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23/04/2015 | FRANCE | N°94

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre coutumière, 23 avril 2015, 94


COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 23 Avril 2015

Chambre coutumière

Numéro R. G. : 15/ 00039

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Décembre 2013 par le Tribunal de première instance de Nouméa-Section détachée de Koné (RG no : 12/ 55)

Saisine de la cour : 04 Février 2015

APPELANT

M. Charles Martin X...
né le 19 Mars 1973 à HOUAILOU (98816)
demeurant ...-98835 DUMBEA
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2014/ 637 du 23/ 09/ 2014 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUM

EA)
Représenté par Me Martine MOLET, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

M. Charles C...
né le 08 Août 1954 à HOUAI...

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 23 Avril 2015

Chambre coutumière

Numéro R. G. : 15/ 00039

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Décembre 2013 par le Tribunal de première instance de Nouméa-Section détachée de Koné (RG no : 12/ 55)

Saisine de la cour : 04 Février 2015

APPELANT

M. Charles Martin X...
né le 19 Mars 1973 à HOUAILOU (98816)
demeurant ...-98835 DUMBEA
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2014/ 637 du 23/ 09/ 2014 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)
Représenté par Me Martine MOLET, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

M. Charles C...
né le 08 Août 1954 à HOUAILOU (98816)
demeurant ...-98816 HOUAILOU
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2011/ 1324 du 03/ 02/ 2014 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)
Représenté par Me Caroline PLAISANT, avocat au barreau de NOUMEA

M. Karyl C...
né le 21 Septembre 1977 à HOUAILOU (98816)
demeurant ...-98816 HOUAILOU
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2011/ 1325 du 03/ 02/ 2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)
Représenté par Me Caroline PLAISANT, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Avril 2015, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Pierre GAUSSEN, Président de Chambre, président,
M. Régis LAFARGUE, Conseiller,
M. François DIOR, Conseiller,
M. Martial TYUIENON, assesseur coutumier de l'aire Xaracuu,
M. Wapone CAWIDRONE, assesseur coutumier de l'aire Nengone,
M. Emmanuel AYAWA, assesseur coutumier de l'aire Paici-Camuki,
M. Jean EURISOUKE, assesseur coutumier de l'aire Paici-Camuki,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Régis LAFARGUE.

Greffier lors des débats : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :
- réputé contradictoire,
- prononcé en audience publique, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Pierre GAUSSEN, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Les consorts C... ont été victimes de l'incendie de leurs maisons et de leurs véhicules les 22 et 23 janvier 2008 à Houaïlou.

Ces faits s'inscrivent dans le contexte d'un conflit ancien opposant les clans C... et E...-X.... Ils font suite à des violences commises au centre-bourg de Houaïlou en novembre 2007 (d'importantes tensions étaient apparues le 17 novembre 2007 entre les membres des clans C... et E...-X...). A la suite de ces violences, les membres du clan C..., résidant habituellement à la tribu d'Ouakaya avaient dû abandonner leurs domiciles respectifs (pour les derniers le 17 décembre 2007), lesquels avaient été exposés aux actes de vandalisme commis par le clan adverse (entre le 25 décembre 2007 et janvier 2008).

C'est dans ce contexte que, le matin du 10 janvier 2008, Sergio D...(clan E...-X...) avait été mortellement atteint par une balle, alors qu'il se rendait armé en compagnie de deux autres personnes sur les terres du clan C... à la tribu de Ouakaya. Le tireur, M. Marcellin C..., a été condamné pour ces faits par la cour d'assises d'appel le 26 juin 2013 à la peine de huit (8) ans d'emprisonnement.

Postérieurement à ce meurtre, par crainte de représailles de la part des membres du clan E...-X..., les différents membres de la famille C...avaient du quitter la vallée. C'est alors que dans la nuit du 23 janvier 2008, huit habitations du clan C... ont été incendiées par le clan adverse.

Entre-temps, le conflit a trouvé son épilogue (au moins provisoirement) avec la signature le 27 mars 2010 d'un accord intitulé " Charte d'engagement pour la sécurisation et le développement de la vallée de la Ouakaya ", entre le clan E...-X..., représenté par son chef de clan, M. Anicet E..., et le clan C..., représenté par M. Charles C....
L'accord rappelle les responsabilités des chefs de clan en les désignant comme " référents pour régler et répondre des questions relatives à l'ordre, à la discipline et au respect des membres des autres clans de la vallée " (art. 2), et en les instituant comme " interlocuteurs privilégiés " des gendarmes en vue d'apporter l'aide nécessaire à la résolution des crimes et délits constatés dans cette vallée (art. 3). Enfin, l'article 8 précise au titre des sanctions que : " si les dispositions de la charte ne sont pas respectées, l'interdiction de séjour d'une durée déterminée par le chef de clan sera appliquée selon la gravité de l'acte. Les chefs de clan s'engagent à prendre les mesures nécessaires pour isoler toute personne qui constituerait une entrave à l'application de la présente charte. L'isolement sera décidé par le chef de clan en fonction de la gravité des actes reprochés. Par ailleurs, tous les actes de dégradation commis devront faire l'objet d'une réparation ".

Le présent contentieux se rattache aux faits d'incendie volontaire des habitations du clan C... survenus dans la nuit du 22 au 23 janvier 2008, postérieurement au meurtre de Sergio D....

Le tribunal correctionnel de Koné a déclaré (jugement du 13 avril 2011) MM. Grégory Alphonse F..., Geoffrey Hypolite D..., et Charles X..., coupables des faits et les a condamnés à la peine de 6 mois d'emprisonnement dont 4 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve.

Sur les intérêts civils, le tribunal après avoir déclaré recevables les constitutions de parties civiles de M. Charles C...et de Mme Marie-France G...agissant en leurs nom personnel et en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs (Adolphe, Karyl, Cindrick et Varenka C...), s'est déclaré incompétent pour examiner les demandes indemnitaires, conformément à l'avis de la Cour de Cassation du 15 janvier 2007.

Par requête du 20 février 2012 complétée par écritures du 2 octobre 2012 M. Charles C...(chef de clan), son épouse Mme Marie-France G..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fils mineur Adolphe C..., outre leurs deux autres enfants Karyl, et Cindrick C...et Mme Varenka C...(les consorts C...), ont demandé à la juridiction de condamner solidairement les auteurs des faits à leur verser :

1o/ Au titre de leur préjudice moral, à :
- M. Charles C...et Mme Marie-France G..., chacun : 500. 000 F CFP ;
- M. Adolphe C...(enfant mineur), M. Cindrick C...et Varenka C..., chacun : 300. 000 F CFP ;
2o/ au titre de leur préjudice matériel, à MM. Charles et Karyl C..., chacun : 1. 000. 000 F CFP.

Les défendeurs régulièrement cités, n'ayant pas conclu, par jugement réputé contradictoire en date du 16 décembre 2013, le tribunal a condamné MM. D..., F...et X... à payer :

1o/ Au titre de leur préjudice moral, à :
- M. Charles C..., Mme Marie-France G...et M. Karyl C..., chacun, la somme de 200 000 F CFP ;
- M. Adolphe C..., M. Cindrick C...et Mme Varenka C..., chacun, la somme de 100. 000 F CFP ;
2o/ au titre de leur préjudice matériel, à MM. Charles C... et Karyl C..., chacun, la somme de 200. 000 F CFP.

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête du 30 avril 2014, M. Charles X... seul (à la différence des deux autres condamnés) a interjeté appel de ce jugement signifié le 25 mars 2014.

Faute d'avoir déposé un mémoire ampliatif dans les délais l'affaire a été radiée du rôle le 16 janvier 2015.

Par courrier reçu le 04 février 2015 les consorts C... ont sollicité la réinscription de l'affaire au rôle pour qu'il soit statué sur la base des conclusions de première instance, par application de l'article 904 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie.

M. Charles X..., pour lequel un avocat a été désigné au titre de l'aide judiciaire, n'a pas conclu. Il sera statué par arrêt réputé contradictoire.

Par ordonnance du 18 février 2015 la clôture a été prononcée à cette date et l'affaire fixée à l'audience du 13 avril 2015.

MOTIFS

Attendu qu'il convient de constater que le jugement déféré en date du 16 décembre 2013 est définitif à l'égard de M. Grégory Alphonse F...et de M. Geoffrey Hypolite D..., seul M. Charles X... ayant interjeté appel ;
Que faute pour celui-ci d'avoir déposé son mémoire ampliatif dans les délais prescrits, il y a lieu de statuer sur la base des conclusions de première instance par application de l'article 904 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie, ainsi que le demandent les intimés ;

1o/ sur le droit applicable :

Attendu, ainsi que l'a rappelé le Conseil Constitutionnel (décision no2013-678 DC du 14 novembre 2013), que dans les rapports entre personnes de statut coutumier kanak la réparation du préjudice obéit aux seuls principes de la coutume ; qu'ainsi, les demandes doivent être fondées sur les normes coutumières ainsi que l'avait déjà rappelé la Cour de Cassation dans son avis du 15 janvier 2007 (avis no007/ 001, Bull. crim. 2007, avis no1), et ses arrêts successifs : Cass. Crim., 30 juin 2009, Bull. crim. 2009, no139 ; Crim, 3 septembre 2014 no13-85. 031 ; Crim., 26 novembre 2014, pourvoi no12-87. 960 (lequel rappelle en outre l'intangibilité de la loi applicable à la réparation du dommage en cas de changement de statut personnel postérieur à la naissance du dommage) ;

2o/ Sur les principes fondamentaux de la coutume :

Attendu que la réparation du dommage résultant d'un fait, même involontaire, commis par une personne de statut coutumier kanak est admis dans les relations coutumières (Cf. CA Nouméa, 12 juin 2013 RG no 12/ 387 Consorts J...c. L...: E. Cornut, " La réparation du préjudice civil en vertu de la coutume kanak ", Revue juridique politique et économique de Nouvelle-Calédonie no22, 2013/ 2, p. 138-151) ;

Qu'en l'état de la coutume autochtone avant que n'interviennent des influences exogènes, il existait dans le cadre du règlement des conflits des mesures de réparation au profit du groupe familial victime, lesquelles se traduisaient notamment par des cessions de terres, la remise de monnaies kanakes ou encore par des dons de vie : des membres du clan agresseur étant donnés non comme otages ou victimes expiatoires mais comme personnes adoptées, au clan victime, pour réparer par équivalent la vie qu'on leur avait enlevée ;

Qu'aujourd'hui, la société kanak qui valorise toujours la force des liens communautaires n'en ignore pas pour autant l'existence des droits attachés à la personne, spécialement lorsque celle-ci se retrouve victime ; que ces droits attachés à la personne trouvent leur expression privilégiée, mais non exclusive, dans la volonté du clan dont chaque membre est un élément actif en étant partie prenante à la décision commune ;

Que ce constat implique deux conséquences principales :

2. 1- D'abord, sur la nature et les spécificités de la réparation en lien avec la règle coutumière, et la distinction entre coutume de pardon et droit à indemnisation intégrale du préjudice :

Attendu que le droit à réparation intégrale du préjudice est autonome par rapport à la " coutume de pardon " ; que ces deux réponses, qui se situent sur des plans différents, ne s'excluent pas l'une l'autre, chacune remplissant une fonction sociale différente ; qu'en effet, le droit à réparation intégrale du dommage subi individuellement, est distinct du rétablissement du lien social brisé qui constitue la finalité de la " coutume de pardon " en ce qu'elle tend à mettre un terme au conflit au plan collectif, et à prévenir le désordre social ;

Que la coutume oblige celui qui cause un préjudice à une personne mais qui constitue aussi une atteinte à l'ordre coutumier, de réparer l'atteinte causée tant à l'harmonie clanique que l'atteinte causée à la personne de la victime ;

Que c'est par la " coutume de pardon " que s'ouvrent les voies de la réconciliation porteuse de paix sociale pour l'avenir, car dans la société kanak la réparation (au sens large du terme) participe de l'objectif de maintenir ou de rétablir les liens coutumiers rompus par un acte commis en violation des obligations coutumières de prudence et de respect ; que cela se traduit par un geste non exclusivement symbolique dit " coutume de pardon " ; que par ce geste l'auteur de l'acte, voire même son clan d'appartenance, reconnaît sa responsabilité ; que cette démarche est indispensable à la fois pour le rétablissement de l'harmonie des relations sociales perturbées au niveau des clans, et pour une complète réhabilitation sociale de la victime ;

Qu'ainsi le prix de la douleur personnelle ou encore l'indemnisation du préjudice moral ne répareront jamais l'honneur blessé, la désocialisation, voire la déchéance morale et sociale de la victime, imputables à l'auteur des faits ; qu'en ce sens, le processus de réparation-réconciliation, dont l'aboutissement est la " coutume de pardon ", pourra seul y parvenir tout en garantissant, pour l'avenir, la paix sociale ;

Mais attendu que ce mode de réparation du lien social peut n'intervenir qu'au terme d'un très long processus, voire jamais, puisqu'il intéresse les relations collectives ou communautaires et constitue le garant pour l'avenir de la paix sociale, même s'il peut aussi intervenir immédiatement après les faits pour prévenir un processus de vengeance ;

Que pour toutes ces raisons la " coutume de pardon ", aussi importante soit elle, ne saurait faire obstacle ni retarder la mise en oeuvre du droit à réparation de la victime, lequel ne concerne pas directement la sphère collective ;

Que la solution inverse reviendrait à sacrifier la personne victime face à des logiques et des intérêts collectifs qui la dépassent ;

Attendu dès lors, qu'il n'appartient pas à la juridiction civile, saisie de la demande de réparation d'un dommage causé à des victimes, de se faire juge de l'opportunité d'une réconciliation qui opère selon des processus-auxquels renvoie l'article 1er de l'ordonnance no82-877 du 15 octobre 1982- dont la juridiction n'a pas à connaître (en ce sens : CA Nouméa, 12 Juin 2013, R. G. no 12/ 387, consorts J...c. L...) ;
Qu'en conséquence, aucune considération tenant à la perspective ou à la facilitation d'une " coutume de pardon ", laquelle vise à rétablir le " lien social ", ne saurait être opposée au droit à indemnisation des victimes personnes physiques, ou au clan personne morale agissant pour la défense des intérêts qu'il représente ;

2. 2- Ensuite, sur la nécessaire adaptation des critères et des notions pour permettre la réparation intégrale du préjudice :

Attendu que la réparation par équivalent doit s'adapter pour répondre tant aux exigences de la société actuelle, qui imposent au monde kanak une certaine monétarisation des échanges, que pour prendre en compte les spécificités de la société autochtone au regard de la nature des préjudices ; que cette société ancre la personne dans des solidarités claniques et inter-claniques qui ne peuvent être ignorées puisqu'elles déterminent son statut social (la place coutumière) et sa manière d'être ; qu'en outre, le groupe familial peut être collectivement affecté par l'atteinte grave portée à l'un d'eux, ce que, par exemple, la jurisprudence de la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme qualifie de " préjudice spirituel " pour appréhender une forme aggravée de préjudice moral lorsque l'atteinte causée à l'un des leurs affecte le lignage complet ; que relèvent de ce type de préjudice les préjudices liés à l'atteinte au nom ou au respect dû à la terre, ou encore à l'aîné, dans le cas d'un crime commis sur fond de conflit foncier et de compétition pour la chefferie (CA Nouméa, 12 juin 2013, R. G. no 12/ 387, consorts J...contre L...) ;

Et attendu, au regard de ces considérations sur l'existence de " dommages immatériels " ou de " préjudices spirituels ", que la nomenclature des préjudices telle qu'elle existe en droit civil s'avère (au moins pour partie) inadaptée et incomplète en ne prenant pas en compte l'existence de préjudices ressentis personnellement dans un rapport au groupe, aux ancêtres et à la terre, qui résultent d'atteintes à des valeurs fondamentales propres à la société kanak, telle que la valeur accordée au sang ;

Qu'ainsi, et afin de rendre effectif ce droit à réparation intégrale du préjudice ¿ étant rappelé que cette réparation intégrale passe par l'examen des préjudices éprouvés par les parties au regard de leur propre grille de lecture culturelle, adossée à leur statut personnel ¿ il convient d'envisager la réparation des préjudices éprouvés par chacun en lien avec les valeurs coutumières, c'est-à-dire les " préjudices personnels liés à l'atteinte aux valeurs communautaires " : tels que les chefs de préjudice nés de la violation des valeurs de respect, si fortes dans une société de type hiérarchique, et si essentielles dans une société qui valorise la solidarité inter-générationnelle (respect des ancêtres et respect dû à la terre comme matrice de l'ensemble des rapports sociaux) ;

Que toutefois, force est de constater que les parties civiles, qui n'ont jamais esquissé la moindre évocation des normes coutumières, n'ont manifestement pas entendu se placer sur ce terrain, et n'ont présenté aucune demande de ce chef pourtant fondamental, en se contentant d'argumenter à partir d'une conception très occidentalisée des rapports personnels et du préjudice qui en découle ;

Qu'il convient d'en déduire que les parties civiles, pourtant de statut coutumier kanak, n'éprouvent pas de préjudices en lien avec les valeurs coutumières ou du moins qu'elles n'entendent pas en faire explicitement état ;

3o/ sur le cas d'espèce

Attendu qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte une quelconque tentative de rapprochement qui se situe sur un tout autre plan que celui de la réparation du préjudice causé aux personnes ; que la jurisprudence a d'ailleurs affirmé que " le pardon coutumier a pour vertu de prévenir le cycle des vengeances et de rétablir un minimum de sociabilité ; que si son importance ne doit pas être sous-estimée, toutefois, il ne peut ni constituer un obstacle aux poursuites ni même constituer une peine en ce qu'il ne constitue pas une démarche personnelle mais une cérémonie collective impliquant les familles ; qu'enfin, s'il est susceptible de constituer une forme de réparation symbolique du préjudice envisagé sous l'angle collectif de la perturbation apportée à l'ordre social, cette démarche ne saurait être opposée aux victimes pour leur dénier leur droit à réparation du préjudice subi " (Tribunal correctionnel de Mata'Utu, 25 août 2014, jugement no2014/ 88, Ministère public et consorts K...c. M...) ;

Qu'en l'espèce il ne s'agit pas de " pardon coutumier ", les parties ayant simplement signé un accord précaire dit " Charte d'engagement pour la sécurisation et le développement de la vallée de la Ouakaya " ; que le premier juge s'est interrogé à juste titre sur le sens et la portée de cet accord dont les parties ne parlent pas mais qui, daté du 27 mars 2010, est revêtu, notamment, de la signature de M. Charles C...(chef du clan C... demandeur à la présente procédure) et de M. Anicet E...pour le clan E...-X...;

Que toutefois cet accord, pas plus que ne le ferait un " pardon coutumier ", n'a d'incidence sur le droit à réparation des victimes ; qu'en effet cet accord n'intéresse pas le droit à réparation des victimes, mais le " lien social " puisqu ¿ il vise à enrayer le cycle des représailles ;

1o/ sur les préjudices moraux :

Attendu que le clan C... a toujours vécu sur les terres dont il a été expulsé ; que la famille C...s'est vue conseiller de rester à l'écart de ses terres pour éviter toute nouvelle confrontation ; que cet éloignement qui ne devait être que temporaire a perduré bien au-delà de la signature de la Charte ;
Qu'un préjudice moral existe ; qu'il convient de confirmer l'appréciation des premiers juges qui ont accordé à ce titre une indemnité de 200 000 F CFP à M. Charles C..., à Mme Marie-France G...et à M. Karyl C..., chacun, et une indemnité de 100 000 F CFP à chacune des trois autres parties civiles : M. Adolphe C...(mineur), M. Cindrick C...et Mme Varenka C...;

3o/ Sur les préjudices matériels :

Attendu qu'un incendie a détruit les maisons, le mobilier qui s'y trouvait et deux véhicules (véhicules Toyota de M. Charles C...et Alfa-Roméo de M. Karyl C...) réduits à l'état d'épave ;
Que la famille C...expose qu'elle n'avait emporté qu'une partie de ses effets pour ne pas encombrer ceux qui les recueillaient en urgence, et compte tenu du fait que leur éloignement ne devait être que temporaire ;
Que les premiers juges se sont livrés à une appréciation sur une base forfaitaire ; que ce mode de calcul ne peut être confirmé ;
Qu'examinant la réalité du préjudice subi, la Cour trouve dans les éléments du dossier (planches photographiques notamment) les éléments suffisants pour estimer le montant du préjudice réellement subi par M. Charles C...et M. Karyl C..., chacun, à la somme de 200 000 F CFP ;

Sur les dépens

Attendu qu'il y a lieu de condamner M. Charles X... aux dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant, publiquement et en formation coutumière, par arrêt réputé contradictoire, déposé au greffe ;

Vu le jugement du tribunal correctionnel de Koné du 13 avril 2011 ;

Constate que le jugement déféré en date du 16 décembre 2013 est définitif à l'égard de MM. Grégory Alphonse F...et Geoffrey Hypolite D...;

Statuant sur l'appel de M. Charles X... et par application des dispositions de l'article 904 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;

Dit que la coutume de pardon intéresse le " lien social " et non le droit à réparation des victimes ;

Dit que le droit à réparation pour la victime de statut coutumier kanak est autonome et distinct de la " coutume de pardon ", institution proprement autochtone dont la finalité est de rétablir le lien social et l'harmonie perturbée par l'acte dommageable, laquelle ne fait pas obstacle au droit à réparation intégrale du préjudice subi par la victime de statut coutumier kanak ;

Dit que le droit à réparation intégrale du préjudice subi par la victime de statut coutumier kanak, impose l'appréciation de son préjudice au regard des critères et valeurs de la société coutumière, et dans le respect de l'autorité de la chose jugée au plan pénal ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Condamne M. Charles X... à supporter les dépens d'appel ;

Fixe à 3 (trois) les unités de valeurs pour la rémunération de Mo Plaisant avocat commis au titre de l'aide judiciaire ;

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre coutumière
Numéro d'arrêt : 94
Date de la décision : 23/04/2015

Analyses

Confirmation


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2015-04-23;94 ?
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