribunal correctionnel est intervenu le 17 novembre 1993 ; que saisi par ordonnance de renvoi du magistrat instructeur du 24 novembre 1993, le tribunal correctionnel a statué sur le fond le 29 novembre 1996 ; que le jugement, renvoyant les prévenus des fins de la poursuite, a été confirmé, sur appel de la partie civile et du ministère public, par un arrêt du 12 décembre 1997 ;

Considérant que selon l'agent judiciaire du Trésor, la "durée globale de la procédure ne peut être considérée comme constituant un déni de justice", dès lors qu'il s'agissait d'une affaire complexe, 8 infractions de nature financière étant visées par l'information et 6 personnes ayant été mises en examen ;

Mais considérant que cette appréciation est contredite par les constatations et énonciations, ci-après mentionnées, du jugement du 29 novembre 1996 et de l'arrêt confirmatif du 12 décembre 1997 ; qu'il suffit ici de relever que l'arrêt précité retient que le réquisitoire définitif de règlement, dont la rédaction a demandé 29 mois, "se révèle être largement le reflet de l'argumentaire du rapport de synthèse établi par les enquêteurs de la gendarmerie de Bagnols sur Cèze" ;

Considérant qu'il n'est pas établi, ni même allégué, qu'un quelconque retard soit imputable au comportement des personnes poursuivies ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les intimés sont fondés à soutenir que la durée de la procédure pénale suivie à leur encontre a dépassé les limites d'un délai raisonnable et qu'il y a eu déni de justice ;

Sur les fautes lourdes :

Considérant que les pièces soumises à l'appréciation de la cour ne sont pas de nature à établir que des fautes revêtant la qualification requise par l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire

aient été commises à l'occasion de l'instruction préparatoire ou de l'activité du ministère public ; que s'il est vrai que le réquisitoire définitif, reproduit par l'ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement, use pour décrire le comportement prêté à M. Y... de termes parfois vulgaires, ceux-ci ne peuvent être regardés comme ostensiblement injurieux et ne sont pas révélateurs de la mauvaise foi ou de l'animosité personnelle de ceux qui les ont utilisés ;

Considérant, en revanche, que les intimés sont fondés à soutenir que la décision du tribunal correctionnel de recourir, avant dire droit, à une "expertise financière et comptable" est constitutive d'une faute lourde engageant la responsabilité de l'Etat, ladite décision étant la manifestation d'une grave déficience dans l'exercice de la fonction juridictionnelle ;

Considérant, en effet, qu'une telle mesure, prescrite le 17 juin 1994, soit plus de six années après l'ouverture de la procédure pénale, ne pouvait que retarder notablement l'issue de cette procédure et ce sans justification acceptable dès lors qu'il était avéré que la comptabilité de la société Coq Gard avait en grande partie disparu dans des circonstances indéterminées et que l' expertise, laquelle a donné lieu, le 3 mai 1996, au dépôt d'un rapport succinct, proche d'un constat de carence, devait être tenue pour inutile en l'état d'un dossier vide de charges sérieuses ;

Considérant, sur ce dernier point, qu'il résulte des constatations du jugement sur le fond du tribunal correctionnel et de l'arrêt de la cour d'appel, relatives à l'incrimination d'escroquerie, qu'il n'existait aucun élément propre à établir que l'acquisition des actions de la société Coq Gard par la société coopérative du Gouessant, laquelle voulait "impérativement" s'implanter dans le sud de la France, avait été déterminée par des manoeuvres frauduleuses du

cédant et que les autres chefs de la prévention visant Z... Y... - et par voie de conséquence B... A... - n'étaient pas plus sérieusement étayés, en droit et en fait ;

Sur le préjudice :

Considérant que M. Y... a subi à raison du fonctionnement défectueux du service de la justice, ci-dessus caractérisé, un préjudice matériel lié à l'augmentation anormale des frais exposés pour sa défense ;

Qu' il justifie, en outre, de la réalité du préjudice moral invoqué ; Qu'en effet, il résulte des attestations rédigées par MM. H..., Berthet-Pilon et Raynaud (officier de gendarmerie) et des certificats médicaux produits par M. Y... que la prolongation, pendant neuf années, de la procédure pénale le concernant a eu un grave retentissement sur son comportement et son état de santé, l'obsession du procès en cours ayant entraîné un état dépressif et des troubles de nature psychosomatique ;

Que la réparation, en tous ses éléments, du dommage souffert par cette partie appelle l'allocation d'une indemnité de 350.000 francs ; Considérant, s'agissant de Mme A..., qu'il ressort des pièces produites (attestations et certificat médical), que celle-ci a subi, à raison de la durée anormale de la procédure, une tension psychologique constitutive d'un préjudice qui sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 80.000 francs ;

Considérant, enfin, qu'il convient d'allouer, à chacun des intimés, au titre de l'instance d'appel, la somme de 10.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de

procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement rendu entre les parties, le 18 novembre 1998, par le tribunal de grande instance de Paris, sauf en ce qu'il a fixé à 50.000 francs et à 20.000 francs le montant des indemnités respectivement allouées à M. Z... Y... et à Mme B... A... ; Le réformant de ce chef et statuant à nouveau :

Condamne l'Agent judiciaire du Trésor à payer, à titre de dommages-intérêts, à M. Y... la somme de 350.000 francs et à Mme A... celle de 80.000 francs ;

Le condamne en outre à payer, à chacun d'eux, la somme de 10.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande ;

Laisse les dépens d'appel à la charge du Trésor public et dit qu'ils pourront être recouvrés dans les conditions prévues à l'article 699 du même Code. Le Greffier

Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Numéro d'arrêt : 1999/07728
Date de la décision : 08/03/2000

Analyses

ETAT - Responsabilité - Fonctionnement défectueux du service de la Justice - Activité juridictionnelle - Conditions - Faute lourde ou déni de justice - Définition - /

Toute personne accusée d'une infraction a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. La méconnaissance de ce droit, constitutive d'un déni de justice au sens de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, oblige l'Etat à réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. L'existence d'un tel déni de justice s'apprécie à la lumière des circonstances propres à chaque espèce. Il y a lieu, en particulier, de prendre en considération la nature de l'affaire, le comportement de la partie qui se plaint de la durée de la procédure, et les mesures mises en oeuvre par les autorités compétentes. Alors qu'il n'est pas établi, ni même allégué, qu'un quelconque retard soit imputable au comportement des personnes poursuivies, la durée de dix années d'une procédure pénale, dont vingt-neuf mois se sont écoulés pour la seule rédaction du réquisitoire définitif qui se révélait, pourtant, être largement le reflet de l'argumentaire du rapport de synthèse établi par les enquêteurs, dépasse les limites d'un délai raisonnable et caractérise un déni de justice


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.paris;arret;2000-03-08;1999.07728 ?
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