COUR D'APPEL DE PARIS 16ème chambre, section B ARRET DU 15 OCTOBRE 1999
(N , 10 pages) Numéro d'inscription au répertoire général :
1998/20335 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 18/06/1998 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS (Chambre des Loyers Commerciaux) RG n : 1996/07946 Date ordonnance de clôture : 2 Septembre 1999 Nature de la décision : CONTRADICTOIRE Décision :
CONFIRMATION APPELANTE : S.A. NINA RICCI PARFUMS prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 17 rue François 1er 75008 PARIS représentée par la SCP DUBOSCQ-PELLERIN, avoué assistée de Maître OLIVIER BEJAT, Toque P209, Avocat au Barreau de PARIS, de la SCP LAFARGE-FLECHEUX INTIMEE : S.A.R.L. IMMOBILIERE DU 17 RUE FRANCOIS 1ER prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 112 avenue Kléber 75116 PARIS représentée par Maître HUYGHE, avoué assistée de Maître FRANCOIS ROUX, Toque K112, Avocat au Barreau de PARIS, (SELAFA CLIFFORD CHANCE) COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré PRESIDENT :
A.F. PASCAL CONSEILLER :
C. LE BACON CONSEILLER : M. PROVOST-LOPIN DEBATS : A l'audience publique du 10 septembre 1999 GREFFIER : Lors des débats et du prononcé de l'arrêt M.F. MEGNIEN ARRET : Contradictoire Prononcé publiquement, par A.F. PASCAL, Président, laquelle a signé la minute avec M.F. MEGNIEN, Greffier.
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Et après avoir entendu Madame le Président PASCAL en son rapport oral.
Par acte du 23 juillet 1993, la SARL Société Immobilière du 17 rue François 1er (ci-après la société immobilière ou la société bailleresse) a loué à la société NINA RICCI PARFUMS SA (ci-après NINA
RICCI), pour une durée de douze ans à compter du 1er janvier 1993, des locaux situés à cette adresse essentiellement composés de bureaux, à l'exception du rez-de-chaussée affecté à l'usage de boutique, moyennant un loyer de 8 000 000 F en principal annuel hors taxes, TVA en plus.
A la suite d'une demande de révision en date du 12 janvier 1996, la société locataire a indiqué qu'elle demandait la fixation du loyer à la somme de 6 000 000 f HT en principal annuel, somme correspondant à la valeur locative selon expertise privée de M. JACOTEY.
La société propriétaire s'étant opposée à la demande en l'absence de preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une modification de plus de 10 % de la valeur locative, la chambre des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris, par jugement avant dire droit du 9 décembre 1996, a désigné M. X... en qualité d'expert.
Dans un rapport du 12 septembre 1997, l'expert a d'une part estimé la valeur locative annuelle des locaux au 12 janvier 1996 à la somme de 6 788 614 francs alors que le dernier loyer était de 8 215 554 francs et d'autre part dit n'avoir constaté, pendant la période du 1er janvier 1993 au 12 janvier 1996, aucune modification notable ou matérielle des facteurs locaux de commercialité.
Par jugement du 18 juin 1998, pris aux motifs essentiels que, la valeur locative se situant en dehors des limites définies par les prix plafond/plancher constitués par le dernier loyer en vigueur et le prix fixé en fonction de la variation des indices, il appartenait à la société locataire désireuse de voir fixer le loyer à la valeur
locative d'établir, en application de l'article 27 du décret du 30 septembre 1953, l'existence d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de 10 % de la valeur locative et qu'en l'espèce une telle preuve n'était pas rapportée, le tribunal a : - débouté la société NINA RICCI de toutes des demandes, - rejeté toutes autres demandes, - ordonné l'exécution provisoire, - condamné la société NINA RICCI aux dépens.
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Appelante de ce jugement dont elle poursuit l'infirmation, la société NINA RICCI demande à la cour, dans des conclusions conformes au décret du 28 décembre 1998, vu les articles 23 et 27 du décret du 30 septembre 1953, de : - dire que la valeur locative des locaux loués s'élève à la somme de 5 801 946 francs en principal et par an, - fixer le loyer révisé à la date du 12 janvier 1996, en principal et par an, à cette somme correspondant à la valeur locative à cette date compte tenu des charges exorbitantes du bail, - éventuellement, en ce qui concerne la pondération des locaux, organiser un transport sur les lieux ou désigner un expert tiers pour donner son avis compte tenu des divergences d'appréciation entre les deux experts, - subsidiairement, ramener à compter du 12 janvier 1996 le montant du loyer principal hors taxes et hors charges à 8 000 000 francs, - condamner la société bailleresse au paiement des intérêts au taux légal sur les sommes trop versées à compter du mémoire en fixation du prix du loyer révisé contenant la demande, - condamner la société bailleresse, outre aux entiers dépens, à lui verser, au titre des frais irrépétibles, la somme de 40 000 francs pour la procédure de première instance et celle de 40 000 francs pour la procédure d'appel.
Elle soutient, en faisant une analyse détaillée de la jurisprudence et de la doctrine, qu'il résulte de la combinaison des articles 23 et 27 du décret du 30 septembre 1953 que le prix du loyer révisé en application de l'article 27 ne peut en aucun cas excéder la valeur locative si le preneur en fait la demande.
Elle prétend que, s'agissant d'une révision triennale ou d'une fixation lors d'un renouvellement, le principe est le même : sauf motif de déplafonnement, le loyer doit être fixé dans la double limite du plafond d'une part et de la valeur locative d'autre part sans que l'on puisse faire référence à un prix plancher non prévu par les textes.
Elle affirme que si la confrontation des articles 23 et 27 du décret du 30 septembre 1953 fait apparaître une contradiction interne à l'article 27, la cour de cassation, dans son rôle d'unification de l'interprétation des règles de droit, a clairement pris parti dans son arrêt du 24 janvier 1996 en décidant que "le prix du bail révisé en application de l'article 27 ...ne peut en aucun cas excéder la valeur locative".
Elle dit que, conformément à la jurisprudence la plus récente de la 16ème chambre section A de cette cour, la recherche de la valeur locative est un préalable nécessaire à toute décision sur la révision du loyer et soutient que, en toute logique, si la valeur locative est inférieure au loyer de référence, la cour devra dire que celui-ci constituera un plafond à compter de la demande de révision quelque soit le sens d'évolution des indices.
Elle indique que la notion de modification matérielle des facteurs locaux de commercialité doit englober la prise en considération de la vogue d'un quartier et prétend que l'évolution générale défavorable de la conjoncture au début des années 1990 a été plus marquée que la moyenne dans ce secteur de Paris et pour ce type d'activité. Elle en tire la conclusion que la baisse importante de la valeur locative des commerces et bureaux dans le quartier démontre la modification intrinsèque des facteurs locaux de commercialité dans ce secteur.
En ce qui concerne la détermination de la valeur locative au 12 janvier 1996, elle critique le rapport de M. X... et propose une valeur locative au m de 11 000 francs pour la boutique sans majoration correspondant à la large destination du bail et une valeur locative de 2 400 francs au m pour les bureaux, la surface pondérée de ces bureaux devant en revanche être ramenée à 1465 m comme le propose l'expert privé JACOTEY.
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La société bailleresse conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté sa demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et réclame à ce titre, pour la procédure de première instance une somme de 40 000 francs.
Subsidiairement, elle estime, en cas de modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, que la révision ne doit porter que sur la fraction de loyer afférente aux locaux à usage de boutique, soit 13 % du loyer global et demande à la cour de dire que la valeur locative au 15 janvier 1996 est de 8 997 444 francs.
Elle sollicite une somme de 40 000 francs pour frais irrépétibles d'appel.
Elle soutient que l'argumentation de la société NINA RICCI, selon laquelle la modification matérielle des facteurs locaux de commercialité n'est plus la condition nécessaire de la révision du loyer à la valeur locative inférieure au loyer en cours, même si les indices sont en hausse, repose sur une analyse erronée de l'arrêt "Privilèges" rendu par la cour de cassation le 24 janvier 1996 qui n'a en réalité statué que sur la seule question de la recevabilité de l'action du locataire tendant à la révision de son loyer ; qu'elle ajoute que toute autre interprétation de cet arrêt conduirait à effacer purement et simplement les exigences de l'article 27 à l'égard du déplafonnement du loyer de révision et à créer un déséquilibre entre le preneur et le bailleur qui n'auraient plus la même preuve à apporter pour obtenir une fixation du loyer à la valeur locative.
Elle affirme que les modalités de révision du loyer commercial ne peuvent être assimilées à celles de la fixation du prix du bail renouvelé les deux situations étant différentes et l'article 27 du décret étant d'ordre public contrairement à l'article 23-6. Elle ajoute que le contexte de la révision de loyer de l'article 28 est totalement différent de celui de l'article 27.
Elle rappelle que le troisième alinéa de l'article 27 déroge expressément à l'article 23, ce caractère dérogatoire étant renforcé par le fait que l'article 27 est d'ordre public.
Elle prétend que la critique faite au jugement de n'avoir pas
recherché la valeur locative est totalement infondée, l'article 27 faisant référence à un plancher et à un plafond.
Elle souligne que le contrat de bail contient une clause d'échelle mobile qui empêche en toute hypothèse de revenir au prix du loyer au jour du renouvellement.
Elle conteste toute modification matérielle - différente de la modification notable - des facteurs locaux de commercialité, la baisse des valeurs locatives ne pouvant à elle seul caractériser une telle modification. Elle relève que la crise de l'immobilier est antérieure à la fixation amiable du loyer en 1993.
Subsidiairement, elle soutient qu'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité serait sans incidence sur la fixation du prix de la partie des locaux à usage de bureaux.
Elle prétend que la valeur locative a été sous estimée par M. X... et dit que la valeur locative au m de la partie boutique doit être fixée à 16 000 francs, le choix du coefficient de pondération de la partie sous-sol et de la partie boutique étant critiquable. Pour la partie bureau elle admet le prix au m proposé par l'expert mais critique la pondération faite par ce technicien. Elle conteste encore les majorations ou déductions opérées par l'expert. Sur ce, la Cour, Considérant que selon l'article 23 du décret du 30 septembre 1953,
"Le montant des loyers des baux à renouveler ou à réviser doit correspondre à la valeur locative" ;
Considérant qu'aux termes des dispositions d'ordre public de l'article 27 alinéa 3 du même décret :
"A moins que ne soit rapportée la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle même une variation de plus de dix % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel du coût de la construction intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer" ;
Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces textes qu'à l'occasion de la révision triennale, la variation encourue par le loyer, quel qu'en soit le sens, est enfermée dans la limite de la variation de l'indice du coût de la construction ; qu'ainsi le loyer est majoré ou diminué sans que la majoration ou la diminution puisse excéder la variation de l'indice trimestriel du coût de la construction ;
Considérant qu'il n'est fait exception à cette règle que dans le cas où la double preuve est rapportée premièrement d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité et deuxièmement d'une variation de plus de 10 % de la valeur locative causée par cette modification matérielle ; que dans un tel cas, le loyer est fixé à la valeur locative ;
Considérant qu'au principal l'appelante demande la fixation du loyer révisé à la valeur locative qui est en baisse ;
Considérant qu'il convient de noter, sans qu'à ce stade une recherche plus précise de la valeur locative soit nécessaire, que les
affirmations de la société NINA RICCI, étayées par la production du rapport d'expertise privée de M. JACOTEY, selon lesquelles la valeur locative a baissé sont corroborées par le rapport d'expertise judiciaire de M. X... aux termes duquel la valeur locative au 12 janvier 1996 pouvait être évaluée à 6 788 614 francs alors que le dernier loyer conventionnel s'élevait à 8 215 554 francs ;
Considérant qu'il appartient à la société NINA RICCI d'établir une modification matérielle, et non simplement notable, des facteurs locaux de commercialité, éléments extrinsèques aux lieux loués, et les conséquences de cette modification à l'égard de la valeur locative ;
Que cette société soutient que la "vogue d'un quartier" et les phénomènes de mode font partie des facteurs locaux de commercialité ; que le secteur de la rue François 1er a vu son étoile décliner au début des années 1990 au profit de Saint Germain des Prés devenu la vitrine parisienne incontestable de la mode du moment ; qu'elle prétend encore que la seule constatation d'une baisse importante de la valeur locative des commerces et bureaux démontre la modification intrinsèque des facteurs locaux de commercialité du secteur ;
Mais considérant que l'expert judiciaire, M. X..., qui a eu connaissance du rapport privé de M. JACOTEY et de l'opinion de celui-ci, relève que l'immeuble est situé à proximité immédiate du carrefour François 1er - avenue Montaigne, à 30 mètres de cette dernière ; que l'emplacement et l'adresse, moins côtés qu'avenue Montaigne, sont cependant remarquables, le carrefour, avec une adresse avenue Montaigne, étant l'emplacement le plus prisé de l'avenue ; que l'expert indique que cette avenue est l'une des voies
les plus prestigieuses de la capitale, que ce soit pour les boutiques, les bureaux ou les appartements, que son rayonnement n'a cessé de s'affirmer depuis deux décennies et qu'elle reste l'adresse la plus demandée par les enseignes de luxe avec la rue du faubourg Saint Honoré ; que ce technicien, après avoir fait une étude sur les 49 boutiques de luxe de l'avenue, constate que, pendant la période de référence, huit nouvelles enseignes se sont implantées, deux autres enseignes de luxe devant s'installer postérieurement ; que M. X... ajoute encore que les enseignes qui s'implantent à Saint Germain des Prés y développent une gamme moyenne et précise qu'il ne s'agit pas là d'un transfert à partir de certains emplacements comme l'avenue Montaigne, mais de l'émergence d'un pôle parallèle visant une clientèle différente ;
Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il n'y a eu aucune modification matérielle des facteurs locaux de commercialité pendant la période considérée et que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société NINA RICCI tendant à la fixation du loyer à la valeur locative ;
Considérant qu'à titre subsidiaire la société NINA RICCI demande que le loyer soit fixé à compter du 12 janvier 1996 à la somme de 8 000 000 francs hors taxes et hors charges ; qu'elle soutient en effet que la recherche de la valeur locative est un préalable nécessaire à toute décision sur la révision du loyer et que, la valeur locative étant inférieure au loyer de référence, celui-ci doit constituer un loyer plafond quel que soit le sens de variation des indices ;
Considérant que la procédure de révision triennale instituée par l'article 27 du décret est applicable à tous les baux commerciaux
même s'ils sont assortis d'une clause d'échelle mobile ;
Qu'ainsi qu'il a été dit plus haut, en l'absence de modification des facteurs locaux de commercialité , le montant du loyer révisé est plafonné et ne peut excéder la variation de l'indice depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire ;
Que toutefois, si la valeur locative est inférieure au prix plafond, elle doit être retenue pour fixer le loyer révisé, celui-ci ne pouvant toutefois être inférieur au prix en vigueur au jour de la révision ;
Qu'aux termes des deux rapports d'expertise, l'un officieux et l'autre judiciaire, la valeur locative est nettement inférieure au loyer en vigueur au jour de la révision ; que, sans qu'une détermination plus précise de cette valeur locative soit indispensable, il s'ensuit que le loyer révisé ne peut être fixé à une somme inférieure au dernier loyer en cours ; qu'il ne s'agit pas du loyer initial de 800 000 F HT mais de celui résultant de l'application de la clause d'échelle mobile figurant au bail ; que par suite la demande subsidiaire doit être rejetée ;
Considérant que les circonstances de la cause n'imposent pas de faire application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; que le jugement doit être confirmé encore être confirmé sur ce point et les demandes formées en cause d'appel rejetées ;
Qu'en revanche la société NINA RICCI qui succombe sur toutes ses prétentions doit supporter l'intégralité des dépens ;
Par ces motifs, - confirme le jugement déféré dans toutes ses
dispositions, - rejette toute autre demande des parties, - condamne la société NINA RICCI aux dépens d'appel et admet M° HUYGHE, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER,
LE PRESIDENT,