COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 23 Avril 2015
Chambre coutumière
Numéro R. G. : 14/ 00168
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 17 Mars 2014 par le juge aux affaires familiales de NOUMEA, statuant en formation coutumière (RG no : 12/ 2176)
Saisine de la cour : 15 Avril 2014
APPELANT
M. Ludovic Ahlek Raymond Y...
né le 27 Janvier 1983 à NOUMEA (98800)
demeurant ...-98800 NOUMEA
Représenté par la SELARL TEHIO-BEAUMEL, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
Mme Mariza Victorine Z...
née le 28 Novembre 1980 à NOUMEA (98800)
demeurant ...-98840 TONTOUTA
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/ 256 du 06/ 03/ 2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)
Représentée par Me Marina LEVIS-ETOURNAUD, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 Avril 2015, en chambre du conseil, devant la cour composée de :
M. Pierre GAUSSEN, Président de Chambre, président,
M. Régis LAFARGUE, Conseiller,
M. François DIOR, Conseiller,
M. Edmond HNACEMA, assesseur coutumier de l'aire Drehu,
M. Emmanuel AYAWA, assesseur coutumier de l'aire Paici-Camuki,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Régis LAFARGUE.
Greffier lors des débats : Mme Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé en chambre du conseil, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Pierre GAUSSEN, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Des relations hors mariage de Mme Mariza Z...et de M. Ludovic Y... est née une enfant : Danaé Y..., le 2 février 2006, qui a été reconnue par son père, avec l'accord de sa mère, auprès du service de l'état civil coutumier.
A la suite de la séparation du couple, Mme Z... a saisi le tribunal aux fins de se voir confier la garde de l'enfant et fixer à 75 000 F CFP la contribution mensuelle de M. Y... à son entretien (requête du 29 octobre 2012). M. Y... ayant fait de même quelques jours plus tard (requête du 16 novembre 2012) les deux requêtes ont été jointes.
Mme Z... soulignait, au soutien de sa demande, que le couple s'était séparé après qu'elle ait découvert que son concubin menait une double vie et avait eu un enfant d'une autre femme. Elle ajoutait que Danaé voulait vivre avec elle.
Dans sa propre requête M. Y... indiquait que la vie commune avait cessé en février 2012, et qu'ayant fait, lors de la naissance de l'enfant, les gestes coutumiers auprès des utérins, l'enfant faisait partie du clan paternel et sa garde devait lui être confiée.
Devant le premier juge, à l'audience du 28 juin 2013, le conseil de M. Y... rappelait l'existence de ce geste coutumier, et le fait que le couple vivait chez les grands-parents paternels à la vallée du Tir, et que l'enfant était resté chez eux lors de la séparation, ce qui pouvait laisser penser que le geste avait bien été fait.
Il ajoutait que le père avait refait sa vie et avait eu un autre enfant, et que ce n'est qu'en octobre 2012, lorsque M. Y... avait présenté sa nouvelle compagne à ses parents, que Mme Z... avait engagé la procédure pour reprendre l'enfant. Enfin, il s'interrogeait sur le montant de la pension demandée.
En réponse Mme Z... faisait plaider que le couple avait convenu lors de la séparation de laisser l'enfant chez les grands-parents paternels, mais qu'elle avait découvert par hasard (à la lecture de sa déclaration fiscale) que le père avait un autre enfant à charge, né en 2011 antérieurement à leur séparation. Elle confirmait qu'elle avait repris l'enfant faute pour elle de pouvoir se rendre désormais chez les grands-parents paternels de l'enfant, au domicile desquels M. Y... avait installé sa nouvelle compagne avec l'accord de ceux-ci.
M. Y... réaffirmait qu'à la naissance de l'enfant il s'était rendu, accompagné de ses parents, chez les utérins pour faire le geste : à la fois pour demander pardon et pour " réserver " l'enfant.
Ainsi, la question centrale posée au premier juge comme à la cour d'appel réside dans l'appréciation de la nature et la portée de ce " geste " si la preuve de ce geste est rapportée. En effet, contrairement aux dires de M. Y..., Mme Z... soutenait que le geste qui avait été fait était destiné à demander pardon, mais qu'il ne visait pas à " réserver " l'enfant. Le père de Mme Z..., qui avait accompagné celle-ci à l'audience, confirmait que le " geste " évoqué par M. Y... était un geste de pardon, et qu'il ne s'agissait pas de " donner " l'enfant, ce qu'il aurait fait après le mariage si ce mariage avait été célébré. Et il ajoutait que sa fille avait commis une erreur en acceptant que le père reconnaisse l'enfant à l'état civil coutumier, alors qu'aucun geste n'avait été réalisé en ce sens par celui-ci.
Le premier juge a renvoyé l'affaire pour permettre une négociation entre les clans. A l'audience de renvoi (27 septembre 2013) le tribunal a constaté qu'aucune démarche n'avait été entreprise par le clan Y.... M. Ludovic Y... expliquait avoir évoqué la question avec ses parents qui lui auraient répondu qu'il valait mieux que la justice tranche.
L'affaire a été à nouveau renvoyée (à l'audience du 12/ 12/ 2013) pour permettre la comparution personnelle des parents des parties. M. Y... père n'a pas comparu (certificat médical produit).
C'est dans ces conditions que le tribunal, faisant droit aux demandes de la mère de l'enfant, a fixé la résidence de l'enfant au domicile de celle-ci, et à 25. 000 F CFP la contribution mensuelle due par le père biologique, M. Ludovic Y..., pour l'entretien de l'enfant.
Pour statuer ainsi, le tribunal a constaté la contradiction entre les mentions à l'état civil et la réalité coutumière. Car, malgré le fait que le père ait formellement reconnu l'enfant, il n'établissait pas avoir accompli les gestes coutumiers, à l'égard des utérins, pour " réserver " l'enfant. L'attitude du père et des paternels renforçait le doute à cet égard : ceux-ci n'ayant pas mis à profit les renvois successifs de l'affaire en cours d'instance pour régulariser la situation.
Dès lors, le premier juge a considéré au vu des éléments du dossier au moment où il statuait, que rien n'établissait que les utérins aient " donné le sang " à l'issue des gestes coutumiers, et que la place de l'enfant au sein du clan paternel était des plus incertaines.
De ces constatations de fait le tribunal a déduit, conformément aux principes coutumiers, que l'enfant appartenait toujours aux clan maternel ; qu'elle devait donc demeurer chez les maternels, au moins tant que les gestes coutumiers ne seraient pas accomplis et acceptés, peu important la reconnaissance souscrite formellement par le père à l'état civil, laquelle est de peu de portée dans la détermination du statut réel de l'enfant.
PROCÉDURE D'APPEL
M. Ludovic Y... a interjeté appel, le 15 avril 2014, contre ce jugement non encore signifié. Par mémoire ampliatif du 10 juillet 2014, il a demandé à la Cour d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- constater qu'à la tribu de Saint-Laurent (commune de Païta), après la naissance de l'enfant les grands-parents Z... ont accepté le geste coutumier de pardon et d'adoption de l'enfant Danaé D...Rosemonde Y... présenté par le clan Y... ;
- constater, qu'au cours du mois de février 2012, Mme Mariza Z...a quitté le domicile familial et a vécu à la tribu de Saint-Laurent au domicile de ses parents ;
- constater que l'enfant Danaé D...Rosemonde Y... a vécu au domicile de son père et se trouve toujours scolarisée à Nouméa, Vallée du Tir, à l'école François Griscelli ;
- dire que dans l'intérêt de l'enfant, il y a lieu de fixer sa résidence au domicile de son père, et d'accorder à sa mère un droit de visite et d'hébergement.
A titre subsidiaire, au cas où la Cour d'appel confirmerait l'appartenance de l'enfant au clan maternel, M. Y... demande à la Cour de lui accorder un droit de visite et d'hébergement (au titre de ses droits " individuels "), et, dans l'hypothèse d'une reconnaissance de ses " droits individuels " sur l'enfant, de confirmer le jugement sur sa contribution à l'entretien de l'enfant (25. 000 F CFP).
A défaut de lui reconnaître des droits sur l'enfant, il demande à la Cour de débouter Mme Z... de sa demande de contribution.
Il soutient avoir présenté aux parents Z..., accompagné des membres de son propre clan, une " coutume de pardon et d'adoption " concernant l'enfant Danaé, lors d'une cérémonie qui s'est déroulée à la tribu de Saint-Laurent (lieu de résidence des utérins). Il ajoute que les utérins l'auraient acceptée.
Il ajoute qu'en toute logique, si les gestes n'avaient pas été effectués et acceptés, le clan maternel n'aurait pas manqué de demander au service de l'état civil coutumier le changement de nom de l'enfant (lequel signe l'appartenance clanique de l'enfant), ce dont le clan maternel s'est abstenu.
Quant à la demande de contribution, il rappelle qu'il n'est tenu d'obligations à l'égard de l'enfant que si celui-ci est intégré à son propre clan, et qu'il convient de tirer toutes les conséquences du rattachement clanique de l'enfant.
Mme Z..., par mémoire du 16 octobre 2014, demande à la Cour de constater que l'enfant vit chez elle à Païta, depuis octobre 2012, mais que le père biologique de l'enfant a refusé que celui-ci soit scolarisé à Païta ; de constater l'absence de gestes coutumiers accomplis par le clan Y... à l'égard des utérins, et, en conséquence, de confirmer le jugement de première instance concernant la fixation de la résidence de l'enfant chez sa mère.
Toutefois, Mme Z... demande à la Cour d'ajouter à cette décision, et de dire que l'autorité parentale s'exercera conjointement entre les parents et d'accorder au père un droit de visite et d'hébergement. A l'audience elle a renoncé à ses demandes concernant l'inscription de l'enfant dans une école proche de son propre domicile. Enfin elle sollicite la condamnation du père à verser une somme de 75. 000 F CFP à titre de contribution à l'éducation et l'entretien de l'enfant.
Par d'ultimes écritures (08 janvier 2015), M. Y... indique que l'enfant a bien été intégré à son clan : les gestes coutumiers ayant été réalisés en présence de l'oncle utérin de l'enfant, ce qui est confirmé par le fait que l'enfant vivait à son propre domicile. Subsidiairement, au cas où la juridiction dirait que l'enfant a sa place chez les utérins, il réclame " à titre individuel " des droits sur l'enfant.
Par ordonnance du 02 février 2015 la clôture a été prononcée au 31 mars 2015 et l'affaire fixée à l'audience du 13 avril 2015.
MOTIFS
1o/ Sur les principes applicables :
Attendu que le père de l'enfant tente de dissocier la question de l'appartenance clanique de l'enfant avec celle de la reconnaissance à son profit de droits " individuels " sur l'enfant ;
Qu'une telle distinction, qui procède d'une méconnaissance complète des principes fondamentaux de la Coutume, est impossible : puisque la paternité en Droit kanak est une paternité sociale et non la conséquence du lien biologique, lequel ne produit en lui-même aucun effet ;
Attendu que la mère de l'enfant évoque, quant à elle, des notions de " résidence " et " d'autorité parentale " directement inspirées du droit commun sans véritable signification dans la Coutume kanake ; que la réponse à ces moyens, fondés sur des normes juridiques inopérantes ne s'impose pas ;
Attendu qu'il convient de rappeler le principe (en Drehu) : " maine hetre neköne la itre jajiny, itre ewekëne kö la hnapa lapa, nge maine thatre kö la keme i nyudren, ke trenge ewekë i thine hi la hna drenge hnene la itre qatr, matre ame itre nekönatr, tre ewekëne kö la lapane la thin " (litt. " quand les s ¿ urs font des enfants, ils reviennent à la famille, on ne connaît pas le père, on ne met pas en doute la parole de la mère, pour les anciens, dans ce cas les enfants sont intégrés dans le clan maternel " TPI Nouméa, 21 novembre 2011, RG no11/ 1298, jugement 11/ 1308, I...c. J...) ;
Attendu qu'il en découle un second principe : à savoir, que " même en cas de vie commune hors mariage, l'enfant né de cette union se voit conférer une place dans le clan du père, à la condition que celui-ci vienne présenter un geste coutumier afin de « réserver l'enfant et la mère ». ¿ est considéré légitimement comme père celui qui a accompli vis-à-vis de la mère de ses frères et de leur clan le geste pour prendre l'enfant. L'appartenance au clan paternel est alors manifestée publiquement par le nom. ¿ lorsque les clans ont donné leur parole, la réalité de la filiation n'est plus réversible, l'enfant ¿ « appartient » au clan dont il porte le nom. L'échange propre à la coutume implique qu'il n'est pas permis de revenir sur la parole qui a été donnée, surtout quand cette parole scelle l'avenir d'un enfant. Dès lors l'enfant est lié aux maternels et aux paternels par rapport au geste coutumier qui a été fait. Plus particulièrement, il est lié aux paternels à travers l'échange intervenu entre les clans " (TPI Nouméa, 21 février 2011, RG no09/ 1428, jugement no11/ 144, K...c. L...) ;
Attendu qu'il se déduit de ces deux précédents qui concernaient les aires Drehu et Djubéa Kapone, dont sont originaires les parties en litige à la présente instance, que selon la coutume kanak, la naissance d'un enfant est un événement social en ce que l'enfant, indépendamment du fait de savoir si ses parents sont mariés ou non, appartient au clan maternel, sauf s'il a été demandé par le clan paternel et effectivement donné à celui-ci par le clan maternel au terme d'un " geste coutumier ", lequel recouvre un " don de vie " appelant ensuite un " contre-don " ; qu'ensuite le fait d'être géniteur n'emporte pas en soi de statut juridique, ni de droit ni d'obligation à l'égard de l'enfant, la paternité même fondée sur une réalité biologique étant exclusivement un fait social institué par la norme coutumière (CA Nouméa 9 septembre 2013 RG no 2012/ 59 M...c. N...) ;
Attendu que lorsque l'enfant a été effectivement donné de manière publique et solennelle, à l'occasion de gestes coutumiers au clan du père, c'est au sein du clan paternel que doit vivre et être élevé l'enfant (ce qui dépasse largement la notion civiliste de résidence ") et c'est au seul clan d'appartenance qu'incombe d'entretenir et d'élever l'enfant, ce que les assesseurs coutumiers de l'aire Drehu traduisent par l'adage " trahmanyi la atre sili iut " (litt. l'homme porte le manou) ; qu'ainsi c'est au clan d'appartenance de l'enfant qu'il revient de pourvoir aux besoins et à l'éducation de l'enfant (CA Nouméa 15 janvier 2013 RG no2011/ 452, Laen épouse O...c. P...) ;
Que c'est, en d'autres termes, ce qu'expriment les assesseurs coutumiers de l'aire Drehu " hnëqa ne qenenöj laka tro la lapai kem a xomi akötrëne la itre nekönatr, ene la troa ithua nyudren " (" le principe de la pension doit être considéré comme le ¿ travail coutumier que les paternels doivent réaliser quant à la prise en charge des enfants, leur travail étant de donner à manger aux enfants'» TPI Nouméa, 27 juillet 2012, RG no12/ 394, jugement no12/ 680, Q...c. R...) ;
Que lorsque l'enfant a été donné au clan paternel il incombe toujours au clan utérin d'exercer un droit de regard sur la façon dont le clan paternel s'acquitte de son engagement de protéger cette vie que les utérins lui ont confiée ; qu'il n'existe donc pas à proprement parler d'autorité parentale conjointe des père et mère, mais une autorité parentale exercée par un collectif) le clan d'appartenance de l'enfant (; que lorsque l'enfant a été donné au clan paternel c'est le clan paternel qui exerce tous les attributs de l'autorité parentale, mais sous la surveillance du clan utérin ;
Que le principe, loin d'inviter à exclure l'un ou l'autre clan de la vie de l'enfant, vise à permettre à l'enfant de " naviguer " entre les paternels et les maternels pour demeurer au contact de ces deux entités familiales, afin de " recueillir les paroles des deux clans ") CA Nouméa 15 janvier 2013 RG no2011/ 452, Laen épouse O...c. P...(;
Qu'enfin, lorsque l'enfant a été régulièrement donné au clan paternel, il est de principe que l'intérêt supérieur de l'enfant est de demeurer dans ce clan dont il est devenu l'un des membres, par la volonté des clans, et qu'est, par suite, mal fondée la demande de la mère tendant à obtenir la " fixation de la résidence " de l'enfant à son propre domicile, hors du clan d'appartenance, dès lors que rien n'établit l'existence de manquements du père ou du clan paternel à ses/ leurs obligations éducatives vis-à-vis de l'enfant) CA Nouméa 15 janvier 2013 RG no2011/ 452, Laen épouse O...c. P...(;
Qu'ainsi, la " résidence " de l'enfant est déterminée par la place reconnue à l'enfant dans un clan déterminé ;
Que cette organisation qui détermine les titulaires de l'autorité parentale et les débiteurs de l'obligation alimentaire selon un unique critère) celui de l'appartenance clanique de l'enfant (met celui-ci à l'abri des vicissitudes des rapports entre concubins ou époux en évitant de faire de l'enfant un enjeu ; qu'ainsi les droits " personnels " de chacun des deux géniteurs ne sont pas dissociables des droits et obligations de leurs clans respectifs qui découlent des gestes coutumiers et des engagements pris par les clans en ce qui concerne les enfants ;
Que ces principes fondamentaux, affirmés de manière constante par la " coutume judiciaire ", sont confortés par les termes de la Charte du Peuple Kanak en ses articles 62 à 66 notamment ;
2o/ Sur l'application de ces principes au cas d'espèce :
Attendu, en l'espèce, que la question fondamentale réside dans le fait de savoir si l'enfant, même reconnu à l'état civil par son père avec l'accord de sa mère, appartient au clan paternel par suite du " don de vie " que le clan maternel aurait consenti aux paternels, étant rappelé qu'en cas de doute sur l'existence d'un tel accord l'enfant sera considéré comme appartenant au seul clan maternel ; que c'est au demeurant ce principe qui a guidé le premier juge ;
Qu'à cet égard, il importe peu de savoir quelle a été la pratique antérieure des parents, car l'intérêt supérieur de l'enfant est d'être " nourri " par le clan dont il est membre, au risque, s'il était élevé par d'autres, de voir contestée sa place) son statut (dans son clan une fois devenu majeur ;
Attendu, sur cette question cruciale de l'appartenance clanique de l'enfant, que le grand-père maternel de l'enfant niait l'existence des gestes coutumiers devant le premier juge, tandis que le grand-père paternel invité à s'exprimer sur ce point n'a pas fait connaître son point de vue ; que le fait qu'il ne soit pas venu à l'audience pour des raisons de santé ne l'empêchait pas d'écrire ou de faire écrire ; que son attitude a pu être interprétée comme un désaveu de l'attitude de son propre fils ;
Que, toutefois, M. Ludovic Y... dans son mémoire ampliatif d'appel produit l'attestation de M. Jacques H...affirmant, en sa qualité de chef du clan de M. Y..., qu'en mars 2006 il avait délégué son cousin M. Ahlek Y... pour participer aux coutumes de pardon et de reconnaissance de l'enfant auprès du clan utérin, qui s'était déroulée à Païta ; qu'il ajoute que le clan utérin savait pertinemment la finalité de cette coutume d'autant plus, précise-t-il, que " le nom de l'enfant en langue est D.... Elle porte le nom de la grand-mère paternelle de Ludovic, et si elle est ainsi nommée aussi par le clan des utérins, c'est qu'ils reconnaissent aussi cette enfant comme Y..., une Drehu. De plus si les utérins voulaient d'abord le mariage avant la reconnaissance de l'enfant, pourquoi ne nous ont-ils pas refusé nos demandes le soir des coutumes, et expliqué ainsi clairement que ce qu'ils désiraient c'était, d'abord, le mariage des parents, avant la reconnaissance de l'enfant. Aujourd'hui on jette l'opprobre sur mon clan, car la reconnaissance d'D...est remise en cause face aux allégations de M. Z..., pourtant, pendant les 6 ans où le couple a vécu ensemble, rien n'a jamais été réclamé de la part des utérins ni même le soir de la coutume ! Pourquoi venir remettre en question cette reconnaissance lors de la séparation ? Le clan Z... ne peut ignorer tous ces faits ni même la flexibilité qu'ils ont accordé à la coutume ! " ;
Que l'attestation tout aussi circonstanciée de M. G..., cousin de M. Ludovic Y..., datée du 22 mars 2014, indique que la coutume s'est déroulée à Païta, que son objet était la reconnaissance de l'enfant Danaé, qu'elle a été acceptée par le clan utérin et que, dès lors, l'enfant appartient au clan paternel ; qu'il indique "... nous avons paré au plus urgent c'est à dire l'identité de l'enfant. Elle porte un nom, celui des Y..., reconnu à la mairie, certes mais aussi reconnu et accepté par le clan de la mère. Si les utérins ne voulaient pas de cette coutume il fallait le dire à ce moment-là et non pas quand les parents se séparent. C'est trop facile, c'est mentir et c'est aussi un manque de respect et d'humilité contraire à notre tradition... Où est l'intérêt de l'enfant dans la remise en cause de son identité ? Mon clan avait fait son travail et l'enfant nous a été donné, le clan utérin avait accepté notre démarche et ainsi accepté que les racines de Danaé soient implantées à Lifou " ;
Attendu que ces deux attestations sont parfaitement concordantes sur l'existence d'une coutume faite à Païta en 2006, à la naissance de l'enfant, et qui a vu les représentants sur clan paternel se déplacer chez les maternels pour demander pardon, mais aussi pour " réserver " l'enfant ; que leur force probante se trouve renforcée par le fait que le second prénom en langue de l'enfant la rattache au clan paternel ce que la partie adverse ne conteste pas, et par le fait que la reconnaissance à l'état civil n'a pu être faite qu'avec l'accord de la mère, ce qu'elle admet pour le regretter a posteriori ;
Que tous ces éléments sont corroborés par le fait que la mère et l'enfant vivaient chez les paternels) les parents de M. Ludovic Y... (et non chez les utérins) à Païta, là où l'intimée est retournée vivre lors de la séparation du couple (; que les familles ont donc admis une situation qui a duré des années et qui s'assimilait à une vie maritale du couple et de l'enfant au sein du clan paternel ; qu'ainsi, avec l'accord de tous, l'enfant était élevée au sein de la famille Y... ce qui conforte son ancrage dans le clan paternel, et démontre que l'enfant a la possession d'état de membre du clan paternel ;
Qu'enfin, l'intimée n'est pas sans ignorer que le fait de demander au père de nourrir ou de contribuer à nourrir l'enfant présuppose qu'elle le reconnaisse comme le père non seulement biologique mais aussi comme le père social de l'enfant ; que sa persévérance à exiger de lui une contribution de 75 000 F CFP qui revient à lui faire assumer l'intégralité des besoins de l'enfant) âgée de 6 ans au moment de l'introduction de la requête (, démontre qu'elle veut l'obliger à remplir le rôle que la Coutume assigne au père de l'enfant : c'est-à-dire de pourvoir seul à tous les besoins de l'enfant, sans partager cette charge avec le clan utérin ;
Qu'ainsi, la preuve suffisante est rapportée en cause d'appel de ce que le clan paternel a effectué à la naissance de l'enfant, en 2006, les gestes coutumiers nécessaires, non seulement, pour demander pardon mais encore pour réserver l ¿ enfant ;
Qu'en outre, la preuve suffisante est rapportée de ce que ces gestes ont été acceptés par les utérins, et que l'enfant se trouve donc irrévocablement intégrée au clan paternel, ce que confirme son second prénom en langue vernaculaire et sa reconnaissance par son père à l'état civil avec l'accord de sa mère, mais encore le fait que durant les six années de vie commune ses parents sont demeurés chez les paternels en y ancrant la vie de leur enfant ;
Attendu que la garde de l'enfant) le terme de " résidence " étant particulièrement inadapté pour décrire le contenu des normes coutumières (doit être confiée au clan paternel, puisque c'est à celui-ci que reviennent les divers attributs de l'autorité parentale ;
Que ce droit de garde s'exerce sous la surveillance des utérins ;
Qu'enfin c'est au clan paternel, et à lui seul, qu'incombe l'éducation et l'entretien de l'enfant, sans pouvoir rien réclamer à ce titre aux maternels ;
Attendu que l'enfant doit conserver des relations avec les maternels, ce qui justifie d'organiser un droit de visite et d'hébergement au profit de la mère selon les modalités habituelles ;
Qu'il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré ;
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de M. Y... au titre des frais irrépétibles ;
Que Mme Z... qui succombe supportera les entiers dépens ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant, en chambre du conseil et en formation coutumière, par arrêt contradictoire, déposé au greffe ;
Vu les principes coutumiers et l'appartenance clanique de l'enfant ;
Vu la Charte du Peuple Kanak en ses articles 62 à 66 notamment ;
Infirme le jugement déféré, et, statuant à nouveau :
Constate l'existence de gestes coutumiers, présentés par les paternels aux utérins et acceptés par ces derniers, tendant à intégrer l'enfant dans le clan paternel ;
Dit que l'enfant Danaé D...Rosemonde Y... est un membre du clan paternel auquel le rattache son nom patronymique et son prénom en langue vernaculaire ;
En conséquence,
Dit qu'il revient au clan paternel d'exercer l'autorité parentale et donc la garde de l'enfant ;
Dit qu'il incombe au seul clan paternel de pourvoir à l'éducation et à l'entretien de l'enfant ;
Dit que l'exercice de l'autorité parentale par le clan paternel l'est sous la surveillance du clan utérin ;
Dit que Mme Z... exercera un droit de visite et d'hébergement sur l'enfant les fins de semaine impaires de chaque mois, outre la première moitié des vacances scolaires les années paires et la deuxième moitié les années impaires, et que l'enfant passera la fête des mères chez sa mère et la fête des pères chez son père, et le jour de Noël chez le parent qui ne l'héberge pas durant cette période ;
Déboute M. Y... de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
Condamne Mme Z... aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Tehio-Beaumel ;
Fixe à 4) quatre (les unités de valeurs pour le calcul de la rémunération de la Selarl Levis-Etournaud avocat commis au titre de l'aide judiciaire.
Le greffier, Le président,