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20/03/2014 | FRANCE | N°12/00519

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre coutumière, 20 mars 2014, 12/00519


COUR D'APPEL DE NOUMÉA 35

Arrêt du 20 MARS 2014
Chambre coutumière

Numéro R. G. : 12/ 519
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Décembre 2012 par le tribunal de première instance de NOUMEA statuant en formation coutumière (RG no : 12/ 1269)
Saisine de la cour : 19 Décembre 2012

APPELANT

M. Yoël Eddie Hnaiene X... né le 15 Février 1981 à OUVEA (98814)
demeurant...
Représenté par Me Lisa KIBANGUI de la SELARL LISA KIBANGUI, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

Mme Jeannine Waishoma Y... née le 01 F

évrier 1979 à MARE (98828)
demeurant...
Comparante

AUTRES INTERVENANTS
M. Poléo Y... né le 21 Juillet 1939 à MARE ...

COUR D'APPEL DE NOUMÉA 35

Arrêt du 20 MARS 2014
Chambre coutumière

Numéro R. G. : 12/ 519
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Décembre 2012 par le tribunal de première instance de NOUMEA statuant en formation coutumière (RG no : 12/ 1269)
Saisine de la cour : 19 Décembre 2012

APPELANT

M. Yoël Eddie Hnaiene X... né le 15 Février 1981 à OUVEA (98814)
demeurant...
Représenté par Me Lisa KIBANGUI de la SELARL LISA KIBANGUI, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

Mme Jeannine Waishoma Y... née le 01 Février 1979 à MARE (98828)
demeurant...
Comparante

AUTRES INTERVENANTS
M. Poléo Y... né le 21 Juillet 1939 à MARE (98828)
demeurant...
Non comparante
Mme Truba Z... née le 04 Novembre 1950 à MARE (98828)
demeurant...
Comparante

COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 février 2014, en chambre du conseil, devant la cour composée de :

M. Pierre GAUSSEN, Président de Chambre, président, M. Yves ROLLAND, Président de Chambre,
M. Régis LAFARGUE, Conseiller,
M. Paul PALENE, assesseur coutumier de l'aire Drehu M. Jean-Baptiste NAOUMO, assesseur coutumier de l'aire Iaai
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Régis LAFARGUE.
Greffier lors des débats : M. Stéphan GENTILIN

ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé en chambre du conseil, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,- signé par M. Pierre GAUSSEN, président, et par M. Stéphan GENTILIN, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Des relations hors mariage de M. Yoël X... et de Mme Jeannine Y... (originaires respectivement de l'aire Iaai et de l'aire Nengone) est issu un enfant : Manuala, Saën, Klod, Wauahkan, Y... né le 16 avril 2007, désigné sous le nom Manuala. La mère de l'enfant, de statut coutumier est née le 1er février 1979 et a vécu jusqu'à son récent mariage à la tribu de Atha, district de la Roche, à Maré.
Le père biologique de l'enfant, lui aussi de statut coutumier, est né le 15 février 1981 à la tribu de Ognat, district de Saint-Joseph, à Ouvéa et demeurait lors de la procédure de première instance au squat Sakamoto (Nouméa).
Leur enfant a été déclaré sous le nom patronymique de sa mère auprès du service de l'état civil coutumier et celle-ci, comme les parents de celle-ci, se sont opposés à ce que le père reconnaisse l'enfant.

Diverses tentatives d'accord amiable émanant du père biologique tendant à obtenir l'autorisation, auprès des utérins, de reconnaître l'enfant se sont heurtées au refus du clan maternel, comme le soulignent deux courriers, des 30 novembre 2011 et 3 avril 2012, émanant de l'officier public coutumier de l'aire Iaai.
La tentative de conciliation coutumière (menée sur le fondement de l'article 1er de l'ordonnance no 82-877 du 15 octobre 1982) a, elle-aussi, échoué : le président du conseil coutumier de l'aire Iaai, M. Roger B..., confirmant la persistance du désaccord des parties sur le point litigieux (courrier du 18 avril 2012).
Enfin, l'enfant a été adopté (acte coutumier d'adoption du 9 juillet 2012) par M. Y..., grand-père maternel de l'enfant, et Mme Z..., son épouse.
C'est dans ces conditions que M. Yoël X... a saisi le tribunal de première instance d'une requête datée du 21 juin 2012, signifiée par acte d'huissier du 23 juillet 2012, tendant à l'autoriser à reconnaître l'enfant, à dire que l'enfant portera désormais le nom patronymique de son père, à fixer sa résidence à son domicile et à accorder un droit de visite et d'hébergement à la mère.

A l'audience de première instance, du 20 septembre 2012, les parties étant en désaccord sur le sens du geste coutumier fait par le père de l'enfant, lequel tendait selon lui a obtenir l'autorisation de reconnaître l'enfant, et qui selon ses dires aurait été accepté ce que l'autre partie contestait, le tribunal a ordonné la comparution des parents adoptifs de l'enfant (M. Y..., et Mme Z..., son épouse).
Le litige se réduisant à déterminer quel devait être le clan d'appartenance de l'enfant, et la valeur du geste coutumier fait par le père biologique de celui-ci auprès des utérins, le tribunal, par jugement du 7 décembre 2012, a rappelé les principes coutumiers et débouté le père de ses demandes au motif, notamment, que le geste coutumier fait par M. X..., pour demander pardon des relations hors mariage entretenues avec la mère de l'enfant, n'induisait aucunement une demande concernant l'appartenance clanique de l'enfant, ni a fortiori l'accord du clan maternel pour autoriser le père à reconnaître l'enfant.
Pour statuer ainsi les premiers juges ont rappelé que " dans la société kanak, la notion de paternité n'est en rien biologique, qu'elle est construite socialement par les échanges et non déterminée par les rapports sexuels, comme le montre le fait qu'un clan maternel peut toujours refuser de reconnaître la paternité d'un homme dès lors que celui-ci n'a pas répondu aux exigences de la coutume ", et le tribunal d'ajouter qu'il est dit dans la coutume que " lorsque les soeurs font des enfants, ils reviennent à la famille. On ne re connaît pas le père... dans ce cas les enfants sont intégrés dans le clan maternel " (jugement p. 4, § § 4 et 5). C'est au demeurant ce que le tribunal redit ensuite (jugement, p. 5 § 7) sous la forme d'un adage traduit de la langue vernaculaire " si vous plantez des cocotiers sur mon terrain, et que vous venez en tirer les fruits, vous ne le pouvez car ce sont les miens ", signifiant ainsi que les relations sexuelles ne donnent aucun droit au père sur l'enfant.
Le tribunal précise que, par son geste coutumier, le père " venait demander pardon car le garçon avait mis la fille enceinte avant le mariage, ce pardon signifie en quelque sorte'j'ai marché sur vos terres, je demande pardon', mais ce geste n'est pas pour l'enfant. Pour ¿ réserver l'enfant', il faut faire un geste au clan de la mère et en particulier aux oncles de l'enfant... ainsi dans la logique de la coutume le premier geste est pour laver l'affront, ensuite vient le reste, soit le sort de l'enfant quant à l'avenir, et en particulier sa place dans le clan... ce n'est que quand le couple se marie que les parents de la fille donnent l'enfant... au cas d'espèce, le couple, suite aux disputes s'est séparé, la mère s'est mariée et l'enfant est resté dans son clan... dès lors qu'aucun geste coutumier n'a été fait par le père auprès des oncles utérins de l'enfant, et que celui-ci vit et est " nourri " par le clan maternel, le père supposé n'a aucune existence sociale et familiale, et ne peut donc être tenu dans la coutume de prendre en charge cet enfant d'une quelconque façon, puisque aucun lien n'existe entre eux " (jugement, p. 4 § § 7 et 9, p. 5 § 2).

PROCÉDURE D'APPEL
Le 19 décembre 2012, M. X... a interjeté appel de cette décision, non signifiée, dont il sollicite l'infirmation en toutes ses dispositions.
Dans son mémoire ampliatif d'appel du 19 mars 2013 il demande à la cour, infirmant et statuant à nouveau, de prononcer judiciairement sa paternité sur l'enfant, avec toutes conséquences de droit (réitérant ses demandes de première instance).
Il maintient que le geste coutumier qu'il a consenti était destiné, dans son esprit, à " réserver l'enfant " ; qu'il avait été perçu comme tel par le clan utérin qui l'avait ensuite laissé élever l'enfant entre ses dix mois et 3 ans (pendant toute la période où la mère se trouvait en métropole pour sa formation) ; que ce n'est qu'au retour de celle-ci en Nouvelle-Calédonie qu'elle aurait gardé l'enfant à Maré (à partir de février 2010) en lui interdisant de le voir ; qu'en réalité la raison de ce changement d'attitude résulte des violences que la mère de l'enfant lui reproche, ce qui ne justifie pas de lui interdire de reconnaître l'enfant dont l'intérêt est d'être élevé par son véritable père (lequel perçoit un salaire d'éducateur spécialisé, soit 303. 000 F CFP par mois, et dispose désormais d'un appartement type F3 à Dumbéa) et non par des grands-parents maternels qui ne l'auraient adopté que pour faire échec à son action en justice-M. X... affirmant que cette adoption l'aurait été en fraude de ses droits de père, puisqu'il n'a pas été amené à y consentir.
Par écritures du 13 mai 2013, la mère de l'enfant, Mme Jeanine Y... épouse A..., a contesté l'assertion du père selon laquelle il aurait élevé seul l'enfant pendant 3 ans. Elle affirme être partie en août 2007 en métropole, alors que l'enfant avait 4 mois, pour revenir sur le territoire en juillet 2008 (11 mois plus tard), et qu'ensuite, si elle est repartie en France pour achever sa formation, ce ne fut que pour une période complémentaire de 6 mois. Elle indique que fin 2009 elle est repartie à Maré pour y scolariser l'enfant, et que son propre père avait vainement rappelé à M. X... que pour voir reconnaître sa paternité sur l'enfant, il devait se marier avec la mère, ce qu'il n'a pas fait. Elle indique que si dans la coutume l'enfant d'une soeur non mariée doit être adopté par le frère (oncle utérin) de l'enfant, c'est à la condition que cet oncle soit marié ce qui n'est pas le cas en l'espèce, et explique que l'enfant ait dû être adopté par les grands-parents maternels.
Elle ajoute enfin :
" j'ai entamé les démarches pour que l'enfant soit adopté. Mon père me l'a demandé plusieurs fois mais je me suis décidée qu'un an avant mon mariage. J'ai donc commencé les démarches et l'adoption a abouti un mois avant mon mariage en 2012. Donc, à ce jour, ce sont mes parents, c'est-à-dire ses parents adoptifs, qui assurent son éducation, sa sécurité, sa santé, la nourriture, son habillement etc, aidés par mes deux grands frères et mes deux petites s ¿ urs, âgées de plus de 20 ans, qui sont encore à la maison.
Maintenant Manu/ Saën a 6 ans et il est en classe de CP. Il travaille bien à l'école et a un comportement acceptable. La semaine il fait ses leçons et les week-ends il est autorisé à jouer dans le quartier avec ses cousins de sa génération mais doit rentrer avant que le soleil se couche. Un exemple de règles de vie à la maison voire à la tribu. Et quand il n'a pas de leçon mon père lui raconte de temps en temps des mythes de l'île. L'enfant est bien entouré et aucun élément extérieur ne vient perturber sa vie.
Chaque membre de ma famille a pris sa part de responsabilité. Pour ma part j'assure le matériel scolaire, je lui achète des livres, des jeux éducatifs, du matériel scolaire etc. Mes frères lui enseignent les travaux des champs et mes s ¿ urs aident les parents à acheter son habillement. Tout cela pour dire que l'enfant est aimé par son entourage et que son entourage n'a pas besoin d'un salaire de 300 000 frs pour subvenir à ses besoins matériels et affectifs. Quant à moi j'ai aussi refait ma vie. Je me suis mariée dans une autre tribu et je vais bientôt avoir un enfant de mon mari. Parfois je vais rendre visite à Manu/ Saën dans ma tribu d'origine, parfois c'est eux qui se déplacent dans ma nouvelle tribu pour promener. Ainsi nous gardons une relation proche pour les besoins de l'enfant.
Quant à M. X..., quelques mois après notre séparation, il a re fait sa vie avec sa nouvelle concubine qui a déjà deux enfants d'un autre Monsieur et ils viennent récemment d'avoir un enfant ensemble. Quant à mes parents, ils sont catégoriques ! L'enfant ne sera pas donné à M. X... malgré ses démarches. Depuis que l'enfant est né jusqu'à ce jour, M. X... ne s'est jamais déplacé sur Maré avec un membre de sa famille ou un membre de son clan en présence de notre chef de clan, de l'oncle de l'enfant, de mes oncles pour demander à reconnaître le petit. Ce geste coutumier n'a jamais été fait, donc mes parents refusent de donner l'enfant. Ils souhaitent que ce dernier reste dans son clan maternel car le chemin coutumier n'a pas été respecté ".
M. Y..., et Mme Z..., son épouse, n'ont pas conclu.
En revanche, Mme Z... a comparu lors de l'audience de la cour d'appel pour réitérer, en s'exprimant dans la langue de Nengone, la position des adoptants qui se considèrent, en tant que grands-parents maternels, comme des " adoptants provisoires " assurant en quelque sorte la transition entre la mère de l'enfant ¿ partie se marier dans un autre clan et dans une autre tribu, et qui, pour ce motif, ne pouvait amener avec elle l'enfant (sauf à brouiller l'identité de son fils) ¿ et l'oncle utérin à qui va échoir l'obligation d'adopter l'enfant, les grands-parents assumant cette adoption à titre provisoire, dans l'attente du mariage de l'oncle utérin, ce statut d'homme marié étant indispensable pour offrir les conditions satisfaisantes pour adopter et élever l'enfant Manuala comme un membre du clan Y... ;
Le ministère public s'en est rapporté à justice.
Par ordonnance du 15 novembre 2013 la clôture a été prononcée et l'affaire fixée à l'audience du 17 février 2014.

MOTIFS

Attendu qu'aux termes des articles 955-1 et 806-1 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie, concernant les affaires coutumières, " à l'audience la procédure est orale, les prétentions orales des parties pouvant être consignées au plumitif... " ;
Attendu que la demande de M. X... tend à l'établissement du lien de filiation paternelle à l'égard de l'enfant avec toutes conséquences de droit ;
Que M. X... se prévaut du lien biologique qui l'unit à l'enfant, ce que nul ne lui conteste, et se fonde en outre sur la possession d'état, l'enfant étant demeuré avec lui de longs mois (lors de la poursuite des études de la mère en France métropolitaine) ; que toutefois la possession d'état, à l'égard d'un enfant qui au surplus ne porte pas le même nom que lui, ne peut conduire à écarter l'application des dispositions d'ordre public de l'article 35 de la Délibération no424 du 3 avril 1967, relative à l'état civil des citoyens de statut civil particulier ;
Attendu, surtout, que M. X... cherche à se voir reconnaître judiciairement un statut de père à l'égard de l'enfant au seul motif qu'il en est le géniteur, alors que la mère de l'enfant et le clan utérin ont clairement manifesté, tant avant l'introduction de l'instance en cours qu'au cours de la procédure, le fait que l'enfant est rattaché au seul clan maternel et à nul autre, et que ce clan, pas plus que la mère, n'entend reconnaître M. X... en tant que père de l'enfant, ce dernier étant désigné sous un nom ¿ Manuala ¿ qui le rattache au clan maternel ;
Qu'ainsi l'appelant, même s'il est le géniteur de l'enfant, n'a, au regard des règles coutumières, ni droit ni obligation à son égard, puisqu'il n'a aucun statut social de père reconnu dans la coutume ni susceptible de l'être en l'état des déclarations et prétentions formulées par les intimés ;
Attendu qu'il convient, en effet, de rappeler que, selon la coutume kanak, la naissance d'un enfant est un événement social en ce que l'enfant, indépendamment du fait de savoir si ses parents sont mariés ou non, appartient au clan maternel, sauf s'il a été demandé par le clan paternel et effectivement donné à celui-ci par le clan maternel au terme de ce que l'on dénomme un " geste coutumier ", lequel recouvre un " don de vie " appelant ensuite un " contre-don " ;

Que ce " don de vie " ne peut se comprendre qu'à la lumière de la spécificité d'une institution qui est " l'union coutumière ", laquelle est une alliance entre deux clans agnatiques aux termes de laquelle un clan (maternel ou " utérin ") s'engage à donner " de la vie " (des enfants) à un clan paternel qui, à cette fin, accueille une femme issue du clan maternel et s'engage à la protéger elle et les enfants à naître, les enfants étant dès lors promis au clan paternel ;
Que, dans cette conception, le mariage qui unit l'homme et la femme n'est que la traduction de cet accord interclanique ;

Que lorsque l'alliance et les promesses de don de vie n'ont pas été scellées avant le mariage du mari et de la femme, et que ces derniers décident de s'unir sans en référer à leurs clans respectifs, le père des enfants doit procéder à une coutume dite " de pardon " pour, d'abord, s'excuser de n'avoir pas respecté l'avis des clans, mais encore pour être autorisé à " prendre l'enfant ", c'est-à-dire à le reconnaître ;
Qu'ainsi, le statut social de l'enfant dépend de ce que les individus et les clans décideront ensemble ; que ces décisions ont une incidence directe sur l'appréciation de ce que recouvre l'intérêt supérieur de l'enfant ;

Attendu que le statut de l'enfant a été défini notamment par quatre arrêts de cette Cour (CA Nouméa 11 octobre 2012, RG no 2011/ 531, Imbert c. Daoulo ; 9 septembre 2013 RG no 2012/ 59 Jewine c. Yeiwene ; 16 septembre 2013, RG no2012/ 339, ministère public c. Ujicas et Livoholo ; 12 décembre 2013, RG no2013/ 9, Waia c. Cejo) ;
Qu'il résulte de cette jurisprudence constante, fondée tout à la fois sur les normes coutumières et sur l'article 35 de la délibération du 3 avril 1967 précitée :
- d'abord, que le sort des enfants dépend des accords passés ; qu'ainsi, si les enfants ont été donnés au clan paternel (au terme de " gestes coutumiers ") ils sont membres de ce clan, et sont destinés à y occuper une fonction sociale précise et doivent y être éduqués en fonction de leur place dans la coutume et y demeureront quoi qu'il advienne ;
- qu'inversement, s'ils n'ont pas été donnés au clan paternel, ils demeurent membres du clan maternel et le demeurent toute leur vie ; qu'en somme, le statut de l'enfant est à l'abri des vicissitudes de la vie du couple parental, l'enfant étant un membre à part entière du clan et non un enjeu pour ses père et mère notamment en cas de séparation ;
- qu'ensuite, la distinction entre enfant naturel et enfant légitime est dénuée de portée juridique, puisque l'enfant est, en principe, membre du clan maternel, sauf le cas où ayant été le sujet d'un " don de vie " et, à ce titre, promis au clan paternel, il se trouve dès sa naissance, voire même avant celle-ci, promis et irrévocablement intégré au clan paternel dont il est un membre " légitime " que ses père et mère soient ou non mariés ;
Qu'il en résulte que seul le clan d'appartenance de l'enfant a vocation à élever celui-ci, en ce qu'il se trouve placé sous la responsabilité de ce clan, et que son intérêt supérieur est de ne pas être coupé de son clan d'appartenance ¿ lequel exerce sur l'enfant une " autorité parentale collective, laquelle ne se réduit pas au père et à la mère " (Sect. Lifou, 25 juillet 2012, RG no 12/ 18) ; que lorsque l'enfant a été " donné " cette autorité parentale est exercée par un collectif (le clan paternel), sous la surveillance d'un autre collectif (le clan utérin, c'est-à-dire ceux qui ont " donné la vie ") ;
- qu'enfin, l'enfant a (selon les règles coutumières) deux pères : d'abord, un père " par le sang " qui est son oncle utérin (le frère de sa mère), et, en second lieu, un " père social " (membre du clan paternel) à condition que celui-ci ait été autorisé à reconnaître l'enfant par le clan maternel, conformément aux accords passés et manifestés publiquement par des " gestes coutumiers " ;

Qu'ainsi, en toute hypothèse, le fait d'être géniteur n'emporte nulle conséquence juridique, ni droit ni obligation du géniteur à l'égard de l'enfant ; qu'ainsi, la paternité même fondée sur une réalité biologique, est exclusivement un fait social institué par la norme coutumière (cf. Sana-Chaillé de Néré, " Miroir d'outre-mer. La famille, le droit civil et la coutume kanak ", Mélanges Hauser, p. 662) ;
Que ces règles se trouvent consacrées dans la formulation lapidaire de l'article 35 de la Délibération no424 du 3 avril 1967, relative à l'état civil des citoyens de statut civil particulier (modifiant l'arrêté no631 du 21 juin 1934), aux termes duquel " la reconnaissance de l'enfant naturel ne pourra se faire qu'avec le consentement de celui de ses parents déjà connu " (en principe la mère) ou à défaut " avec le consentement de la personne qui l'a élevé " (ceci désignant à l'évidence les membres du clan maternel) ;
Qu'ainsi, les règles propres à l'état civil coutumier traduisent la prise en compte des normes autochtones qui posent le principe de l'appartenance de l'enfant nouveau-né au clan maternel (l'enfant ayant alors un père qui est l'oncle utérin), tant que l'enfant ne fait pas l'objet d'un " don " au profit du clan paternel, au travers d'un " geste coutumier " (un accord de volonté manifesté publiquement et solennellement), afin d'en faire un membre du clan paternel (ce qui revient à lui donner une identité et un statut social lié à un nom qui le rattache à une terre, et le rend partie prenante pour l'avenir du rôle social qui incombe à son nouveau clan (CA Nouméa, 11 octobre 2012, RG no 2011/ 531, Imbert c. Daoulo, p. 4 § 4 ; CA Nouméa 9 septembre 2013 RG no 2012/ 59 Jewine c. Yeiwene ; CA Nouméa 16 septembre 2013, RG no2012/ 339, ministère public c. Ujicas et Livoholo ; 12 décembre 2013, RG no2013/ 9, Waia c. Cejo) ;

* * *
Attendu, en l'espèce, que l'enfant, ainsi que le confirme la mère à l'audience de la cour d'appel porte un nom, Manuala, donné à sa naissance, qui le désigne comme membre du clan maternel et le rattache indéfectiblement à la terre qui fait l'identité du clan de la mère (Clan Y...), et qu'il ne peut quitter fut-ce pour suivre sa mère mariée dans un autre clan et désormais rattachée à une autre terre ; Qu'au surplus, cette appartenance est confirmée par son nom patronymique à l'état civil, et le fait qu'il soit élevé par ce clan ;

Qu'ainsi, il est acquis en droit coutumier, même si n'est pas contesté le lien biologique entre l'enfant et son père, que celui-ci n'a ni droit sur lui au titre de l'autorité parentale, ni obligation notamment alimentaire à son égard, conformément aux règles coutumières qui caractérisent l'organisation matrilinéaire, extrêmement marquée, de la société kanak, laquelle permet à la femme de faire échec à l'établissement de la filiation paternelle ;
Attendu, surabondamment, que le rattachement au clan maternel et à une Terre étant déterminant, au regard des principes du droit coutumier, pour définir l'identité et donc l'origine du sujet, ces règles coutumières ne sont contraires ni aux droits garantis par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme (respect dû à la vie privée et familiale) ni au " droit " pour l'enfant de " connaître ses origines ", ni à l'intérêt supérieur de l'enfant apprécié au regard des normes coutumières que désigne son statut personnel constitutionnellement garanti ;
* * *

Attendu qu'il résulte de ces principes l'obligation pour le seul clan utérin, sous l'autorité du chef de clan, d'éduquer et d'élever l'enfant ; que l'adoption coutumière contestée-dont rien n'établit qu'elle ait été faire en fraude des droits de M. X..., puisque celui-ci ne peut se prévaloir du statut de père-n'a fait que confirmer cette règle d'appartenance de l'enfant au clan maternel ;
Qu'ainsi, doit être rejeté l'ensemble des demandes du père tendant à l'établissement judiciaire du lien de filiation paternelle de l'enfant avec toutes conséquences de droit, cette demande se heurtant non seulement aux dispositions d'ordre public de l'article 35 de la délibération du 3 avril 1967, mais encore aux principes coutumiers, et à l'intérêt supérieur de l'enfant ;
Que le jugement critiqué sera donc entièrement confirmé ;

Attendu qu'il y a lieu de laisser les dépens d'appel à la charge de M. X... ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant, en chambre du conseil et en formation coutumière, par arrêt contradictoire, déposé au greffe ;
Vu l'Accord de Nouméa et l'article 77 de la Constitution ;
Vu l'article 35 de la Délibération no 424 du 3 avril 1967, relative à l'état civil des citoyens de statut civil particulier ;

Dit que, selon la coutume kanak, l'enfant appartient au clan maternel, sauf s'il a été demandé par le clan paternel et effectivement donné à celui-ci par le clan maternel au terme d'un " geste coutumier " ;
Dit que, selon la coutume kanak, le fait d'être géniteur n'emporte pas en soi de statut juridique, ni de droit ni d'obligation à l'égard de l'enfant, la paternité, même fondée sur une réalité biologique, étant exclusivement un fait social institué par la norme coutumière ;
Dit que le rattachement au clan maternel et à une Terre étant déterminant, au regard des principes du droit coutumier, pour définir l'identité et donc l'origine du sujet, ces règles ne sont contraires ni aux droits garantis par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme (respect dû à la vie privée et familiale) ni au " droit " pour l'enfant de connaître ses origines ni à l'intérêt supérieur de l'enfant, apprécié au regard des normes coutumières que désigne son statut personnel constitutionnellement garanti, ni même à l'intérêt familial ;

Constate qu'en l'espèce, l'enfant est rattaché au clan de la mère au sein duquel il est élevé ; que son identité ne le rattache nullement à un géniteur extérieur au clan, auquel la coutume ne reconnaît aucun statut fondé sur le seul lien biologique ;
En conséquence :
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande tendant à voir établir judiciairement son lien de filiation avec l'enfant Manuala ;
Y ajoutant,
Dit que l'autorité parentale sur l'enfant Manuala revient exclusivement au clan maternel de l'enfant, au domicile duquel l'enfant a sa résidence ;

Confirme le surplus de la décision déférée ;
Déboute M. X... du surplus de ses demandes ;
Condamne M. X... aux dépens ;

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre coutumière
Numéro d'arrêt : 12/00519
Date de la décision : 20/03/2014
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2014-03-20;12.00519 ?
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