N° 366
SE
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Copies exécutoires
délivrées à :
- Me Jourdainne,
- Me Jacquet,
le 22.09.2022.
Copie authentique
délivrée à :
- Me Guédikian,
le 22.09.2022.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 22 septembre 2022
RG 19/00341 ;
Décision déférée à la Cour : arrêt n° 622 F-D de la Cour de Cassation de Paris du 16 mai 2019 ayant cassé l'arrêt n° 408, rg n° 16/00055 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete du 7 décembre 2017 suite à l'appel du jugement n°590, rg n° 14/00214 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete dfu 23 novembre 2015 ;
Sur requête après cassation déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 6 septembre 2019 ;
Demanderesse :
La Sarl les Terrasses de l'Océan, anciennement Orava, immatriculée au Rcs de Papeete sous le n° 6162 B ou n° 06 192 B, NT 781 310 dont le siège social est sis [Adresse 3], représentée par son gérant : M. [L] [J] ;
Représentée par Me Gilles GUEDIKIAN, avocat au barreau de Papeete ;
Défendeurs :
Le Syndicat des Copropriétaires de la Résidence Les Terrasses de l'Océan, immatriculée au Rcs de Papeete sous le n° 7119 B, représentée par la Sarl Sogeco dont le siège social est sis [Adresse 1] ;
Ayant pour avocat la Selarl Groupavocats, représentée par Me Gilles JOURDAINNE, avocat au barreau de Papeete ;
La Snc Karavelli, immatriculée au Rcs de Papeete sous le n° 0510 B, NT 724997 dont le siège social est sis [Adresse 2], représentée par son gérant : M. [K] [F] ;
Représentée par Me Thierry JACQUET, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 16 mai 2022 ;
Composition de la Cour :
Vu l'article R 312-9 du code de l'organisation judiciaire ;
Dit que l'affaire, dont ni la nature ni la complexité ne justifient le renvoi en audience solennelle, sera jugée, en audience ordinaire publique M. SEKKAKI, conseiller faisant fonction de président, M. RIPOLL, conseiller, Mme TISSOT, vice-président placé auprès du premier président, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par M. SEKKAKI, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
Exposé du litige :
Faits :
Suivant un protocole d'accord en date du 7 avril 2011, la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN a été autorisée par la SNC KARAVELLI à réaliser contre paiement un piquage sur deux réservoirs d'eau situés sur les hauteurs de [Localité 4] (Polynésie française) en vue de lui permettre d'assurer l'alimentation en eau de la résidence «Les terrasses de l'océan».
Procédure :
Par requête enregistrée au greffe le 7 mars 2014 et suivant acte d'huissier délivré le 20 février 2014, la SNC KARAVELLI a assigné la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN devant le tribunal civil de première instance de Papeete aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer, en exécution du protocole d'accord, la somme principale de 2 727 400 F CFP arrêtée au 30 juin 2013.
Suivant exploit délivré le 12 novembre 2014, la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN a appelé dans la cause le syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan».
Par jugement n° RG14/00214 (minute n°590) en date du 23 novembre 2015, le tribunal civil de première instance de Papeete a :
- déclaré la SNC KARAVELLI recevable en sa demande,
- condamné la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN à lui payer la somme de 2 727 400 F CFP outre les intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2013,
- débouté la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN de ses demandes à l'encontre du syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan»,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN à payer à la SNC KARAVELLI et au syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» la somme de 120.000 F CFP chacun en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ainsi qu'aux dépens.
Le tribunal a retenu qu'en application du protocole d'accord du 7 avril 2011 intervenu entre la SNC KARAVALLI et la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN l'obligation à paiement était établie et demeurait à charge de cette dernière jusqu'à l'acceptation des termes du protocole d'accord par le syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan», acceptation dont il n'était pas justifié.
La SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN a relevé appel de ce jugement par requête enregistrée au greffe le 15 avril 2016 et assignation délivrée le 18 mars 2016.
A titre principal, la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN a soulevé en appel l'absence de qualité pour agir de la SNC KARAVELLI au motif que celle-ci ne justifiait pas être propriétaire des réservoirs d'alimentation en eau.
Par arrêt n° RG 16/00055 en date du 7 décembre 2017, la cour d'appel de Papeete a :
- déclaré l'appel recevable,
- constaté que la SNC KARAVELLI est dépourvue de qualité à agir,
- débouté la SNC KARAVELLI de l'ensemble de ses demandes,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la SNC KARAVELLI à payer respectivement à la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN et au syndicat des copropriétaires de la résidence « Les terrasses de l'océan » la somme de 200.000 F CFP chacun au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française outre les entiers dépens.
La SNC KARAVELLI a formé un pourvoi contre cette décision.
Par arrêt en date du 16 mai 2019, la 2ème chambre civile de la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 7 décembre 2017 en toutes ses dispositions, et renvoyé les parties devant la cour d'appel de Papeete.
La haute juridiction, au visa de l'article 45 du code de procédure civile de la Polynésie française, a jugé que pour constater que la SNC KARAVELLI était dépourvue de qualité à agir et la débouter de ses demandes, la cour d'appel avait relevé qu'il résultait d'un protocole de mise à disposition de 2004 que la société Vaihiapa avait cédé pour une durée de 99 années à la commune de Papeete une parcelle de terre avec autorisation d'y faire construire deux réservoirs, les consommations en eau des ensembles immobiliers réalisés par le cédant devant être facturées par le syndicat de fourniture d'eau potable ou son mandant, et retenu qu'en conséquence la SNC KARAVELLI n'était pas propriétaire des deux réservoirs d'eau et qu'elle n'avait donc pas qualité pour agir pour conclure le protocole du 7 avril 2011 mais également pour facturer des frais de consommation d'eau ; qu'en statuant ainsi alors que la qualité pour agir n'est pas subordonnée à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, la cour d'appel avait violé le texte susvisé.
La SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN a saisi la cour de renvoi par requête enregistrée au greffe le 6 septembre 2019 et assignation délivrée par acte du 15 octobre 2019.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2022, et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 23 juin 2022.
A l'issue de celle-ci, les parties ont été informées que la décision, mise en délibéré, serait rendue le 22 septembre 2022 par mise à disposition au greffe.
Prétentions et moyens des parties :
Par conclusions régulièrement transmises le 11 mai 2022, la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN demande à la cour de :
A titre principal, vu les articles 1119 et 1599 du code civil,
- déclarer nul et de nul effet le protocole d'accord du 7 avril 2011,
- débouter la SNC KARAVELLI de ses demandes,
A titre subsidiaire,
- constater que les conditions figurant au protocole d'accord du 7 avril 2011 ont été remplies et débouter le SNC KARAVELLI de ses demandes,
Vu les articles 1109 et 1134 du code civil,
- prononcer la nullité du protocole d'accord du 7 avril 2011,
- débouter la SNC KARAVELLI de ses demandes,
A titre infiniment subsidiaire, vu les articles 2288 et 1326 du code civil,
- requalifier le protocole d'accord en cautionnement donné par la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN au profit de la SNC KARAVELLI et en prononcer la nullité,
En tout état de cause,
- condamner la SNC KARAVELLI à lui payer la somme de 400.000 F CFP au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française et aux dépens.
A l'appui de ses demandes, la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN excipe d'un protocole conclu entre la SCI VAIHIAPA et la Commune de [Localité 4] en date du 10 mars 2004 aux termes duquel la seconde s'est obligée à faire construire deux réservoirs d'alimentation en eau potable sur la parcelle de terre mise à sa disposition par la première. Elle fait valoir que la SNC KARAVELLI n'établit pas son lien avec la SCI VAIHIAPA ni ne justifie de l'adhésion de celle-ci ou d'elle-même au syndicat de fourniture d'eau potable formé entre les promoteurs des ensembles immobiliers raccordés, seul habilité, selon les termes de ce même protocole, à facturer les consommations en eau de ces derniers. Elle relève les incohérences et contradictions résultant des pièces fournies par la SNC KARAVELLI pour justifier de ses droits sur les réservoirs d'eau. Elle soutient en conséquence, à titre principal, que la SNC KARAVELLI n'établit pas être propriétaire de ces constructions ni titulaire du droit de distribuer l'eau qu'elles collectent, contrairement aux énonciations du protocole d'accord du 7 avril 2011. Elle conclut que la SNC KARAVELLI n'avait donc pas qualité pour conclure celui-ci, et que cet acte doit en conséquence être annulé.
Elle soulève encore la nullité du protocole du 7 avril 2011 sur le fondement du dol, au motif que la SNC KARAVELLI a tiré parti de l'absence d'autre solution d'alimentation en eau sur le secteur, laquelle était indispensable à la réalisation de son projet immobilier, pour exercer sur elle une contrainte morale que révèle le caractère exorbitant des conditions financières souscrites (facturation forfaitaire, déconnectée de la consommation réelle, établie sur la base d'une consommation théorique annuelle et d'un tarif au m3 excessifs, engagement contracté sans limitation de durée). Elle soutient que la nullité pour erreur est encourue pour ces mêmes motifs, dès lors qu'elle ne peut avoir accepté de payer indéfiniment et à de telles conditions la consommation d'eau de la copropriété et de ses occupants. Elle fonde également sa demande de nullité sur la prohibition des engagements perpétuels.
Elle fait valoir en outre qu'elle a rempli son obligation de faire souscrire au syndicat des copropriétaires le même engagement qu'elle, que le syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» s'est en effet acquitté des consommations d'eau qui lui ont été directement facturées par la SNC KARAVELLI sur la même base tarifaire, qu'elle se trouve donc pour sa part libérée.
Elle relève que la SNC KARAVELLI sollicite en réalité à son encontre l'exécution d'un engagement de cautionnement puisqu'en définitive elle a contracté l'obligation de payer les consommations d'eau si le syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» n'y satisfait pas lui-même et qu'elle est poursuivie en paiement du solde prétendument resté impayé par la copropriété de ses consommations d'eau. Elle conclut à l'annulation de cet engagement de caution sur le fondement des articles 1326 et 2288 et suivants du code civil. Elle relève par ailleurs que la SNC KARAVELLI n'établit pas le montant de sa créance.
Enfin, la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN fait valoir que le protocole d'accord du 7 avril 2011 prévoit, en cas d'inexécution, des sanctions qui ne visent que «les actionnaires de la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN» et non la société elle-même, de telle sorte qu'elle ne peut être condamnée aux lieu et place de ces derniers.
Par conclusions régulièrement transmises le 12 mai 2022, la SNC KARAVELLI demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et, y ajoutant, de :
- condamner la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN à lui payer la somme de 500.000 F CFP au titre des frais irrépétibles d'appel et aux entiers dépens d'appel,
Subsidiairement,
- condamner le Syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» au paiement de la somme due en exécution du protocole d'accord, soit 2.727.400 F CFP,
- le condamner à lui payer la somme de 500.000 F CFP au titre des frais irrépétibles d'appel et aux entiers dépens d'appel.
La SNC KARAVELLI expose que les deux réservoirs, édifiés sur un terrain appartenant à la SCI VAIHIAPA, lui ont été vendus par la société LE GRAND LARGE, selon facture du 27 janvier 2005, au prix de 60.000.000 F CFP TTC, comprenant le système de refoulement d'eau depuis le captage du lotissement AREVAREVA, vallée de Tipaerui (pompes et canalisations) et le système de distribution gravitaire depuis les réservoirs jusqu'aux ensembles immobiliers alimentés par ceux-ci. Elle explique que c'est la société LE GRAND LARGE qui, palliant la carence de la Commune de [Localité 4] à fournir de l'eau, a construit sur le terrain mis à sa disposition par la Commune et avec son accord les deux réservoirs d'eau permettant d'alimenter la résidence Le Grand Large, première résidence construite à l'époque sur ce secteur géographique. Elle rappelle qu'en novembre 2011 la commune de [Localité 4] lui a proposé de racheter l'ensemble du réseau, lequel a finalement été cédé en août 2013 à la Société Polynésienne des Eaux. Elle fait valoir en conséquence qu'elle justifie de ses droits de propriété.
Elle observe par ailleurs que la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN n'établit aucune man'uvre frauduleuse qui aurait été susceptible d'altérer son consentement. Elle rappelle au contraire que celle-ci a fait le choix de se raccorder au réseau d'eau existant plutôt que d'envisager la création d'un nouveau réseau, cette solution lui étant économiquement plus favorable, et ajoute qu'elle a pu librement discuter les conditions tarifaires qui lui ont été proposées. Elle souligne que le contrat a été conclu pour une durée de 20 ans, sauf, dans l'intervalle, la reprise des engagements souscrits par le syndicat des propriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan», de telle sorte qu'il n'encourt aucune sanction au titre de la prohibition des engagements perpétuels.
Elle rappelle que le protocole d'accord du 7 avril 2011 prévoit le paiement d'une somme annuelle de 2.080.000 F CFP par an, correspondant à un volume de consommation théorique annuelle de 8.000 m3 au prix unitaire de 260 F CFP TTC, cette somme étant «intégralement due quand bien même le seuil de consommation précité ne serait pas atteint». Le syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» a toujours refusé de payer ce montant forfaitaire, n'acceptant de régler que les consommations réelles. La créance de la SNC KARAVELLI à l'égard de la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN, qui correspond au différentiel, soit la somme de 2.727.400 F CFP selon décompte arrêté au 30 juin 2013, est donc établie.
Elle fait valoir en outre que la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN n'a souscrit aucun contrat de cautionnement. Elle est la «débitrice principale» du montant forfaitaire annuel convenu. Elle n'est pas libérée de son obligation dès lors que le syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» n'a jamais repris l'engagement qu'elle a souscrit, portant sur un volume de consommation forfaitaire. Elle est mal fondée à reprocher à son créancier d'avoir accepté du syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» un règlement partiel de sa créance. Enfin, le protocole d'accord du 7 avril 2011 engage clairement la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN, et non ses associés, qui n'y sont pas partie.
Subsidiairement, la SNC KARAVELLI sollicite la condamnation du syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» dans l'hypothèse où il serait jugé que la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN lui a transféré ses engagements.
Par conclusions régulièrement transmises le 16 mai 2022, le syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan», représenté par la SOGECO, demande à la cour, au visa de l'article 1165 du code civil, de :
- déclarer que le protocole d'accord du 12 juillet 2006 (sic) lui est inopposable,
- débouter la SNC KARAVELLI de ses demandes à son encontre,
- condamner solidairement la SNC KARAVELLI et la société LES TERRASSES DE L'OCEAN à lui payer la somme de 500.000 F CFP au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens.
Le syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» expose qu'il n'est pas partie au protocole d'accord du 7 avril 2011 et que la SNC KARAVELLI, qui reconnaît qu'il a toujours refusé de reprendre à son compte l'engagement souscrit par la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN consistant en paiement forfaitaire de sa consommation d'eau, n'est pas fondée à solliciter sa condamnation à ce titre.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions et moyens dont la Cour est saisie, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties. L'exposé des moyens des parties, tel que requis par les dispositions de l'article 268 du code de procédure civile de la Polynésie française, sera renvoyé à la motivation ci-après à l'effet d'y répondre.
Motifs de la décision :
La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de «constatations»' ou à «dire et juger» qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions, en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques, mais uniquement des moyens.
Sur la demande de nullité du protocole d'accord du 7 avril 2011 fondée sur l'absence de droits de la SNC KARAVELLI sur la propriété des réservoirs d'alimentation en eau :
La SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN fonde sa demande de nullité du protocole d'accord du 7 avril 2011 sur l'article 1119 du code civil selon lequel on ne peut, en général, s'engager ni stipuler en son propre nom, que pour soi-même, et sur l'article 1599 du même code qui dispose que la vente de la chose d'autrui est nulle.
La sanction posée par ce dernier texte vise à protéger l'acquéreur contre le risque d'une éviction liée à l'action en revendication du véritable propriétaire. Elle n'a donc pas vocation à s'appliquer lorsque l'acquéreur est à l'abri d'un tel risque.
Il appartient en conséquence à la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN de rapporter la preuve que la SNC KARAVELLI n'était pas propriétaire des réservoirs d'eau sur lesquels elle a été autorisée à se raccorder, et plus précisément, que la commune de [Localité 4] était, comme elle le soutient, le véritable propriétaire.
En l'espèce, la cour observe en premier lieu que le protocole de mise à disposition d'une parcelle de terre, signé le 10 mars 2004 entre la SCI VAIHIAPA et la Commune de Papeete, prévoyant la mise à disposition de celle-ci d'une parcelle et l'autorisant à y faire construire deux réservoirs en eau, stipule dans un paragraphe intitulé «conditions suspensives» : «Les dispositions ci-dessus sont réalisées à la condition expresse que le bien mis à disposition de la Commune de Papeete soit destiné à recevoir l'implantation de deux réservoirs d'alimentation en eau potable. Au cas où, pour une raison quelconque, les réservoirs sus indiqués ne seraient pas construits dans un délai de deux ans à partir de la signature du présent protocole ('), le cédant reprendra, sans autre formalité, toute la plénitude de la propriété du bien mis à disposition du preneur».
En l'état, en l'absence de tout élément justifiant de ce que la Commune de [Localité 4] a fait construire les réservoirs d'eau dans le délai qui lui était imparti, le protocole du 10 mars 2004 ne suffit pas à établir, à lui seul, que celle-ci était propriétaire de ces installations.
Par ailleurs, aucun risque d'éviction n'est établi, ni même allégué.
En effet, la SNC KARAVELLI verse au débat un courrier qui lui a été adressé par la Commune de [Localité 4] le 23 novembre 2011 par lequel celle-ci lui offrait de se rendre acquéreur de l'ensemble de son réseau d'adduction d'eau implanté sur la zone haute du cimetière de l'Uranie dite Vaihiapa, comprenant la station de pompage, les deux réservoirs construits sur la terre [P], les conduites d'alimentation des différents ensembles immobiliers et tous leurs accessoires de vannes, ce dont il se déduit que la Commune de [Localité 4] n'a jamais eu l'intention de revendiquer la propriété de ces constructions et équipements.
Dans ces conditions, la demande de nullité doit être rejetée.
Sur la demande de nullité du protocole d'accord du 7 avril 2011 fondée sur le dol, l'erreur, et la prohibition des engagements perpétuels :
Aux termes du protocole d'accord du 7 avril 2011, la SNC KARAVELLI a autorisé la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN à procéder à un piquage sur les deux réservoirs lui appartenant pour l'alimentation de l'ensemble immobilier Les Terrasses de l'Océan que cette dernière a réalisé. En contrepartie, la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN s'est engagée à régler chaque année, «à compter de l'achèvement des travaux constatée par un certificat de conformité et sans limitation dans le temps», «une somme de 2.080.000 F CFP correspondant à une consommation théorique de 8000 m3 au prix unitaire de 260 F CFP», avec une majoration de 2% par an. Elle s'est également engagée à ce que le syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» s'oblige dans les mêmes termes.
La SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN ne démontre ni même n'allègue aucun agissement malhonnête ni man'uvre dolosive émanant de son cocontractant qui aurait été de nature à vicier son consentement. De même, elle n'explique pas la nature de la croyance erronée qui aurait déterminé son consentement.
Or, ces éléments ne peuvent se déduire des seules conditions du contrat, en particulier si l'on considère la qualité de promoteur immobilier que la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN s'attache elle-même à reconnaître à la personne de son gérant (page 6 paragraphe 3 de ses conclusions).
Dans ces conditions, la demande de nullité fondée sur un vice du consentement doit être rejetée.
Par ailleurs, le protocole d'accord du 7 avril 2011 comporte une stipulation selon laquelle le volume de consommation théorique annuelle d'eau doit être réglé à la SNC KARAVELLI «sans limitation dans le temps», ce qui doit s'entendre pour le débiteur comme un engagement à durée indéterminée.
Aucune stipulation du contrat n'interdit ou ne rend impossible la résiliation par ce dernier de son engagement. En outre, le contrat à exécution successive entaché d'un vice de perpétuité n'est pas nul, la constatation d'un tel vice permettant seulement à chaque partie de retrouver sa faculté de résiliation unilatérale. Au surplus, cette mention d'un engagement à durée indéterminée est contredite par une autre clause du contrat stipulant que l'agrément, à savoir l'autorisation de raccordement, est accordée pour une durée de 20 ans et peut le cas échéant faire l'objet «d'une renégociation ultérieure».
Il résulte de ce qui précède que le protocole d'accord du 7 avril 2011 n'encourt aucune nullité fondée sur la prohibition des engagements perpétuels.
Sur la demande de requalification du protocole d'accord du 7 avril 2011 :
Selon l'article 5 du code de procédure civile de la Polynésie française, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
En l'espèce, le protocole d'accord du 7 avril 2011 stipule que «au titre de la future consommation propre à la résidence, M. [J] [gérant de la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN] s'engage dans un premier temps, s'oblige, dans un second :
- à faire souscrire le même engagement par le futur syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan»,
- à régler à la SNC KARAVELLI, à compter de la conformité et sans limitation de temps, la somme de 2.080.000 F CFP, correspondant à une consommation théorique annuelle de 8000 m3 au prix unitaire de 250 F CFP TTC (...)».
Il est également précisé que «dans l'éventualité où le syndicat précité ne souscrirait pas aux engagements pris par M. [J], les actionnaires de la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN s'y substitueraient, faute de voir (sic) la SNC KARAVELLI interrompre l'alimentation à partir de ses propres réservoirs».
La SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN soutient que l'engagement ainsi souscrit est un cautionnement.
Selon l'article 2011 du code civil dans sa rédaction applicable en Polynésie française, celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même.
Selon l'article 2012 du même code, le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable.
Le cautionnement suppose donc l'existence d'une obligation principale à garantir laquelle fait défaut en l'espèce, dès lors que le syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'Océan», qui n'avait pas encore d'existence légale, n'a pu souscrire aucune obligation.
En conséquence, la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN doit être déboutée de sa demande tendant à voir requalifier le protocole d'accord du 7 avril 2011 en un contrat de cautionnement, et, par voie de conséquence, de sa demande de nullité fondée sur les dispositions de l'article 1326 du code civil.
En application des articles 1119 et 1120 du code civil, on ne peut, en général, s'engager, ni stipuler en son propre nom, que pour soi-même. Néanmoins on peut se porter fort pour un tiers, en promettant le fait de celui-ci ; sauf l'indemnité contre celui qui s'est porté fort ou qui a promis de faire ratifier, si le tiers refuse de tenir l'engagement.
Il résulte des stipulations contractuelles précitées que la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN a promis le fait d'un tiers, en ce qu'elle s'est engagée à obtenir du syndicat des copropriétaires la ratification du contrat.
Il ne peut y avoir ratification par le tiers qu'à la condition que soit accomplie la totalité du fait promis. La ratification par le tiers peut être expresse ou tacite, l'essentiel étant d'établir l'existence d'un engagement clair et non équivoque.
Lorsque le tiers réalise le fait promis, le premier effet de cette exécution de la promesse est la libération du porte-fort.
En l'espèce, la ratification par le syndicat des copropriétaires du protocole d'accord du 7 avril 2011 ne résulte d'aucune pièce du dossier. En particulier, il n'est pas établi que le syndicat avait même seulement connaissance du contrat dont il était censé reprendre les engagements, ni même qu'il a adopté un comportement conforme à l'exécution de la promesse, puisqu'il n'a jamais réglé le volume de consommation théorique annuelle tel que prévu, mais seulement sa consommation d'eau réelle. Ainsi, les factures émises par la SNC KARAVELLI, calculées sur la base d'un volume forfaitaire, apparaissent raturées et rectifiées au regard de la consommation réelle (pièce 2 du syndicat). Elles ont été acquittées conformément à ces rectifications (pièce 1).
Dans la mesure où la ratification par le tiers du contrat n'est pas rapportée, il n'est d'aucune utilité de s'interroger sur le point de savoir si la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN s'est également engagée à garantir à l'exécution par ce dernier de son obligation.
En effet, en l'absence de ratification par la copropriété des engagements souscrits par la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN, cette dernière n'est pas libérée.
Si la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN fait valoir que l'inexécution d'une promesse de porte-fort ne peut se résoudre qu'en dommages et intérêts, c'est oublier que la sanction peut toujours, même dans ce cas, être contractuellement prévue, ce qui en l'espèce est justement énoncé au contrat qui stipule qu'en cas d'inexécution, le promettant sera engagé à exécuter l'obligation concernée.
Elle est donc redevable du volume théorique de consommation convenu, sans pouvoir exciper de la rédaction parfois approximative du protocole d'accord qui désigne «M. [J]» ou «les actionnaires de la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN» comme débiteurs de l'engagement souscrit, alors que l'entête du contrat mentionne clairement que M. [J], qui s'est engagé sur le fait du tiers, agissait en qualité de gérant de la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN.
Enfin, la créance dont la SNC KARAVELLI poursuit le recouvrement à l'encontre de la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN est nécessairement justifiée dans son quantum comme étant inférieure (2 727 400 F CFP pour la période du 1er janvier 2012 au 30 juin 2013) aux montants annuels dus (3 297 840 F CFP TTC pour cette même période). La SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN fait en réalité l'économie, par la déduction opérée des consommations réelles dont la copropriété s'est acquittée, de sa propre action à l'encontre de cette dernière.
Il sera donc fait droit aux demandes formées à titre principal par la SNC KARAVELLI à l'égard de la SARL LES TERASSES DE L'OCEAN. Dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner celles qu'elle forme, à titre subsidiaire, à l'égard du syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan».
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de débouter la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN de l'ensemble de ses demandes. Le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les frais et dépens :
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN à payer respectivement à la SNC KARAVELLI et au syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» la somme de 120 000 F CFP chacun sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
En application de ces mêmes dispositions, la cour condamne la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN à payer à chacun des intimés la somme supplémentaire de 250.000 F CFP devant la cour et déboute le syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» de ses demandes formées à ce titre à l'encontre de la SNC KARAVELLI.
Il convient en outre de condamner l'appelante, échouant dans ses prétentions, aux dépens exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement n° RG 14/00214 (minute n°590) en date du 23 novembre 2015 du tribunal civil de première instance de Papeete ;
Y ajoutant,
DEBOUTE le syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» de ses demandes formées à l'encontre de la SNC KARAVELLI au titre des frais d'appel non compris dans les dépens ;
CONDAMNE la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN à payer à la SNC KARAVELLI et au syndicat des copropriétaires de la résidence «Les terrasses de l'océan» la somme de 250 000 F CFP (deux cent cinquante mille francs) chacun au titre des frais d'appel non compris dans les dépens, en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
CONDAMNE la SARL LES TERRASSES DE L'OCEAN aux dépens d'appel.
Prononcé à Papeete, le 22 septembre 2022.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVEROsigné : K. SEKKAKI