La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/06/2022 | FRANCE | N°21/001231

France | France, Cour d'appel de noumea, 01, 30 juin 2022, 21/001231


No de minute : 146/2022

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 30 Juin 2022

Chambre Civile

Numéro R.G. : No RG 21/00123 - No Portalis DBWF-V-B7F-R5N

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Mars 2021 par le Tribunal de première instance de NOUMEA (RG no :19/444)

Saisine de la cour : 27 Avril 2021

APPELANT

M. [Z] [R]
né le [Date naissance 3] 1957 à [Localité 5] (Seine-Maritime),
Actuellement détenu au camp est -
Représenté par Me Philippe REUTER de la SELARL D'AVOCATS REUTER-DE RAISSAC-PATET, avocat au barreau d

e NOUMEA

INTIMÉ

M. [M] [O]
né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 4],
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Fré...

No de minute : 146/2022

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 30 Juin 2022

Chambre Civile

Numéro R.G. : No RG 21/00123 - No Portalis DBWF-V-B7F-R5N

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Mars 2021 par le Tribunal de première instance de NOUMEA (RG no :19/444)

Saisine de la cour : 27 Avril 2021

APPELANT

M. [Z] [R]
né le [Date naissance 3] 1957 à [Localité 5] (Seine-Maritime),
Actuellement détenu au camp est -
Représenté par Me Philippe REUTER de la SELARL D'AVOCATS REUTER-DE RAISSAC-PATET, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

M. [M] [O]
né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 4],
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Frédéric DE GRESLAN de la SELARL SOCIETE D'AVOCAT DE GRESLAN-LENTIGNAC, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 Avril 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller, président,
Mme Zouaouïa MAGHERBI, Conseiller,
Mme Nathalie BRUN, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Nathalie BRUN.

Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Mme Marie-Claude XIVECAS, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Selon requête signifiée le 27 février 2019 et déposée au greffe de la juridiction le 28 février 2019, M, [Z] [R] a saisi le tribunal de première instance de Nouméa aux fins de voir condamner M. [M] [O], ès qualités de directeur de publication du journal « LE CHIEN BLEU » à lui payer une somme de 600 000 francs CFP en réparation de son préjudice, outre la somme de 250 000 francs au titre de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de son conseil.

Par jugement en date du 08 mars 2021 le tribunal de première instance de Nouméa a notamment débouté M. [Z] [R] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à verser à M. [M] [O], ès qualités de directeur de publication du journal "LE CHIEN BLEU", la somme de 250 000 francs CFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie .

PROCEDURE D'APPEL

Par requête d'appel enregistrée le 27 avril 2021, M. [R] a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives déposées le 27 octobre 2021 il demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :
- Condamner M. [O], ès-qualités de Directeur de publications du Journal « Le Chien Bleu » à lui payer une somme de 600.000 XPF en réparation du préjudice subi
- le condamner au paiement d'une somme de 250.000 XPF au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile applicable en Nouvelle-Calédonie ;
- le condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL REUTER - DE RAISSAC - PATET, Avocats aux offres de droit.

Aux termes de ses dernières conclusions et valant appel incident déposées le 1 octobre 202 le directeur du journal M. [O], forme appel incident et demande à la cour :
Vu les dispositions de l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 de la loi du 29 juillet 1881,
Vu l'article 9-1 du Code Civil,
Vu les dispositions de l'article 641 du Code de procédure civile de la Nouvelle Calédonie,
A titre principal
- Dire et juger que l'action de M. [R] est prescrite ;
- Infirmer la décision du tribunal de première instance de Nouméa en ce qu'il a écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action ;
A titre subsidiaire :
- Dire et juger qu'il n'a pas porté atteinte à la présomption d'innocence de M. [R]
- Confirmer la décision du Tribunal de première instance de Nouméa en ce qu'il a débouté M [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner Monsieur [R] à lui payer la somme de 300.000 F.CFP en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner M. [R] aux entiers dépens.

Vu l'ordonnance de clôture,

SUR CE,

Sur la prescription

L'alinéa 1er de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit que « l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait ».

M. [O] au soutien de son appel incident fait grief au premier juge d'avoir considéré que le dépôt au greffe d'un bordereau de pièces le 28 mars 2019 constitue un acte de procédure manifestant à l'adversaire son intention de poursuivre l'instance, au motif que la date est attestée par le tampon apposé par le greffe.

Il expose que ce bordereau de pièces ne peut constituer une cause d'interruption du délai dès lors qu'il n'a pas été communiqué à l'autre partie et qu'il tend à la production d'une pièce déjà versée par le requérant.

Il soulève à titre principal la prescription de l'action dès lors qu'aucun acte interruptif n'est intervenu entre la requête introductive d'instance du 27 février 2019 et les conclusions à fin d'interruption de prescription du 28 mai 2019, le dépôt au greffe d'un bordereau de pièces ne pouvant selon lui constituer une cause d'interruption du délai dès lors qu'il n'a pas été communiqué à l'autre partie et qu'il tend à la production d'une pièce déjà versée par le requérant. Subsidiairement, il considère sur le fond que l'article de presse, qui doit être pris dans son ensemble, ne contient pas de conclusions définitives tenant pour acquise la culpabilité de M. [R] quant au crime pour lequel il a été mis en examen et rappelle qu'à aucun moment ce dernier n'a nié avoir tué son voisin en lui tirant dessus.

En réplique, M. [R] soutient que la prescription de son action soulevée par le défendeur n'est pas encourue dès lors que l'assignation et les actes postérieurs de procédure respectent les dispositions de l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881, se prévalant notamment de l'interruption de la prescription par un dépôt, au greffe de la juridiction, le 28 mars 2019, d'un bordereau de transmission de pièces.

En l'espèce, comme en première instance, il excipe de l'absence d'effet interruptif du dépôt de pièces du 28 mars 2019 au motif que qu'il ne s'agissait nullement d'une nouvelle pièce pouvant constituer un acte de procédure de nature à interrompre la prescription, cette pièce avait été jointe à la requête introductive d'instance. Il fait grief à la décision entreprise d'avoir retenu que « l'article litigieux ainsi versé n'avait pas été communiqué avec l'acte introductive d'instance ».
De plus, il excipe de l'absence de notification de cet acte, pouvant valoir acte interruptif de prescription.

Selon la jurisprudence dans les instances civiles en réparation des délits prévus par la loi du 29 juillet 1881, constitue un acte interruptif de la prescription tout acte régulier de procédure par lequel le demandeur manifeste son intention de continuer l'action engagée, même si cet acte n'est pas porté à la connaissance de la partie adverse (Cass 1er civ 5 avril 2012).

Par ailleurs, aux termes de l'article 132 du code de procédure civile de Nouvelle- Calédonie, « les pièces sont communiquées par le dépôt au greffe, sauf pour le juge le pouvoir d'ordonner la communication aux parties en vertu de l'article 136-1 du même code. ».

En conséquence, la cour considère que ladite pièce n'a pas été jointe à la requête introductive d'instance, et son simple dépôt au greffe avec le tampon de la date du 28 mars 2019 suffit à retenir cet acte comme valant son intention de continuer l'action engagée, même si cet acte n'est pas porté à la connaissance de la partie adverse M. [O]. De sorte que la prescription a été interrompue dans le délai par le dépôt du bordereau de pièce.

Sur l'atteinte à la présomption d'innocence

L'article 9-1 du code civil dispose ainsi : « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence.
Lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l'insertion d'une rectification ou la diffusion d'un communiqué, aux fins de faire cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte. »

Le droit consacré à cet article est donc celui de ne pas être présenté publiquement comme coupable de faits délictueux, alors qu'une procédure pénale est en cours à leur sujet. Ainsi, selon la Cour de cassation, « l'atteinte à la présomption d'innocence contre laquelle l'article 9-1 du code civil instaure une protection, consiste à présenter publiquement comme coupable, avant condamnation, une personne poursuivie pénalement » (1re civ., 6 mars 1996, pourvoi no93-20.478, Bull. civ. I, no 123 ; 1re Civ., 30 octobre 2013, pourvoi no12-28.018).

Au soutien de ses prétentions, M. [R] expose qu'une information judiciaire a été ouverte à son encontre le 15 septembre 2018 du chef d'assassinat ; qu'aux termes d'un article intitulé « Traitement de faveur pour le docteur assassin ? Le Docteur [R] a fait un tour au CHS » paru dans l'édition du mois de décembre 2018 du journal « LE CHIEN BLEU », il a été présenté comme coupable du crime d'assassinat, alors même que l'information judiciaire était toujours en cours et qu'il devait, en vertu de l'article préliminaire du code de procédure pénale et de l'article 9-1 du code civil, bénéficier de la présomption d'innocence ; que cet article de journal le présente comme un assassin qui, avec préméditation, aurait « flingué » son voisin en lui tirant plusieurs fois dessus pour ne lui laisser aucune chance, laissant à penser à un être dangereux et lâche, ce qui a eu des conséquences importantes sur ses conditions de détention dès lors qu'il a été l'objet d'injures, de menaces de mort et de violences physiques qui ont altéré sa santé, préjudice dont il sollicite l'indemnisation.

La jurisprudence de la Cour de cassation exige pour caractériser l'atteinte au droit à la présomption d'innocence, que soient formulées à l'égard d'une personne, des conclusions définitives tenant pour acquise sa culpabilité (Cass ass plén 21 décembre 2006). Ainsi l'évocation d'une possible culpabilité n'est pas suffisante.

L'atteinte n'est caractérisée qu'à la double condition que l'existence de l'enquête ou de l'instruction soit rappelée dans le texte litigieux, à moins qu'elle ne soit notoire, et que les propos incriminés contiennent des conclusions définitives manifestant un pré-jugé tenant pour acquise la culpabilité de la personne concernée pour les faits objets de l'enquête ou de l'instruction.

M. [R] fait valoir que plusieurs passages de l'article sont attentatoires à la présomption d'innocence.

La cour constate que c'est par des motifs pertinents qu'elle adopte que le premier juge a retenu que :
- S'agissant du titre le désignant comme étant « Docteur assassin » : à l'instar du premier juge que si cette expression renvoie quant à elle à l'infraction pénale d'assassinat, à laquelle elle associe sans nuance ni recul, le nom de M. [R], pour autant la lecture de l'article permet de comprendre qu'aucune décision judiciaire définitive n'est intervenue ; qu'une enquête est en cours ; que M. [R] conteste toute préméditation. Ainsi, un titre tendancieux ne suffit pas à constituer l'atteinte à la présomption si la lecture de l'article introduit des doutes sur la culpabilité du demandeur.
De sorte que cette expression ne peut caractériser à elle seule une conclusion définitive tenant pour acquise la culpabilité.

- Les trois premières phrases de l'article « le docteur [R] a flingué son voisin à coups de carabine. Il ne lui a pas laissé de chance puisqu'il a tiré plusieurs fois. Le chirurgien va avoir du mal à prouver qu'il n'a pas agi avec préméditation? » s'analysent non seulement en une relation des faits mais également en une appréciation quant à la possibilité pour lui de contester la circonstance de leur préméditation ; qu'elles ne présentent pas l'appelant comme une personne assurément coupable.

- L'expression « docteur assassin » faisant référence au fait, non contesté et largement évoqué dans la presse que M. [R], médecin de son état a donné la mort à M. [D] [Y], n'implique pas pour autant une conclusion définitive quant à sa culpabilité.

Dans ses conditions, la décision entreprise sera confirmée.

M. [R] sera condamné à supporter la charge des dépens et à verser M. [O], ès-qualités de Directeur de publications du Journal « Le Chien Bleu » la somme de 250 000 FCFP au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

Condamne M. [Z] [R] à verser M. [M] [O], ès-qualités de Directeur de publications du Journal « Le Chien Bleu » la somme de 250 000 FCFP au titre des frais irrépétibles ;

Condamne M. [R] aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL REUTER - DE RAISSAC - PATET, Avocats aux offres de droit.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de noumea
Formation : 01
Numéro d'arrêt : 21/001231
Date de la décision : 30/06/2022
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : Tribunal de première instance de Nouméa, 08 mars 2021


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2022-06-30;21.001231 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award