COUR D'APPEL DE NOUMÉA
63 b
Arrêt du 12 Décembre 2013
Chambre commerciale
Numéro R.G. : 12/00084
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Juillet 2012 par le Tribunal mixte de Commerce de NOUMEA (RG no :11/204)
Saisine de la cour : 27 Septembre 2012
APPELANTE
LA SARL SOCIETE DES REMORQUEURS CALEDONIENS - SORECAL, prise en la personne de son représentant légal en exercice
Dont le siège social est sis Quai des Remorqueurs - Port Autonome de Nouvelle-Calédonie - BP. 1666 - 98845 NOUMEA CEDEX
Représentée par Me Fabien MARIE de la SELARL CALEXIS, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉE
LA SARL TERRASSEMENT CYRIL GARIN, prise en la personne de son représentant légal en exercice
Dont le siège social est sis 10 rue Jacques Prévert - BP. 207 - 98830 DUMBEA
Représentée par Me Philippe O'CONNOR de la SELARL POC, avocat au barreau de NOUMEA
AUTRE INTERVENANTE
LA SELARL Mary-Laure GASTAUD, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la Société TERRASSEMENT CYRIL GARIN
1 bis, Boulevard Extérieur - Auguste Mercier - Quartier Latin - BP. 3420 - 98846 NOUMEA CEDEX
Concluante, Non comparante
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Novembre 2013, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Yves ROLLAND, Président de Chambre, président,
M. Christian MESIERE, Conseiller,
Mme Anne AMAUDRIC DU CHAFFAUT, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Yves ROLLAND.
Greffier lors des débats: Mme Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Yves ROLLAND, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE.
La Compagnie Maritime Chambon, associée majoritaire de la Société des Remorqueurs Calédoniens (la sarl Sorecal), a vendu à la sarl Terrassements Cyril Garin un remorqueur dénommé NOUMEA pour le prix de 5.600.000 F CFP et une barge non propulsée dénommée PRONY pour le prix de 20.000.000 F CFP.
La compagnie Chambon, qui exerce une activité de remorquage sur le Territoire, a souhaité conclure avec la sarl Terrassements Cyril Garin un protocole d'accord afin que cette dernière ne concurrence pas la sarl Sorecal par l'utilisation de ces équipements.
Le protocole d'accord signé par les parties en mars 2009, après un rappel des régimes juridiques et fiscaux s'appliquant aux navires vendus, stipule dans une «clause particulière de non-concurrence » que :
la compagnie Chambon ne s'oppose "en aucune manière" au régime actuel des deux unités vendues opérant sous le pavillon de l'affréteur, la société SAXON HOLDING LIMITED immatriculée au RCS de la république de Vanuatu, et ne s'oppose pas à ce que la sarl Terrassements Cyril Garin utilise les services de l'affréteur et la mise à disposition de la barge et du remorqueur vendus, rebaptisés NACATO et LOAN, "pour ses activités propres inhérentes à (son objet social) en matière d'agrégats, matériel de chantier et d'une manière générale au titre de la réalisation de tous contrats de terrassement, construction, travaux publics etc... en Nouvelle Calédonie" ;
en contrepartie, la sarl Terrassements Cyril Garin s'engage à ne pas interférer dans les activités propres à la sarl Sorecal en matière de remorquage portuaire et/ou hauturier en Nouvelle Calédonie, sans le consentement de cette dernière, et s'engage à ne pas exploiter le remorqueur et la barge rebaptisés NACATO et LOAN sous pavillon français en Nouvelle Calédonie ;
"Les engagements des deux parties au présent protocole ont un caractère de réciprocité. Il est convenu que la partie défaillante quant au non-respect de l'accord intervenu en les termes exposés supra sera tenue de verser à l'autre partie une somme forfaitaire de 25 600 000 Fr. Cfp au titre de la compensation des préjudices réels et potentiels qui pourraient résulter de l'inobservation intentionnelle de leurs engagements respectifs" (sic).
Par jugement rendu par le tribunal mixte de commerce de Nouméa le 6 septembre 2010 la sarl Terrassements Cyril Garin a été placée sous redressement judiciaire et la selarl Mary Laure Gastaud désignée en qualité de mandataire judiciaire.
Par ordonnance en date du 20 janvier 2011 le juge commissaire au redressement judiciaire se déclarait incompétent pour statuer sur la créance de la sarl Sorecal et invitait les parties à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois.
Par une requête déposée au greffe le 28 mars 2011, la sarl Sorecal a fait citer la sarl Terrassements Cyril Garin, en présence de son mandataire judiciaire la Selarl Mary-Laure GASTAUD, devant le tribunal mixte de commerce de NOUMEA afin de voir dire et juger que la sarl Terrassements Cyril Garin a contrevenu aux termes de la clause particulière de non concurrence souscrite à son profit et fixer sa créance au passif du redressement judiciaire de la sarl Terrassements Cyril Garin à la somme de 25.600.000 F CFP en application de la clause pénale prévue par le protocole ainsi que sa condamnation au paiement de la somme de 400.000 F CFP sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle Calédonie.
Par jugement rendu le 31 juillet 2012 le tribunal mixte de commerce de Nouméa, « vu l'absence de preuve du non-respect par les parties de leurs engagements contractuels », les déboutait de l'ensemble de leurs demandes réciproques.
PROCÉDURE D'APPEL.
Par requête enregistrée au greffe le 27 septembre 2012 la sarl Sorecal interjetait appel de cette décision qui n'avait pas été signifiée.
Aux termes de son mémoire ampliatif reçue au greffe le 26 décembre 2012 elle conclut à la recevabilité de son appel et à l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et demande à la cour, statuant à nouveau :
Au principal de juger que la sarl Terrassements Cyril Garin a contrevenu aux termes de la clause particulière de non-concurrence souscrite à son profit dans le protocole d'accord signé avec la société Chambon en mars 2009 en utilisant frauduleusement les unités vendues, de Nouméa à destination des îles Loyautés, sous pavillon de complaisance ;
à titre subsidiaire de juger que la sarl Terrassements Cyril Garin à commis des actes de concurrence déloyale en utilisant frauduleusement les unités vendues, de Nouméa à destination des îles Loyautés, sous pavillon de complaisance ;
dans les deux hypothèses de fixer sa créance au passif du redressement judiciaire à la somme de 25 600 000 Fr. Cfp en application de la clause pénale prévue au protocole d'accord ;
de débouter la société intimée de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer 400 000 Fr. Cfp en application de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie outre les dépens.
Elle fait valoir principalement au soutien de ses demandes que :
- La sarl Terrassements Cyril Garin a utilisé la barge LOAN et le remorqueur NACATO, sous pavillon vanuatais, pour exercer ses activités sur le territoire de la Nouvelle Calédonie sans avoir obtenu des services compétents une "dérogation au monopole du pavillon " prévue par les articles 168 et 169 du code des douanes de la Nouvelle Calédonie alors que l'article 167 stipule que « les transports effectués entre les ports de la Nouvelle-Calédonie et dépendance sont réservés au pavillon français»;
- C'est ainsi qu'il a été constaté que ce remorqueur et cette barge avaient appareillé à NOUMEA à destination des Iles Loyauté en contravention avec les dispositions de l'article 167;
- En agissant de la sorte la sarl Terrassements Cyril Garin a contrevenu à la réglementation applicable et à la clause particulière de non concurrence souscrite par la société Chambon au bénéfice de la sarl Sorecal, réalisant ainsi un gain non négligeable, ce qui justifie l'application à son encontre de la clause pénale.
Aux termes de ses conclusions reçues au greffe le 24 mars 2013 la sarl Terrassements Cyril Garin conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il déboute la sarl Sorecal de l'ensemble de ses demandes faute de rapporter la preuve qu'elle a contrevenu aux dispositions contractuelles du protocole d'accord et de justifier d'une créance liquide et certaine à son endroit , à son infirmation en ce qu'il l'a débouté de ses demandes, et demande à la cour, statuant à nouveau, de juger que la sarl Sorecal a contrevenu aux termes du protocole d'accord et de la condamner à lui payer:
25 600 000 Fr. Cfp représentant le montant de la clause pénale contractuelle
outre 80 000 Fr. Cfp résultant des dommages et pertes que lui ont occasionnés les actions de la demanderesse ;
420 000 Fr. Cfp en application de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie outre les dépens.
Elle soutient pour l'essentiel que :
- La sarl Sorecal ne rapporte pas la preuve du non respect de ses obligations contractuelles et aucun grief n'est formulé à son encontre établissant l'utilisation sous pavillon français des unités qui lui ont été vendues ou l'existence d'actes de concurrence envers elle dans ses activités propres en Nouvelle Calédonie ;
- La sarl Sorecal s'est opposée au régime actuel des deux unités et l'a empêchée d'utiliser les services de l'affréteur pour la réalisation de ses activités de terrassement en Nouvelle Calédonie ;
- Ces deux faits constituent une violation manifeste des engagements pris par la sarl Sorecal et doivent être sanctionnés par l'application de la clause pénale mentionnée dans le protocole d'accord et l'allocation à son profit de dommages-intérêts, les interventions intempestives de la sarl Sorecal l'ayant conduit à la situation de redressement judiciaire dans laquelle elle se trouve.
La Selarl Mary-Laure GASTAUD, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la sarl Terrassements Cyril Garin, déclare s'en rapporter à la sagesse de la cour.
Les ordonnance de clôture et de fixation de l'affaire à l'audience ont été rendues le 30 septembre 2013.
MOTIFS DE LA DÉCISION.
Sur les demandes de la sarl Sorecal
Aux termes du protocole d'accord signé avec la Compagnie Maritime Chambon, la sarl Terrassements Cyril Garin a souscrit deux engagements :
- d'une part celui "de ne pas interférer dans les activités propres de la sarl Sorecal en matière de remorquage portuaire et/ou hauturier en Nouvelle Calédonie, sauf consentement exprès de cette dernière"
- d'autre part celui "de ne pas exploiter le remorqueur NACATO et la barge LOAN sous pavillon français en Nouvelle Calédonie".
Force est de constater que le grief développé dans les conclusions de l'appelante, selon lequel la sarl Terrassements Cyril Garin aurait utilisé le remorqueur NACATO et la barge LOAN sous pavillon vanuatais pour exercer des transports de matériaux pour ses chantiers sur le territoire de la Nouvelle Calédonie sans avoir sollicité une dérogation au monopole du pavillon prévu par l'article 167 du code des douanes de la Nouvelle Calédonie, ne constitue pas une violation de ses obligations contractuelles par la sarl Terrassements Cyril Garin .
En effet la sarl Sorecal ne démontre pas, ni même n'allègue, une quelconque interférence de la sarl Terrassements Cyril Garin dans ses activités propres de remorquage.
Et non seulement il n'est pas justifié d'une exploitation par la sarl Terrassements Cyril Garin du remorqueur NACATO et de la barge LOAN sous pavillon français en Nouvelle Calédonie mais au contraire il lui est reproché d'avoir navigué sous pavillon Vanuatais.
La sarl Terrassements Cyril Garin n'a donc pas contrevenu aux termes précis de l'accord signé avec la compagnie Chambon.
Le non respect du code des douanes de la Nouvelle Calédonie, imputé à tort ou à raison à la sarl Terrassements Cyril Garin, ne constitue pas une infraction à la «clause particulière de non-concurrence » prévue dans le « protocole d'accord » signé avec la société Chambon en mars 2009.
D'autant que ce protocole rappelle que les deux unités vendues sont louées sous le régime de l'affrètement « coque nue » et opèrent sous pavillon de la république du Vanuatu par l'affréteur (la société Saxon Holdings Limited) de telle sorte que la sarl Sorecal ne peut prétendre qu'elle ignorait, lors de la signature du protocole d'accord, le régime juridique sous lequel ces deux unités étaient exploitées.
Dès lors que le protocole indique expressément que la société Chambon, agissant pour le compte de la sarl Sorecal, « ne s'oppose pas » à l'utilisation de la barge et du remorqueur sous pavillon vanuatais pour la réalisation des activités propres de la sarl Terrassements Cyril Garin en Nouvelle-Calédonie, la référence à des actes de concurrence déloyale est dénuée de tout fondement.
C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer la clause pénale contractuelle en raison des faits allégués et sa décision doit être confirmée de ce chef.
Sur les demandes de la sarl Terrassements Cyril Garin.
Comme le souligne pertinemment le premier juge, l'examen du plan de redressement de la sarl Terrassements Cyril Garin démontre que cette dernière a déclaré avoir travaillé avec la société Tcho Ke Yate en sous-traitance sur de nombreux chantiers aux Iles Loyauté et qu'il n'est donc pas démontré que les agissements de la sarl Sorecal ont entravé son activité en l'absence de manoeuvres ou de faits précis imputables à cette dernière.
La sarl Terrassements Cyril Garin explique elle-même dans le plan de redressement soumis au tribunal qu'elle n'a pas été autorisée à se servir de son remorqueur et de sa barge en Nouvelle Calédonie "par le gouvernement de la Nouvelle Calédonie", à l'encontre duquel elle a introduit une action devant le tribunal administratif afin d'obtenir réparation de son préjudice correspondant à une perte d'exploitation évaluée à la somme de 84.131.018 F CFP.
Elle ne saurait donc imputer à la sarl Sorecal l'entrave dont elle déclare avoir été victime de la part du gouvernement de la Nouvelle Calédonie et n'est pas fondée à solliciter la condamnation de la sarl Sorecal à réparer un préjudice dont elle reconnaît par ailleurs que celle-ci n'est pas l'auteur.
Il y a lieu en conséquence de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré.
PAR CES MOTIFS
La cour ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal mixte de commerce de Nouméa le 31 juillet 2012 ;
Y ajoutant ;
Rejette les demandes principales et incidentes en application de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;
Condamne la sarl Sorecal, appelante, aux dépens d'appel qui seront distraits au profit de la Selarl d'avocats POC et associés, sur l' affirmation qu'elle en a fait l'avance.
Le greffier, Le président.