No 29
RG 170/COM/04
Grosse délivrée à
Me Loyant
le
Expédition délivrée à
Me Usang
le
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D'APPEL DE PAPEETE
Chambre Commerciale
Audience du 31 janvier 2008
Madame Roselyne LASSUS-IGNACIO, conseillère à la Cour d'Appel de Papeete, assistée de Mme Maeva SUHAS-TEVERO, greffier ;
En audience publique tenue au Palais de Justice ;
A prononcé l'arrêt dont la teneur suit :
Entre :
La SNC TAHITI NEON, inscrite au RCS de Papeete sous le numéro 657-B, représentée par son gérant Monsieur Pierre GRIMAUD, gérant associé, dont le siège social est ZI Tipaerui, BP 2199 - 98713 Papeete ;
Appelante par requête en date du 13 avril 2004, déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'Appel le 15 avril 2004, sous le numéro de rôle 04/00170, ensuite d'un jugement no 40 - 21 du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete en date du 26 janvier 2004 ;
Représentée par Me LOYANT, avocat à Papeete ;
d'une part ;
Et :
Monsieur François X...
Y... LAN, de nationalité française, architecte, demeurant à Teavaro PK 3 côté montagne à Moorea ;
Intimé ;
Représenté par Me USANG, avocat à Papeete ;
d'autre part ;
Après que la cause ait été débattue et plaidée en audience publique du 15 novembre 2007, devant M. GAUSSEN, Président de chambre, Mme LASSUS-IGNACIO et M. MONDONNEIX, conseillers, assistés de Mme SUHAS-TEVERO, greffier, le prononcé de l'arrêt ayant été renvoyé à la date de ce jour ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
A R R E T,
LES FAITS ET LA PROCEDURE :
François X...
Y... LAN, architecte, a fait assigner la SNC TAHITI NEON, représentée par son gérant Pierre GRIMAUD, en paiement d'honoraires pour la construction d'un bâtiment.
La SNC TAHITI NEON n'a pas comparu en première instance.
Par jugement du 26 janvier 2004 le Tribunal Mixte de Commerce a condamné la SNC TAHITI NEON à payer à François X...
Y... LAN 6 058 800 FCFP, déduction faite d'un acompte, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 13 mars 2003 et 80 000 FCFP pour frais et honoraires non compris dans les dépens.
La SNC TAHITI NEON a relevé appel de ce jugement.
LES MOYENS DES PARTIES DEVANT LA COUR :
La SNC TAHITI NEON, représentée par Pierre GRIMAUD, soutient qu'elle n'a aucun lien contractuel avec François X...
Y... LAN, à qui elle estime ne rien devoir.
Elle fait valoir au soutien de son appel qu'elle avait conclu un contrat avec Paul Z..., représentant le C.E.I, cabinet d' expertise et d'ingénierie et C.E.I architecture, en vue de la construction d'un bâtiment industriel le 27 janvier 2001.
La mission confiée à Paul Z... comprenait :
A-le montage et suivi de l'avant projet sommaire et du projet définitif
B-la recherche de l'entreprise devant se charger des travaux
C-le suivi de l'élaboration du dossier de financement
D-le suivi technique de la conception de la mise en œuvre des bâtiments en qualité de maître de l'ouvrage délégué.
La rémunération de ces prestations était définie en pourcentage du montant de l'investissement, comme suit :
3 % du montant de l'investissement pour C.E.I cabinet d'expertise et d'ingénierie
3 % du montant de l'investissement pour C.E.I architecture
3 % du montant de l'investissement pour C.E.I cabinet d'ingénierie financière
sans que le montant de l'investissement soit jamais précisé.
Pierre GRIMAUD, qui fait observer que ces trois entités sont en fait Paul Z... lui-même, affirme avoir, comme prévu par les accords conclus, versé 900 000 FCFP à C.E.I, cabinet d'expertise et d'ingénierie pour le dossier technique et 900 000 FCFP à C.E.I architecture.
Il affirme que si François X...
Y... LAN a été choisi par Paul Z..., il n'en a pas été informé. Il ajoute que les 900 000 FCFP d'acompte pour honoraires d'architecte ont été reversés par Paul Z... à François X...
Y... LAN qui le reconnaît lui-même.
Pierre GRIMAUD indique que le permis de construire n'a été demandé que le 27 décembre 2001, au nom, non pas de CEI mais du cabinet EXPERCO (dont il pense qu'il était géré également par Paul Z...).
Il rappelle qu'il ignore les conventions entre Paul Z... et François X...
Y... LAN et qu'il n'a jamais approuvé une cession du marché conclu entre lui et le CEI, et qu'en outre il a demandé à EXPERCO de cesser ses travaux, ainsi qu'il en a avisé la commune de PAPEETE.
Pierre GRIMAUD estime que les sommes versées sont suffisantes pour couvrir les frais exposés pour le travail sommaire et incomplet réalisé avant la rupture du contrat, lui-même ayant dû reprendre personnellement l'intégralité du dossier pour obtenir enfin le permis le 14 novembre 2002.
En droit, il soutient que François X...
Y... LAN n'a pas qualité à agir et que ses demandes sont irrecevables, faute de contrat et, n'étant lié qu'avec Paul Z..., il estime que c'est ce dernier, seul maître d'œuvre contractuel, qui doit payer son sous traitant.
Pierre GRIMAUD rappelle qu'aux termes de la réglementation (article 11 du décret 80-217 du 20 mars 1980) le contrat d'architecte doit faire l'objet d'une convention écrite préalable.
Or le projet de contrat présenté par François X...
Y... LAN, qui reproche à SNC TAHITI NEON de ne pas l'avoir signé, et qui ne lui aurait jamais été présenté, est daté d'avril 2002, et donc postérieur au dépôt de la demande de permis de construire.
Il conteste également la signature qui lui est imputée et qui est apposée sur une prétendue procuration donnée par lui à François X...
Y... LAN le 24 janvier 2002 (après le dépôt de la demande de permis) curieusement non produite en première instance ; selon lui ce document est un faux qui doit être écarté des débats.
Quant aux cartouches portant le nom de François X...
Y... LAN en qualité de maître d'œuvre, apposés sur les plans annexés au permis de construire, il soutient qu'il ne s'agit pas de documents contractuels probants.
A cet égard, la SNC TAHITI NEON soutient que, malgré l'injonction du Conseiller de la Mise en Etat du 4 novembre 2005 faite aux parties de produire l'original de leurs pièces, François X...
Y... LAN a failli à son obligation et produit des documents suspects.
De plus Pierre GRIMAUD conteste le montant des honoraires réclamés qui ne reposent sur aucune évaluation du chantier prévu mais sur la base d'un barème d'architectes qui ne peut constituer qu'une indication.
La SNC TAHITI NEON demande à la cour de réformer le jugement déféré, de dire que François X...
Y... LAN n'a pas qualité pour agir et de juger ses demandes irrecevables.
Subsidiairement la SNC TAHITI NEON conclut au débouté, François X...
Y... LAN n'ayant pas rempli son obligation de résultat, l'acompte reçu de lui rémunérant suffisamment son travail.
Encore plus subsidiairement, la SNC TAHITI NEON sollicite une expertise afin d'évaluer la valeur réelle du travail réalisé.
Enfin la SNC TAHITI NEON réclame 300 000 FCFP pour frais et honoraires non compris dans les dépens.
François X...
Y... LAN affirme avoir été engagé par la SNC TAHITI NEON aux termes d'un contrat qu'elle n'a jamais signé ; selon lui, compte tenu du travail effectif réalisé, il lui est dû 6 958 800 FCFP, dont à déduire l'acompte de 900 000 FCFP, ces honoraires étant calculés sur la base du barème de l'ordre des architectes.
Pour prouver l'existence du contrat le liant à la SNC TAHITI NEON, il produit des courriers, le cartouche d'un des plans du dossier, la lettre de retrait du mandat initial à EXPERCO, signée par Pierre GRIMAUD, de même que le mandat que lui a confié Pierre GRIMAUD le 24 janvier 2002, après avoir renoncé à travailler avec Paul Z....
Il ajoute que Pierre GRIMAUD n'a jamais contesté ses nombreuses réclamations et mises en demeure.
Selon lui Pierre GRIMAUD est de mauvaise foi et son appel est abusif.
François X...
Y... LAN demande en conséquence, outre la confirmation du jugement déféré, 200 000 FCFP de dommages et intérêts et 330 000 FCFP sur le fondement de l' article 407 du Code de Procédure de POLYNESIE pour la procédure d'appel, le premier juge lui ayant alloué 80 000 FCFP à ce titre.
Le Conseiller de la Mise en Etat a ordonné la comparution personnelle des parties et la communication des pièces en original ; le magistrat s'est assuré de la conformité des originaux et des copies figurant aux dossiers.
MOTIFS DE L'ARRET,
La recevabilité de l'appel n'est pas discutée.
Sur la qualité de François X...
Y... LAN à agir :
Il est constant que la SNC TAHITI NEON représentée par Pierre GRIMAUD était liée contractuellement à Paul Z... représentant diverses entités sous le nom de "cabinet d'expertises et d'ingénierie" ou CEI (dont une intitulée cabinet d'expertises et d'ingénierie architecture) en vue de la réalisation d'un bâtiment industriel suivant acte du 27 janvier 2001.
Aux termes de ce contrat, le CEI était le maître d'œuvre délégué.
François X...
Y... LAN poursuit à titre personnel l'exécution d'un contrat d'architecte ayant le même objet.
La SNC TAHITI NEON soutient qu'à défaut de contrat, François X...
Y... LAN n'a pas qualité pour agir et que ses demandes sont irrecevables.
François X...
Y... LAN ne s'explique pas de façon précise sur ses relations avec Paul Z..., l'ayant conduit à figurer comme maître d'œuvre sur les plans à la place de CEI, ni sur l'évolution des relations des parties, ni le fondement de ses demandes et il n'a pas conclu en droit sur la recevabilité de sa demande en paiement.
En effet, alors qu'il affirme dans ses écritures qu'il a été "engagé" par la SNC TAHITI NEON pour la construction d'un bâtiment, mais que la SNC ne lui aurait jamais retourné le contrat signé (projet daté d'avril 2002), il résulte des pièces du dossier qu'en réalité les travaux d'études et de plans ont commencé fin 2001, avant le début de ses prétendues relations directes avec la SNC TAHITI NEON et il est manifeste que l'architecte était mandaté par Paul Z... ; la preuve en est que c'est Paul Z... et non TAHITI NEON qui lui a versé les 900 000 FCFP d'acompte payés courant 2001.
Si Paul Z... entendait faire travailler des sous traitants, il lui appartenait de les payer lui-même, sauf à respecter des procédures précises qui n'ont pas été mises en œuvre, comme le soutient Pierre GRIMAUD sans être contredit sur ce point de droit.
D'ailleurs François X...
Y... LAN ne fonde pas ses demandes sur l'action directe du sous traitant contre le maître de l'ouvrage, et il élude ses relations avec Paul Z....
Il s'ensuit que pour pouvoir prétendre percevoir des honoraires pour le travail effectué au nom de la SNC TAHITI NEON, François X...
Y... LAN doit justifier de ses relations contractuelles directes avec cette société ; faute de quoi c'est Paul Z... qu'il devra poursuivre en exécution de leurs obligations.
François X...
Y... LAN produit, pour tenter de prouver ses relations contractuelles avec Pierre GRIMAUD, gérant de la SNC TAHITI NEON, une lettre de mandat, les plans qu'il prétend avoir établis et les démarches faites par lui, outre l' acompte perçu.
François X...
Y... LAN se prévaut d'un document du 24 janvier 2002 aux termes duquel Pierre GRIMAUD lui aurait donné mandat "pour démarche administrative nécessaire au permis de construire".
La signature figurant sur ce document est contestée par Pierre GRIMAUD.
La cour regrette que François X...
Y... LAN n'ait pas jugé utile de remettre à la cour au moment de l'audience de plaidoiries l'original présenté au Conseiller de la Mise en Etat ; toutefois la comparaison avec les autres documents signés par Pierre GRIMAUD -non contestés- permet à la cour de constater que s'il existe des ressemblances certaines il existe aussi des différences manifestes, de sorte que ce document ne peut être attribué de façon formelle à Pierre GRIMAUD.
Qui plus est ce document ne peut valablement être considéré comme un contrat liant les parties, dans la mesure où il est contredit par les autres pièces dont se prévaut François X...
Y... LAN.
En effet, à la date de la signature de ce prétendu mandat, le permis de construire était déjà déposé, comme le montrent tous les plans datés du 8 octobre 2001 sur lesquels François X...
Y... LAN figure en qualité de maître d'œuvre ; s'il était déjà le maître d'œuvre en octobre 2001, on voit mal l'intérêt de ce prétendu mandat plusieurs mois après.
De plus les acomptes de Pierre GRIMAUD ont été payés entre juin et août 2001 à Paul Z... et non à François X...
Y... LAN.
Ce dernier le reconnaissait lui-même dans sa lettre de réclamation à Pierre GRIMAUD du 29 janvier 2003, ce qui ne l'empêche pas de soutenir le contraire dans ses écritures.
D'ailleurs à la date de paiement, Pierre GRIMAUD traitait avec Paul Z... qui avait délégué le cabinet EXPERCO comme maître d'ouvrage délégué, comme on peut le voir sur les plans, et c'est seulement en février 2002 que Pierre GRIMAUD a cessé ses relations avec EXPERCO.
Enfin ce paiement est antérieur au projet de contrat établi en avril 2002 par François X...
Y... LAN que Pierre GRIMAUD conteste avoir jamais vu.
Ainsi il résulte des propres pièces de François X...
Y... LAN qu'à la date de l'établissement des plans et du dépôt du permis de construire le 8 octobre 2001, il n'était pas lié directement par contrat avec la SNC TAHITI NEON, à laquelle il ne peut réclamer aucun paiement direct, ce paiement lui étant dû par son véritable mandant, Paul Z... qui n'est pas dans la cause.
Faute de justifier de façon formelle de l'existence d'un contrat le liant à la SNC TAHITI NEON, François X...
Y... LAN n'a pas d'action contre elle et sa demande est irrecevable.
Sur le bien fondé des sommes demandées :
Au surplus, et surabondamment, comme le soulève Pierre GRIMAUD, la demande, qui n'est pas valablement chiffrée, n'est pas fondée.
François X...
Y... LAN affirme en effet avoir fait une estimation de ses honoraires en fonction du coût envisagé pour la construction d'après le barème des architectes de Polynésie.
Or d'une part ce barème n'est pas produit, d'autre part on ignore l'ampleur du projet de construction, le coût de l'opération, sur lequel est calculé le pourcentage dû à l'architecte n'étant jamais précisé, François X...
Y... LAN se bornant à indiquer le seul montant des honoraires auxquels il prétend.
Sur les frais et honoraires :
Il est inéquitable de laisser à la charge de la SNC TAHITI NEON les frais et honoraires qu'elle a exposés et François X...
Y... LAN doit être condamné à lui payer 200 000 FCFP sur le fondement de l'article 407 du Code de Procédure Civile de POLYNESIE FRANCAISE.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière commerciale et en dernier ressort ;
Réformant le jugement déféré,
Dit que François X...
Y... LAN ne justifie d'aucun lien contractuel avec la SNC TAHITI NEON ;
Dit qu'il n'a pas qualité pour solliciter le paiement d'honoraires ;
Surabondamment,
Le déboute de ses demandes non justifiées ;
Condamne François X...
Y... LAN à payer à la SNC TAHITI NEON la somme de DEUX CENT MILLE (200 000 FCFP) FRANCS PACIFIQUE sur le fondement de l'article 407 du Code de Procédure de la Polynésie Française ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne François X...
Y... LAN aux dépens.
Prononcé à Papeete, le 31 janvier 2008.
Le Greffier, P/Le Président,
M. SUHAS-TEVERO R. LASSUS-IGNACIO