N° 144
SE
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Copie exécutoire
délivrée à :
- Me Gaultier-Feuillet,
le 17.04.2023.
Copie authentique
délivrée à :
- Me Marchand,
le 17.04.2023.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 13 avril 2023
RG 21/00287 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 333, rg n° 20/00408 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete du 9 juillet 2021 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 29 juillet 2021 ;
Appelante :
La Sa Service de Distribution Assistance (SDA), société anonyme au capital de 183 000 000 FCP, immatriculée au Rcs de Papeete sous le n° Tpi 83 3 B dont le siège social est sis à [Localité 7] [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal ;
Représentée par Me Johan MARCHAND, avocat au barreau de Papeete ;
Intimés :
M. [O] [E], (délégué syndical CSIP), né le 19 août 1972 à [Localité 5], de nationalité française demeurant à [Adresse 8] ;
M. [F] [U], (délégué syndical CSIP), né le 29 juin 1970 à [Localité 3], de nationalité française, demeurant à [Localité 10] [Adresse 9] ;
M. [I] [W], (ex délégué syndical CSTP/FO), né le 15 novembre 1967 à [Localité 7], de nationalité française, demeurant à [Localité 6] servitude Chapman ;
Le Confédération des Syndicats Indépendants de Polynésie (CSIP) dont le siège social est sis à [Localité 7] [Adresse 2], représentée par son secrétaire général en exercice ;
La Confédération A Tia I Mua dont le siège social est sis à [Localité 7] [Adresse 4], représentée par son secrétaire général en exercice ;
Représentés par Me Isabelle GAULTIER-FEUILLET, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 22 août 2022 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 27 octobre 2022, devant M. SEKKAKI, conseiller faisant fonction de président, Mme SZKLARZ, conseiller, Mme TEHEIURA, magistrat honoraire de l'ordre judiciaire aux fins d'exercer à la cour d'appel de Papeete en qualité d'assesseur dans une formation collégiale, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par M. SEKKAKI, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
EXPOSE DU LITIGE :
Faits :
Un accord d'entreprise a été signé le 1er septembre 2003 au sein de la SA SERVICE DISTRIBUTION ASSISTANCE «SDA» par la confédération syndicale CSIP (confédération des syndicats indépendants de Polynésie) et des représentants du personnel, comprenant notamment une grille salariale.
Le 17 octobre 2013, la SA SDA a signé avec les confédérations syndicales OTAHI, A TIA I MUA, CSIP et CSTP-FO un protocole d'accord modifiant l'accord d'entreprise, réduisant, suspendant et supprimant certains avantages, et gelant notamment la revalorisation de la grille salariale de 2014 à 2018. Le protocole précise : «les parties reconnaissent qu'en raison de l'urgence de la situation, les modalités de révision de l'Accord d'Entreprise prévues à l'article 1.4 ne peuvent être respectées. En conséquence, les Parties conviennent expressément que les irrégularités de forme du présent avenant n'affecteront pas sa sécurité juridique.»
Puis le 20 mars 2014, la SDA a signé avec la confédération syndicale OTAHI un avenant modifiant la grille salariale.
Un protocole d'accord a été signé le 27 juillet 2020 entre la SA SDA et le syndicat A TIA I MUA portant avenant à l'accord d'entreprise du 1er septembre 2003 relatif à la grille des salaires.
Procédure :
Par requête enregistrée au greffe le 5 novembre 2020 et suivant acte d'huissier du 29 octobre 2020, puis conclusions ultérieures, Monsieur [O] [E], Monsieur [F] [U], Monsieur [I] [W] et la CSIP ont fait assigner la SA SDA et la confédération A TIA I LUA devant le tribunal civil de première instance de Papeete afin de voir annulé le protocole d'accord conclu le 27 juillet 2020, à titre subsidiaire le dire dépourvu d'effets juridiques et condamner la SA SDA à leur payer la somme de 205 000 F CFP au titre de leurs frais non compris dans les dépens.
Par jugement n° RG 20/00408 - N° Portalis DB36-W-B7E-CTIZ en date du 9 juillet 2021, le tribunal civil de première instance de Papeete a :
- Annulé le protocole d'accord conclu le 27 juillet 2020, portant avenant à l'accord d'entreprise du 1er septembre 2003,
- Condamné la SA SDA à payer aux requérants la somme globale de 150 000 F CFP en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française,
- Condamné la SA SDA aux dépens.
Le tribunal a jugé en premier lieu que l'article LP 2322-1 du code du travail prévoyant l'invitation de l'ensemble des organisations syndicales représentatives à la négociation des accords d'entreprise ne trouvait pas à s'appliquer s'agissant de la révision d'un tel accord, mais qu'en revanche la révision de l'accord d'entreprise du 1er septembre 2003 signé par CSIP et non OTAHI et A TIA I MUA, ne pouvait conduire à un avenant conclu avec cette dernière uniquement et sans CSIP, qu'à défaut d'approbation, il appartenait à l'employeur de dénoncer l'accord d'entreprise.
Le tribunal a considéré par ailleurs que des discussions sur un plan social ne pouvaient se substituer à la signature d'un nouvel accord sur la grille salariale, que la signature d'avenants par la majorité des salariés était sans conséquence et que la sanction était l'annulation vu l'absence de qualité du signataire et la violation des textes en matière de révision.
La SA SDA a relevé appel de ce jugement par requête enregistrée au greffe le 29 juillet 2021.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 août 2022, et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 27 octobre 2022.
A l'issue de celle-ci, les parties ont été informées que la décision, mise en délibéré, serait rendue le 8 décembre 2022 par mise à disposition au greffe, délibéré prorogé au 13 avril 2023.
Prétentions et moyens des parties :
La SA SDA, appelante, demande à la Cour par dernières conclusions régulièrement transmises le 20 mars 2022, de :
- Infirmer en toute ses dispositions le jugement n°20/00408 rendu le 9 juillet 2021 par le tribunal civil de première instance de Papeete,
Statuant à nouveau,
- Débouter les demandeurs de toutes leurs demandes,
- Condamner la CSIP à payer à la société SDA la somme 250 000 F CFP au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel en application de l'article 407 du code de procédure civile,
- Condamner la CSIP aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Après de longs développements sur l'histoire et la situation de l'entreprise et son climat social interne, la SA SDA fait valoir, dispositions du code du travail à l'appui, que :
- Elle n'avait pas à dénoncer l'accord d'entreprise,
- Pour que la révision d'un accord soit valable il n'est pas nécessaire que les organisations soient signataire ou adhérentes à l'accord initial, puisqu'elles peuvent ne plus être représentatives,
- La révision nécessitait d'inviter toutes les organisations syndicales ce qui a été fait, l'accord n'obligeant que les signataires, un courrier du 22 juillet 2020 ayant convié tous les partenaires sociaux à la réunion extraordinaire du 27 juillet 2020,
- Les dispositions conventionnelles sur la révision ont été respectées,
- Aucune disposition ne prévoit que la révision soit validée par tous les signataires initiaux pour être valable,
- La seule nullité prévue par la code tient à l'obligation du caractère écrit de l'accord, de sorte que l'accord qui respecte cette condition, ne pouvait être annulé,
- La CSIP, seule signataire de l'accord initial, ne peut reprocher la signataire de l'avenant de 2020 par le seul syndicat A TIA I MUA,
- La discussion a été loyale, peu important qu'elle ait été faite lors de réunion du comité d'entreprise,
- L'accord de 2003 ne prévoit pas la saisine de la commission consultative du personnel pour la signature d'un accord ou avenant.
Monsieur [O] [E], Monsieur [I] [W], la CSIP et la confédération A TIA I MUA, intimés, par dernières conclusions régulièrement transmises le 14 juin 2022 demandent à la Cour de :
- Confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,
- À titre subsidiaire juger que l'accord est dépourvu d'effets juridiques,
- Condamner la société SDA à payer à la CSIP la somme de 205 000 F CFP en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, outre les entiers dépens.
Ils font valoir que :
- L'appelante confond les règles applicables au plan social et celles relatives à la modification d'un accord collectif,
- La combinaison des textes locaux, identiques aux textes métropolitains, et de la jurisprudence, conduisent à établir que les conventions et accords collectifs ne s'appliquent qu'aux syndicats signataires et salariés affiliés, seul un syndicat signataire étant habilité à réviser un accord collectif par avenant, à défaut l'avenant étant dépourvu d'effets juridiques,
- Seule la dénonciation permettait de signer un nouvel accord avec un syndicat devenu majoritaire,
- L'article 1.4 de l'accord d'entreprise du 1er septembre 2003 prévoit que la demande de révision fasse l'objet d'un envoi par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à toute les parties, ce qui n'a pas été respecté par la SA SDA,
- L'article LP.2322-1 du code du travail est bien applicable puisque la révision d'un accord ne constitue qu'une procédure pour la conclusion d'un nouvel accord, et les organisations n'ayant pas toutes été convoquées, l'accord est nul,
- Aucune négociation portant spécifiquement sur l'avenant envisagé n'a été engagée, mais uniquement sur un plan social,
- L'article 8-6 de l'accord d'entreprise signé en 2003 impose de saisir la commission consultative avant de réviser la grille des salaires.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions et moyens dont la Cour est saisie, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties.
MOTIFS DE LA DECISION :
1. Sur la nullité du protocole d'accord du 27 juillet 2020 :
L'article Lp.2312-5 du code du travail dispose que la convention ou l'accord collectif de travail prévoit les conditions dans lesquelles il peut être dénoncé, révisé ou renouvelé. Il fixe notamment la durée du préavis qui
précède la dénonciation. En l'absence de disposition conventionnelle expresse, ce préavis est fixé à trois mois.
Il résulte de l'article 1.4 de l'accord d'entreprise signé le 1er septembre 2003 les précisions suivantes : «la demande de révision doit être faite par lettre recommandé AR de la partie qui prend l'initiative adressée à toutes les autres parties. Cette demande devra indiquer les dispositions mises en cause et être accompagné de propositions écrites afin que les pourparlers puissent commencer sans retard.»
La SA SDA indique que par la suite le protocole du 17 octobre 2013, à l'instar de l'avenant du 20 mars 2014, stipule qu'il «peut pendant sa période d'application, être révisée ou dénoncé par chacune des parties, sous réserve d'un préavis de trois mois», cependant ces modalités de révision concernent le protocole d'accord lui-même et non l'accord d'entreprise initial pour lequel il est indiqué «Toutes les autres dispositions de l'Accord d'Entreprise sont inchangées», de sorte que celles relatives à sa révision ne l'ont pas été.
La SA SDA qui n'a pas répondu spécifiquement au moyen sur le respect de la procédure de révision résultant de l'article 1.4, ne justifie dans aucune des pièces versées de ce qu'elle a adressé des lettres recommandées avec accusé de réception aux organisations syndicales demandant la révision du protocole accompagnées de propositions écrites.
En effet, les négociations engagées dans le cadre d'un plan social, quand bien même elles porteraient sur des éléments nécessitant la modification de l'accord d'entreprise, pas plus que réunions du comité d'entreprise, et les convocations dans ces cadres, ne peuvent se substituer à la procédure spécifiquement et conventionnellement prévue de révision de l'accord.
L'absence de respect de la procédure de révision par l'accord initial entraîne nécessairement la nullité de la révision effectuée en méconnais-sance des formalités prévues, aucune autre conséquence ne pouvant y être attachée, sauf à priver de tout effet une exigence prévue par la loi.
Il convient par conséquent par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens, de confirmer la décision du tribunal qui a annulé le protocole d'accord signé le 27 juillet 2020 entre la SA SDA et le syndicat A TIA I MUA portant avenant à l'accord d'entreprise du 1er septembre 2003 relatif à la grille des salaires.
2. Sur les frais et dépens :
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SCIP les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, il convient par conséquent confirmer la décision du tribunal qui a condamné la SA SDA à lui payer la somme de 150 000 F CFP, de condamner la SA SDA à lui payer 150 000 F CFP au titre des frais d'appel non compris dans les dépens et de débouter la SA SDA de ses demandes au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Les dépens de première instance ont été justement mis à la charge de la SA SDA et la décision en ce sens sera confirmée et les dépens d'appel seront supportés par la SA SDA qui succombe conformément aux dispositions de l'article 406 du code de procédure civile de la Polynésie française.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement n° RG 20/00408 - N° Portalis DB36-W-B7E-CTIZ en date du 9 juillet 2021 du tribunal civil de première instance de Papeete,
Y ajoutant,
CONDAMNE la SA SERVICE DISTRIBUTION ASSISTANCE à payer à la confédération syndicale CSIP (confédération des syndicats indépendants de Polynésie) la somme de 150 000 F CFP (cent cinquante mille francs pacifique) au titre de ses frais d'appel non compris dans les dépens par application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
CONDAMNE la SA SERVICE DISTRIBUTION ASSISTANCE aux dépens d'appel.
Prononcé à Papeete, le 13 avril 2023.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : K. SEKKAKI