La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/2013 | FRANCE | N°12/00387

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre coutumière, 12 juin 2013, 12/00387


COUR D'APPEL DE NOUMÉA
114
Arrêt du 12 Juin 2013

Chambre coutumière

Numéro R. G. :
12/ 387

Décision déférée à la cour :
rendue le : 17 Septembre 2012
par le : Tribunal de première instance de LA SECTION DETACHEE DE KONE

Saisine de la cour : 27 Septembre 2012

PARTIES DEVANT LA COUR

APPELANTS

Mme Augustine X... épouse Y..., soeur d'Elia Z...
née le 15 Janvier 1949 à HOUAILOU (98816)
demeurant...-98870 BOURAIL

Mme Némébéru A... épouse B..., soeur d'Elia Z...
née le 29 Août 1940 à HO

UAILOU (98816)
demeurant...-98816 HOUAILOU

Mme Maria A... épouse C..., soeur d'Elia Z...
née le 17 Septembre 1938 à HOUAILOU (98816)
d...

COUR D'APPEL DE NOUMÉA
114
Arrêt du 12 Juin 2013

Chambre coutumière

Numéro R. G. :
12/ 387

Décision déférée à la cour :
rendue le : 17 Septembre 2012
par le : Tribunal de première instance de LA SECTION DETACHEE DE KONE

Saisine de la cour : 27 Septembre 2012

PARTIES DEVANT LA COUR

APPELANTS

Mme Augustine X... épouse Y..., soeur d'Elia Z...
née le 15 Janvier 1949 à HOUAILOU (98816)
demeurant...-98870 BOURAIL

Mme Némébéru A... épouse B..., soeur d'Elia Z...
née le 29 Août 1940 à HOUAILOU (98816)
demeurant...-98816 HOUAILOU

Mme Maria A... épouse C..., soeur d'Elia Z...
née le 17 Septembre 1938 à HOUAILOU (98816)
demeurant...-98816 HOUAILOU

M. Joseph Bara Z..., frère d'Elia Z... (tant pour lui-même qu'es-qualité de représentant légal du mineur Z... Elysée)
né le 08 Septembre 1951 à HOUAILOU (98816)
demeurant...-98816 HOUAILOU

Mme Mélanie A... veuve D..., soeur d'Elia Z...
née le 17 Août 1943 à HOUAILOU (98816)
demeurant...-

M. Kavo Goaké Z..., frère d'Elia Z...
né le 01 Octobre 1955 à HOUAILOU (98816)
demeurant...-98816 HOUAILOU

Mme Tchayone A... veuve E..., soeur d'Elia Z...
née le 30 Mai 1947 à HOUAILOU (98816)
demeurant...-98816 HOUAILOU

Mme Maïté Kériwélélacé A... épouse F..., soeur d'Elia Z...
née le 21 Août 1957 à HOUAILOU (98816)
demeurant GONDE-98816 HOUAILOU

M. Ariaba Z..., frère d'Elia Z...
né le 31 Octobre 1936 à HOUAILOU (98816)
demeurant...-98816 HOUAILOU

M. Paul Adrien A..., oncle d'Elia A...
né le 17 Juillet 1951 à HOUAILOU (98816)
demeurant...-98800 NOUMEA

Toutes et tous représentés par Maître ARNON

INTIMÉS

M. Joyee Ismaël Z...
né le 22 Octobre 1985 à HOUAILOU (98816)
demeurant...-98816 HOUAILOU

représenté par la SELARL MILLIARD-MILLION

M. Rhaumimi Mundine Z...
né le 31 Juillet 1985 à HOUAILOU (98816)
demeurant C/ o Mme G...-...-98800 NOUMEA

représenté par la SELARL MILLIARD-MILLION

M. Rudy Randall Z...
né le 03 Janvier 1978 à HOUAILOU (98816)
demeurant...-98816 HOUAILOU

représenté par Maître MARIE

AUTRE INTERVENANT

LE MINISTERE PUBLIC représenté par M. Michel BEAULIER, Avocat Général

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 Mai 2013, en audience publique, devant la cour composée de :

Pierre GAUSSEN, Président de Chambre, président,
Anne AMAUDRIC DU CHAFFAUT, Conseiller,
Régis LAFARGUE, Conseiller, rapporteur

et des assesseurs coutumiers :

M. Remi DAWANO aire Drubea-Kapumë ;
M. Wapone CAWIDRONE aire Nengone ;
M. Elia PAWA aire Paicî-Cèmuhi ;
M. Louis THEVEDIN aire Xaracuu

Régis LAFARGUE, Conseiller, ayant présenté son rapport et la cour et les assesseurs coutumiers ayant délibéré en commun hors la présence du greffier,

Greffier lors des débats : Stephan GENTILIN

ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Pierre GAUSSEN, président, et par Cécile KNOCKAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Au cours de la nuit du 9 au 10 octobre 2008, Elia A..., après avoir subi des violences répétées de la part de MM. Rudy Z..., Joyee Z..., et Rhaumimi Z..., était abandonné, blessé, sur la voie publique. Transporté à l'hôpital, il devait y décéder des suites de ses blessures le 13 octobre 2008.
Par arrêt du 15 juin 2012, la cour d'assises de Nouvelle-Calédonie, déclarait MM. Rudy Z..., Joyee Z..., et Rhaumimi Z... coupables de violences volontaires, ayant entraîné la mort d'Elia A... sans intention de la donner, commises en réunion.

Dans ses motifs la cour d'assises a rappelé que :

" Le 10 octobre 2008, vers 7 heures du matin, Elia A... était retrouvé gisant, semi inconscient, dans un abri en bord de route, près du col de Nessakouya à Houaïlou allongé à même le sol, le visage tuméfié et souffrant de nombreuses blessures. Son frère, Kavo Z..., l'avait conduit au dispensaire. Ce dernier rapporte qu'il lui a murmuré avoir été battu par plusieurs personnes dont les nommés, Rudy Z... et Rhaumimi Z....
L'état de la victime ne cessant de se dégrader, il décédera des suites de ses blessures le 13 octobre 2008 à 16 heures 05.
Le 9 octobre 2008 Elia A... quittait son domicile vers 9 heures pour aller passer une visite médicale au dispensaire de Houaïlou. Il était pris en auto-stop par Jean-Paul H.... A l'issue de la consultation, ils se rendaient ensemble au commerce " Chez Kutter " pour y acheter quelques victuailles et des " packs " de bières. Là ils rencontraient des " tontons et des cousins ", qui consommaient devant le magasin. Ils montaient à plusieurs dans au moins trois véhicules, s'arrêtaient chez Philomène I... avant d'arriver au col de Nessakouya à la tombée de la nuit. Là une première dispute opposait le groupe des Z... à M. H... et à Elia A.... M. Jean-Paul H... était mis en fuite, ensuite le groupe se retournait contre Elia A..., qui se faisait violemment agresser par Rudy Z..., Joyee Z... et Rhaumimi Z.... Emerick Z... qui revenait de la tribu de Coula, retrouvait Elia vers 21 heures, couché sur le dos, et le déposait à l'abri où il sera découvert le lendemain matin.
Rudy Z..., dans une première audition (D15), déclarait qu'il reprochait à la victime d'avoir changé de nom, et de porter à présent le patronyme " Z... " au lieu du sien " A... ". En venant aux mains il avait donné des gifles à Elia. Rudy interrompait son agression au moment où Joyee s'approchait de la victime qu'il frappait à son tour. M. Rudy Z... disait avoir vu son frère Joyee sauter sur le dos d'Elia allongé au sol. Lors de son interrogatoire de première comparution (D 36), il précisait avoir donné six gifles à la victime.
Joyee Z... (D 28) déclarait avoir assené à la victime des coups de poing et de pied au visage, car, disait-il, " il ne l'inspirait pas ". Il disait ne pas se souvenir du déroulement des faits, se rappelant toutefois lui avoir jeté une cannette de bière au visage, et mettait hors de cause son frère Rudy et Gildo.
Rhaumimi Z... (D 59 et D 61) donnait une version plus détaillée des faits. Dans l'après-midi du 9 octobre, il revenait du village et rencontrait Rudy et Joyee. Ensemble, ils s'arrêtaient en face de son domicile où se trouvaient déjà Moïse et Elia A..., Gabriel et Axel Y..., Gildo, Joachim et Jeiss Z..., Jean-Philippe et Thomas J..., Fideli K... et Jean-Paul H.... Là, ils continuaient à boire jusqu'à ce que sa mère Philomène Z...- I..., excédée par le bruit leur dise de s'en aller (D 97). Tandis que Moïse A..., Thomas et Jean-Philippe J... rentraient chez eux, le reste du groupe partait à bord de quatre véhicules à destination du col de Nessakouya, où la beuverie se poursuivait. Il indiquait avoir vu Joyee Z... :
- arracher l'essuie-glace et l'un des rétroviseurs du véhicule de Jean-Paul H...,
- assener avec force des coups sur la victime,
- lui lancer une bouteille qui se fracassait sur son crâne,
- lui donner des coups de poing et de pied.
Quant à sa participation personnelle à l'agression, il avouait avoir donné deux coups de pied à la tête de la victime qui parlait fort, et ce, afin prétendait-il de la calmer.
Joyee Z... confronté aux précisions apportées par Rhaumimi, avouait avoir donné des coups de poing et de pied, avant de se saisir d'une bouteille en verre et la lancer en direction de la tête d'Elia (D 63). Il arrachait l'essuie-glace et le rétroviseur du véhicule de Jean-Paul H... et les projetait de toutes ses forces au visage d'Elia. S'agissant des nombreuses blessures constatées sur le corps de la victime, il convenait que celle située au sommet du crâne pouvait être la conséquence du coup assené avec le rétroviseur, celles au coin de l'oeil et à l'oreille du lancer de la bouteille (de bière) en verre qui s'était brisée, et les hématomes aux yeux des coups de pied et poings assenés. Il précisait qu'en fin de la soirée, aidé par Emerick Z..., il avait transporté Elia en voiture pour le déposer à la guérite face à son domicile. Sur ses motivations, il se disait indifférent aux problèmes coutumiers.
Jean-Paul H... confirmait avoir pris en stop Elia pour le conduire chez le médecin (D 77, D 121). Il était à ses côtés jusqu'à l'arrivée au col de Nessakouya, où il était pris à partie par les frères Z.... Il recevait de nombreux coups de poing et de pied et divers projectiles, mais réussissait à s'enfuir tandis qu'Elia, à son tour, se faisait agresser. Soucieux du sort de ce dernier, il s'approchait peu après pour lui porter secours, mais se faisait à nouveau " caillasser " et s'enfuyait à travers champs vers son domicile. Il confirmait avoir vu Joyee, Rhaumimi et Rudy Z... insulter et frapper Elia.
Le témoignage de Gildo Z..., frère de Rhaumimi, confirmait la relation des faits donnée par Jean-Paul H... dont il avouait avoir été l'un des agresseurs (D 96). Il disait avoir assisté aux coups donnés à la victime par Rudy, suivis de ceux de Joyee, qui lui cassait 10 à 15 bouteilles sur la tête de haut en bas. Il indiquait avec d'autres que les violences avaient pu s'étaler sur un laps de temps variant entre une demi-heure et une heure. Il avait été affolé à la vue du sang et avait pris peur en réalisant la violence des coups. Il disait n'être pas intervenu, en faveur de la victime, de crainte d'être frappé à son tour.
En définitive, étant précisé qu'une expertise anatomo-pathologique a établi que les antécédents médicaux de la victime n'ont joué aucun rôle causal dans son décès (D 58), l'autopsie de la victime démontre que le décès a été provoqué par un traumatisme grave du crâne, par des hématomes, extra-dural et sous-dural, consécutifs à des coups donnés avec un instrument contondant (D 39). Ces constatations sont cohérentes avec la relation des faits donnée par MM. Joyee et Rhaumimi et reconnus par Rudy Z.... Elles démontrent aussi la véracité des déclarations concordantes de M. H... (D 77 et D 121) et de M. Gildo Z... (D 96) qui soulignent la multiplicité et la violence extrême des coups portés, et en partie reconnus par les trois accusés ".

La Cour d'assises, après avoir statué sur l'action publique, et suivant en cela les conclusions des parties civiles, a déclaré recevables les constitutions de parties civiles formées par les consorts Z...- A..., et, eu égard au statut coutumier des parties, s'est déclarée incompétente, pour statuer sur les demandes indemnitaires présentées par les consorts Z...- A..., en application des dispositions de l'article 7 de la loi organique no 99-209 du 19 mars 1999, telles qu'interprétées par la Cour de Cassation dans ses avis no 05/ 11 du 16 décembre 2005 et no 07/ 01 du 15 janvier 2007.
La Cour d'assises, conformément aux conclusions des parties civiles, a renvoyé, en outre, les consorts Z...- A... à comparaître, ainsi que MM. Z... Rudy, Z... Joyee et Z... Rhaumimi, devant la juridiction civile désignée à l'article 19 de la loi organique no99-209 du 19 mars 1999 (juridiction civile de droit commun siégeant en présence d'assesseurs coutumiers) ;

M. Rhaumimi Z... a interjeté appel, tant des dispositions pénales que civiles, de l'arrêt de la Cour d'assises du 15 juin 2012.

La juridiction civile avec assesseurs coutumiers, siégeant à Koné, et statuant dans la continuité de l'instance pénale, a tenu son audience, trois semaines plus tard, le 9 juillet 2012.
A cette audience les parties civiles étaient assistées ou représentées par leur conseil, Mo Arnon, les condamnés à l'exception de Rudy Z..., étaient assistés par Mo Milliard.
La juridiction était composée, outre le président, de quatre assesseurs coutumiers, deux d'entre eux représentant la coutume des parties (celle de l'aire Ajië Aro dont sont originaires la totalité des parties civiles ainsi que les condamnés) outre deux assesseurs coutumiers représentant, chacun, les deux autres aires coutumières du Nord de la Nouvelle-Calédonie (aire Hoot Ma Whaap, et aire Paicî-Cèmuhi) ;
Nul n'a contesté à titre liminaire la régularité de cette composition, au demeurant conforme à la jurisprudence constante de la cour d'appel qui tend à concilier la représentation de la coutume des parties, tout en l'élargissant à d'autres aires coutumières pour asseoir sa décision sur des principes coutumiers admis sur l'ensemble de la Nouvelle-Calédonie (en ce sens : CA Nouméa, 29 septembre 2011, RG no10/ 523 Mme K... contre M. W...).

Le ministère public n'a fait part d'aucune observation.

C'est dans ces conditions que, par jugement du 17 septembre 2012, la juridiction civile statuant en formation coutumière (article 19 de la loi organique du 19 mars 1999), a :

- mis hors de cause M. Rhaumimi Z..., celui-ci appelant n'ayant pas été définitivement condamné au plan pénal, et a
-rejeté les demandes de toutes les parties civiles, et
-laissé les dépens exposés à la charge de ces dernières.

Pour motiver sa décision le tribunal a, d'abord, posé en principe général que " la réparation d'un dommage, personnel ou matériel, résultant d'un fait volontaire ou non, commis par une personne de statut coutumier kanak est admis dans les relations coutumières ", et renvoyé pour plus ample exposé à la doctrine d'une décision précédemment rendue en la matière (TPI Nouméa 14 mai 2012, noRG 12/ 05, Revue jur., pol. et économique de Nouvelle-Calédonie, no19, 2012/ 1, p. 123-126).
Le tribunal a rappelé, en outre, que dans une société fondée sur des solidarités claniques fortes, l'indemnisation du préjudice éprouvé individuellement (par équivalent financier), n'a pas lieu d'être dénié, même s'il reste insuffisant, aux yeux des sujets de la coutume, pour parvenir au rétablissement de la paix sociale comme à la réhabilitation sociale de la victime, puisque cette réparation financière par équivalent, au plan strictement individuel, " ne ne pourra jamais se substituer, ni tenir lieu de réparation sociale, celle-ci ne pouvant être atteinte que par le rétablissement des liens coutumiers. Cette réhabilitation des liens inter-claniques dans la société coutumière constituant l'objectif propre de la ¿ coutume de pardon', laquelle demeure sans équivalent dans le droit commun ".

Appliquant ces principes au cas d'espèce le tribunal a considéré que :
"... les défendeurs sont trois frères et six soeurs de la victime, d'une part, l'oncle et un enfant donné en adoption, d'autre part... ni la concubine de la victime (Juanita L...) ni leurs enfants communs, reconnus par Elia A..., avec lesquels il restait en lien étroit, ne se sont constitués parties civiles. Elles sont pourtant les victimes indirectes les plus proches et les plus directement touchées par le décès de leur compagnon ou père, en bref, les plus légitimes aux yeux de la juridiction, à demander réparation.
Cela étant observé il convient d'examiner les deux questions soulevées par les demandes des parties civiles. En premier lieu, dans les circonstances de l'espèce, tant générales, telles que dessinées par l'état des relations coutumières entre les clans Z... et A..., que particulières aux circonstances du décès d'Elia A..., ce dernier a-t-il participé a son propre dommage, en prenant des risques inconsidérés ? Et, en second lieu, s'il n'y a pas de faute inexcusable de la victime, les demandeurs justifient-ils d'un préjudice qu'il convient d'indemniser ?
A l'examen des relations entre les deux clans il est admis par tous qu'un conflit persistant existait sur la reconnaissance du chef du clan Z.... La prise du nom " Z... " par Elia A... n'est pas clairement démontrée, en particulier par la production de son acte de naissance. II ressort néanmoins de la mention portée sur l'acte de naissance de Ariaba, le 20 avril 2008, que " par décision no2171/ ECC du 20 juin 2005, cet acte est modifié en ce sens que l'intéressé portera désormais le nom patronymique de Z... ". Une mention identique concerne Kavo Z... et Joseph Z....
Ainsi en 2005, plusieurs hommes du clan A... ont pris le nom " Z... ", sans que l'on sache précisément les motifs de ces modifications de nom et si elles ont été effectuées avec l'accord du clan Z....
En tout état de cause, les déclarations des parties sont concordantes pour relever qu'Elia avait pris le nom " Z... " pour occuper la place de chef de clan chez ceux-ci, et que cela donnait lieu à une opposition affirmée des membres du clan Z... pour lesquels il y avait un chef désigné en la personne de Denis Z..., qui avait succédé à Jean, décédé.
Il a été précisé à l'audience que M. Paul A..., oncle par le sang mais père coutumier d'Elia, était à l'origine de la recommandation, voire l'injonction, faite à Elia, de reprendre le nom Z... pour occuper la place de chef de clan. M. Paul A... présente comme une évidence la désignation d'Elia qui devait ainsi permettre, selon lui, de restituer aux A... la place qui leur avait été confisquée par les Z....
Les assesseurs coutumiers relèvent que les deux familles sont issues du même sang, qui ainsi " ne sort pas de la case " ; qu'en conséquence, ils sont coutumièrement égaux et auraient dû parvenir à un accord dans l'organisation de la chefferie, mais qu'ils n'ont accepté ni l'un ni l'autre " d'être placés plus bas " pour des questions de droits fonciers, évoquées au détour des débats comme le véritable enjeu de cette compétition violente pour la chefferie.
Tous ces éléments permettent de comprendre le risque important pris par Elia le jour des faits en s'incorporant au groupe des Z... et en y demeurant après les premières disputes qui ont conduit à l'exclusion du groupe de Jean-Paul H... avec lequel il avait circulé depuis le début de la journée.
Toutes les déclarations sont concordantes pour souligner les relations tendues entre les clans et l'animosité envers Elia pour ses ambitions affichées sur la chefferie. Il est dès lors incompréhensible que ce dernier ait rejoint le groupe des Z..., même, comme cela est évoqué par Joyee Z..., pour tenter de parvenir à une réconciliation, qui ne pouvait être de son seul ressort et concernait les responsables des clans, selon des modalités symboliques formelles.
Enfin il y a lieu de relever que sur le plan pénal, les auteurs ont été condamnés pour avoir " commis des violences ayant entraîné, sans intention de la donner, la mort d'Elia A... " ; cette absence d'intention, de volonté, de donner la mort, doit être prise en compte pour l'appréciation des responsabilités respectives au plan civil coutumier.
En conséquence, le tribunal considère que la victime, en s'exposant volontairement à des violences, n'a pas pris soin de veiller à sa sécurité, dans le contexte conflictuel évoqué supra, et a, de fait, accepté de prendre un risque constitutif d'une faute qui conduit à exclure son droit à indemnisation et, par voie de conséquence, celui des ayants droit.
Les demandes des parties civiles seront donc rejetées ".

PROCÉDURE D'APPEL

Les consorts Z...- A..., par requête du 27 septembre 2012, ont interjeté appel, et, par mémoire ampliatif d'appel du 23 novembre 2012, ont conclu à l'infirmation de la décision déférée.
Ils demandent à la cour d'appel, de constater l'autorité de la chose jugée au plan pénal par la Cour d'assises, tant à l'égard de MM. Rudy et Joyee Z... que de M. Rhaumimi Z..., la même cour d'assises ayant, en outre, par arrêt civil du 15 juin 2012, déclaré recevables les constitutions de partie civile des consorts Z...- A....
Ils demandent à notre juridiction, statuant à nouveau, de :
- Fixer les préjudices subis par Elia A..., comme suit :
* Pretium doloris (très important) : 3. 630. 000 F CFP ;
* Préjudice moral : : 2. 090. 000 F CFP ;
- Dire que le préjudice personnel lié aux souffrances et le préjudice moral de feu Elia A... sera réparti et perçu entre chacun de ses ayants droits par part virile, soit à chacun d'eux à concurrence du onzième ;
- Fixer le préjudice moral lié à la perte d'Elia A... pour chacun de ses frères et soeurs à la somme de 1. 500. 000 F CFP ;
- Fixer le préjudice moral lié à la perte d'Elia A... pour son oncle (et père coutumier) Paul A... à la somme de 2. 000. 000 F CFP ;
- Dire que la disparition brutale et tragique d'Elia A..., appelé à reprendre la chefferie dans des conditions faisant apparaître une volonté d'usurpation du nom et de spoliation du clan A... par les membres accueillis du clan Z... est source d'un préjudice moral distinct subi par chacun des membres du clan A... parent de Feu Elia Z... qui peut être évalué pour chacun d'entre eux à la somme de 500. 000 F CFP ;
- Condamner in solidum M. Joyee, Ismaël, Z..., M. Rhaumimi Mundine Z... et M. Rudy Randall Z... au paiement des sommes suivantes à :
* M. Paul Adrien A..., oncle utérin de la victime :
¿ Prorata pretium doloris du de cujus 330. 000 F CFP
¿ Prorata préjudice moral du de cujus 190. 000 F CFP
¿ Préjudice moral personnel 2. 190. 000 F CFP
¿ Préjudice moral à caractère coutumier 500. 000 F CFP

* M. Joseph Boaro Z..., ès qualité d'administrateur légal de son fils adoptif mineur Elysée Junior Djanon Z..., lui-même fils biologique de la victime, la somme de 4. 520. 000 F CFP se décomposant comme suit :
¿ Prorata pretium doloris du de cujus 330. 000 F CFP
¿ Prorata préjudice moral du de cujus 190. 000 F CFP
¿ Préjudice moral personnel 3. 500. 000 F CFP
¿ Préjudice moral à caractère coutumier 500. 000 F CFP

* chacun des neuf (9) frères et soeurs de la victime, Mme Augustine X... ép. Y..., Mme Némébéru A... ép. B..., Mme Maria A... ép. C..., M. Joseph Z..., Mme Mélanie A... veuve D..., M. Kavo Goaké Z..., Mme Tchayone A... veuve E..., Mme Maïté Kériwélélacé A... ép. F..., M. Ariaba Z..., la somme de 2. 520. 000 F CFP se décomposant comme suit :
¿ Prorata pretium doloris du de cujus 330. 000 F CFP
¿ Prorata préjudice moral du de cujus 190. 000 F CFP
¿ Préjudice moral personnel 1. 500. 000 F CFP
¿ Préjudice moral à caractère coutumier 500. 000 F CFP

-Condamner in solidum M. Joyee Z..., M. Rhaumimi Z... et M. Rudy Z... à payer aux consorts Z...- A... la somme de 367. 500 F CFP sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, soit à chacun des concluants la somme de 36. 375 F CFP, et à supporter les dépens.

Par ordonnance du 03 avril 2013, la procédure a été clôturée et l'affaire fixée au 27 mai 2013.

Par ordonnance du 22 mars 2013, le ministère public s'est vu communiquer la procédure. Il n'a pas conclu. Il a développé oralement des observations à l'audience tendant à la réformation de la décision.

M. Rudy Z..., représenté par Mo Marie, n'a pas conclu, mais a présenté des observation orales à l'audience tendant à la confirmation du jugement déféré.

Par écritures du 17 mai 2013 M. Rhaumimi Z... (appelant de l'arrêt pénal) et M. Joyee Z..., tous deux représentés par Mo Milliard, ont conclu à la confirmation du jugement déféré, et à la confirmation de la mise hors de cause de M. Rhaumimi Z....
Subsidiairement, ils demandent à la cour d'appel d'allouer aux parties civiles, personnes physiques seules, la réparation de leur préjudice moral selon la jurisprudence habituelle de la Cour, et de dire les demandes des personnes es qualités de membres du clan irrecevables.
Dans ses écritures Maître Milliard, n'expose aucun moyen de droit appelant une réponse de la cour, mais fait part de ses doutes, quant à la légitimité de la prise en compte de la norme coutumière dans ce type de contentieux.
Semblant postuler que la coutume serait figée et incapable de s'adapter, il souligne la difficulté qu'éprouveraient les assesseurs coutumiers à entendre les aspirations des personnes qui relèvent de cette norme. Il met en doute la capacité du droit coutumier à remplir la fonction de norme juridique, ce que la doctrine " éclairée ", au sein des juristes, y compris pendant la période coloniale, n'a jamais soutenu (H. Solus, Traité de la condition des indigènes en droit privé, 1927 ; E. Rau, Institutions et Coutumes canaques, 1944/ 2006), ainsi que le soulignent les développements qui suivent :
" La Nouvelle-Calédonie connaît un profond bouleversement de son système juridique avec une prise en compte plus ou moins maîtrisée de ce qui est appelé le droit coutumier, dont il est fait un usage peut-être parfois déraisonnable. Le monde mélanésien a son système de valeur et ses règles de vie en société. Il est actuellement tenté d'en faire un système juridique auquel les praticiens essaient de calquer la rigueur européenne, l'esprit cartésien européen. Sommes-nous, praticiens du droit, juristes européens, dans le vrai ? Sans doute pas.
Le présent dossier et le jugement de Koné nous amènent à nous interroger car nous sommes parvenus à un point où il nous faut gérer les contradictions auxquelles nous nous sommes nous-mêmes amenés.
La cour d'assises a statué le 12 juin de manière classique, pour un crime prévu par le code pénal français... le crime a été objectivement constaté, et le code pénal appliqué, comme en toute affaire de droit commun.
Puis le régime de la réparation a été transmis aux " coutumiers " et soumis au régime du droit coutumier tant appelé de leurs voeux par certains, et c'est ainsi que devant la section détachée de Koné, quatre mélanésiens érigés en assesseurs coutumiers face à un seul magistrat de formation classique européen ont fait prévaloir leur point de vue et ont jugé selon leur système de valeur.
Le jugement rendu par le tribunal de Koné est particulièrement bien rédigé, il apporte des éléments essentiels à la compréhension du litige, notamment le rôle de Paul A... qui a été surabondamment entendu devant la cour d'assises, et qui avec talent et éloquence a évoqué la récupération du nom Z... par la famille A.... Il apparaît que celui-ci a en quelque sorte instrumentalisé la victime. Tout cela, les assesseurs coutumiers le savent, et il se déduit du jugement qu'ils en ont été choqués. Il se déduit aussi du jugement du tribunal de Koné que les magistrats de ce tribunal comprennent mal la condamnation des jeunes Z... qui, nonobstant le rôle de l'alcool dans la commission des faits, ont un peu agi comme les jeunes de Maré qui ont comparu à la barre du tribunal correctionnel de Nouméa, lesquels ont agi par soumission à leur Grand chef, et qui ont tenu leur rôle, au plan coutumier.
Nonobstant le résultat, la mort d'un homme, qui choque les juristes occidentaux que nous sommes, il est vraisemblable qu'en droit coutumier, puisqu'il faut l'appeler comme ça, si l'on avait été jusqu'au bout de l'évolution en cours, les 3 accusés auraient été acquittés. La contradiction est là.
La justice va reprendre d'une main ce qu'elle a donné de l'autre.
On a jugé en droit commun pénalement les 3 accusés, dont 2 sont condamnés définitifs, puis, en droit coutumier, la réparation civile découlant de la première décision.
Le jugement dont appel est inacceptable, illogique selon nos valeurs, qu'il s'agit de faire dominer en appel, ce sont les valeurs de la réparation de droit commun qui doivent avoir valeur prépondérante. Fût-ce pour n'accorder qu'un franc de dommages-intérêts.
Les valeurs coutumières ont été exprimées par des sachants en première instance. Le jugement dont appel doit être confirmé.
Les développements qui précèdent sont bien sûr aux antipodes de ce qui est brillamment, et avec humanisme, développé dans les conclusions de Maître ARNON pour les parties civiles, ces développements sont dépouillés de toute intention de provocation. Ils ne sont que des commentaires qui se veulent logiques.
La question, que l'avocat soussigné se pose, est : " comment cette situation de grande contradiction n'est-elle pas arrivée plus tôt ".

- MOTIFS

Attendu qu'il convient, à titre liminaire, de constater que la compétence de la juridiction civile siégeant avec assesseurs coutumiers, laquelle était dans le débat devant la Cour d'assises, n'a fait l'objet d'aucune contestation, notamment de la part du ministère public, ni devant la Cour d'assises ni devant la juridiction civile ayant statué en première instance ;

Attendu qu'il convient, en outre, de constater que la régularité de la composition de la juridiction, élargie à plusieurs aires coutumières n'a pas, non plus, fait l'objet de contestation ; qu'au demeurant l'absence, dans cette composition, d'assesseurs coutumiers représentant l'aire concernée (aire Ajië Aro), par dérogation à la règle édictée par l'article L 562-22 du COJ, permet de prévenir tout soupçon, même non fondé, de partialité et donc de contestation de la décision compte tenu de l'étroitesse géographique de cette aire coutumière, du retentissement exceptionnel de cette affaire au plan local, et du risque réel de nouvelles atteintes à l'ordre public local, dont témoigne le décès violent d'un membre du lignage Z..., peu après la condamnation prononcée par la Cour d'assises, survenu à la suite d'échanges violents entre les deux mêmes lignages ; que pour les mêmes motifs, l'élargissement de la composition à quatre aires coutumières permet, en outre, d'asseoir la légitimité de la décision appelée à fixer la jurisprudence, en écartant toute contestation possible quant à la capacité et à la volonté des juridictions coutumières de prendre en considération les droits des victimes, que celles-ci soient des groupes familiaux ou des individualités ;

Attendu qu'il convient enfin, de révoquer l'ordonnance de clôture d'accueillir les écritures des intimés, datée du 17 mai 2013 qui n'appellent pas de réponse sur le fond du droit de la part des appelants, et de clôturer à nouveau la procédure de mise en état à la date de l'audience ;

1- Sur la demande de mise hors de cause de M. Rhaumimi Z...

Attendu, qu'aux termes de l'article 4, alinéa 2, du code de procédure pénale, lorsque l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction est exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique " il est sursis au jugement de cette action (civile) tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement " ;
Qu'en l'espèce, M. Rhaumimi Z... ayant interjeté appel de la décision pénale, et la cour d'assises d'appel ne s'étant pas encore prononcée, le premier juge ne pouvait que prononcer le sursis à statuer ;
Que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de M. Rhaumimi Z... ;

2- Sur les principes fondamentaux de la coutume

Attendu que la décision déférée doit être approuvée, pleinement, lorsqu'elle pose en principe que " la réparation d'un dommage, personnel ou matériel, résultant d'un fait volontaire ou non, commis par une personne de statut coutumier kanak est admis dans les relations coutumières " ; que la composition élargie de la juridiction d'appel qui le réaffirme (laquelle comprend des représentants de quatre aires coutumières sur les huit pays coutumiers que compte la Nouvelle-Calédonie) en souligne toute la force ;

Que les assesseurs coutumiers rappellent qu'en l'état de la coutume autochtone, avant que n'interviennent des influences exogènes il existait dans le cadre du règlement des conflits des mesures de réparation au profit du groupe familial victime lesquelles se traduisaient notamment par des cessions de terre, la remise de monnaies kanaks ou encore par des dons de vie : des membres du clan agresseur étant donnés non comme otages ou victimes expiatoires mais comme personnes adoptées, au clan victime, pour réparer par équivalent la vie qu'on leur avait enlevée ;

Qu'aujourd'hui, la société kanak qui valorise toujours la force des liens communautaires n'en ignore pas pour autant l'existence des droits attachés à la personne, spécialement lorsque celle-ci se retrouve victime ; que ces droits attachés à la personne trouvent leur expression privilégiée, mais non exclusive, dans la volonté du clan dont chaque membre est un élément actif en étant partie prenante à la décision commune ;

Que ce constat implique deux conséquences principales :

2. 1- première conséquence : Sur la nature et les spécificités de la réparation en lien avec la règle coutumière et la distinction entre coutume de pardon et droit à indemnisation intégrale du préjudice

Attendu que le droit à réparation financière est un mode de réparation dont l'autonomie est clairement affirmée par rapport à la " coutume de pardon " ; que ces deux réponses, qui se situent sur des plans différents, ne s'excluent pas l'une l'autre, chacune remplissant une fonction sociale différente ; qu'en effet, le droit à réparation intégrale du dommage subi individuellement, est distinct de la réparation du lien social brisé qui constitue la finalité de la " coutume de pardon " en ce qu'elle tend à mettre un terme au conflit au plan collectif, et intervient généralement des années après les faits ;
Que la coutume oblige celui qui cause un préjudice à autrui à réparer l'atteinte tant à l'harmonie clanique que l'atteinte à la personne de chaque victime ;
Que c'est par la " coutume de pardon " que s'ouvrent les voies de la réconciliation porteuse de paix sociale pour l'avenir, car dans la société kanak la réparation au sens large du terme participe de l'objectif de maintenir ou de rétablir les liens coutumiers rompus par un acte commis en violation des obligations coutumières de prudence et de respect, admises et reconnues ; que cela se traduit par un geste non exclusivement symbolique dit " coutume de pardon " ; que par ce geste l'auteur de l'acte, voire au-delà son clan d'appartenance, reconnaît sa responsabilité ; que cette démarche est indispensable à la fois pour le rétablissement de l'harmonie des relations sociales perturbées au niveau des clans, que pour une complète réhabilitation sociale de la victime ; que ce processus s'assimile au recours aux " commissions vérité réconciliation ", porteurs de paix, qu'ont expérimenté certains pays africains ;

Qu'ainsi le prix de la douleur personnelle ou encore l'indemnisation du préjudice moral ne répareront jamais l'honneur blessé, la désocialisation, voire la déchéance morale et sociale de la victime, imputable à l'auteur des faits ; qu'en ce sens, le processus de réparation-réconciliation, dont l'aboutissement est la " coutume de pardon ", pourra seul y parvenir tout en garantissant, pour l'avenir, la paix sociale ;

Mais attendu que ce mode de réparation peut n'intervenir qu'au terme d'un très long processus, voire jamais, puisqu'il intéresse les relations collectives ou communautaires et constitue le garant pour l'avenir de la paix sociale ;

Que pour toutes ces raison la " coutume de pardon " aussi importante soit elle, ne saurait ni faire obstacle ni retarder l'exercice par la victime, de son droit à réparation du préjudice, lequel ne concerne pas directement la sphère collective ; que la solution inverse reviendrait à sacrifier la personne victime face à des intérêts collectifs qui la dépassent ;

Qu'en conséquence, aucune considération tenant à la perspective, ou à la facilitation, d'une " coutume de pardon " ne saurait être opposée au droit à indemnisation de la victime, voire du clan personne morale s'il venait à se constituer partie civile pour la défense d'intérêts collectifs, car il n'appartient pas à la juridiction civile saisie de la demande de réparation de se faire juge de l'opportunité d'une réconciliation qui opère selon des processus-auxquels renvoie l'article 1er de l'ordonnance no82-877 du 15 octobre 1982- qui échappent à la compétence de notre juridiction et dont elle n'a point à connaître ;

2. 2- seconde conséquence : la nécessaire adaptation des critères et des notions pour parvenir à l'objectif de réparation intégrale du préjudice

Attendu que la réparation par équivalent doit s'adapter (en s'acculturant au besoin) pour répondre tant aux exigences de la société actuelle, qui imposent au monde kanak une certaine monétarisation des échanges, que pour prendre en compte les spécificités de la société autochtone, en ce qu'elle ancre la personne dans des solidarités claniques et inter-claniques qui ne peuvent être ignorées puisqu'elles déterminent son statut social (la place coutumière) et sa manière d'être ;
Et attendu que la nomenclature des préjudices telle qu'elle existe en droit civil s'avère (pour partie) inadaptée et incomplète en ne prenant pas en compte l'existence de préjudices ressentis personnellement qui résultent d'atteintes à des valeurs fondamentales propres à la société kanak ;
Qu'ainsi, et afin de rendre effectif ce droit à réparation intégrale du préjudice-étant rappelé que cette réparation intégrale passe par l'examen des préjudices éprouvés par les parties au regard de leur propre grille de lecture culturelle, adossée à leur statut personnel-il convient, de réparer les préjudices éprouvés par chacun en lien avec les valeurs coutumières, c'est-à-dire les " préjudices personnels liés à l'atteinte aux valeurs communautaires " : tels que les chefs de préjudice nés de la violation des valeurs de respect, si fortes dans une société de type hiérarchique et si essentielles dans une société qui valorise la solidarité intergénérationnelle (respect des ancêtres et respect dû à la terre comme matrice de l'ensemble des rapports sociaux) ;
Que les faits démontrent, en l'espèce, l'existence de plusieurs types d'atteintes à ces valeurs coutumières :
* qu'une atteinte incontestable a été portée au principe du respect dû à un aîné (un " vieux " dans la société kanak), s'agissant de jeunes qui ont tué un " vieux " au sens coutumier, les auteurs des faits ont ajouté au crime lui-même, une dimension transgressive qui heurte profondément la sensibilité des proches de la victime, car au-delà de l'homicide, l'acte dégrade le statut social de la victime ;
* qu'une atteinte a été portée au principe du respect dû à la parole donnée, s'agissant d'un crime commis sur fond de conflit foncier ; qu'ainsi, quels que soient les droits respectifs des deux groupes familiaux en conflit, la tradition d'accueil dans la société kanak est conçue comme un acte d'alliance et de protection mutuelle entre deux entités familiales, l'une accueillant l'autre, chacune s'engageant à vivre en bonne intelligence ; qu'au regard de ce principe, le fait brutal du crime constitue la transgression de cette valeur fondamentale, en même temps qu'une attitude irrespectueuse à l'égard des aïeux qui ont voulu et formé une alliance interclanique en rapport avec la Terre, dont on sait la forte valeur affective et symbolique dans cette société ; que ce crime a nécessairement constitué une source de préjudice, éprouvé par chacun des proches de la victime, dont témoigne leur vif ressentiment ; que, toutefois, il ne s'agit pas d'un préjudice moral classique, mais d'un préjudice spécifique lié au trouble moral né d'une atteinte, au travers de la mise à mort d'un homme, à la " parole donnée " c'est-à-dire à l'une de ces valeurs fondatrices (" valeurs de civilisation ") qui sont au fondement de la société kanak ;
* qu'enfin, une atteinte a été causée à l'intégrité morale du clan dont la victime était membre, chaque membre du clan pouvant éprouver ce type de préjudice, même s'il n'était pas spécialement proche de la victime ; qu'en effet, tout membre du clan éprouve un préjudice moral spécifique, du fait que chacun, pris depuis la place coutumière qui est la sienne, est garant des droits de ce clan, et parce que pèse sur chacun le devoir de perpétuer le clan, le nom de la terre sur laquelle vit le clan, et de sauvegarder les espaces (terres notamment) liés à la mémoire du clan et à la perpétuation de son existence ;

Qu'il s'agit donc de réparer ici des préjudices, éprouvés personnellement et distincts du dommage causé au clan personne morale, en lien avec la dimension communautaire, c'est à dire avec la sensibilité particulière qu'impose la spiritualité kanak (le culte des ancêtres, les interdits et les tabous) ;
Que cette approche, nécessairement acculturée de l'appréciation du préjudice personnel, justifie pleinement la compétence de la juridiction avec assesseurs coutumiers dont la vocation est de garantir la prise en compte de l'identité kanak dans l'ensemble des affaires civiles traitées par l'institution judiciaire, ainsi que l'a affirmé la Cour de Cassation, dans son premier avis, no05-11 du 16 décembre 2005, en application des dispositions de l'article 7 de la loi organique no99-209 du 19 mars 1999, et dans le respect des dispositions de l'article 9, alinéa 1, de cette loi ;
Que cette approche induit une adaptation des principes juridiques, dans la recherche d'une harmonisation, respectueuse des spécificités de chacun des systèmes juridiques en présence, et des statuts personnels garantis constitutionnellement (article 77 de la Constitution et Accord de Nouméa) ;

3- Sur la mise en oeuvre de ces principes quant au droit à réparation dénié par la juridiction de première instance

Attendu que les motifs du jugement civil attaqué manquent en fait, en ce qu'ils soutiennent à tort, à l'occasion d'une recherche d'une faute éventuelle de la victime, supposée avoir contribué à son propre dommage, qu'existait un " risque important pris par Elia le jour des faits en s'incorporant au groupe des Z... et en y demeurant après les premières disputes qui ont conduit à l'exclusion du groupe de Jean-Paul H... avec lequel il avait circulé depuis le début de la journée " ;
Qu'en effet, il est constant que M. H... qui aurait pu subir le même sort que la victime est parvenu à s'échapper in extremis, qu'ensuite, il a tenté de porter secours au vieux Elia mais que, craignant pour lui-même, il a du renoncer à ce projet qui aurait pu sauver Elia du déchaînement de violence qui s'est abattu sur lui et dont il ne pouvait s'extirper seul ;
Que le raisonnement des premiers juges qui pose comme postulat l'existence d'un risque délibérément pris par la victime, procède d'une lecture erronée des éléments de fait avérés (même s'ils ont été longtemps contestés), tels qu'ils résultent des motifs de la cour d'assises ainsi que du dossier criminel ;
Que, d'ores et déjà pour ce premier motif, le jugement déféré encourt l'infirmation ;

Attendu, en outre, que le raisonnement du tribunal encourt la critique sur le plan strict du droit au regard des principes juridiques qu'il affirme et des conséquences, contraires à ces principes, qu'il en tire ;
Qu'il est, en effet, pour le moins paradoxal, ainsi que le souligne le conseil des appelants, de proclamer les valeurs de respect, de pardon et de réconciliation, en un mot les valeurs d'humanisme de la Coutume, et d'admettre, ainsi que l'affirme le jugement déféré, qu'en cherchant l'apaisement la victime aurait commis une faute de nature à la priver de tout droit à réparation, fût-ce en raison de la maladresse de son attitude lorsqu'elle a cherché à se rapprocher du lignage adverse dans un souci d'apaisement, au cours, non pas d'une rencontre formelle et ritualisée, mais d'une vulgaire beuverie ;
Que le jugement déféré débouche sur la solution inverse de celle que postulent les principes qu'il affirme, et qu'affirme la coutume, dont tout un chacun convient, et qui fondent un authentique humanisme ;

Que, pour ce second motif, le jugement déféré encourt encore la censure ;

Attendu, surabondamment, à supposer que la prise de risque imputée à tort à la victime ait été avérée, et à supposer encore qu'un homme âgée, miné par une affection cardiaque ayant nécessité plusieurs interventions chirurgicales, ait pu avoir une attitude agressive et provocatrice à l'égard d'un groupe de jeunes gens en pleine force de l'âge, dont la violence était décuplée par la prise d'alcool, et à supposer enfin que l'on puisse déduire du comportement inadapté de la victime une quelconque prise de risque, ce constat ne pouvait justifier, d'aucune façon, l'exclusion totale de son droit à réparation, ainsi que l'ont fait les premiers juges ; que la faute de la victime ne pouvait (fût-elle moralement " inexcusable " selon certains points de vue) que générer un partage de responsabilité, la caractérisation retenue de la prétendue faute de la victime étant, en toute hypothèse, inopérante ;

Attendu, en définitive, qu'il ne résulte pas des faits que la victime ait pu participer à un titre quelconque à son propre dommage ;
Que le jugement déféré a méconnu le principe coutumier du droit à réparation en rejetant purement et simplement les demandes indemnitaires, et en omettant de tirer les conséquences du principe qui s'y trouve affirmé à titre liminaire, et que la Cour, statuant en une composition coutumière élargie, fait sien et réaffirme (" la réparation d'un dommage, personnel ou matériel, résultant d'un fait volontaire ou non, commis par une personne de statut coutumier kanak est admis dans les relations coutumières ") ;

Qu'ainsi, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions ;

4- Sur l'évaluation des divers postes de préjudice

Attendu que le conseil des parties civiles précise que la concubine de la victime en raison de son éloignement et de difficultés financières n'a pu faire valoir ses droits plus tôt en se réservant d'agir dans le cadre d'une instance ultérieure ;
Que les parties civiles réitèrent devant la cour d'appel leurs prétentions initiales, telles qu'exposées devant les premiers juges ;
Attendu que la formation coutumière rappelle que l'organisation lignagère n'a pas vocation à nier les droits des personnes, mais que ceux-ci s'expriment plus naturellement au travers du prisme de cette organisation familiale, qui tend à préserver un équilibre entre droits personnels et solidarité familiale ;
Attendu qu'il convient d'examiner la nature, la réalité et l'importance des préjudices invoqués au regard des principes énoncés ci-dessus ;

4. 1- Sur les préjudices personnels spécifiques en lien avec l'atteinte aux valeurs communautaires et le statut coutumier kanak des victimes

Attendu qu'il est sollicité au titre du " préjudice moral à caractère coutumier " une somme de 500. 000 F CFP par chacune des parties civiles ;

Attendu qu'à l'audience de la cour d'assises, M. Paul A..., longuement entendu par la Cour, a indiqué que le groupe de ceux qu'il appelle les " faux Z... " dans ses écritures d'appel, était originaires de l'autre côté de la chaîne centrale (Bourail), que leur " nom caché " est " HOÏRA ", que leurs ancêtres avaient été accueillis par ses propres ancêtres, voici plusieurs générations (probablement un siècle et demi), et que leur comportement irrespectueux et violent à l'égard du clan d'accueil conduira inéluctablement à la remise en cause des accords passés et leur exclusion de ce clan ;

Attendu que les parties civiles soulignent dans leurs écritures d'appel que le contexte, et donc le motif de l'agression subie par Elia A..., caractérise une agression commise non seulement contre la personne de celui-ci, mais également contre tout le lignage, que des antécédents confirment cette dimension collective, MM. Rudy et Joyee Z... ayant été condamnés, avant ces faits, pour d'autres agressions commises sur les personnes et les biens du lignage A... ;
Qu'ainsi, au regard de la coutume, le décès d'Elia s'inscrit dans une lutte " fratricide " entre deux lignages autrefois alliés ; que le décès d'Elia atteint, dans ce contexte, tout le lignage A...- Z..., l'élément déclencheur étant le fait que la victime ait été désignée pour reprendre la chefferie ;
Attendu que cette demande est particulièrement bien fondée, l'acte criminel constituant tout à la fois une atteinte au respect dû aux " vieux " dans cette société, mais encore au respect qu'impose la parole donnée lorsqu'un clan accueille et lorsqu'un clan est accueilli, outre une atteinte au " devoir de respect et d'humilité " érigé en principe cardinal d'une société, notamment lorsqu'il s'agit de revendiquer un " lien à la terre ", une prérogative en tant que gardien du nom, et une responsabilité à l'égard de la chefferie, le tout se résumant en des " devoirs coutumiers "- la société kanak ne reconnaissant que des devoirs à l'égard de ces trois fonctions sociales : de porteur du nom, de protecteur de l'espace coutumier, et de représentant de la chefferie ;
Attendu qu'au regard des principes énoncé ci-dessus, il eût été plus conforme aux logiques coutumières de solliciter une somme globale pour l'ensemble du lignage, à répartir par part virile entre les diverses parties civiles, au lieu d'une somme au profit de chacun des consorts Z...- A... ; que cependant, la demande étant particulièrement bien fondée, il y sera fait droit ;
Qu'au regard de l'ancienneté du conflit et de ses répercussions nécessairement collectives, les parties civiles subissent un préjudice moral spécifique né de l'outrage fait aux valeurs coutumières, incarnées par le clan, mais éprouvées personnellement ;
Qu'il convient de condamner MM. Rudy et Joyee Z... à verser de ce chef une indemnité de 500. 000 F CFP à chacune des parties civiles, en réparation du préjudice moral " coutumier " qui s'analyse en un préjudice personnel spécifique lié à l'atteinte aux valeurs communautaires ;

4. 2.- Et sur les postes de préjudice équivalents à ceux de la nomenclature des préjudices de droit commun

Attendu que chaque partie civile sollicite une indemnisation au titre du préjudice de la douleur subi par la victime, et de son préjudice moral, tombés dans son patrimoine avant son décès ;
Qu'en outre chaque partie civile sollicite la réparation de son propre préjudice moral éprouvé du fait du décès de la victime ;

4. 2. 1.- Sur le pretium doloris tombé dans le patrimoine de la victime

Attendu que la victime a subi un déchaînement de violences à laquelle elle n'a pas survécu au cours d'une longue période de temps ; qu'elle été abandonné dans le froid de la nuit et de l'aube pour être retrouvée semi-inconsciente à l'aube du 10 octobre 2008 dans un état grave ;
Qu'elle a subi des interventions chirurgicales avec trépanation pour ponctionner les hématomes résultant des coups portés au niveau de la boîte crânienne ; qu'elle a subi des souffrances qui caractérisent un pretium doloris qui doit être qualifié d'important ; que ce préjudice et le droit à indemnisation qui en découle sont entrés dans le patrimoine du défunt, décédé trois jours après l'agression ;
Qu'en conséquence, les parties civiles exerçant les droits de leur auteur, sont fondées à solliciter la condamnation solidaire de MM. Rudy et Joyee Z... au paiement d'une indemnité qu'il y a lieu de fixer à 2. 420. 000 F CFP, à répartir entre ses ayants droit par parts viriles, soit 220. 000 F CFP pour chacun d'eux ;

4. 2. 2.- Sur le préjudice moral tombé dans le patrimoine de la victime

Attendu que Elia A... est mort en cherchant à se rapprocher de ses agresseurs ; qu'il a subi les coups de chacun d'eux en tentant seulement au début de se protéger avant que son état physique soit affecté par les coups et les blessures au point de ne pouvoir plus réagir ;
Qu'Elia A... n'a aucune part de responsabilité dans son dommage ; que s'il a pris le nom patronymique " Z... ", c'est à l'instigation de M. Paul A..., son oncle utérin, car Elia devait en sa qualité d'aîné (49 ans) prendre ce nom pour se voir attribuer la qualité de chef de clan (nom qui aurait été usurpé par l'autre branche Z..., laquelle accueillie, se serait indûment attribué le nom du clan d'accueil et par voie de conséquence le droit à l'exercice de la chefferie) ;
Que les parties civiles sont fondées à solliciter l'indemnisation du préjudice moral subi par Elia A..., victime d'une agression perpétrée par ceux-là mêmes auxquels il venait tendre la main (en dépit du contentieux entre les deux lignages) ; qu'il importe peu, à cet égard, qu'à l'audience de la Cour d'assises Rudy Z... ait reconnu que c'était bien Elia qui, en réalité, était légitime à porter le nom " Z... " et non eux-mêmes, confirmant ainsi la thèse de l'usurpation du nom défendue par les consorts Z...- A... ;
Qu'il convient de fixer le montant du préjudice moral subi par Elia A... à la somme de 1. 100. 000 F CFP, à répartir par parts viriles entre chacune des parties civiles, soit 100. 000 F CFP pour chacune d'elles ;

4. 2. 3- sur le préjudice moral éprouvé par les diverses parties civiles du fait du décès de la victime

Attendu que les parties civiles sont toutes les frères et soeurs biologiques d'Elia A..., hormis Elysée Icare qui est son fils, et Paul A... qui est son oncle utérin (c'est à dire son père au regard de la coutume) ;

* préjudice moral de M. Elysée Icare fils biologique d'Elia A... (adopté par Joseph Boaro Z...)

Attendu que l'enfant, fils biologique d'Elia A... et de Juanita L... vivait au foyer de ses parents ; que le décès de son père a eu des effets traumatisants d'autant qu'il a provoqué l'éclatement du foyer, la maman ayant été conduite à retourner dans sa tribu d'origine à Lifou tandis que le jeune Elysée a été adopté par ses oncle et tante ; qu'il convient de lui allouer la somme de 2. 500. 000 F CFP ;

* préjudice moral de M. Paul A... oncle utérin de la victime

Attendu que M. Paul A... a incité Elia, son neveu utérin, c'est-à-dire son fils par le sang au regard des normes coutumières, à reprendre le nom Z... " ravi par les usurpateurs " du lignage adverse ;
Attendu que dans la coutume kanak, l'oncle maternel est celui qui " donne le souffle à l'enfant (la vie) quand il naît et qui le reprend quand il meurt " ; que l'enfant qui " doit sa vie tant à sa mère qu'à son oncle utérin " est lié, de ce fait, à cet oncle utérin par un véritable rapport filial, lequel prime même sur le rapport père/ fils, et s'avère déterminant dans l'appréciation du préjudice éprouvé par l'oncle du fait de la perte de son neveu ;
Que la seule référence au lien de parenté coutumier induit une indemnisation comparable à celle fixée pour la perte d'un fils biologique ; qu'il convient d'allouer à M. Paul A... la somme de 1. 000. 000 F CFP au titre de son préjudice moral ;

* préjudice moral des frères et soeur biologique d'Elia A...

Attendu qu'aucun des frères et soeurs ne vivait avec la victime ; que tous, en revanche, demeuraient à proximité géographique de celle-ci, la famille étant centrée sur Nessakouya ;
Qu'il convient d'allouer à chacun des frères et soeur, au titre de leur préjudice moral, la somme de 500. 000 F CFP ;

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Attendu qu'il y a lieu de condamner MM. Rudy et Joyee Z... à verser aux parties civiles une indemnité de 367. 500 F CFP, au titre des frais irrépétibles ;

Attendu que les dépens seront laissé à la charge de MM. Rudy et Joyee Z... ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant, publiquement, par arrêt contradictoire, déposé au greffe ;

Vu l'arrêt pénal de la cour d'assises de Nouvelle-Calédonie, en date du 15 juin 2012 ;

Vu les éléments du dossier criminel, notamment les motifs annexés à la feuille des questions ;

Vu le statut coutumier kanak des parties ;

Constate que la compétence de la juridiction civile siégeant avec assesseurs coutumiers ne fait l'objet d'aucune contestation ;

Constate que la régularité de la composition de la juridiction, élargie à plusieurs aires coutumières, ne fait l'objet d'aucune contestation ;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de première instance, section détachée de Koné, en date du 17 septembre 2012 ;

Statuant à nouveau :

Vu l'article 4, alinéa 2, du code de procédure pénale ;

Prononce le sursis à statuer sur les demandes en réparation du dommage dirigées contre M. Rhaumimi Z..., jusqu'à ce qu'il soit statué définitivement sur l'action publique ;

Dit que l'obligation de réparer le dommage, quelle qu'en soit la nature, résultant du fait volontaire ou non de son auteur, est admise dans les relations coutumières ;

Dit que le droit à réparation pour la victime de statut coutumier kanak est autonome et distinct de la " coutume de pardon ", institution proprement autochtone dont la finalité est de rétablir la paix sociale perturbée par l'acte dommageable, laquelle ne fait pas obstacle au droit à réparation intégrale du préjudice subi par la victime de statut coutumier kanak ;

Dit que le droit à réparation intégrale du préjudice subi par la victime de statut coutumier kanak, impose l'appréciation de son préjudice au regard des critères et valeurs de la société coutumière, et dans le respect de l'autorité de la chose jugée au plan pénal ;

En conséquence :

Déclare M. Joyee Z... et M. Rudy Z... entièrement responsables du préjudice causé à Elia A... et à ses ayants-droit, en lien direct et certain avec les faits dont ils ont été reconnus coupables par arrêt de la Cour d'assises de la Nouvelle Calédonie en date du 15 juin 2012 ;

Constate l'existence de préjudices spécifiques en lien avec l'atteinte aux valeurs communautaires et le statut coutumier kanak des victimes ;

Fixe l'indemnisation des préjudices moraux spécifiques, subis à ce titre, par chacun des consorts A...- Z... à la somme de 500. 000 F CFP ;

Fixe les préjudices subis par Elia A..., comme suit :

* Pretium doloris : 2. 420. 000 F CFP ;
* Préjudice moral : 1. 100. 000 F CFP ;

Dit que le pretium doloris et le préjudice moral subis par le défunt, tombés dans son patrimoine avant sa mort, seront répartis entre chacun de ses ayants-droit par part virile soit, à chacun d'eux, à concurrence du onzième ;

Fixe le préjudice moral lié à la perte d'Elia A..., pour chacun de ses frères et soeurs, à la somme de 500. 000 F CFP ;

Fixe le préjudice moral lié à la perte d'Elia A..., pour son oncle utérin, M. Paul A..., à la somme de 1. 000. 000 F CFP ;

Fixe le préjudice moral lié à la perte d'Elia A..., pour son fils Elysée Junior Djanon Z..., à la somme de 2. 500. 000 F CFP ;

En conséquence :

Condamne in solidum MM. Joyee et Rudy Z... à payer à :

* M. Paul Adrien A..., oncle utérin de la victime, les sommes suivantes :
¿ Prorata pretium doloris du de cujus 220. 000 F CFP
¿ Prorata préjudice moral du de cujus 100. 000 F CFP
¿ Préjudice moral personnel 1. 000. 000 F CFP
¿ Préjudice moral à caractère coutumier 500. 000 F CFP

* M. Joseph Z..., ès qualité d'administrateur légal de son fils adoptif mineur Elysée Junior Djanon Z..., lui-même fils biologique de la victime, les sommes suivantes :
¿ Prorata pretium doloris du de cujus 220. 000 F CFP
¿ Prorata préjudice moral du de cujus 100. 000 F CFP
¿ Préjudice moral personnel 2. 500. 000 F CFP
¿ Préjudice moral à caractère coutumier 500. 000 F CFP

* chacun des neuf (9) frères et soeurs de la victime, Mme Augustine X... ép. Y..., Mme Némébéru A... ép. B..., Mme Maria A... ép. C..., M. Joseph Z..., Mme Mélanie A... veuve D..., M. Kavo Goaké Z..., Mme Tchayone A... veuve E..., Mme Maïté Kériwélélacé A... ép. F..., M. Ariaba Z..., les sommes suivantes :
¿ Prorata du pretium doloris du de cujus : 220. 000 F CFP ;
¿ Prorata du préjudice moral du de cujus : 100 000 F CFP ;
¿ Préjudice moral personnel 500 000 F CFP ;
¿ Préjudice moral à caractère coutumier 500 000 F CFP ;

Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision jusqu'au complet paiement ;

Dit que les sommes allouées au profit de l'enfant mineur seront versées sur un compte bloqué ouvert à son nom et employées sous le contrôle du juge des tutelles ;

Condamne in solidum MM. Joyee et Rudy Z... à payer aux consorts A...- Z... une indemnité de 367 500 F CFP au titre des frais irrépétibles ;

Condamne in solidum MM. Joyee Z... et Rudy Z... à supporter les dépens engagés à ce jour.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre coutumière
Numéro d'arrêt : 12/00387
Date de la décision : 12/06/2013
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2013-06-12;12.00387 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award