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26/03/2015 | FRANCE | N°71

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre coutumière, 26 mars 2015, 71


COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 26 Mars 2015

Chambre coutumière

Numéro R. G. : 14/ 00024

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Octobre 2012 par le Tribunal de première instance de NOUMEA, SECTION DETACHEE DE KONE (RG no : 10/ 243)

Saisine de la cour : 14 Janvier 2014

APPELANT

Mme Charline X...épouse Y...
née le 03 Juin 1979 à OUEGOA (98821)
demeurant ...-98826 POUM
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/ 825 du 04/ 10/ 2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA

)
Représentée par Me Caroline PLAISANT, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

M. Joël Y...
né le 27 Juillet 1962...

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 26 Mars 2015

Chambre coutumière

Numéro R. G. : 14/ 00024

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Octobre 2012 par le Tribunal de première instance de NOUMEA, SECTION DETACHEE DE KONE (RG no : 10/ 243)

Saisine de la cour : 14 Janvier 2014

APPELANT

Mme Charline X...épouse Y...
née le 03 Juin 1979 à OUEGOA (98821)
demeurant ...-98826 POUM
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/ 825 du 04/ 10/ 2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)
Représentée par Me Caroline PLAISANT, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

M. Joël Y...
né le 27 Juillet 1962 à POUM (98826)
demeurant ...-98826 POUM

M. Edgar Y...
né le 26 Février 1964 à KOUMAC (98850)
demeurant ...-98826 POUM

Représentés par Me Samuel BERNARD, avocat au barreau de NOUMEA

AUTRE INTERVENANT

La Caisse de Compensation des Prestations Famililales, des Accidents du Travail et de Prévoyance des Travailleurs de Nouvelle-Calédonie, dite C. A. F. A. T, représentée par son Directeur en exercice
Siège social : 4 rue du Général Mangin-BP. L5-98849 NOUMEA CEDEX
Représentée par la SELARL BOUQUET, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 Mars 2015, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Yves ROLLAND, Président de Chambre, président,
M. Régis LAFARGUE, Conseiller,
M. François DIOR, Conseiller,
M. Elia PAWA, assesseur coutumier de l'aire de PAICI CEMUHI
Mme Scholastique BOIGUIVIE, assesseur coutumier de l'aire de HOOT MA WAAP

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Régis LAFARGUE.

Greffier lors des débats : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Yves ROLLAND, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Par jugement du 22 septembre 2010 le tribunal correctionnel de Koné a condamné pénalement MM. Joël et Edgard Y..., pour des faits de violences volontaires avec ITT de plus de 8 jours commis sur la personne de Mme Charline X...épouse Y..., leur belle-soeur.

En application de l'avis de la Cour de cassation du 15 janvier 2007, la victime a été déclarée recevable en sa constitution de partie civile et le tribunal correctionnel s'est déclaré incompétent pour statuer sur ses demandes indemnitaires et a renvoyé l'affaire à jour fixe (procédure dite du " pont procédural ") devant la juridiction civile avec assesseurs coutumiers conformément à l'article 19 de la loi organique du 19 mars 1999.
Les parties se sont présentées volontairement devant la juridiction à l'audience du 11 octobre 2010 afin de voir statuer sur la demande d'indemnisation.

La victime a sollicité une provision et que soit ordonnée une expertise médicale.
MM. Joël et Edgard Y... ne contestaient pas le principe de leur responsabilité tout en exposant que la victime n'avait pas " respecté sa place coutumière au sein de leur clan, en l'absence de son mari hospitalisé ".

Par jugement du 13 décembre 2010 le tribunal civil (section détachée de Koné), statuant sur les intérêts civils, après avoir réaffirmé le principe que la perspective ou l'existence d'une " coutume de pardon " ne privait pas la victime de son droit à réparation, a alloué à celle-ci une provision de 100 000 F CFP et a ordonné une expertise médicale avant-dire droit sur son préjudice corporel.

Par jugement du 1er octobre 2012, la même juridiction civile, statuant au vu des conclusions du rapport d'expertise, et en présence de quatre assesseurs coutumiers des aires Hoot ma Waap et Ajié-Aro, a opéré un partage de responsabilité en laissant la moitié du préjudice à charge de la victime, a fixé à la somme de 4 270 028 F CFP le montant du préjudice souffert par celle-ci et a condamné solidairement les défendeurs à lui verser la moitié de cette somme.

Le tribunal a rejeté les demandes au titre de l'article 1154 du Code civil.
Concernant les demandes de la Cafat le tribunal a fixé son préjudice arrêté au 20 mars 2012 à la somme de 319 330 F CFP et condamné solidairement les défendeurs à verser 159 665 F CFP avec intérêts légaux à compter de la demande.

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête du 24 juin 2013, Mme X...épouse Y...a interjeté appel de cette décision non encore signifiée, dont elle demande l'infirmation en toutes ses dispositions.

Faute de dépôt du mémoire dans les délais, l'affaire a été radiée du rôle le 11 octobre 2013 pour être enrôlée de nouveau sous un numéro différent dès réception du mémoire ampliatif de l'appelante. Une ordonnance de jonction a dit que cette affaire inscrite sous le no2014/ 129 serait jointe à la précédente requête enregistrée sous le no 14/ 24, les deux dossiers étant désormais suivis sous le numéro 14/ 24.

Dans son mémoire ampliatif d'appel du 13 janvier 2014, Mme X...épouse Y...demande à la Cour, infirmant le jugement déféré et statuant à nouveau, de :
- déclarer les deux intimés MM. Joël et Edgar Y... entièrement responsables de son dommage ;
- de fixer ainsi qu'il suit son préjudice :
frais médicaux : 88 412 F CFP (au lieu des 142 028 F CFP alloués en première instance) ;
déficit fonctionnel temporaire : 17 500 + 187 500 F CFP (demande rejetée en première instance) ;
souffrances endurées : 1, 5 Millions F CFP (1 Million F CFP alloué en première instance) ;
déficit fonctionnel permanent : 1 104 000 F CFP (3 128 000 F CFP alloués en première instance) ;
préjudice d'agrément : 100 000 F CFP (demande rejetée en première instance).

Par écritures du 16 juillet 2014 MM. Joël et Edgard Y... rappellent le comportement injurieux de la victime qui serait à l'origine des faits et sollicitent le rejet de ses demandes en faisant valoir que la victime présentait un déficit auditif antérieur aux faits et qu'aucun lien de causalité certain n'est établi entre les faits et les difficultés d'audition dont elle fait état. A titre subsidiaire, ils sollicitent un partage de responsabilité plus favorable : 75 % du préjudice étant laissé à charge de la victime.

Ils demandent la condamnation de celle-ci à leur verser 250 000 F CFP au titre des frais irrépétibles et aux dépens.

Enfin, par conclusions récapitulatives du 4 septembre 2014, Mme X...épouse Y...a réitéré ses demandes.

La Cafat a conclu, le 28 janvier 2015, à la condamnation solidaire des deux intimés à lui verser le montant de ses débours arrêtés à la somme de 319 330 F CFP (soit la confirmation du jugement déféré) ; qu'on lui réserve le droit de réclamer ses débours ultérieurs, outre la condamnation solidaire des deux intimés à lui verser 80 000 F CFP au titre des frais irrépétibles.

Par ordonnance du 03 décembre 2014 la clôture a été prononcée au 02 février 2015 et l'affaire fixée à l'audience du 02 mars 2015.

L'appelante a comparu à l'audience de la cour d'appel où elle a souligné que les intimés qui opposent si fréquemment la coutume aux autres, savent s'en affranchir quand il s'agit de leur éthique personnelle.

Les intimés, non comparants, étaient représentés par leur conseil.

MOTIFS

Attendu qu'il convient de constater que le jugement déféré est définitif en ce qui concerne l'évaluation de la créance de la Cafat, qui n'a été contestée par quiconque ;

1o/ sur le droit applicable :

Attendu, ainsi que l'a rappelé le Conseil Constitutionnel (décision no2013-678 DC du 14 novembre 2013), que dans les rapports entre personnes de statut coutumier kanak la réparation du préjudice obéit aux seuls principes de la coutume ; qu'ainsi, les demandes doivent être fondées sur les normes coutumières ainsi que l'avait déjà rappelé la Cour de Cassation, dans son avis du 15 janvier 2007 (avis no007/ 001, Bull. crim. 2007, avis no1), et ses arrêts successifs : Cass. Crim., 30 juin 2009, Bull. crim. 2009, no139 ; Crim, 3 septembre 2014 no13-85. 031 ; Crim., 26 novembre 2014, pourvoi no12-87. 960 (lequel rappelle en outre l'intangibilité de la loi applicable à la réparation du dommage en cas de changement de statut personnel postérieur à la naissance du dommage) ;

2o/ Sur les principes fondamentaux de la coutume :

Attendu que la réparation du dommage résultant d'un fait, même involontaire, commis par une personne de statut coutumier kanak est admis dans les relations coutumières (Cf. CA Nouméa, 12 juin 2013 RG no 12/ 387 Consorts D...c. A...: E. Cornut, " La réparation du préjudice civil en vertu de la coutume kanak ", Revue juridique politique et économique de Nouvelle-Calédonie no22, 2013/ 2, p. 138-151).

Qu'en l'état de la normativité autochtone avant que n'interviennent des influences exogènes, il existait dans le cadre du règlement des conflits des mesures de réparation au profit du groupe familial victime, lesquelles se traduisaient notamment par des cessions de terre, la remise de monnaies kanaks ou encore par des dons de vie : des membres du clan agresseur étant donnés non comme otages ou victimes expiatoires mais comme personnes adoptées, au clan victime, pour réparer par équivalent la vie qu'on leur avait enlevée ;

Qu'aujourd'hui, la société kanak qui valorise toujours la force des liens communautaires n'en ignore pas pour autant l'existence des droits attachés à la personne, spécialement lorsque celle-ci se retrouve victime ; que ces droits attachés à la personne trouvent leur expression privilégiée, mais non exclusive, dans la volonté du clan dont chaque membre est un élément actif en étant partie prenante à la décision commune ;

Que ce constat implique deux conséquences principales :

2. 1- D'abord, sur la nature et les spécificités de la réparation en lien avec la règle coutumière, et la distinction entre coutume de pardon et droit à indemnisation intégrale du préjudice :

Attendu que le droit à réparation financière est un mode de réparation dont l'autonomie est clairement affirmée par rapport à la " coutume de pardon " ; que ces deux réponses, qui se situent sur des plans différents, ne s'excluent pas l'une l'autre, chacune remplissant une fonction sociale différente ; qu'en effet, le droit à réparation intégrale du dommage subi individuellement, est distinct de la réparation du lien social brisé qui constitue la finalité de la " coutume de pardon " en ce qu'elle tend à mettre un terme au conflit au plan collectif ;

Que la coutume oblige celui qui cause un préjudice à une personne mais qui constitue aussi une atteinte à l'ordre coutumier, de réparer l'atteinte causée tant à l'harmonie clanique que l'atteinte causée à la personne de la victime ;

Que c'est par la " coutume de pardon " que s'ouvrent les voies de la réconciliation porteuse de paix sociale pour l'avenir, car dans la société kanak la réparation (au sens large du terme) participe de l'objectif de maintenir ou de rétablir les liens coutumiers rompus par un acte commis en violation des obligations coutumières de prudence et de respect ; que cela se traduit par un geste non exclusivement symbolique dit " coutume de pardon " ; que par ce geste l'auteur de l'acte, voire même son clan d'appartenance, reconnaît sa responsabilité ; que cette démarche est indispensable à la fois pour le rétablissement de l'harmonie des relations sociales perturbées au niveau des clans, et pour une complète réhabilitation sociale de la victime ;

Qu'ainsi le prix de la douleur personnelle ou encore l'indemnisation du préjudice moral ne répareront jamais l'honneur blessé, la désocialisation, voire la déchéance morale et sociale de la victime, imputables à l'auteur des faits ; qu'en ce sens, le processus de réparation-réconciliation, dont l'aboutissement est la " coutume de pardon ", pourra seul y parvenir tout en garantissant, pour l'avenir, la paix sociale ;

Mais attendu que ce mode de réparation du lien social peut n'intervenir qu'au terme d'un très long processus, voire jamais, puisqu'il intéresse les relations collectives ou communautaires et constitue le garant pour l'avenir de la paix sociale, même s'il peut aussi intervenir parfois immédiatement après les faits pour prévenir un processus de vengeance ;

Que pour toutes ces raisons la " coutume de pardon ", aussi importante soit elle, ne saurait faire obstacle ni retarder la mise en oeuvre du droit à réparation de la victime, lequel ne concerne pas directement la sphère collective ;
Que la solution inverse reviendrait à sacrifier la personne victime face à des logiques et des intérêts collectifs qui la dépassent ;

Attendu dès lors, qu'il n'appartient pas à la juridiction civile, saisie de la demande de réparation d'un dommage causé à des victimes, de se faire juge de l'opportunité d'une réconciliation qui opère selon des processus-auxquels renvoie l'article 1er de l'ordonnance no82-877 du 15 octobre 1982- dont la juridiction n'a pas à connaître (dans le même sens : CA Nouméa, 12 Juin 2013, R. G. no 12/ 387, consorts D...c. A...) ;
Qu'en conséquence, aucune considération tenant à la perspective, ou à la facilitation, d'une " coutume de pardon ", laquelle vise à rétablir le " lien social ", ne saurait être opposée au droit à indemnisation des victimes personnes physiques, ou au clan personne morale qui se constituerait partie civile pour la défense des intérêts qu'il défend ;

2. 2- Ensuite, sur la nécessaire adaptation des critères et des notions pour permettre la réparation intégrale du préjudice :

Attendu que la réparation par équivalent doit s'adapter pour répondre tant aux exigences de la société actuelle, qui imposent au monde kanak une certaine monétarisation des échanges, que pour prendre en compte les spécificités de la société autochtone au regard de la nature des préjudices, en ce qu'elle ancre la personne dans des solidarités claniques et inter-claniques qui ne peuvent être ignorées puisqu'elles déterminent son statut social (la place coutumière) et sa manière d'être, et en ce que le groupe familial peut être collectivement atteint par l'atteinte grave portée à l'un d'eux, ce que par exemple la jurisprudence de la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme qualifie de " préjudice spirituel " pour appréhender une forme aggravée de préjudice moral lorsque l'atteinte causée à l'un des leurs affecte le lignage complet ; que relèvent de ce type de préjudice les préjudices liés à l'atteinte au nom ou au respect dû à la terre (CA Nouméa 22 mai 2014 RG no2012/ 101, G...c. H...), ou encore à l'aîné, dans le cas d'un crime commis sur fond de conflit foncier et de compétition pour la chefferie (CA Nouméa, 12 Juin 2013, R. G. no 12/ 387, consorts D...contre A...) ;

Et attendu, au regard de ces considérations sur l'existence de " dommages immatériels " ou de " préjudices spirituels ", que la nomenclature des préjudices telle qu'elle existe en droit civil s'avère (au moins pour partie) inadaptée et incomplète en ne prenant pas en compte l'existence de préjudices ressentis personnellement dans un rapport au groupe, aux ancêtres et à la terre, qui résultent d'atteintes à des valeurs fondamentales propres à la société kanak, telle que la valeur accordée au sang ;

Qu'ainsi, et afin de rendre effectif ce droit à réparation intégrale du préjudice ¿ étant rappelé que cette réparation intégrale passe par l'examen des préjudices éprouvés par les parties au regard de leur propre grille de lecture culturelle, adossée à leur statut personnel ¿ il convient d'envisager la réparation des préjudices éprouvés par chacun en lien avec les valeurs coutumières, c'est-à-dire les " préjudices personnels liés à l'atteinte aux valeurs communautaires " : tels que les chefs de préjudice nés de la violation des valeurs de respect, si fortes dans une société de type hiérarchique, et si essentielles dans une société qui valorise la solidarité inter-générationnelle (respect des ancêtres et respect dû à la terre comme matrice de l'ensemble des rapports sociaux) ;

Que toutefois, force est de constater que les parties civiles, qui n'ont jamais esquissé la moindre évocation des normes coutumières (sauf manifestement à la demande du tribunal sur la question de la coutume de pardon), n'ont manifestement pas entendu se placer sur ce terrain, et n'ont présenté aucune demande de ce chef pourtant fondamental, pas plus devant le premier juge que devant la cour d'appel, en se contentant d'argumenter à partir d'une conception très occidentalisée des rapports personnels et du préjudice qui en découle ;

Qu'il convient d'en déduire que les parties civiles, pourtant de statut coutumier kanak, n'éprouvent pas de préjudices en lien avec les valeurs coutumières ou du moins qu'elles n'entendent pas en faire explicitement état ;

3o/ sur le cas d'espèce et le partage de responsabilité opéré par les premiers juges

Attendu qu'il est établi que les faits se sont déroulés lors d'un " petit déjeuner " organisé par Mme Y... pour récolter de l'argent pour financer les études de sa fille en métropole ; qu'à cette occasion-là un de ses deux beaux-frères a pris un pot de confiture qu'il n'a pas payé suscitant une réaction verbale de Mme Y..., qui lui a valu des violences de la part de ses deux beaux-frères ;

Que ces derniers ayant été déclarés coupables des faits, leur responsabilité se trouve engagée et ne peut être niée ; que les premiers juges ont considéré que l'attitude de Mme Y... et son manque de respect à l'égard du clan du mari (et donc des deux beaux-frères) justifiait un partage de responsabilité par moitié ;

Attendu qu'à l'audience Mme E...épouse Y...souligne avec force qu'il n'appartient pas à ses beaux-frères de la rappeler à ses obligations coutumières ceci ne pouvant incomber qu'à son mari ;

Mais attendu que si un tel rappel à la modération et au respect mutuel peut exister, il n'en demeure pas moins, ainsi que le rappelle un des assesseurs coutumiers en langue Nyêlâyu, que : " Wam wêêng ma wado xa harevan ra îna merâ êêr ra alôââny " (La coutume n'excuse pas la violence) ;

Attendu, en outre, s'agissant en l'espèce d'une femme victime, qu'il convient de rappeler qu'au regard des valeurs rappelées par la Charte du peuple Kanak du 26 avril 2014 :

" 60- La femme est l'être sacré qui donne la vie. Une fille ou une femme a pour symbole végétal et naturel, le taro d'eau, le cocotier et l'eau. Elle est source de vie et de fertilité. Elle est la source de nouvelles alliances et le lien entre les clans et entre les générations. Elle est la valeur absolue pour la paix et la prospérité " ;
" 62- La naissance d'un enfant est un acte de foi et un gage d'avenir pour le clan et sa destinée. La naissance implique la reconnaissance du lien de sang avec l'oncle maternel " ;
" 68-... L'homme a autorité sur la terre et la femme sur les enfants, leur éducation et la vie familiale. La femme est l'être sacré qui donne la vie et doit être respectée comme telle. Elle a un rôle d'assise et de cohésion sociale dans la famille et dans le clan " ;

Que ce sont donc toutes ces valeurs qu'on bafoué les auteurs des violences, qui en tant que membres du clan du mari ont failli à leurs obligations coutumières qui s'étendent au-delà de la personne de leur belle-soeur au clan de celle-ci, lequel manifestement ne réclame rien ;

Attendu que le rappel de la normativité autochtone souligne le caractère particulièrement condamnable des violences et l'absence de comportement de la victime susceptible de légitimer ces violences ; qu'ainsi rien n'établit que la victime ait participé par son fait à une part de son propre préjudice ;

Qu'il conviendra donc d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a laissé la moitié du préjudice à la charge de la victime ; qu'il conviendra de dire les frères Joël et Edgard Y...tenus à indemniser l'entier dommage y compris en ce qui concerne la Cafat qui conclut sur le montant de ses débours à la confirmation du jugement déféré ;

4o/ sur l'évaluation du préjudice

Attendu qu'il est établi de façon suffisante que Mme Y... a subi un traumatisme à la tête avec des répercussions au niveau de l'oreille droite ; qu'il est établi l'existence d'un état antérieur qui a conduit le second expert (M. F...) à réduire de 17 % à 6 % le taux d'IPP ; qu'eu égard à la seconde expertise réalisée dans le cadre de la procédure devant la CIVI, il résulte que la victime a subi :
- une ITT de 7 jours ;
- une ITP à 50 % pendant 5 mois (avec consolidation au 29 octobre 2010) ;
- une IPP pour la perte auditive : 6 % après déduction de l'état antérieur ;
- pretium doloris : 4/ 7 ;
- préjudice esthétique : néant ;
- préjudice d'agrément : notable (lorsqu'elle va jouer au bingo) ;
- préjudice professionnel : notable.

Attendu que le préjudice subi doit être évalué ainsi qu'il suit :
- frais médicaux demeurés à charge : 88 412 F CFP après remboursement par la Cafat ;
- déficit fonctionnel temporaire :
* 17 500 F CFP sur la base d'un demi-SMG à 150 000 F (75 000 : 30 x 7) ;
*187 500 F CFP au titre des 5 mois d'ITP à 50 % (75 000 : 2 x 5)
- souffrances endurées (4/ 7) : 1 000 000 F CFP ;

- déficit fonctionnel permanent (6 % après déduction de l'état antérieur) et compte tenu de l'âge de la victime (30 ans au moment de l'agression) : 130 000 F x 6 = 780 000 F CFP ;
- préjudice d'agrément (notable) : 100 000 F CFP ;

Qu'en conséquence le préjudice total de la victime doit être fixé à 2 173 412 F CFP, que les intimés seront condamnés à lui payer solidairement ;

Que les débours de la Cafat ne sont pas discutés et sont suffisamment établis ;

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Attendu qu'il convient de rejeter les demandes de MM. Joël et Edgard Y... au titre des frais irrépétibles ;
Attendu qu'il convient de condamner MM. Joël et Edgard Y... à verser une indemnité de 80 000 F CFP à la Cafat au titre des frais irrépétibles ;

Attendu qu'il convient de condamner MM. Joël et Edgard Y... aux dépens ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant, publiquement et en formation coutumière, par arrêt contradictoire, déposé au greffe ;

Vu le jugement du tribunal correctionnel de Koné du 22 septembre 2010 ;

Et Vu le principe coutumier selon lequel " Wam wêêng ma wado xa harevan ra îna merâ êêr ra alôââny " (La coutume n'excuse pas la violence) ;

Dit que le droit à réparation pour la victime de statut coutumier kanak est autonome et distinct de la " coutume de pardon ", institution proprement autochtone dont la finalité est de rétablir le lien social et l'harmonie perturbée par l'acte dommageable, laquelle ne fait pas obstacle au droit à réparation intégrale du préjudice subi par la victime de statut coutumier kanak ;

Dit que le droit à réparation intégrale du préjudice subi par la victime de statut coutumier kanak, impose l'appréciation de son préjudice au regard des critères et valeurs de la société coutumière, et dans le respect de l'autorité de la chose jugée au plan pénal ;

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a fixé la créance de la Cafat à la somme de 319 330 F CFP ;

Et statuant à nouveau, au vu des conclusions du second rapport d'expertise (Dr F...) :

Dit n'y avoir lieu à partage de responsabilité ;

Fixe le préjudice de Mme Charline X...épouse Y...à la somme totale de 2 173 412 F CFP ;

Condamne solidairement MM. Joël et Edgard Y... à verser à Mme Charline X...épouse Y...la somme de deux millions cent soixante treize mille quatre cent douze (2 173 412) F CFP en deniers ou quittances outre les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du présent arrêt ;

Condamne solidairement MM. Joël et Edgard Y... à verser à la Cafat l'entier montant de ses débours (arrêtés à la somme de trois cent dix neuf mille trois cent trente (319 330) F CFP outre les intérêts de droit à compter de ses conclusions du 28 janvier 2015 ;

Réserve les débours ultérieurs de la Cafat ;

Déboute MM. Joël et Edgard Y... de leurs demandes au titre des frais irrépétibles ;

Condamne MM. Joël et Edgard Y... à verser une indemnité de 80 000 F CFP à la Cafat au titre des frais irrépétibles ;

Condamne Joël et Edgard Y...aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise et dit qu'ils seront recouvrés comme en matière d'aide judiciaire ;

Fixe à 4 (quatre) les unités de valeurs pour la rémunération de Mo Plaisant avocat commis au titre de l'aide judiciaire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre coutumière
Numéro d'arrêt : 71
Date de la décision : 26/03/2015

Analyses

Infirmation


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2015-03-26;71 ?
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