COUR D'APPEL DE PARIS 2ème chambre, section B ARRET DU 18 NOVEMBRE 1999
(N , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 1998/04776 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 10/12/1997 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de FONTAINEBLEAU - RG n :
1995/01690 Date ordonnance de clôture : 7 Octobre 1999 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision : REFORMATION APPELANTE : L' A.R.C. ASSOCIATION POUR LA RECHERCHE SUR LE CANCER prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 16 avenue Paul VAILLANT COUTURIER 94800 - VILLEJUIF représentée par Maître HUYGHE, avoué assistée de Maître VIVES, avocat INTIMES : L'A.P.F. ASSOCIATION DES PARALYSES DE FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège17 Bld Auguste Blanqui 75013 - PARIS Le C.N.R.S. CENTRE NATIONAL DE LA RECHERHC SCIENTIFIQUE pris en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 3 rue Michel ANGE 75794 PARIS CEDEX 16 intervenant pour son établissement :
L'INSTITUT DE RECHERCHES SCIENTIFIQUES SUR LE CANCER "I.R.S.C." Dont le siège est 7 rue Guy MOCQUET 94800 VILLEJUIF représentés par la SCP BERNABE-RICARD, avoué assistés de Maître BRIERE, avocat L'INSTITUT GUSTAVE ROUSSY pris en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 39, rue Camille DESMOULINS 94805 VILLEJUIF CEDEX représenté par la SCP LECHARNY-CHEVILLER, avoué assisté de Maître COIGNARD, avocat La RECHERCHE MEDICALE DE L'INSTITUT PASTEUR prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 28 rue du Dr ROUX 75424 PARIS CEDEX 15 n'ayant pas constitué avoué COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats et du délibéré : PRESIDENT : Madame KAMARA CONSEILLER : Madame SCHOENDOERFFER CONSEILLER : Monsieur LAURENT-ATTHALIN DEBATS : A l'audience publique du 21 OCTOBRE 1999 GREFFIER (Lors des débats et du prononcé de l'arrêt) Madame FLOTTERER ARRET Réputé Contradictoire . Prononcé publiquement par Madame KAMARA ,
Président, laquelle a signé la minute avec Madame FLOTTERER , Greffier.
Odette X... veuve Y... , née le x xxxxxxxxx à Sens (Yonne), est décédée le xxxxxxxxxxxxxxx à Varennes sur Seine, sans héritier réservataire, laissant un testament olographe en date du 10 octobre 1983 par lequel elle a légué tous ses biens meubles et immeubles à : "1 = La recherche médical institut Pasteur
2 = Ã l'institut de Villejuif pour la lutte contre le
cancer
3 = aux Handicapes paralyses et sportifs".
Aux termes d'un jugement du 13 décembre 1995, le tribunal de grande instance de Fontainebleau a ordonné que la part du legs de Mme Y... destinée "à l'Institut de Villejuif pour la lutte contre le cancer" soit attribuée pour moitié à l'INSTITUT GUSTAVE ROUSSY et pour moitié au CNRS représentant l'INSTITUT DE RECHERCHES SUR LE CANCER.
Statuant à la fois sur l'assignation de l'ASSOCIATION DES PARALYSES DE FRANCE (A.P.F.) et sur la tierce opposition de l'ASSOCIATION POUR LA RECHERCHE SUR LE CANCER (ci-après A.R.C.) à l'encontre de la décision précitée, le tribunal de grande instance de Fontainebleau a, par jugement du 10 décembre 1997 :
- ordonné que la part du legs de Mme Y... destinée aux "Handicapés paralysés et Sportifs" soit attribuée à l'A.P.F. ;
- envoyé cette association en possession ;
- déclaré recevable mais mal fondée l'action de l'A.R.C. ;
- maintenu en toutes ses dispositions le jugement du 13 décembre 1995 ;
- condamné l'A.R.C. aux dépens.
[*
L'A.R.C. poursuit l'infirmation de ce jugement en demandant à la Cour de la déclarer seule bénéficiaire du legs institué par Mme Y... dans son testament olographe du 10 octobre 1983 en faveur de "l'institut de Villejuif pour la lutte contre le cancer", motifs pris de ce que :
*] les termes utilisés dans ledit testament ne correspondent exactement à aucun des organismes en cause ;
[* partager en deux le legs, alors que la testatrice n'a désigné qu'un seul organisme, revient à dénaturer sa volonté ;
*] l'ancienne désignation de l'association était "Association pour le Développement de l'Institut du Cancer à Villejuif" ;
[* le terme "institut" écrit en minuscules démontre que la défunte n'attachait pas une signification particulière à ce mot qui, sous sa plume, était banalisé, étant observé que la confusion sur la forme juridique de l'organisme qu'elle entendait désigner se conçoit chez une personne de son âge ;
*] l'association est elle-même l'un des plus grands acteurs de la lutte contre le cancer grâce à l'attribution de fonds auquel elle procède en faveur des chercheurs ;
[* les éléments extrinsèques d'interprétation corroborent en l'occurrence l'interprétation intrinsèque du testament litigieux, puisque Mme Y... avait, de son vivant, régulièrement adressé des dons à l'association et qu'elle avait donc estimé l'avoir suffisamment désignée dans son écrit.
*]
L'INSTITUT GUSTAVE ROUSSY conclut à la confirmation du jugement entrepris, alléguant que le terme "institut" signifie un organisme oeuvrant directement pour la lutte contre le cancer, tandis que l'A.R.C. n'est pas un institut mais une association qui collecte les fonds et les redistribue en partie à la recherche contre le cancer, que le rôle d'intermédiaire n'est pas indispensable lorsque des fonds peuvent être directement affectés à des utilisateurs conformes aux voeux du donateur, que les termes choisis par Mme Y... mettent en évidence la volonté de désigner un institut situé à Villejuif et chargé de lutter contre le cancer, qu'en ce qui concerne les éléments extrinsèques, l'existence de vingt-cinq dons opérés par la défunte au profit de l'A.R.C. démontre que celle-ci connaissait parfaitement la dénomination de l'association de sorte que, si elle avait voulu la favoriser, elle aurait rectifié son testament et qu'à défaut de l'avoir fait, elle entendait que ce fût un autre établissement que l'A.R.C. qui bénéficiât de son legs, qu'enfin, il correspond lui-même exactement à l'intention libérale de Mme Y... puisqu'il est un organisme actif de lutte contre le cancer ayant un important service de recherches, soignant les malades et les faisant bénéficier des derniers progrès de la recherche.
*
Le CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE (C..N.R.S.), intervenant pour l'INSTITUT DE RECHERCHES SCIENTIFIQUES SUR LE CANCER (I.R.S.C.), prie la Cour de confirmer la décision entreprise, faisant valoir des moyens comparables à ceux de l'INSTITUT GUSTAVE ROUSSY et ajoutant essentiellement que l'étude de terminologie utilisée par la rédactrice du testament permet de définir son intention réelle, sans qu'il soit besoin de se référer à des éléments extrinsèques, que les
termes mêmes employés par Mme Y... suffisent à éclairer sa volonté de privilégier un organisme ayant une activité directe et exclusive en matière de recherche sur le cancer, et que tel est le cas de l'institut géré par le C.N.R.S..
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L'ASSOCIATION DES PARALYSES DE FRANCE sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
CELA ETANT EXPOSE,
LA COUR,
Considérant que lorsque les termes employés par un testateur pour léguer tout ou partie de ses biens à un organisme ne correspondent pas exactement à la dénomination d'une entité existante, il convient d'interpréter sa volonté tant à l'aide des énonciations du testament qu'au moyen d'éléments extrinsèques susceptibles de permettre de définir précisément son intention ;
Considérant qu'en l'espèce, Mme Y... a légué tous ses biens meubles et immeubles notamment "à l'institut de Villejuif pour la lutte contre le cancer" ;
Considérant que cette désignation n'est pas celle des parties à la présente procédure, non plus au demeurant que celle d'aucun autre organisme existant à ce jour ; qu'il convient donc d'interpréter la volonté de la testatrice ;
Considérant, en ce qui concerne les éléments intrinsèques du testament, qu'en premier lieu, il résulte des termes par elle employés que Mme Y... a entendu désigner un seul organisme dédié à la lutte contre le cancer ayant son siège à Villejuif, et non plusieurs concomitamment ;
Qu'en deuxième lieu, le fait que la testatrice ait utilisé une lettre initiale minuscule pour le mot "institut" démontre qu'elle ne désignait pas un organisme donné sous sa dénomination précise, mais une entité consacrant son activité à la lutte contre le cancer ; que, par suite, il n'était pas exclu que cette mention s'appliquât à une association, alors surtout que Mme Y... , presque octogénaire lors de l'établissement de ses dernières volontés, a pu aisément confondre les deux termes d'institut et d'association, et ce, d'autant plus que la dénomination de l'appelante était, jusqu'en 1966, "ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT DE L'INSTITUT DU CANCER A VILLEJUIF" ;
Qu'en troisième lieu, les mentions du testament n'exigent pas, contrairement à ce que soutiennent les intimés, que l'organisme légataire réalise lui-même les recherches relatives à la prévention et au traitement du cancer, mais seulement qu'il mette en oeuvre les moyens de lutte contre cette maladie ;
Considérant que ces seuls éléments intrinsèques ne suffisant pas Ã
déterminer avec certitude et précision l'intention de la défunte, il y a lieu de se référer aux éléments extrinsèques susceptibles de la définir ;
Qu'il est établi qu'alors qu'elle venait de rédiger son testament, courant octobre 1983, Mme Y... a, dès le 2 mai 1984 et jusqu'au 26 octobre 1992, opéré en faveur de l'A.R.C., au sein de laquelle un dossier a été créé à son nom sous le numéro 12936241, vingt cinq dons d'un montant de 350 F à 1.000 F (à l'exception d'un don de 20 F complétant un don de 980 F effectué le même jour) ;
Qu'il en ressort que, dans l'esprit de la testatrice, "l'institut de Villejuif pour la lutte contre le cancer" était l'A.R.C., précision étant apportée que la défunte n'a manifesté aucun intérêt au profit d'un quelconque autre organisme ;
Qu'il doit être relevé à cet égard, que l'appelante, qui collecte des sommes importantes provenant notamment de dons et legs, participe effectivement à la lutte contre le cancer en finançant des équipements ainsi que des programmes de recherche et en redistribuant des fonds aux chercheurs, ces divers financements s'étant élevés, de 1996 à 1998, à plus de 500 millions de francs ;
Qu'enfin, il sera observé, à titre surabondant, que la Cour ne peut qu'interpréter la volonté réelle de la testatrice, et non déterminer s'il est plus avantageux pour la lutte contre le cancer de remettre le legs litigieux directement aux organismes pratiquant eux-mêmes la recherche, sans l'intermédiaire de l'association appelante ;
Considérant qu'il suit de l'ensemble de ces éléments que Mme
MOUILLOIX a entendu léguer ses biens à l'A.R.C., concurremment avec l'A.P.F. et l'INSTITUT PASTEUR ;
Considérant qu'il convient, en conséquence, réformant le jugement déféré en ses chefs entrepris, de rétracter le jugement du 13 décembre 1995 et de dire que le legs en cause doit être attribué à l'A.R.C. ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en faveur de l'A.P.F. ;
Considérant que les dépens afférents à la présente instance seront employés en frais de succession, une telle mesure étant incompatible avec leur distraction ;
PAR CES MOTIFS,
Réforme le jugement déféré en ce qu'il a débouté l'A.R.C. de son action, maintenu en toutes ses dispositions le jugement du 13 décembre 1995 et condamné l'A.R.C. aux dépens ;
Statuant à nouveau,
Rétracte le jugement du tribunal de grande instance de Fontainebleau du 13 décembre 1995 ;
Dit que le legs fait par Mme Y... "à l'institut de Villejuif pour la lutte contre le cancer" doit être attribué à l'A.R.C. ;
Rejette toute autre prétention ;
Ordonne l'emploi des dépens de première instance et d'appel en frais privilégiés de succession. LE GREFFIER,
LE PRESIDENT,