No 47
RB
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Copie exécutoire
délivrée à :
- Me Malgras,
le 02.03.2017.
Copie authentique délivrée à :
- Me Quinquis,
le 02.03.2017.REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Commerciale
Audience du 2 mars 2017
RG 14/00260 ;
Décision déférée à la Cour : arrêt no 1126 F-D de la cour de cassation de Paris en date du 26 novembre 2013, ayant cassé l'arrêt no 328 - rg no 154/COM/09 - de la cour d'appel de Papeete du 21 juin 2012 ;
Sur appel formé par requête sur renvoi cassation déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 21 mars 2014 ;
Appelant :
Monsieur U... S..., né le [...] à Seine-Saint-Denis - France, de nationalité française, demeurant [...] ;
Représenté par Me Benoît Malgras, avocat au barreau de Papeete ;
Intimés :
La Société d'économie mixte locale Société de Financement du Développement de Polynésie française en abrégée "Sofidep", inscrite au Rcs de Papeete sous le no 7502-B, dont le siège social est à [...], [...] , agissant poursuites et diligences du président du conseil d'administration domicilié en cette qualité audit siège ;
Représentée par Me François Quinquis, avocat au barreau de Papeete ;
En présence de Monsieur José THOREL, substitut général ;
Comparant ;
Ordonnance de clôture du 16 septembre 2016 ;
Composition de la Cour :
Vu l'article R 312-9 du code de l'organisation judiciaire.
Dit que l'affaire, dont ni la nature ni la complexité ne justifient le renvoi en audience solennelle, sera jugée, en audience publique du 10 novembre 2016, devant M. BLASER, président de chambre, Mme TEHEIURA, conseiller et Mme TISSOT, vice-présidente placée auprès du premier président, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt contradictoire ;
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par M. BLASER, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A R R E T,
FAITS ET PROCEDURE :
Le 4 avril 2005, Monsieur U... S... a été nommé directeur général de la société d'économie mixte locale SOCIÉTÉ DE FINANCEMENT DU DÉVELOPPEMENT DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE (SOFIDEP) à la rémunération brute mensuelle de 950 000 FCP. Le 7 avril suivant, le directeur de la SOFIDEP a signé avec Monsieur U... S... une « lettre d'engagement valant contrat à durée indéterminée » prévoyant notamment qu'il pourrait être mis fin à tout moment aux fonctions de ce dernier, sans préavis, avec l'obligation pour la société de lui verser une indemnité égale à douze mois de rémunération mensuelle.
Par délibération du 18 juin 2007, le conseil d'administration de la SOFIDEP a mis fin aux fonctions de Monsieur U... S... à compter du 2 juillet 2007. Le 27 juin 2007, ce dernier a donné ordre à la banque de la SOFIDEP de virer sur son compte personnel la somme de 12 238 574 FCP.
Après mise en demeure infructueuse du 11 juillet 2007, la SOFIDEP a, par assignation du 9 août 2007, demandé au tribunal mixte de commerce de Papeete de condamner Monsieur U... S... à lui restituer la somme de 11 472 000 FCP sur le fondement de l'article 1235 du Code civil. Monsieur U... S... a soulevé l'incompétence de la juridiction commerciale au profit du tribunal du travail.
Par jugement du 24 novembre 2008,le tribunal mixte de commerce a :
- rejeté l'exception d'incompétence ;
- déclaré nulle la clause de cessation de fonction du contrat signé le 7 avril 2005 entre le président de la SOFIDEP et Monsieur U... S... ;
- condamné ce dernier à restituer à la SOFIDEP la somme de 11 472 000 FCP avec intérêts au taux légal à compter du 11 juillet 2007 ;
- rejeté les autres demandes ;
- condamné Monsieur U... S... à verser à la SOFIDEP la somme de 200 000 FCP en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, ainsi qu'aux dépens.
Par requête enregistrée au greffe de la cour le 3 avril 2009, Monsieur U... S... a interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt du 21 juin 2012, la cour a confirmé le jugement en toutes ses dispositions et condamné Monsieur U... S... à payer la somme de 200 000 FCP à la SOFIDEP en application de l'article 407 précité. La cour a jugé que le tribunal avait rejeté à juste titre l'exception d'incompétence dès lors que l'examen de la validité, selon les règles du droit commercial, de la clause du contrat afférent à l'indemnité de cessation de fonction constituait la condition préalable à l'examen de l'exception d'incompétence, et que sa nullité fondée sur la violation des dispositions du code de commerce relatives à la compétence du conseil d'administration de la société devait entraîner la répétition de l'indu.
La cour a par ailleurs jugé que la révocation de Monsieur U... S..., en sa qualité de mandataire social révocable ad nutum selon la lettre d'engagement du 7 avril 2005, n'avait pas à être motivée et ne nécessitait pas que la preuve d'une faute ou d'un grief soit rapportée. Elle a rejeté la demande de dommages-intérêts formée à ce titre.
Par arrêt du 26 novembre 2013, la Cour de cassation, saisie par Monsieur U... S... et statuant au visa des articles 1134 et 1382 du Code civil, a cassé l'arrêt de la cour d'appel mais seulement en ce qu'il avait rejeté la demande de Monsieur S... tendant au paiement de dommages-intérêts aux motifs, d'une part, que la cour avait dénaturé les termes clairs et précis de la lettre du 7 avril 2005 qui se bornait à prévoir qu'il pourrait être mis fin à tout moment aux fonctions de directeur général de Monsieur U... S... et, d'autre part, qu'elle n'avait pas recherché, comme elle y était invitée, si la révocation de ce dernier ne revêtait pas un caractère abusif eu égard aux circonstances dans lesquelles elle était intervenue.
La cause et les parties ont été renvoyées devant la présente cour autrement composée qui a été saisie par requête d'appel sur renvoi de cassation de Monsieur U... S... en date du 21 mai 2014.
DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES DEVANT LA COUR :
Monsieur U... S... demande la cour de :
- constater que les demandes qu'il forme sont identiques à celles déjà formées devant la cour qui a statué en 2012, et qu'elles sont validées à ce titre par la Cour de cassation ;
- constater que les dispositions de l'article L. 225-55 du code de commerce n'excluent nullement la notion de justes motifs, et que «son absence et l'abus de droit mentionné dans le texte est sanctionné par la jurisprudence en tout état de cause quel qu'en soit son fondement » ;
- relever qu'il existe un abus de droit manifeste dans sa révocation ;
- dire que le procès-verbal du conseil d'administration du 18 juin 2007, qu'il n'a pas contresigné et qu'il ignorait, ne constitue pas une preuve à son encontre ;
- constater qu'il subit un préjudice certain du fait de sa révocation sans juste motif et de sa révocation abusive ;
- condamner la SOFIDEP à lui payer, en deniers ou quittance, la somme de 11 472 000 FCP à titre d'indemnité pour révocation sans juste motif ;
- ordonner en tant que de besoin la compensation avec la somme équivalente perçue au titre de son indemnité contractuelle ;
- condamner la SOFIDEP Ã lui payer :
- la somme de 11 472 000 FCP pour « révocation abusive, non respect du contradictoire, caractère vexatoire de la rupture » ;
- la somme de 7 246 470 FCP au titre de la perte de rémunération prévue jusqu'à la fin de sa période de détachement ;
- la somme de 500 000 FCP au titre des frais irrépétibles « au regard de la très longue procédure suivie avant que Monsieur S... ne voit enfin ses droits reconnus » ;
- condamner la SOFIDEP aux dépens dont distraction d'usage.
Il soutient que :
- la révocation sans juste motif résulte du courrier du président de la SOFIDEP du 25 juin 2007 ; elle ouvre droit à des dommages-intérêts aux moins égaux à l'indemnité contractuelle prévue, en application de l'article 1134 du Code civil ;
- la révocation abusive résulte de ses circonstances non contradictoires, vexatoires et politiques ; elle a été suivie d'une plainte pour abus de confiance qui a été classée sans suite ; elle justifie une indemnisation équivalente à 12 mois de salaire ; les deux causes d'indemnisation se cumulent ;
- la perte de rémunération résulte de l'abrégement de son détachement qui devait se terminer en avril 2010 et de son retour anticipé dans son administration d'origine au traitement de 743 950 FCP mensuels d'où une perte de revenus mensuels de 219 590 FCP pendant 33 mois ;
- l'article L. 225-55 du code de commerce invoqué par la SOFIDEP n'exclut pas l'allocation de dommages et intérêts au titre de l'abus du droit de révocation.
La SOFIDEP demande à la cour de :
- déclarer irrecevables les demandes indemnitaires de Monsieur U... S... comme formées pour la première fois en cause d'appel ;
- dire qu'en l'état du droit applicable en Polynésie française, la révocation n'avait pas à être motivée ;
- dire que cette révocation n'a été ni brutale, ni vexatoire et que Monsieur S... n'a subi aucun préjudice financier ;
- le débouter en conséquence de ses demandes et le condamner au versement d'une somme de 300 000 FCP au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle soutient que :
- l'indemnité qu'elle conteste a un fondement contractuel alors que la réparation sollicitée par Monsieur S..., fondée sur les conditions de la rupture, est nouvelle en cause d'appel ;
- l'article L.225-55 du code de commerce applicable en Polynésie française, qui est d'ordre public, autorise la révocation du directeur général à tout moment, sans préavis ni précision de motifs, sauf dommages-intérêts si elle revêt un caractère abusif ; la révocation ad nutum résulte de la loi et non de la lettre d'engagement du 7 avril 2005, dont l'interprétation par la cour d'appel a été censurée par la Cour de cassation ;
- la révocation de Monsieur U... S... n'est ni abusive, ni vexatoire au vu du procès-verbal du conseil d'administration de la SOFIDEP en date du 18 juin 2007 ; la plainte pénale de la SOFIDEP n'est pas liée à la révocation mais au virement unilatéral opéré par Monsieur S..., qu'il a d'ailleurs été condamné à restituer ;
- les règles applicables en matière de détachement impliquant que le fonctionnaire soit rémunéré jusqu'à sa réintégration, Monsieur U... S... n'a subi aucun préjudice en réintégrant son poste de conseiller des services administratifs principal au sein de la fonction publique territoriale.
MOTIFS :
I. Seule demeure en débat devant la cour de renvoi la demande de dommages-intérêts de Monsieur U... S... fondée sur les circonstances de sa révocation et la perte de rémunération qui en est résultée.
La demande formée à ce titre en appel n'est pas nouvelle au sens de l'article 349 du code de procédure civile de la Polynésie française en ce qu'elle tend aux mêmes fins que les moyens de défense opposés en première instance par Monsieur U... S..., c'est-à -dire l'indemnisation de sa cessation de fonction, le cas échéant par compensation avec la répétition de l'indu résultant de l'annulation de la clause stipulant une indemnité égale à douze mois de rémunération mensuelle.
Au demeurant, l'arrêt de cassation censure la cour d'appel en ce qu'elle n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si la révocation de Monsieur S... ne revêtait pas un caractère abusif. La sanction de l'abus du droit de révocation justifie la demande de dommages-intérêts.
L'exception d'irrecevabilité soulevée par la SOFIDEP est rejetée.
II. Le caractère abusif de la révocation de Monsieur U... S... de ses fonctions de directeur général résulte des circonstances dans lesquelles elle est intervenue, telles qu'elles résultent du procès-verbal des délibérations du conseil d'administration du 18 juin 2007 puisqu'aucune autre pièce n'est versée aux débats par les parties.
Il ne ressort pas de ce procès-verbal que Monsieur U... S... ait été mis en mesure de présenter des observations antérieurement au vote relatif à son remplacement. Il en ressort au contraire qu'il a été mis devant le fait accompli et qu'il s'est contenté de l'accepter. La discussion ultérieure engagée avec lui sur la date de son départ effectif, retardée au 2 juillet 2007, n'est pas de nature à satisfaire au principe de la contradiction qui doit précéder la décision.
A ce titre, la révocation de Monsieur U... S... est abusive et elle a nécessairement généré un préjudice résultant de ces circonstances brutales qui n'ont permis à ce directeur général de faire valoir ses arguments et d'anticiper un brusque changement de sa situation professionnelle. Ce préjudice est évalué par la cour à la somme de 11 472 000 FCP correspondant à douze mois de rémunération mensuelle. La SOFIDEP sera condamnée à payer cette somme, en quittance ou deniers.
III. Il n'est pas contesté que les sociétés d'économie mixte locale sont régies, sauf dispositions spéciales, par les dispositions du code de commerce relatives aux sociétés anonymes.
Il résulte des dispositions de l'article L. 225-55 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en Polynésie à l'époque des faits, que la SOFIDEP n'avait pas l'obligation de motiver la révocation de son directeur général. En effet, les dispositions de la loi no 2001-420 du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques, qui ont imposé l'expression de justes motifs, n'ont pas été étendues à la Polynésie française.
En vain Monsieur U... S... soutient-il que le courrier du président de la SOFIDEP au ministre des finances et de la fonction publique, en date du 25 juin 2007, qui mentionne qu'aucune faute ne lui est imputé, démontre l'absence de justes motifs à sa révocation, dès lors qu'il résulte des termes de la loi que cette révocation n'avait pas à être motivée.
En conséquence, Monsieur U... S... est mal fondé à solliciter une indemnisation à ce titre.
IV. Monsieur U... S... ne peut davantage solliciter une indemnisation au titre de la perte de rémunération résultant d'une révocation anticipée.
D'une part, il ne disposait d'aucun droit acquis, au regard de sa situation de directeur général, à aller au terme de son détachement fixé à cinq ans par l'arrêté du 29 avril 2005. D'autre part, il ne démontre pas n'avoir pu réintégrer immédiatement son corps d'origine. Le courriel du service du personnel de la fonction publique dont il se prévaut subordonne précisément le maintien de la rémunération par l'organisme de détachement au défaut de réintégration dans le cadre d'emploi d'origine. Par ailleurs, il ne démontre pas davantage que ce retour anticipé ait eu pour conséquence d'éventuelles pertes de rémunération dans son corps d'origine.
La demande d'indemnités formée au titre de la perte de rémunération résultant d'une révocation anticipée est rejetée.
V. Au regard de la solution du litige en appel, et chaque partie succombant respectivement sur quelque chef de demande, il ne sera pas fait application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
La SOFIDEP sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;
Vu l'arrêt du 21 juin 2012 en ses dispositions non censurées par la Cour de cassation ;
Statuant uniquement sur la demande de Monsieur U... S... tendant au paiement de dommages-intérêts ;
Condamne la société d'économie mixte locale SOCIÉTÉ DE FINANCEMENT DU DÉVELOPPEMENT DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE à payer à Monsieur U... S... la somme de 11 472 000 FCP, en quittance ou deniers, en réparation de sa révocation abusive ;
Rejette toute autre demande,
Dit n'y avoir lieu application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;
Condamne la société d'économie mixte locale SOCIÉTÉ DE FINANCEMENT DU DÉVELOPPEMENT DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE aux dépens dans les conditions de l'article 409 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Prononcé à Papeete, le 2 mars 2017.
Le Greffier, Le Président,
signé : M. SUHAS-TEVERO signé : R. BLASER