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24/04/2013 | FRANCE | N°12/00080

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre coutumière, 24 avril 2013, 12/00080


COUR D'APPEL DE NOUMÉA 66 Arrêt du 24 Avril 2013

Chambre coutumière

Numéro R. G. : 12/ 80

Décision déférée à la Cour : rendue le : 23 Novembre 2011 par le : Tribunal de première instance de LA SECTION DETACHEE DE LIFOU

Saisine de la cour : 23 Février 2012

PARTIES DEVANT LA COUR

APPELANT
LE MINISTERE PUBLIC
INTIMÉ
M. Daniel Yeiwe Y... né le 17 Décembre 1984 à LA ROCHE (MARE)- ILES LOYAUTE demeurant ...-98809 MONT-DORE

Présent à l'audience
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 08 Avril

2013, en chambre du conseil, devant la cour composée de :
Pierre GAUSSEN, Président de Chambre, président, Anne AMAUDRIC DU...

COUR D'APPEL DE NOUMÉA 66 Arrêt du 24 Avril 2013

Chambre coutumière

Numéro R. G. : 12/ 80

Décision déférée à la Cour : rendue le : 23 Novembre 2011 par le : Tribunal de première instance de LA SECTION DETACHEE DE LIFOU

Saisine de la cour : 23 Février 2012

PARTIES DEVANT LA COUR

APPELANT
LE MINISTERE PUBLIC
INTIMÉ
M. Daniel Yeiwe Y... né le 17 Décembre 1984 à LA ROCHE (MARE)- ILES LOYAUTE demeurant ...-98809 MONT-DORE

Présent à l'audience
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 08 Avril 2013, en chambre du conseil, devant la cour composée de :
Pierre GAUSSEN, Président de Chambre, président, Anne AMAUDRIC DU CHAFFAUT, Conseiller, Régis LAFARGUE, Conseiller, et des assesseurs coutumiers : :- M. Halo NYPIE, aire Dréhu-M. Rémi DAWANO, aire Djubéa Kaponé-M. Noël WAAGA, aire Nengoné-M. Norbert CAWIDRONE, aire Nengoné

Régis LAFARGUE, Conseiller, ayant présenté son rapport.
qui en ont délibéré,
Greffier lors des débats : Stephan GENTILIN

-Représenté lors des débats par Me Fabienne OZOUX, substitut général, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :- contradictoire,- prononcé en chambre du conseil-signé par Pierre GAUSSEN, président, et par Stéphan GENTILIN, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

M. Daniel, Yeiwe, Y... est né le 17 décembre 1984 à la Roche (aire de Nengone-île de Maré) de :- Mme Henriette, Marie-Jeanne G... devenue Z..., sa mère, de statut civil coutumier, elle-même née le 19 mai 1956 à la Roche (de Rosa G... et de Pierre, Dominique, Z..., qui l'a reconnue le 3 juillet 1956), et de-M. Charles Y..., son père, de statut civil de droit commun, né le 11 septembre 1956 à Thio (de Yeiwe Y..., son père, et de Mme Jessy A..., sa mère, lesquels se sont mariés le 29 octobre 1949 devant l'officier d'état civil de la mairie de Thio).

Le requérant reconnu concomitamment par ses deux parents à la naissance a été légitimé par le mariage subséquent de ses parents célébré le 16 juillet 1985.
M. Daniel Y..., eu égard à la différence de statut personnel de ses deux parents, est de statut de droit commun, comme le confirme son acte de naissance dressé, le 20 décembre 1984, dans les registres de l'état civil de droit commun de la commune de Maré.
Par requête du 2 janvier 2011, M. Daniel Y..., alors âgé de 27 ans, a saisi le tribunal civil de Nouméa, section détachée de Lifou, aux fins de " changement de statut ", en fait aux fins d'accession au statut civil coutumier kanak. Il indiquait faire cette requête pour sa fille Maiween Y... née le 8 mars 2009 en France métropolitaine, mais aussi pour lui-même, en précisant que du fait " de certains conflits dans la tribu de WAKONE liés à son statut, ce changement (lui) permettrait d'accéder à tous (ses) droits coutumiers au sein du clan Y.... Le chef (de clan) M. Y... André est favorable à (cette) démarche ".

Le ministère public a conclu le 8 juillet 2011 à l'irrecevabilité, comme tardive au regard du délai fixé à l'article 12, alinéa 1, de la loi organique, de la requête présentée par le requérant âgé de plus de 21 ans.
Toutefois, par jugement du 23 novembre 2011, rendu en formation coutumière (en présence de MM. Palene et Duhnara assesseurs coutumiers), le tribunal a fait droit à la requête, après avoir considéré que cette demande fondée sur l'article 15 de la loi organique était recevable et bien fondée, le requérant justifiant d'une possession d'état correspondant au statut civil revendiqué.

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête, reçue le 23 février 2012, le ministère public a interjeté appel de ce jugement daté du 23 novembre 2011, notifié au parquet le 6 février 2012. Dans son mémoire ampliatif d'appel daté du 08 mars 2012, le ministère public considère la requête irrecevable sur le fondement de l'article 12, alinéa 1er, de la loi organique, le requérant étant âgé de 27 ans au jour de la requête. En outre, il considère que la requête ne peut être fondée sur l'article 15 de la loi organique, car : " Contrairement au postulat posé par le tribunal, l'article 15 de la loi organique, en ce qu'il prévoit que toute personne a le droit d'agir pour faire déclarer qu'elle a ou qu'elle n'a point le statut coutumier, ne constitue en rien une troisième voie d'accession au statut particulier qui permettrait ainsi, de par sa généralité, de s'affranchir de toutes les restrictions édictées par les articles 12 et 13 relatives aux délais d'action. Ainsi, seuls les articles 10 à 13 de la loi organique déterminent les modes d'acquisition du statut civil coutumier, l'article 15 n'étant qu'un rappel de l'existence d'une action déclaratoire, ouverte à tous en droit des personnes ".

M. Daniel Y... a écrit le 13 mars 2013 en précisant les motifs de sa demande : "... Ce sont tout d'abord pour des raisons foncières et coutumières et éviter des conflits au sein de mon clan. Et pour ma fille que j'aimerais reconnaître coutumièrement. Sa mère étant de statut coutumier nous envisageons de nous marier et de pouvoir faire un mariage coutumier ". Etant rappelé qu'en application des dispositions de l'article 899-1 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie " l'obligation de constituer avocat ne s'impose pas, notamment... dans les litiges relatifs aux statut civil coutumier ou aux terres coutumières ", le présent contentieux n'exige donc pas la constitution d'avocat. Le requérant a eu communication des éléments de la procédure, et a pu faire valoir ses moyens en défense, comme en atteste son courrier du 28 février 2013. Il sera dès lors statué par décision contradictoire.

Le parquet général a réitéré les termes du mémoire ampliatif d'appel du parquet de première instance.
L'ordonnance fixant au 8 avril 2013 la date d'audience a été rendue le 11 décembre 2012.
MOTIFS
1o/ Sur le droit applicable
Attendu que le ministère public fait grief au premier juge d'avoir violé la loi organique du 19 mars 1999, par fausse application des dispositions de l'article 15, et par refus d'application des dispositions de l'article 12, alinéa 1er ;
Attendu, d'abord, selon le ministère public, que l'article 15 ne ferait que rappeler l'existence d'une action déclaratoire, ouverte à tous en droit des personnes, et ne serait pas une action constitutive ;
Mais attendu que l'interprétation du ministère public, fondée sur une simple comparaison avec les textes du droit commun, part du postulat que les textes régissant le statut personnel en Nouvelle-Calédonie ne seraient que la transposition des règles générales de l'un des deux blocs juridiques en présence (en l'occurrence le droit commun), sans égard pour les règles plus précises et spécifiques à l'un de ces deux blocs juridiques, qui résultent de l'Accord de Nouméa et de la loi organique du 19 mars 1999, censée le mettre en oeuvre ; Qu'ainsi le principe exprimé par l'adage specialia generalibus derogant conduit à écarter comme inopérant l'argument du parquet fondé sur l'assimilation d'un régime juridique spécifiquement calédonien à un régime plus général, et son interprétation à la lumière de normes générales dont l'Accord (constitutionnalisé) de Nouméa, et les normes qui en résultent, ont entendu s'éloigner pour créer un régime inédit, et donc totalement dérogatoire ; que ce raisonnement par analogie méconnaît la règle spécifique issue de l'Accord (constitutionnalisé) de Nouméa ; Qu'en effet, aux fondements mêmes de ce régime juridique dérogatoire, se trouve le document d'orientation de l'accord de Nouméa, lequel affirme clairement l'objectif poursuivi ; que cet objectif, dans le contexte d'une société marquée par l'existence d'une pluralité de statuts personnels, est de traduire la vérité sociologique dans le statut juridique des citoyens ;

Attendu que les signataires de l'accord de Nouméa ont entendu corriger le décalage observé entre le vécu des gens et leur statut juridique dans le but de faire du statut personnel l'élément central dans la protection de l'identité culturelle des individus ; que tel est le sens de la formule inscrite dans le document d'orientation : " toute personne pouvant relever du statut coutumier et qui s'en serait trouvée privée à la suite d'une renonciation faite par ses ancêtres ou par mariage ou par toute autre cause... pourra le retrouver " ;
Attendu que la loi organique no99-209 du 19 mars 1999, qui met en oeuvre l'accord de Nouméa, définit explicitement la possibilité d'un " retour " au statut coutumier pour celui qui y aurait renoncé dans le cours de son existence au profit du droit commun (article 13, alinéa 1) ; qu'à ce premier cas, qualifié de " retour " au statut coutumier, elle ajoute la possibilité d'une " accession " au statut coutumier pour celui qui, n'ayant jamais été lui-même de statut coutumier, peut justifier avoir un ascendant de statut coutumier ;
Qu'il existe, ainsi, deux cas " d'accession " au statut coutumier, prévus explicitement par les dispositions de cette loi en ses articles 13, alinéa 2, et 12, alinéa 1er ;
Que la seconde de ces dispositions, seule aujourd'hui opérante, précise que " toute personne majeure capable âgée de vingt et un ans au plus, dont le père ou la mère a le statut civil coutumier, et qui a joui pendant au moins cinq ans de la possession d'état de personne de statut civil coutumier, peut demander le statut civil coutumier " ;
Attendu que l'article 15 de la loi organique ajoute à ces divers cas de " retour " (art. 13, alinéa 1) et " d'accession " (art. 12, alinéa 1, et 13, alinéa 2) une disposition supplémentaire aux termes de laquelle " toute personne a le droit d'agir pour faire déclarer qu'elle a ou qu'elle n'a point le statut civil coutumier " ;
Qu'enfin, l'article 16, renvoyant à l'ensemble des dispositions précitées, précise que " toute requête ayant pour objet de demander l'accession ou le retour au statut civil coutumier est motivée et précise le registre d'état civil coutumier sur lequel l'inscription de l'accession ou du retour au statut civil coutumier sera portée. Le juge est tenu de consulter l'autorité coutumière compétente " ;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions, qui définissent le régime du " retour " et de " l'accession " au statut coutumier, qu'outre les deux cas spécifiques " d'accession " déterminés à l'article 12, alinéa 1 (correspondant à la situation des jeunes majeurs), et à l'article 13 alinéa 2 (renvoyant à d'autres situations), il existe un troisième cas défini par l'article 15, qui constitue une action en revendication de statut, et qui se traduit par une forme d'accession au statut coutumier, puisque l'article 16 définit des règles communes aux articles 12 à 15 inclus de cette loi, et exige une requête motivée outre la consultation de l'autorité coutumière, ce qui montre bien que l'article 15 opère, à l'instar des autres dispositions qui le précèdent, un changement du statut juridique de la personne, ce changement de statut devant correspondre à l'intérêt du requérant (vérifié par le biais des motifs exprimés dans la requête) et ne pas se heurter à l'intérêt familial (d'où la consultation des autorités coutumières au premier rang desquelles le chef de clan) ; Qu'ainsi l'article 15 fonde, non pas une simple action déclaratoire, mais une véritable action constitutive, faisant de ce texte un cas d'accession à part entière au statut civil coutumier, fondé sur la seule possession d'état ;

Que cette action constitutive, nécessairement fondée sur la possession d'état, correspond parfaitement à l'esprit comme aux termes du document d'orientation précité ;
Qu'il convient donc d'écarter la critique du ministère public qui fait grief au premier juge d'avoir violé l'article 15 de la loi organique par fausse application, et l'article 12 de la même loi par refus d'application, et de réaffirmer la jurisprudence constante de cette cour d'appel, depuis les arrêts CA Nouméa, 29 septembre 2011, RG no2011/ 46 Procureur Général contre S... ; CA Nouméa, 19 avril 2012 (2 arrêts) RG no2011/ 383 et no2011/ 384 ;
Et attendu que le premier juge a justement fondé sa décision sur le principe du respect du à la vie privée et familiale en retenant que le requérant " justifie d'une possession d'état clanique suffisante née d'une vie en milieu tribal " (cf. dispositif du jugement), le juge ajoutant que " c'est une nécessité sociale de permettre à ces citoyens dont l'un des ancêtres avait le statut de droit commun, de pouvoir changer de statut notamment quand ils s'installent sur les terres coutumières Îliennes et ont une vie tribale " (motifs jugement p. 2) ; qu'ainsi le second fondement retenu par le premier juge et que ne critique pas l'appelant (les dispositions de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme) suffit à justifier la décision critiquée ;
Attendu enfin, qu'il ne s'agit en l'occurrence que de mettre en oeuvre un principe de " réalisme juridique " voulu par les signataires de l'Accord de Nouméa soucieux de mettre le statut juridique en adéquation avec le fait, en permettant de tirer toutes les conséquences d'un état préexistant et conforme aux réalités factuelles de la société kanak ; qu'ainsi, le " destin commun " qu'évoque l'Accord de Nouméa n'a de sens qu'à partir de la reconnaissance de la spécificité culturelle et donc juridique des diverses composantes de la société calédonienne ; que le plurijuridisme (qui s'exprime dans le statut personnel et le régime dérogatoire des terres coutumières) n'est que la conséquence d'un pluralisme culturel parfaitement assumé comme participant du processus de décolonisation qu'évoque l'Accord de Nouméa, ainsi que le souligne l'engagement (inscrit dans cet Accord) de respecter " l'identité kanak " ; Qu'il s'agit encore de veiller à " l'effectivité des droits ", non seulement de l'effectivité du droit au respect de la vie privée et familiale, mais aussi de l'effectivité du droit au respect, pour toute personne, de son statut réel dans une société déterminée (la société coutumière), et plus généralement de l'effectivité du respect du pluralisme juridique tel qu'évoqué par la loi organique et le document d'orientation précités ; Qu'ainsi, à suivre le ministère public dans son argumentation, le droit au respect de la vie privée et familiale deviendrait totalement ineffectif, alors que la " construction intellectuelle " qu'il dénonce dans la jurisprudence de cette Cour se préoccupe de " l'effectivité des droits " dont le principe a été façonné par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, rejointe en cela par les normes de valeur constitutionnelle relatives à la Nouvelle-Calédonie ;

2o/ Et sur la preuve de la possession d'état

Attendu que le ministère public ne conteste pas, dans ses écritures, que le requérant ait une possession d'état non équivoque, correspondant au statut personnel revendiqué ; que le premier juge a relevé ensuite que le requérant, quoi que né d'un parent de droit commun, vivait selon les règles coutumières, et ce de manière extrêmement marquée ;
Attendu, d'abord, ainsi que l'a relevé le premier juge, que le requérant participe activement aux activités du clan, que son chef de clan appuie sa demande ;
Attendu que la difficulté soulignée par le chef de clan est que le requérant soit membre d'un clan kanak tout en ayant un statut civil (de droit commun) qui contrarie cette appartenance, ce dont il résulte des difficultés au sein du clan ; Qu'il convient pour prendre la mesure de la difficulté, de rappeler, qu'au regard des normes coutumières, indépendamment de la question de savoir si l'enfant est né dans le cadre d'un mariage ou de relations hors mariage, la filiation est celle qui se déduit de l'intégration de l'enfant au clan ; que l'appartenance clanique-laquelle fait entrer l'individu dans une lignée d'ancêtres, le fait adhérer au même culte des ancêtres, et lui impose le respect des mêmes interdits (tabous et appartenance totémique)- induit au final que l'enfant puisse porter le nom du clan, du fait qu'il est admis comme appartenant au clan ; Que, dès lors, la preuve d'une possession d'état non équivoque (nomen, fama et tractatus) se déduit d'un seul fait majeur, qui en réalité les englobe et les résume tous : l'appartenance à un clan, qui induit une ascendance, et surtout un état reflétant une vérité sociale ;

Attendu que c'est tout cela que vient confirmer l'attestation du chef de clan qui démontre la volonté des membres du clan de mettre le droit en harmonie avec la réalité, le requérant inscrivant son vécu dans l'univers de la société kanak ; Qu'ainsi, l'appartenance au Clan B... (Y...) suffit à établir la possession d'état de sujet de la coutume, puisqu'elle induit le respect des us et coutumes kanak, ce que confirme le libellé de la requête qui évoque l'impératif, pour le requérant, de relever du statut coutumier pour pouvoir " accéder à tous (ses) droits coutumiers au sein du clan Y... ", ce qui recouvre à l'évidence la participation aux instances coutumières et l'exercice des droits sur la terre ;

Que le courrier du requérant en date du 13 mars 2013 ajoute un autre motif, lequel a trait à la préservation des droits de ses propres enfants puisqu'il indique agir aussi pour sa fille " que j'aimerais reconnaître coutumièrement. Sa mère étant de statut coutumier, nous envisageons de nous marier et de pouvoir faire un mariage coutumier " ; que ce motif sous-entend l'intégration de sa fille au sein du clan paternel, par suite de la formation d'une union coutumière laquelle recouvre le mariage de deux personnes, doublé d'une alliance entre deux clans familiaux, ce qu'il ne parviendra pas à réaliser s'il demeure lui-même de droit commun ; Qu'ainsi, la requête vise, non seulement à parfaire l'intégration du requérant dans la société clanique, mais encore à donner un statut social clair et sécurisant à ses propres enfants vivant en milieu coutumier et sur des terres coutumières dont ils ne pourront hériter des droits qu'en étant eux-mêmes de statut coutumier ; Que le maintien de son statut civil actuel, en le privant du droit de participer à la gestion des terres coutumières, contredirait l'existence du " lien à la terre " qui unit tout membre d'un clan à la terre qui lui correspond (en ce sens, CA Nouméa 11 octobre 2012, RG no2011/ 425, p. 8 : " le lien à la terre est un concept central qui signifie qu'un homme sans terre n'est rien, et n'a tout simplement pas d'existence... cette terre qui est le principe de toute vie, fait l'identité de l'homme, au point que la spoliation d'une terre est vécue comme une agression vitale et la négation de l'identité de l'être qui se définit comme appartenant à sa terre; que la restitution de la terre participe donc de la restauration de l'identité et de la dignité de la personne ") ;

Qu'en l'espèce, le maintien du requérant dans le statut de droit commun le prive de la possibilité de remplir ses devoirs coutumiers en prenant part aux décisions de la communauté clanique, et donc des droits qu'il peut invoquer au sein de la structure familiale ; que cette solution non seulement contraire à son vécu, remettrait en cause ses droits acquis dans la coutume ;
Qu'enfin, la solution du rejet de la requête en revendication du statut coutumier telle que la soutient le ministère public s'avérerait attentatoire au respect de l'identité de la personne et au respect de sa vie privée et familiale en contredisant le statut social du requérant, lié à sa naissance dans un clan déterminé, ce dont découlent des fonctions sociales et des obligations précisément assignées aux porteurs du nom au sein de chaque clan ;
Attendu enfin, ainsi que l'a retenu le premier juge sans être critiqué sur ce point par le ministère public, qu'au regard du comportement social du requérant en sa qualité de membre du Clan B..., le principe du respect dû à la vie privée et familiale, posé par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, justifie de faire droit à cette demande, le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes ne faisant pas obstacle à la modification de la mention du statut civil d'appartenance de M. Daniel Y..., dès lors que le statut personnel constitue un élément essentiel, sinon le plus important, de l'identité, et donc de l'état de la personne (cf. Cass. Assemblée plénière, 11 déc. 1992, Bull. 1992, AP, no13) ;
Qu'ainsi c'est à bon droit que le premier juge, a constaté l'existence d'une possession d'état non équivoque durable et continue correspondant au statut revendiqué, et a déclaré la requête recevable et bien fondée, tant au regard du respect dû à la vie privée et familiale, que des dispositions de l'article 15 de la loi organique ;
Sur les dépens
Attendu que les dépens seront mis à la charge de l'Etat ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,
Statuant en chambre du conseil et en formation coutumière, par arrêt contradictoire, déposé au greffe ;
Vu l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (respect de la vie privée et familiale) ;
Vu l'article 15 de la loi organique no99-209 du 19 mars 1999 ;
Dit qu'au sens de ce texte toute personne a le droit d'agir pour faire déclarer qu'elle a ou qu'elle n'a point le statut civil coutumier, et que cette action en revendication de statut n'est conditionnée que par la preuve d'une possession d'état non équivoque durable et continue correspondant au statut civil revendiqué ;
Dit que le principe du respect dû à la vie privée et familiale posé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, justifie de faire droit à la requête en revendication du statut coutumier kanak ;
Constate que M. Daniel Y... justifie de la possession d'état de citoyen de statut civil coutumier kanak ;
En conséquence,
Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de première instance de Nouméa, section détachée de Lifou, en date du 23 novembre 2011 ;
Condamne l'Etat aux dépens de l'instance.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre coutumière
Numéro d'arrêt : 12/00080
Date de la décision : 24/04/2013
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2013-04-24;12.00080 ?
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