COUR D'APPEL DE PARIS 3è chambre, section C ARRET DU 3 MARS 2000
(N , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 1999/09268 Décision dont appel : Jugement rendu le 04/03/1999 par le TRIBUNAL DE COMMERCE de BOBIGNY - 5ème Chambre - RG n : 1999/00130 (M. RELANGE, juge présidant l'audience) LOI DU 25 JANVIER 1985 Date ordonnance de clôture : 14 janvier 2000 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : REFORMATION APPELANTE : La Société DE X... FRANCE SARL ayant son siège ROISSY CHARLES DE GAULLE 13, rue de la Perdrix BP 40065 93290 TREMBLAY EN FRANCE agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège représentée par la SCP TEYTAUD, avoué assistée de Maître Nathalie VERSPIEREN, avocat substituant Maître GOEDERT Claude, avocat du barreau de Lille INTIME : Monsieur Y... Z... né le 22 décembre 1954 à WAMBRECHEIES demeurant 13 rue de la République 60810 VILLIERS ST FRAMBOURG représenté par la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, avoué assisté de Maître FUHRER Jean-Albert, avocat du barreau d'ANGERS COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré : PRESIDENT :
Monsieur ALBERTINI A... :
Madame B... C... et Monsieur CARRE-PIERRAT D... : A l'audience publique du 20 janvier 2000 GREFFIER :
Lors des débats et lors du prononcé de l'arrêt : Madame FALIGAND B... dossier a été communiqué au Ministère public ARRET : Contradictoire- prononcé publiquement par Monsieur ALBERTINI, Président lequel a signé la minute avec Madame FALIGAND, greffier au prononcé de l'arrêt. -*-*-*-*-*-
La société à responsabilité DE X... FRANCE est appelante d'un jugement, rendu le 4 mars 1999 par le tribunal de commerce de
Bobigny, qui fait droit à la demande d'expertise de gestion, présentée par Monsieur Z... Y... et désigne, "avant dire droit", Monsieur Paul E..., à titre d'expert, avec la mission définie au dispositif de la décision.
Vu les dernières conclusions déposées le 6 janvier 2000 par la société DE X... France, appelante, tendant à obtenir au principal la réformation de cette décision, le rejet de toutes les demandes de Monsieur Y... et la condamnation de celui-ci au paiement de la somme de 30.000 francs par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, subsidiairement, en cas de confirmation, le donné acte de ses plus expresses protestations et réserves.
Vu les dernières conclusions en date du 17 décembre 1999 par lesquelles Monsieur Z... Y..., intimé, demande à la Cour de déclarer l'appel irrecevable et en tous cas mal fondé, de confirmer le jugement déféré, sauf en ce qu'il a mis à sa charge l'avance des frais d'expertise, sollicitant à cet égard que les frais de l'expert soient, en application de l'article 64-2 alinéa 3 de la loi du 24 juillet 1966, supportés par la société DE X... France, de condamner l'appelante à lui payer une somme de 30.000 francs en remboursement de ses frais non compris dans les dépens.
SUR CE, LA COUR
Considérant que la société DE X... France (DGF), filiale en France de la société BONNETERIE DE X... Belgique (DGB), a été créée au mois de mai 1992 avec pour activité la vente en gros de produits textiles auprès de la grande distribution; qu'elle était, comme la société belge, dirigée par Monsieur Stanislas De X...;
Considérant qu'avant l'augmentation, votée en assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 1998, son capital social d'un million
de francs était réparti comme suit:
- Monsieur Z... Y... 20%
- Monsieur Stanislas De X..., 30%
- BONNETERIE DE X... Belgique 50%
Considérant que Monsieur Y..., qui a participé à la fondation de cette société, en a, dès l'origine, été nommé directeur commercial; qu'il a fait l'objet d'une mesure de licenciement au mois de novembre 1997;
Considérant que constatant l'existence de pertes importantes subies par la société DGF au cours de l'exercice 1997 par rapport à l'exercice précédent, pertes de nature à révéler des fautes de la gérance, Monsieur Y... a, par assignation du 13 octobre 1998, saisi le tribunal de commerce de Bobigny sur le fondement des articles 64-2 de la loi du 24 juillet 1966 et 44-4 du décret du 23 mars 1967 et obtenu la décision aujourd'hui frappée d'appel;
Sur la recevabilité de l'appel:
Considérant que Monsieur Y... excipe de l'irrecevabilité de l'appel, s'agissant d'un jugement "avant dire droit" déféré à la Cour sans autorisation du premier président, en contravention aux dispositions de l'article 272 du nouveau code de procédure civile;
Mais considérant qu'en faisant droit à la demande d'expertise, présentée en vertu des articles précités, le tribunal a vidé sa saisine; qu'il n'importe que le jugement ait été improprement qualifié d'avant dire droit par les premiers juges, que l'article 272 est inapplicable et que l'appel de la société DGF est recevable;
Sur le mérite de la demande:
Considérant que relevant l'existence d'un déficit de plus de 9 millions de francs pour l'exercice 1997 contre un bénéfice de 1,5 millions de francs lors de l'exercice précédent, Monsieur Y... soutient que cet effondrement des résultats de près de onze millions
de francs met en cause la gestion saine et régulière de DGF ainsi que sa pérennité; qu'il sollicite, en conséquence, expertise comportant la mission suivante:
enquêter sur la réalité, l'adéquation et la légitimité des frais facturés par la société DGB à la société DGF depuis sa création (marge brute de 20%, frais de port sur achats et ventes, frais de personnel, frais de dessin),
enquêter sur la politique de paiement adoptée par la société DGF au profit de la société DGB, concernant les achats et les frais précités, et dire si celle-ci était conforme à l'intérêt social de la filiale française,
enquêter sur les raisons des résultats affichés par DGF, à tout le moins, pour les exercices 1996 et 1997, ce au regard:
[* de la politique de taux de change adoptée de concert par les sociétés belge et française à l'égard des fournisseurs étrangers,
*] de la politique adoptée pour la gestion des comptes courants et des avoirs clients de la société DGF,
enquêter sur les raisons des retards de convocation aux assemblées générales ordinaires pour les exercices 1996 et 1997;
Considérant que la juridiction saisie d'une demande d'expertise de gestion n'est tenue de l'ordonner que si elle relève des présomptions d'irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées;
Considérant que les parties s'accordent pour reconnaître que dès la création de la filiale française, la société DGB a, sur instructions de la société DGF, été chargée de faire fabriquer les modèles, de procéder à l'achat de ces exemplaires en grande quantité, essentiellement auprès de sous-traitants étrangers et en particulier en Extrême Orient et d'assurer la logistique de la société DGF dans son intégralité, c'est à dire aussi bien le transport depuis le
fabricant jusqu'aux entrepôts de la société DGB que la livraison depuis cette dernière vers les propres clients de la société DGF;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la société belge refacture les marchandises à sa filiale sur la base d'un prix reconstitué, auquel est ajoutée une marge brute de 25% ainsi que certains autres frais tels que des frais de port, de personnel, de dessins;
Considérant que Monsieur Y... estime cette marge anormalement élevée et préjudiciable aux intérêts de la société DGF et à ses propres intérêts en tant qu'associé minoritaire, en ce qu'elle aboutit à minorer les bénéfices réalisés par la dite société; qu'il soutient que, compte tenu des montants en cause, il est légitime de soupçonner que cette façon d'opérer n'est pas saine et régulière; qu'il présente la même observation en ce qui concerne les autres frais supportés par la société DGF;
Mais considérant que les critiques ainsi formulées par Monsieur Y..., loin de se rapporter à une ou plusieurs opérations de gestion déterminées, tendent, par leur caractère général, à la remise en cause de la politique commerciale de groupe suivie par la société mère DGB à l'égard de sa filiale française;
qu'il n'est pas, en outre, sans intérêt, de constater que les relations entre les deux sociétés, aujourd'hui incriminées, n'ont pas varié depuis l'origine et qu'elles n'avaient, jusqu'en 1997, fait l'objet d'aucune protestation de la part de Monsieur Y... lequel, en sa qualité de directeur commercial, en connaissait nécessairement l'existence;
Considérant que ce premier grief n'est, en conséquence, pas de nature à justifier l'expertise de gestion sollicitée par Monsieur Y...; Considérant qu'il en est de même du reproche articulé par Monsieur
Y... selon lequel la société DGF aurait accepté de manière suspecte de régler immédiatement les factures de la société DGB alors qu'elle aurait pu bénéficier de l'usage commercial permettant le règlement des factures à 90 jours fin de mois, et recueillir les produits financiers tirés du placement de sa trésorerie sans s'obliger à recourir à l'escompte avec les frais financiers qui en résultent;
Qu'en effet, à supposer démontrée la réalité de cette pratique, il apparaît que ce grief, comme le précédent, vise à incriminer, non une ou plusieurs opérations de gestion précises, mais, de manière générale, la politique de paiement adoptée entre les deux sociétés mère et filiale;
Considérant que Monsieur Y... expose encore que les entreprises du secteur auquel appartiennent les sociétés De X... font appel, pour la fabrication de leurs marchandises, à des fournisseurs étrangers payés en devises, notamment en dollars américains et en dollars hong-kongais, et doivent se prémunir contre les conséquences de la variation des taux de change;
Qu'il reproche à Monsieur De X... de ne pas avoir, au cours des exercices 1996 et 1997, pris les dispositions adéquates afin d'assurer la couverture à terme du risque de change, manquement qui a entraîné les pertes importantes subies par la société DGF;
Mais considérant que la société DGF reconnaît que le déficit enregistré par elle en dépit d'une augmentation substantielle de son chiffre d'affaires est à imputer, ainsi qu'il résulte du rapport de gérance relatif à l'exercice 1997, à la réalisation dudit risque de change, puisque les achats à terme ont été passés pour un dollar de 6,20 F alors que le dollar a, par la suite, baissé et que la couverture a été prise au plus mauvais moment; qu'il n'y a donc pas
lieu à expertise de ce chef;
Considérant enfin que les griefs relatifs tant à la tenue de la comptabilité (gestion des comptes courants et avoirs clients) qu'au retard de convocation et tenue des assemblées générales destinées à approuver les comptes des exercices 1996 et 1997 ne se rapportent pas à des opérations de gestion au sens des textes visés;
D'où il suit que l'expertise demandée par Monsieur Y... n'a pas lieu d'être ordonnée;
Considérant que l'équité commande d'allouer à l'appelante, au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, une indemnité de 30.000 francs;
PAR CES MOTIFS
Déclare l'appel recevable et bien fondé,
Réforme en conséquence la décision déférée et statuant à nouveau:
Déboute Monsieur Z... Y... de toutes ses demandes,
B... condamne à payer à la société DGF la somme de 30.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
B... condamne aux dépens de première instance et d'appel et admet la scp Teytaud, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du même code. B... GREFFIER, B... PRESIDENT,