N° 312
Se
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Copie exécutoire
délivrée à :
- Me Allain-Sacault,
le 29.08.2022.
Copie authentique délivrée à :
- Me Piriou,
le 29.08.2022.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Civile
Audience du 25 août 2022
RG 21/00182 ;
Décision déférée à la Cour : ordonnance n° 117 du Juge des Référés du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete du 26 avril 2021 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 31 mai 2021 ;
Appelants :
Mme [U] [J] [F]-[T] épouse [M], née le 2 mai 1961 à [Localité 9], de nationalité française, secrétaire de direction, [Adresse 6] ;
M. [O] [V] [W], né le 12 février 1958 à Tautira, de nationalité française, [Adresse 5] ;
Ayant pour avocat la Selarl Jurispol, représentée par Me Yves PIRIOU, avocat au barreau de Papeete ;
Intimés :
M. [E] [S] [H] [G] [T], demeurant à [Adresse 7] ;
M. [S] [T], demeurant à [Localité 8] [Localité 9] ;
Représentés par Me Annick ALLAIN-SACAULT, avocat au barreau de Papeete ;
Ordonnance de clôture du 16 mai 2022 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 23 juin 2022, devant M. SEKKAKI, conseiller faisant fonction de président, Mme SZKLARZ, conseiller, Mme TEHEIURA, magistrat honoraire de l'ordre judiciaire aux fins d'exercer à la cour d'appel de Papeete en qualité d'assesseur dans une formation collégiale, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par M. SEKKAKI, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
Exposé du litige :
Faits et procédure :
Par requête enregistrée au greffe le 6 novembre 2020 et suivant acte d'huissier délivré le 4 novembre 2020, [U] [F] [T] épouse [M] a assigné MM. [S] [T] et [E] [T] devant le juge des référés du tribunal civil de première instance de Papeete aux fins de :
- Ordonner l'expulsion de M. [S] [T] et de M. [E] [T], et de tous occupants de leur chef de la propriété sise à [Localité 8] commune de [Localité 9] comprenant :
o Une parcelle de terre dénommée surplus du lot 3 (partie) de la terre [A] cadastrée section AA numéro [Cadastre 4] et les constructions à usage d'habitation y édifiées de type bungalow F1,
o Une parcelle de terre dénommée surplus du lot 3 (partie) de la terre [A] cadastrée section AA numéro [Cadastre 3],
o Une parcelle de terre dénommée surplus du lot 3 (partie) de la terre [A] cadastrée section AA numéro [Cadastre 2] et les constructions vétustes à usage touristique y édifiées à être démolies,
Sous astreinte de 100 000 F CFP par jour de retard, passé un délai de 8 jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir et avec, si besoin, le concours de la force publique,
- Condamner un solidum MM. [S] [T] et [E] [T] à payer à Mme [U] [J] [F]-[T] épouse [M], à titre provisionnel, la somme mensuelle de 180 000 F CFP à titre d'indemnité d'occupation à compter du mois de mars jusqu'à libération effective des lieux,
-Condamner in solidum MM. [S] [T] et [E] [T] à payer à Mme [U] [J] [F]-[T] épouse [M] la somme de 250 000 F CFP par application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Par ordonnance n° RG 20/00278 en date du 26 avril 2021, le juge des référés du tribunal civil de première instance de Papeete a :
- Débouté [U] [M] de l'ensemble de ses demandes dirigées contre [E] et [S] [T],
- Condamné [U] [M] à verser à [S] et [E] [T] la somme de 250 000 F CFP en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile,
- Condamné [U] [M] aux dépens.
Le juge des référés a considéré en premier lieu qu'aucun élément n'établissait que les consorts [T] occupaient les parcelles AA[Cadastre 3] et AA[Cadastre 2] de la terre litigieuse.
Il a constaté par ailleurs que la terre qui appartenait à [D] [T] a été léguée par celui-ci à sa fille [U] [J] [F] épouse [M] par testament du 12 janvier 1979 avant qu'il la lègue à [X] [K] par testament du 29 novembre 2004. Il a donc jugé que compte tenu de la contestation sérieuse quant à la propriété du bien litigieux et compte tenu de ce que les parties avaient la qualité de co-héritiers, les demandes devaient être rejetées.
Mme [U] [J]-[F] [T] épouse [M] a relevé appel de ce jugement par requête enregistrée au greffe le 31 mai 2021 et par la même requête M. [O] [W] est intervenu volontairement à l'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2022, et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 23 juin 2022.
A l'issue de celle-ci, les parties ont été informées que la décision, mise en délibéré, serait rendue le 25 août 2022 par mise à disposition au greffe.
Prétentions et moyens des parties :
Mme [U] [J] [F]-[T] épouse [M], appelante, et M. [O] [W], intervenant volontaire, demandent à la Cour par dernières conclusions régulièrement transmises le 29 décembre 2021, de :
- Infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- Débouter MM. [S] [T] et [E] [T] de l'intégralité de leurs fins, moyens et conclusions,
- Ordonner l'expulsion de M. [S] [T] et M. [E] [T], et des tous occupants de leur chef de la propriété sise à [Localité 8] commune de [Localité 9], consistant en une parcelle de terre dénommée surplus du lot 3 (partie) de la terre [A] cadastrée section AA numéro [Cadastre 1] pour une contenance de 10a 14ca, et la construction à usage d'habitation y édifiée de type bungalow F1, sous astreinte de 100 000 F CFP par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir et avec, si besoin, le concours de la force publique,
- Condamner in solidum MM. [S] [T] et [E] [T] à payer à Mme [U] [J] [F]-[T] épouse [M], à titre provisionnel, la somme de 1 440 000 F CFP à titre d'indemnité d'occupation pour la période courant mars 2020 à octobre 2020 inclus,
- Condamner in solidum MM. [S] [T] et [E] [T] à payer à M. [W], à titre provisionnel, la somme de mensuelle de 180 000 F CFP à titre d'occupation à compter du mois de novembre 2020 jusqu'à la libération effective des lieux,
- Condamner in solidum MM. [S] [T] et [E] [T] à payer à Mme [U] [J] [F]-[T] épouse [M] et M. [W], à titre provisionnel, la somme de 500 000 F CFP au titre des procédures de première instance et d'appel, par application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française,
- Condamner in solidum MM. [S] [T] et [E] [T] aux entiers dépens, en ce compris les frais de constat, dont distraction d'usage.
Mme [M] fait valoir que M. [D] [T], décédé le 21 avril 2009 et ayant laissé 8 héritiers, lui a légué par testament du 12 juin 1979 toute sa propriété [A] et que son neveu, [S] [T], s'est installé du chef de son père [E] [T], frère de Mme [M], sur la terre, ce qu'elle juge être une occupation sans droit ni titre.
Elle expose s'en être rendu compte lors de la signature du compromis de vente avec [O] [W] le 12 août 2020, vente intervenue le 28 octobre 2020.
Elle indique désormais que sa demande d'expulsion, à laquelle se joint M. [W] nouveau propriétaire, ne concerne effectivement que la parcelle cadastrée AA [Cadastre 4].
Elle indique qu'au moment du décès de son père, elle s'est retrouvée propriétaire immédiatement conformément à la loi, conteste que Mme [K] soit légataire puisqu'elle est décédée le 8 février 2007, soit avant M. [T], le leg tombant dans cette circonstance conformément à l'article 1039 du code civil.
Elle précise qu'en vertu de l'attestation immobilière qui a fait cette analyse juridique, elle dispose d'un juste titre.
Enfin elle précise que la contestation sérieuse n'empêche pas de constater un trouble manifestement illicite.
Ainsi, M. [W] et elle sont fondés à demandes les indemnités provisionnelles liées à l'occupation illicite ainsi que l'expulsion des consorts [T].
MM. [E] [T] et [S] [T], intimés, par dernières conclusions régulièrement transmises le 21 mars 2022 demandent à la Cour de :
- Débouter Mme [U] [J] [F] épouse [M] et M. [W] de l'ensemble de leurs demandes,
- Confirmer l'ordonnance de référé du 26 avril 2021 en toutes ses dispositions,
Subsidiairement,
- Dire n'y avoir lieu à indemnité d'occupation,
- Condamner Mme [U] [J] [F]-[T] à payer à M. [E] [T] et [S] [T] la somme de 300 000 F CFP sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française et aux entiers dépens d'appel.
Ils rappellent que [D] [T] avait rédigé 4 testaments olographes et qu'en vertu d'un testament postérieur à celui de 1979 dont se prévaut Mme [M], celui-ci est devenu caduc par la révocation expresse des dispositions antérieures, peu important dès lors que le leg institué ne puisse être délivré en raison du prédécès de la légataire.
Ils contestent toute validité à l'attestation de propriété immobilière partielle établie par le notaire pour permettre à Mme [J] [F] de vendre, une action en partage étant en cours, et alors que celle-ci a obtenu plus que sa quotité disponible dans la succession.
Ils indiquent par ailleurs avoir valorisé le bien litigieux lors de son occupation engageant des dépenses importantes en travaux supérieurs à l'indemnité sollicitée.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause, des procédures, des prétentions et moyens dont la Cour est saisie, il est renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions d'appel des parties.
Motifs de la décision :
1. Sur le référé :
Sur le trouble manifestement illicite :
Aux termes de l'article 432 du code de procédure civile de la Polynésie française, la juridiction des référés peut toujours prescrire, même en présence d'une contestation sérieuse, les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du «dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer» et le trouble manifestement illicite résulte de «toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit».
Ces dispositions ne supposent pas, au contraire de l'article 431 du même code, l'existence d'une obligation non sérieusement contestable.
Cependant, le trouble ne peut être manifestement illicite que pour autant que le demandeur à la cessation du trouble justifie qu'il est bien titulaire apparent du droit dont la violation est alléguée.
En l'espèce, Mme [M] se fonde pour faire valoir son droit de propriété supposément violé sur la parcelle de terre dénommée surplus du lot 3 (partie) de la terre [A] cadastrée section AA numéro [Cadastre 1] sise à [Localité 8] commune de [Localité 9], sur le testament olographe du 12 janvier 1979 de M. [D] [T], instituant sa fille [U] [J] [F] légataire de sa propriété «[A]» sise à [Localité 8] ainsi que tous les bâtiments et constructions y implantées, de même que sur une attestation immobilière partielle du 3 août 2020 établie par Maître [L] [R] notaire à [Adresse 5].
Il n'est pas contesté qu'elle est héritière de M. [D] [T], au même titre que ses 7 autres enfants, et que dans ces conditions la transmission des droits de celui-ci a été immédiate à son décès. Cependant cette disposition mise en en avant par Mme [M] est sans effet à l'égard d'autre héritiers qui pourraient prétendre eux- mêmes à des droits sur le bien litigieux.
Or, par plusieurs testaments intervenus suite à celui dont se prévaut Mme [M], le défunt a pris de nouvelles dispositions pour sa succession, susceptibles de révoquer explicitement ou implicitement les dispositions initiales sur la terre située à [Localité 9], et ce sans équivoque sur la propriété concernée contrairement à ce qu'avancent Mme [M] et M. [W], la révocation étant définitive quand bien même le leg prévu serait devenu sans effet du fait du prédécès de la légataire, l'effet révocatoire du testament postérieur ayant pour conséquence de remettre les parties dans la situation de dévolution successorale prévue par la loi en l'absence de testament pour la propriété concernée, auquel cas les autres héritiers, et en particulier M. [E] [T], du chef duquel son fils [S] est installé sur la parcelle AA[Cadastre 4], peuvent prétendre à un droit concurrent sur le bien.
Par conséquent, l'analyse des effets apparents des différents testaments, permet de contester le cas échéant la qualité de propriétaire exclusive de Mme [M] sur la parcelle AA [Cadastre 4], et par conséquent celle de M. [W] auquel elle a vendu le bien, cette incertitude sur l'apparence même de la propriété étant suffisante pour considérer que le droit dont Mme [M] se prévaut n'est pas suffisamment caractérisé pour qu'elle puisse demander l'expulsion.
Enfin, l'attestation immobilière, si elle a les mêmes effets et la même force probante qu'un certificat de propriété, en particulier pour l'établissement de la publicité et à l'égard des tiers, n'en est pas moins contestable dès lors qu'elle se fonderait sur une analyse erronée des droits dans la succession.
Pour l'ensemble de ces motifs, l'illicéité manifeste du trouble alléguée n'est pas suffisamment caractérisée pour faire droit aux demandes en référé de l'appelante et l'intervenant volontaire et c'est de manière justifiée que le juge des référés a débouté la première, la cour rejetant les demandes du second.
Sur la provision :
En vertu de l'article 433 du code de procédure civile de la Polynésie française, dans le cas où l'existence d'une obligation n'est pas contestable, le président peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Pour les mêmes motifs que ceux précédemment développés, il existe une contestation sur l'obligation pouvant donner lieu à créance d'argent sur les occupants de la parcelle litigieuse, leurs droits de propriété étant susceptibles de venir concurrencer ceux dont se prévalent l'appelante et l'intervenant volontaire.
La décision du juge des référés sera également confirmée de ce chef et la cour rejettera les demandes de M. [W].
2. Sur les frais et dépens :
Il serait inéquitable de laisser à la charge des consorts [T] les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens, il convient par conséquent confirmer la décision du tribunal qui a condamné Mme [M] à leur payer la somme de 250 000 F CFP, de condamner Mme [M] à leur payer 300 000 F CFP au titre des frais d'appel non compris dans les dépens et de débouter Mme [M] et M. [W] de leurs demandes au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Les dépens de première instance ont été justement mis à la charge de Mme [M] et la décision en ce sens sera confirmée et les dépens d'appel seront supportés par Mme [M] et M. [W] qui succombent conformément aux dispositions de l'article 406 du code de procédure civile de la Polynésie française et pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 409 du code de procédure civile de la Polynésie française.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;
CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance n° RG 20/00278 en date du 26 avril 2021 du juge des référés du tribunal civil de première instance de Papeete ;
Y ajoutant,
DEBOUTE M. [O] [W] de ses demandes en référé ;
CONDAMNE Mme [U] [J] [F]-[T] épouse [M] à payer à M. [E] [T] et M. [S] [T], pris ensemble, la somme de 300 000 F CFP (trois cent mille francs pacifique) au titre de ses frais d'appel non compris dans les dépens par application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
CONDAMNE in solidum Mme [U] [J] [F]-[T] et M. [O] [W] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 409 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Prononcé à Papeete, le 25 août 2022.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVEROsigné : K. SEKKAKI