No 201
RGo 49/SOC/07
Grosse délivrée à
Me Bouyssie
le
Expédition délivrée à
Me Cazeres
le
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Sociale
Audience du 24 avril 2008
Madame Catherine TEHEIURA, Conseillère à la Cour d'Appel de Papeete, assisté de Mme Maeva SUHAS-TEVERO, greffier ;
En audience publique tenue au Palais de Justice ;
A prononcé l'arrêt dont la teneur suit :
Entre :
Monsieur Christian X..., né le 23 juin 1950 à Paris 6ème, de nationalité française, commandant de bord A 340 auprès de la Compagnie Air Tahiti Nui, demeurant à Punaauia, BP 381 683 - 98718 Punaauia ;
Appelant par déclaration d'appel reçue au greffe du tribunal du travail de Papeete sous le no 07/06 en date du 25 janvier 2007, déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'Appel le 25 du même mois, sous le numéro de rôle 49/SOC/07, ensuite d'un jugement No 36 - 19 rendu par le Tribunal du travail de Papeete le 18 janvier 2007 ;
Représenté par Me CAZERES, avocat à Papeete ;
d'une part ;
Et :
La Sa Air Tahiti Nui (ATN), immatriculée au RCS de Papeete sous le no 6009-B ayant son siège social au carrefour du Pont de l'Est, BP 1673 - 98713 Papeete, prise en la personne de son Président Directeur Général en exercice ;
Représentée par Me BOUYSSIE, avocat à Papeete ;
d'autre part ;
Après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique du 28 février 2008, devant Madame TEHEIURA, conseillère faisant fonction de président, Mme PINET-URIOT et M. MONDONNEIX, conseillers, assistés de Mme SUHAS-TEVERO, greffier, le prononcé de l'arrêt ayant été renvoyé à la date de ce jour ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
A R R E T,
Par acte sous seing privé en date du 30 juin 1998, Christian X... a été engagé par la société AWAC Tahiti à compter du 5 octobre 1998, en qualité de commandant de bord A 340 au sein de la compagnie aérienne Air Tahiti Nui (ATN).
Par acte sous seing privé en date du 1er septembre 2001, il a été engagé par la société ATN en qualité de commandant de bord A 340 à compter du 1er septembre 2001.
Par requête déposée le 23 février 2006, il a saisi le tribunal du travail de Papeete afin d'obtenir le paiement de :
- la somme de 1 933 556 FCP, au titre de l'ancienneté ;
- la somme de 1 075 837 FCP, au titre des heures supplémentaires ;
- la somme de 600 000 FCP, à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
- la somme de 550 000 FCP, sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Par jugement rendu le 18 janvier 2007, le tribunal du travail de Papeete a rejeté ses prétentions.
Par déclaration faite au greffe du tribunal du travail de Papeete le 25 janvier 2007, Christian X... a relevé appel de cette décision afin d'en obtenir l'infirmation.
Il demande à la cour de :
- constater que son ancienneté doit être calculée à compter du 5 octobre 1998 ;
- condamner la société ATN à lui verser la somme de 1 933 556 FCP, au titre de la prime d'ancienneté ;
- enjoindre à la société ATN de procéder au calcul et au paiement du rappel des congés payés après intégration des primes d'ancienneté ;
- condamner la société ATN à lui payer la somme de 1 075 837 FCP, au titre des heures supplémentaires ;
- enjoindre à la société ATN de procéder au calcul et au paiement du rappel des congés payés après intégration des heures supplémentaires ;
- dire que les sommes mises à la charge de la société ATN produiront intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- enjoindre à la société ATN de régulariser sa situation auprès des organismes sociaux ;
- lui allouer la somme de 600 000 FCP, à titre de dommages-intérêts, pour résistance abusive et celle de 550 000 FCP, sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Il soutient que, par décision du 7 octobre 2002 devenue définitive et ayant acquis l'autorité de la chose jugée, le tribunal du travail de Papeete a jugé que la société ATN est son « employeur ab initio » ; qu'en effet, il a constaté « que l'activité de M. Z... n'a pas subi d'interruption du fait de la rupture de sa relation avec la SA AWAC TAHITI et que le contrat de travail de M. Alain Z... pour la SA AIR TAHITI NUI le 1er septembre 2001 s'inscrit, en application des dispositions de l'article 10 de la loi no 86-845 du 17 juillet 1986 modifiée, en continuité de son emploi en qualité de commandant de bord A 340 « au sein de la compagnie aérienne AIR TAHITI NUI », objet du contrat établi le 30 juin 1998 pour valoir à compter du 7 décembre 1998 et qui a pris fin le 31 août 2001 » ; que les documents versés aux débats établissent que son activité « n'a pas subi d'interruption du fait de la rupture de la convention AWAC-ATN» et que l'article 10 de la loi du 17 juillet 1986 est applicable au contrat de travail ; qu'il s'est toujours trouvé sous la subordination de la société ATN et que la société AWAC Tahiti dépendait directement de la société ATN ; qu'enfin, l'accord d'entreprise de 2005 reconnaît l'existence des heures supplémentaires à partir de 75 heures mensuelles à compter du 1er juillet 2005.
La société ATN demande à la cour de déclarer irrecevables les demandes formées par Alain Z... ; subsidiairement, de confirmer le jugement attaqué et de lui allouer la somme de 330 000 FCP, sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Elle fait valoir que Christian X... a engagé une première instance qui a fait l'objet d'une radiation et qu'il en a engagé une nouvelle au mépris du principe d'unicité de l'instance et malgré l'absence de dessaisissement du tribunal ; subsidiairement, que la situation de Christian X... est identique à celle d'Alain Z... et doit trouver une solution judiciaire identique ; qu'il a été mis à sa disposition dans le cadre d'une convention AWAC-ATN ; qu'en octobre 2002, le tribunal ne l'a pas qualifiée d'« employeur ab initio» ; que les relations contractuelles existant entre les parties ont été novées après le transfert du contrat ; que cette novation a été acceptée par Christian X... qui en a même été l'un des instigateurs principaux dans le cadre d'un aménagement spécifique d'horaires et qu'elle est intervenue après l'apurement du contentieux avec la société AWAC ; que le récapitulatif des heures supplémentaires produit par Christian X... n'est pas probant et confond heure complémentaire et heure supplémentaire ; que le tribunal du travail n'a pas admis le principe des heures supplémentaires et qu'il a, « au contraire, rappelé la règle des seuils privant M. Z... de l'application de la majoration de 25%, ne prenant acte que du décompte et du paiement offert par AWAC à ce titre » ; qu'il a relevé le caractère plus favorable au salarié du calcul des heures complémentaires au-dessus du quota de 70 heures et qu'elle applique, depuis le mois de septembre 2001, « la majoration contractuelle de la 70ème heure à la 75ème heure (en application de l'article 5 du contrat) au titre des heures complémentaires et respecte les critères de la majoration légale, dès lors qu'aucun des seuils fixés par l'article 4, 2ème et 3ème alinéa et l'article 12, 2ème et 3ème alinéa de la délibération » no 98-191 APF du 19 novembre 1998 ne se trouve atteint ; qu'il ne lui appartient pas de se substituer à l'appelant dans la détermination de sa créance ; que Christian X... n'a pas respecté son engagement moral de « faire table rase du passé » et qu'il utilise des documents fournis par des personnes ignorantes de sa situation professionnelle véritable.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2008.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la recevabilité de l'appel :
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée et aucun élément de la procédure ne permet à la cour d'en relever d'office l'irrégularité.
Sur la recevabilité des demandes :
Le principe de l'unicité de l'instance a pour fondement l'article R 516-1 du code du travail qui n'est pas applicable en Polynésie française.
Aucun texte polynésien ne l'a instauré et il est, au contraire, écarté par l'article 7 de la délibération no 2004-3 APF du 15 janvier 2004 selon lequel : « les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables en tout état de cause.. ».
Par ailleurs, les demandes qui ont fait l'objet d'une ordonnance de radiation en date du 19 septembre 2005 étaient différentes de celles formées par Christian X... dans le cadre de la présente instance.
Les prétentions actuelles de l'appelant doivent donc être déclarées recevables.
Sur l'ancienneté :
L'article 10 de la loi no 86-845 du 17 juillet 1986 dispose que : « s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ».
Une des conséquences du transfert d'entreprise est le maintien de l'ancienneté acquise par le salarié auprès du précédent employeur.
En l'espèce et bien qu'aucune partie ne produise la convention liant la société Awac Tahiti et la société Air Tahiti Nui, les contrats de travail suffisent à établir que la société Air Tahiti Nui a succédé en qualité d'employeur à la société Awac Tahiti et que le contrat de travail du 30 juin 1998 a été repris par l'intimée.
Toutefois, il est de jurisprudence constante que, si, en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur, l'article 10 de la loi du 17 juillet 1986 prévoit le maintien du contrat de travail en cours, il n'interdit pas, sous réserve de fraude, que le nouvel employeur convienne avec le salarié d'une novation du contrat en cours.
Or, en l'espèce, les parties ont signé, au moment du changement d'employeur, un contrat de travail prenant effet le 1er septembre 2001 et stipulant donc une renonciation de Christian X... à l'ancienneté acquise.
Christian X... n'établit, ni même n'allègue, un vice du consentement, une pression ou un harcèlement de la société ATN et/ou une fraude à ses droits.
Par ailleurs, il convient de souligner que le reste du contrat de travail, non seulement ne porte pas atteinte à ses droits, mais, au contraire, le fait bénéficier d'une augmentation substantielle de son salaire.
Enfin, le fait que l'avenant no5 au contrat de travail, des attestations de travail des 23 mai 2000, 13 décembre 2004 et 9 mars 2005, un certificat de membre d'équipage ainsi que des listes de séniorité mentionnent une date d'entrée dans l'entreprise au mois d'octobre 1998 ne saurait être une reconnaissance par la société ATN de son ancienneté puisque le contrat repris, puis nové par la société ATN a effectivement pris effet le 5 octobre 1998.
Dans ces conditions, le contrat du 30 juin 1998 avec effet au 5 octobre 1998 a subi une novation régulière et Christian X... ne peut prétendre à une ancienneté à compter du 5 octobre 1998.
Sur les heures supplémentaires :
Le contrat de travail liant les parties réglemente la rémunération d'heures complémentaires de la façon suivante :
« Au-delà de 70 heures d'activité par mois (comprenant les heures de vol réellement effectuées, les heures de simulateur et 50% des heures de vol de mise en place), le salarié bénéficiera du paiement d'heures complémentaires dans les conditions suivantes.
Chaque heure effective d'activité complémentaire donnera lieu au paiement d'une majoration de 1/70 de la rémunération prévue ci-dessus, quelle que soit l'heure de vol effectuée (de nuit ou de jour). »
Christian X... ne prétend pas que les heures complémentaires n'ont pas été payées.
Par ailleurs, le contrat de travail est plus favorable que la délibération no 98-191 APF du 19 novembre 1998 qui fixe à 75 heures au lieu de 70 heures la durée de travail effectif.
Et Christian X... ne démontre pas avoir dépassé la durée trimestrielle de 255 heures justifiant le paiement d'heures exceptionnelles.
Contrairement à ce qu'il affirme, le tribunal du travail n'a pas retenu, dans sa décision du 7 octobre 2002, le principe de l'existence d'heures supplémentaires.
En effet, la motivation du jugement fait incontestablement apparaître que le terme « heures supplémentaires » employé dans le dispositif correspond à des heures complémentaires dans la mesure où le tribunal a précisé que les dispositions applicables à Alain Z... sont celles du contrat de travail et non celles de la délibération du 19 novembre 1998.
Enfin, Christian X... ne produit pas l'accord d'entreprise de 2005 dont il se prévaut.
Il ne rapporte donc pas la preuve de ce qu'il se trouve créancier d'heures supplémentaires à l'égard de la société Air Tahiti Nui.
Dans ces conditions, le jugement attaqué doit, par substitution de motifs, être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de Christian X... ainsi que celle de la société ATN.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société ATN la totalité de ses frais irrépétibles d'appel et il doit ainsi lui être alloué la somme de 150 000 FCP, sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière sociale et en dernier ressort ;
Déclare l'appel recevable ;
Confirme, par substitution de motifs, le jugement rendu le 18 janvier 2007 par le tribunal du travail de Papeete ;
Dit que Christian X... doit verser à la société Air Tahiti Nui la somme de cent cinquante mille (150 000 FCP) francs pacifique, en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.
Prononcé à Papeete, le 24 avril 2008.
Le Greffier, La Présidente,
M. SUHAS-TEVERO C. TEHEIURA