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26/03/2015 | FRANCE | N°58

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre coutumière, 26 mars 2015, 58


COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 26 Mars 2015

Chambre coutumière

Numéro R. G. : 14/ 00045

Décision déférée à la cour : Jugement rendu (e) le 06 Décembre 2013 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG no : 13/ 230)

Saisine de la cour : 28 Janvier 2014

APPELANT

M. Wilfrid Jules Mickaël X...
né le 28 Mai 1981 à NOUMEA (98800)
demeurant ...-98874 MONT-DORE
Représenté par la SELARL AGUILA-MORESCO, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

Mme Evelyne Y...
née le 06 Mai 1983 à NOUMEA (98800) >demeurant ...-98835 DUMBEA
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/ 159 du 05/ 04/ 2013 accordée par le bureau d'ai...

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 26 Mars 2015

Chambre coutumière

Numéro R. G. : 14/ 00045

Décision déférée à la cour : Jugement rendu (e) le 06 Décembre 2013 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG no : 13/ 230)

Saisine de la cour : 28 Janvier 2014

APPELANT

M. Wilfrid Jules Mickaël X...
né le 28 Mai 1981 à NOUMEA (98800)
demeurant ...-98874 MONT-DORE
Représenté par la SELARL AGUILA-MORESCO, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

Mme Evelyne Y...
née le 06 Mai 1983 à NOUMEA (98800)
demeurant ...-98835 DUMBEA
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/ 159 du 05/ 04/ 2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)
Représentée par Me Pierre-Louis VILLAUME, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 Mars 2015, en chambre du conseil, devant la cour composée de :

M. Yves ROLLAND, Président de Chambre, président,
M. Régis LAFARGUE, Conseiller,
M. François DIOR, Conseiller,
M. Jean-Baptiste NAOUMO, assesseur coutumier de l'aire de IAAI,
M. Elia PAWA, assesseur coutumier de l'aire de PAICI CAMUKI
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Régis LAFARGUE.

Greffier lors des débats : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé en chambre du conseil, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Yves ROLLAND, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Des relations hors mariage de Mme Évelyne Y...et M. Wilfrid X...est issu, Nelson, né le 22 septembre 2006 à Nouméa, reconnu à l'état civil par son père.
A la suite de la séparation du couple, l'enfant étant demeuré auprès de sa mère, celle-ci, par requête enregistrée le 6 février 2013, a sollicité que la résidence de l'enfant soit fixée chez elle et que le père soit condamné à lui verser une pension alimentaire de 40. 000 francs CFP.
Lors de l'audience initiale devant le premier juge, le père a sollicité le renvoi de l'affaire pour pouvoir accomplir les démarches coutumières auprès des oncles utérins de l'enfant. La mère de l'enfant s'opposait à ce renvoi.
Lors de la seconde audience la mère de l'enfant exposait que le père n'avait toujours pas accompli les gestes.
Le conseil du père exposait que celui-ci prenait en charge le loyer de la mère pour un montant correspondant à la contribution sollicitée (alors qu'il dispose d'un salaire de mécanicien de 156. 000 F CFP).
La mère indiquait percevoir en tant qu'aide cantinière un salaire de 235. 000 F CFP, et assumer en outre la charge d'un autre enfant (une fille qui porte son nom).

Par jugement du 06 décembre 2013, le tribunal a fixé la résidence de l'enfant mineur, Nelson, chez sa mère et fixé à 40 000 F CFP la contribution du père à son entretien.

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête du 28 janvier 2014, M. X...a interjeté appel de ce jugement qui lui a été signifié le 27 décembre 2013, et par mémoire ampliatif du 30 avril 2014 il en a demandé l'infirmation.

Il a demandé à la cour de :
- lui donner acte de sa volonté de réaliser le geste coutumier vis-à-vis des oncles utérins de son fils et qu'il soit faire injonction à Mme Y...de proposer une date de rencontre à cette fin ;
- d'organiser à son profit un droit de visite et d'hébergement ;
- de réduire à 30 000 F CFP sa contribution à l'entretien de l'enfant.

En réponse Mme Y...conclut à la confirmation du jugement déféré. Elle souligne que le père en tant que chef de clan n'ignore rien de la coutume et que, pourtant, il a négligé de faire les gestes qui lui permettaient de prendre l'enfant ; qu'il en découle que l'enfant a grandi sans que sa position au sein du clan paternel soit reconnue ; qu'au cours de l'année 2012 le couple s'est séparé en raison des violences exercées qui ont valu à M. X...d'être condamné le 18 mars 2013 à 4 mois d'emprisonnement avec sursis en raison de violences volontaires sur l'intimée.

Celle-ci ajoute qu'à la date de sa première comparution devant le tribunal civil, soit 8 ans après la naissance de l'enfant, le père n'avait toujours pas effectué les gestes pour prendre l'enfant ; que cet irrespect des règles qui confine à l'irrespect de la mère comme de l'enfant, qui n'a donc aucune place dans le clan paternel, a conduit le tribunal a en tirer toutes les conséquences en confiant la garde de l'enfant à sa mère. Elle souligne que c'est au père de faire le geste pour que l'enfant sorte du clan maternel et trouve une place dans le clan paternel, et que la seul chose que l'on constate est la carence du père à cet égard.

Elle ajoute, qu'au lieu de faire le nécessaire, le père a préféré faire appel de la décision et que c'est ulcérés par tant de désinvolture que les cinq oncles utérins de l'enfant (Jacques, Stéphane, Jonathan et Yves Y...et Steevens D...) ont écrit au père pour lui signifier leur refus de toute coutume tant que celle-ci ne sera pas faite en présence du chef du clan Y...(LRAR du 16 avril 2014).

En conséquence de quoi, la mère de l'enfant estime que tant que les gestes coutumiers n'auront pas été faits, le père ne peut avoir de droits sur l'enfant et notamment de droit de visite et d'hébergement.

Toutefois, la mère demande la confirmation du jugement sur la pension alimentaire au visa de principes coutumiers qui rappellent qu'il incombe au clan paternel de pourvoir aux besoins de ses membres, en dépit du fait que l'enfant ne soit pas membre du clan paternel. Surtout, elle vise l'accord donné par le père devant le premier juge pour verser cette contribution, ce qui peut s'interpréter comme la reconnaissance par le père d'une obligation naturelle.

A l'audience de la cour d'appel la mère a comparu en réitérant avec force ses demandes, et en rappelant la position ferme des oncles utérins de l'enfant.

M. X...qui était représenté par un avocat, n'a pas comparu.

Par ordonnance du 03 décembre 2014 la clôture a été prononcée au 02 février 2015 et l'affaire fixée à l'audience du 02 mars 2015.

MOTIFS

1o/ Sur les principes coutumiers applicables :

Attendu, selon la coutume kanak, que la naissance d'un enfant est un événement social en ce que l'enfant, indépendamment du fait de savoir si ses parents sont mariés ou non, reste dans le clan maternel, sauf s'il a été demandé par le clan paternel et effectivement donné à celui-ci par le clan maternel au terme d'un " geste coutumier ", lequel recouvre un " don de vie " ;

Qu'ainsi, le fait d'être géniteur n'emporte pas en soi de statut juridique, ni de droit ni d'obligation à l'égard de l'enfant, la paternité même fondée sur une réalité biologique étant exclusivement un fait social institué par la norme coutumière (CA Nouméa 9 septembre 2013 RG no 2012/ 59 A...c. B...) ;

Attendu qu'il est de jurisprudence constante que, " même en cas de vie commune hors mariage, l'enfant se voit conférer une place dans le clan du père, à la condition que celui-ci vienne présenter un geste coutumier afin de " réserver l'enfant et la mère ". ¿ est considéré légitimement comme père celui qui a accompli vis-à-vis de la mère de ses frères et de leur clan le geste pour prendre l'enfant ; que l'appartenance au clan paternel est alors manifestée publiquement par le nom ; que lorsque les clans ont donné leur parole, la réalité de la filiation n'est plus réversible, l'enfant " appartient " au clan dont il porte le nom ;
Que l'échange propre à la coutume implique qu'il n'est pas permis de revenir sur la parole qui a été donnée, surtout quand cette parole scelle l'avenir d'un enfant ; que dès lors l'enfant est lié aux maternels et aux paternels par rapport au geste coutumier qui a été fait (TPI Nouméa, 21 février 2011, RG no09/ 1428 E...c. F...) ;

Attendu que lorsque les gestes ont été faits pour intégrer l'enfant au clan paternel, il en résulte l'engagement pour le clan paternel de protéger, éduquer et élever l'enfant ; qu'il lui incombe, et à lui seul, de pourvoir à ses besoins matériels (CA Nouméa 11 octobre 2012 RG no2011/ 531, G...c. H...) ;

Qu'inversement, tant que l'enfant n'a pas été donné aux paternels il est à la charge exclusive des maternels (en ce sens : CA Nouméa 9 septembre 2013 RG no 2012/ 59 A...c. B...; CA Nouméa 11 octobre 2012 RG no2011/ 531, G...c. H...; CA Nouméa 15 janvier 2013 RG no2011/ 452, I...ép. J...c. K...; TPI Nouméa 21 février 2011, RG no10/ 662 L...c. M...; TPI Nouméa 21 février 2011, RG no09/ 451 N...c. O...) ;

Attendu toutefois que les principes qui fondent l'obligation d'entretenir l'enfant sur le critère de son appartenance clanique, n'interdisent pas au juge d'entériner l'exécution d'une obligation naturelle quand, formellement, le père qui n'a pas de droits sur l'enfant, se reconnaît néanmoins l'obligation morale de contribuer à son entretien (CA Nouméa 6 mai 2013 RG no2012/ 248, P...c. Q...) ;

2o/ Sur l'application des principes coutumiers au cas d'espèce :

Attendu, en l'espèce, que le père qui ne comparaît pas à l'audience, n'a pas mis à profit les délais de procédure pour intégrer l'enfant à son propre clan ; qu'il convient de constater qu'en dépit d'une reconnaissance purement formelle à l'état civil, la situation de l'enfant demeure inchangée : les règles coutumières que le père connaît faisant de cet enfant un membre à part entière du clan maternel ;

Que le confirme le courrier des oncles utérins qui exprime leur refus de toute démarche du père qui ne serait pas faite dans le respect scrupuleux des règles (en présence du chef de clan) destinées à consacrer la place de l'enfant dans le clan paternel au terme d'une reconnaissance officielle, faite de façon solennelle devant les clans ;

Attend qu'en l'absence d'une telle volonté manifestée publiquement, il n'y a pas lieu d'accorder le moindre droit au père sur l'enfant étant rappelé que la paternité est sociale et n'est en rien fondée sur le lien biologique ; qu'il en résulte que le père ne peut se voir reconnaître le droit de visite et d'hébergement qu'il réclame ;

Qu'au demeurant l'intérêt supérieur de l'enfant est de voir consacrée la place qu'il occupe dans le seul clan qui le reconnaisse comme membre : le clan maternel ;

Qu'ainsi c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté M. X...de ses demandes ;

Attendu, s'agissant de la contribution du père à l'entretien de l'enfant, que celui qui se présente comme le géniteur n'a, en principe, aucune obligation alimentaire à l'égard de l'enfant ; que toutefois il propose de régler 30 000 F CFP par mois pour son entretien ;

Que la proposition de M. X..., qui s'analyse comme la volonté d'exécuter une obligation naturelle, doit être entérinée ; qu'il convient en conséquence d'infirmer sur ce point le jugement qui a fixé cette contribution à 40 000 F CFP par mois pour la ramener à 30 000 F CFP par mois ;

Sur les dépens

Attendu que M. X...qui succombe supportera les entiers dépens ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant, publiquement et en formation coutumière, par arrêt contradictoire, déposé au greffe ;

Dit qu'en l'absence de gestes coutumiers le père biologique n'a aucun droit à l'égard de l'enfant, tant que celui-ci sera membre du clan maternel ;

Rappelle qu'il incombe au seul clan maternel auquel appartient l'enfant de pourvoir à son éducation et à son entretien ;

Toutefois, Donne acte à M. X...de sa proposition de remplir une obligation naturelle en versant 30 000 F CFP par mois pour l'entretien de l'enfant ;

En conséquence :

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne le montant de la contribution du père à l'entretien de l'enfant qu'il a fixée à 40 000 F CFP ;

Statuant à nouveau :

Condamne M. X...à verser à Mme Y...une contribution mensuelle de trente mille (30 000) F CFP pour l'entretien de l'enfant Nelson ;

Condamne M. X...aux dépens qui seront recouvrés selon les règles de l'aide judiciaire ;

Fixe à 5 (cinq) les unités de valeurs pour la rémunération de Mo Villaume avocat commis au titre de l'aide judiciaire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre coutumière
Numéro d'arrêt : 58
Date de la décision : 26/03/2015

Analyses

Confirmation


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2015-03-26;58 ?
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