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22/10/2012 | FRANCE | N°11/432

France | France, Cour d'appel de Nouméa, 22 octobre 2012, 11/432


COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 22 Octobre 2012


Chambre Civile
Numéro R. G. : 11/ 432


Décision déférée à la cour :
rendue le : 25 Juin 2007
par le : Tribunal de première instance de NOUMEA


Saisine de la cour : 23 Août 2011 par requête de reprise d'instance après cassation




PARTIES DEVANT LA COUR


APPELANT


Mme Nadine X...

née le 23 Novembre 1967 à NOUMEA (98800)
demeurant...-98874 PONT-DES-FRANÇAIS (MONT-DORE)


représentée par la SELARL JURISCAL


INTIM

É


LA CAISSE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NOUVELLE-CALEDONIE, prise en la personne de son Directeur Général en exercice
Siège social... 98800 NOUMEA


représen...

COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 22 Octobre 2012

Chambre Civile
Numéro R. G. : 11/ 432

Décision déférée à la cour :
rendue le : 25 Juin 2007
par le : Tribunal de première instance de NOUMEA

Saisine de la cour : 23 Août 2011 par requête de reprise d'instance après cassation

PARTIES DEVANT LA COUR

APPELANT

Mme Nadine X...

née le 23 Novembre 1967 à NOUMEA (98800)
demeurant...-98874 PONT-DES-FRANÇAIS (MONT-DORE)

représentée par la SELARL JURISCAL

INTIMÉ

LA CAISSE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NOUVELLE-CALEDONIE, prise en la personne de son Directeur Général en exercice
Siège social... 98800 NOUMEA

représentée par la SELARL REUTER-DE RAISSAC

AUTRE INTERVENANT

M. Marcel Y...

né le 16 Juin 1957 à POINDAH-KONE (98860)
demeurant...-98860 KONE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Septembre 2012, en audience publique, devant la cour composée de :

Pierre GAUSSEN, Président de Chambre, président,
Jean-Michel STOLTZ, Conseiller,
Christian MESIERE, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Jean-Michel STOLTZ, Conseiller, ayant présenté son rapport.

Greffier lors des débats : Stephan GENTILIN

ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Pierre GAUSSEN, président, et par Stephan GENTILIN, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Par acte notarié en date du 7 mai 1998, M. Marcel Y... et Mme Nadine X..., qui vivaient en concubinage, ont fait l'acquisition d'une propriété foncière d'une superficie de 77 ha., située à ..., au prix de 5 millions F CFP.

Par acte sous seings privés du 8 octobre 2001, la Caisse de crédit agricole mutuel de Nouvelle-Calédonie (Ci-après CCAM) a consenti à M. Y... un prêt d'un montant de 2 400 000 F CFP destiné à l'achat d'un troupeau de bétail de reproduction, garanti d'une part, par un warrant agricole sur 50 têtes de bétail et d'autre part, par le cautionnement solidaire de Mme X..., le remboursement étant prévu par 84 mensualités de 36 634 F CFP.

Par acte sous seings privés du 30 avril 2002, la CCAM a consenti à M. Y... un second prêt d'un montant de 3 640 000 F CFP destiné également au financement de l'achat d'un troupeau de bétail et de reproduction, garanti par un warrant agricole sur 72 têtes de bétail, par le cautionnement solidaire de Mme X..., et par une promesse d'hypothèque sur la propriété située à ..., le remboursement étant prévu par 84 mensualités de 56 825 F CFP.

M. Y... a, par ailleurs, consenti à la CCAM deux délégations d'abattage de bovins, l'une auprès de l'OCEF et la seconde auprès de SOCODIV Nord.

Les échéances de remboursement de ces prêts étant demeurées totalement impayées depuis le 15 août 2003, la banque a adressé en vain de multiples relances au débiteur et à la caution avant de les mettre en demeure le 28 novembre 2003 avec mise en oeuvre de la déchéance du terme.

Par jugement du 13 février 2006, le tribunal de première instance de Nouméa a condamné M. Y... à payer à la CCAM la somme de 6 455 331 F CFP, avec intérêts au taux contractuel à compter du 14 février 2005, et a disjoint l'action introduite à l'encontre de Mme X....

Par jugement rendu le 25 juin 2007, auquel il est fait référence pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, le tribunal de première instance de Nouméa a :

au visa du jugement du 13 février 2006,

- rejeté le moyen tiré de la nullité de l'acte introductif instance,

- condamné Mme X..., en sa qualité de caution solidaire, à payer à la CCAM la somme de 6 455 331 F CFP, augmentée des intérêts contractuels à compter du 14 février 2005,

- validé la saisie-arrêt pratiquée le 28 février 2005 par la CCAM entre les mains de la Caisse d'épargne de Nouméa, de la Banque calédonienne d'investissement, du centre des chèques postaux de Nouméa et de l'Office de commercialisation et d'entreposage dit OCEF, pour la somme de 6 455 331 F CFP en principal,

- dit et jugé que les sommes dont les tiers saisis s'étaient reconnus ou se reconnaîtraient débiteurs à l'égard de Mme X... seraient versées à la CCAM en déduction et jusqu'à concurrence du montant de sa créance en principal, intérêts et frais,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné Mme X... aux entiers dépens de l'instance.

PROCÉDURE D'APPEL

Par acte enregistré le 18 février 2008 au greffe de la cour, Mme X... a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de son mémoire ampliatif d'appel, déposé le 15 mai 2008, elle a demandé à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- de constater la décharge de la caution par application de l'article 2314 du Code civil du fait de la perte des garanties souscrites, à raison des négligences de la CCAM,

- subsidiairement, de constater que la CCAM avait méconnu ses obligations en ne mettant pas en garde la caution et en s'abstenant de dénoncer les concours dans un délai raisonnable,

- de dire et juger que la CCAM devait être déchue de tous droits aux intérêts dans le cadre de ses rapports avec Mme X... depuis la première échéance de chaque prêt en application de l'article L313-22 du code monétaire et financier,

- en conséquence, de condamner la CCAM à lui payer une somme de 3 000 000 de F CFP à titre de dommages-intérêts, de fixer la créance de la CCAM au regard de la déchéance des intérêts et d'ordonner la compensation des créances réciproques,

- en toutes hypothèses, de condamner la CCAM à lui payer la somme de 300 000 F CFP au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, outre les entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction.

Au soutien de ce recours, elle a fait valoir, pour l'essentiel :

- que la CCAM n'avait jamais justifié de la mise en oeuvre des garanties prises lors des prêts, s'étant abstenue de donner suite à la promesse d'hypothèque dont elle bénéficiait sur la propriété de ... puisque cette dernière avait été vendue par acte notarié sans que la caisse soit désintéressée de ses créances, et ne justifiant pas de ce que les warrants agricoles puissent toujours être mis en oeuvre,

- qu'en effet, si le bétail avait été vendu ou « réalisé », elle serait nécessairement déchargée de ses obligations,

- que la CCAM n'avait jamais justifié l'avoir mise en garde des risques consécutifs aux engagements de caution qui lui avaient été soumis, alors qu'elle n'était ni commerçante, ni exploitante du fonds agricole,

- que la CCAM, qui avait enregistré des impayés en décembre 2001 pour le premier prêt et en août 2002 pour le second, avait attendu le 28 novembre 2003 pour mettre en demeure le débiteur principal, ce qui excèdait un délai raisonnable et engageait sa responsabilité,

- qu'elle n'avait jamais reçu les lettres d'information que la CCAM lui aurait adressées, et que la banque ne justifiait pas avoir satisfait aux dispositions de l'article L313-22 du code monétaire et financier.

Dans ses dernières écritures Mme X... a demandé que la CCAM soit condamnée à lui payer la somme de 6 445 331 F CFP à titre de dommages-intérêts.

Par écritures déposées le 31 juillet 2008, la CCAM a demandé que Mme X... soit déboutée de ses demandes, fins et conclusions et que le jugement du 25 juin 2007 soit confirmé en toutes ses dispositions. Elle a réclamé paiement de la somme de 300 000 F CFP par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle a fait valoir, pour l'essentiel :

- qu'il importait de rappeler que Mme X... s'était présentée dans ses bureaux le 10 février 2005, l'informant de la vente du bien immobilier de ... lui appartenant en commun avec M. Y..., indiquant alors « que la vente avait été réalisée en janvier 2005 et qu'un compromis avait été signé à la fin de l'année 2004 pour un montant de 13 000 000 de F CFP » et prétendant que le produit de la vente était encore entre les mains du notaire, ce qui devait s'avérer inexact puisque la saisie-arrêt sollicitée le 15 février 2005, tendant au blocage des comptes débiteurs, s'était révélée infructueuse,

- que Mme X... avait donc volontairement dissimulé ces informations pour échapper à son engagement de caution,

- qu'elle justifiait de ce que les inscriptions de warrants avaient été renouvelées,

- que les échéances des prêts litigieux étaient impayées depuis le 15 août 2003 et qu'une première mise en demeure de payer avait été établie le 28 novembre 2003, signifiée auprès de Mlle X... le 3 décembre 2003,

- qu'elle justifiait que Mme X... avait toujours été régulièrement informée de la situation des prêts cautionnés au 31 décembre de l'année précédente, dans des conditions régulières.

La requête d'appel a été signifiée à M. Y... par acte d'huissier du 8 août 2008. Celui-ci n'a pas constitué avocat.

Par arrêt en date du 29 octobre 2009, la cour a :

- déclaré l'appel recevable mais mal fondé,

- confirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 juin 2007 par le tribunal de première instance de Nouméa,

- Y ajoutant, condamné Mme X... à payer à la CCAM la somme de 200 000 F CFP au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

- condamné Mme X... aux dépens.

PROCÉDURE DE CASSATION

Sur pourvoi de Mme X..., la Cour de cassation, par arrêt du 5 avril 2011, a cassé et annulé sauf en ce qu'il avait déclaré l'appel recevable, l'arrêt rendu le 29 octobre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ; remis, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Nouméa, autrement composée.

La Cour de cassation a retenu que pour condamner la caution au paiement d'une certaine somme et rejeter sa demande de décharge, l'arrêt indiquait qu'elle ne pouvait faire grief à la caisse d'avoir perdu la possibilité d'être subrogée dans ses droits de sûreté, alors qu'elle lui a dissimulé la vente de l'immeuble de ..., dont elle était copropriétaire, sur lequel la caisse bénéficiait d'une promesse d'hypothèque, et dont le prix permettait de rembourser les sommes alors dues en vertu des prêts cautionnés et qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions par lesquelles la caution faisait valoir que par la négligence de la caisse qui ne s'était pas assurée de la conservation de son privilège, elle ne pouvait plus être subrogée dans ses droits relatifs aux warrants agricoles, la cour d'appel n'avait pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile.

PROCÉDURE SUR REPRISE d'INSTANCE

Par requête déposée au greffe de la cour le 23 août 2011, Mme X... a ressaisi la cour d'appel et lui demande :

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- de constater la décharge de la caution par application de l'article 2314 du Code civil du fait de la perte des garanties souscrites, à raison des négligences de la CCAM,

- subsidiairement, de constater que la CCAM a méconnu ses obligations en ne mettant pas en garde la caution et en s'abstenant de dénoncer les concours dans un délai raisonnable,

- de dire et juger que la CCAM doit être déchue de tous droits aux intérêts dans le cadre de ses rapports avec Mme X... depuis la première échéance de chaque prêt en application de l'article L313-23 du code monétaire et financier,

- en conséquence, de condamner la CCAM à lui payer une somme de 3 000 000 de F CFP à titre de dommages-intérêts,

- de fixer la créance de la CCAM au regard de la déchéance des intérêts et d'ordonner la compensation des créances réciproques,

- en toutes hypothèses, de condamner la CCAM à lui payer la somme de 300 000 F CFP au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, outre les entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction.

Par conclusions en réplique déposées le 29 décembre 2011, la CCAM demande à la cour :

- de confirmer la décision rendue en toutes ses dispositions,

- de débouter Mme X... de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Y ajoutant,

- de la condamner au paiement de la somme de 350 000 FCFP au titre de l'article 700 du Code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ainsi qu'au paiement des dépens avec distraction.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité de la CCAM lors de la conclusion puis de l'exécution des contrats :

Attendu que Mme X... soutient que la CCAM a engagé sa responsabilité contractuelle pour ne pas l'avoir mise en garde, en sa qualité de caution non avertie, contre les risques consécutifs à son engagement ;

Qu'elle lui reproche également, alors que deux impayés étaient enregistrés dès la seconde mensualité pour le prêt d'octobre 2001 et dès le mois d'août 2002 pour le prêt d'avril 2002, d'avoir attendu le 28 novembre 2003 pour mettre en oeuvre la déchéance du terme, dépassant ainsi un délai raisonnable ;

Attendu que la CCAM réplique que Mme X... a eu connaissance des conditions générales du prêt faisant état des risques liés aux engagements de caution et qu'étant à l'époque concubine de M. Y..., elle en connaissait sa solvabilité ;

Que, par ailleurs, ce n'est qu'à compter du 15 août 2003 que les échéances des prêts sont restées impayées, qu'elle a engagé une procédure de règlement amiable dont Mme X... a été informée et à laquelle elle a adhéré en indiquant à l'huissier de justice le 19 juillet 2004 " je vais prendre contact sans délai avec le crédit agricole pour mettre en place un échéancier " ;

Sur quoi,

Attendu qu'il résulte des pièces produites que Mme X..., au moment de la signature des actes de caution, était rédacteur, chef de service à la direction de la réglementation et de l'administration générale du Haut-Commissariat avec un statut de cadre, et qu'elle a justifié d'un revenu mensuel moyen imposable de 327 000 F CFP pour 2001 ;

Que M. Y... était alors chargé de mission avec un statut de cadre auprès de la SOFINOR avec un revenu mensuel brut de 345 000 F CFP ;

Que le couple, qui vivait en concubinage, disposait donc d'un revenu minimum de plus de 650 000 F CFP ;

Que M. Y... a justifié lors du second prêt d'un salaire mensuel net de 367 000 F CFP et de la possession d'un cheptel évalué à 10 235 000 F CFP ; qu'il a fait état d'un chiffre d'affaires réel de 2 500 000 F CFP pour 2000, de 1 650 000 F CFP au 31 août 2001 et d'une prévision de 3 500 000 F CFP pour 2002 ;

Que le seul engagement déclaré par le couple était un prêt commun auprès de la BCI en 1998 pour l'achat de la propriété avec des mensualités de remboursement de 69 641 F CFP ;

Qu'ainsi, et compte des revenus normalement escomptés de l'exploitation du domaine agricole qu'ils entendaient mener de pair avec leurs activités salariées, il convient de considérer que tant M. Y... que Mme X... disposait de revenus suffisants pour assurer le remboursement des mensualités des prêts dont le cumul s'élevait à 93 460 F CFP ;

Qu'il ne peut donc être reproché à la CCAM de ne pas s'être renseignée sur la consistance du patrimoine de l'emprunteur et de la caution ainsi que sur leurs revenus ;

Qu'il ne saurait davantage être reproché une disproportion entre les revenus de la caution et son engagement ;

Attendu par ailleurs que Mme X... a pris connaissance en signant les actes de caution des risques consécutifs à son engagement ;

Que si elle n'était pas professionnelle du monde agricole, elle ne saurait toutefois, du fait de sa profession et de son niveau intellectuel, être suivie dans son argumentation sur son ignorance des risques résultant de ses engagements ;

Qu'au surplus, étant la concubine de l'emprunteur, elle en connaissait les revenus et les projets ;

Que Mme X... n'établit donc aucune faute de la banque lors de la conclusion des prêts ;

Attendu ensuite qu'il résulte du dossier que s'il y a eu des incidents de paiement ponctuels en 2001 puis 2002, ces incidents ont été régularisés et que ce n'est qu'à la mi-2003 que les échéances sont restées impayées en dépit des tentatives d'accord amiable de la banque ;

Que la mise en demeure de régler sous peine de déchéance du terme formalisée par lettre du 28 novembre 2003 remise par huissier ne saurait donc être considérée comme tardive ;

Qu'il sera observé que Mme X... ne peut prétendre avoir ignoré l'évolution de la situation ayant été systématiquement destinataire d'une LRAR après chaque incident ;

Qu'il lui appartient d'assumer le choix qu'elle a pu faire de ne pas retirer les multiples courriers recommandés qui lui étaient destinés ;

Sur les fautes de la banque au regard de l'article 2037 ancien du code civil :

Attendu qu'aux termes de l'article 2037 ancien devenu l'article 2314 du code civil " La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution " ;

Sur la promesse d'hypothèque :

Attendu que Mme X... rappelle qu'elle n'a consenti à donner sa caution qu'au regard des autres garanties données à la CCAM, que celle-ci n'a jamais justifié des raisons pour lesquelles elle n'avait pas jugé utile de transformer en hypothèque conventionnelle la promesse d'hypothèque dont elle était bénéficiaire ce qui constitue une méconnaissance de ses obligations découlant de l'article 2037 du code civil ;

Attendu que la CCAM, après avoir rappelé qu'aucune disposition ne l'oblige à privilégier une garantie par rapport à une autre et qu'elle a décidé de procéder à la saisie-arrêt des comptes bancaires de Mme X... et M. Y... en raison du versement sur ces comptes du produit de la vente de la propriété agricole qui lui avait été dissimulée, fait valoir :

- que contrairement à ce que soutient Mme X... elle n'avait aucun intérêt " évident " à transformer sa promesse d'hypothèque en hypothèque conventionnelle qui n'aurait été qu'en 3ème rang après la BCI,

- que les prêts souscrits n'ont généré des impayés qu'à compter d'août 2003, les premiers incidents ayant été régularisés ; que Mme X... ne saurait donc lui reprocher d'avoir privilégié une voie amiable évitant d'actionner la caution,

- qu'en tout état de cause, elle n'a pas eu le temps de transformer sa promesse d'hypothèque compte tenu de la vente réalisée en janvier 2005,

- que Mme X..., propriétaire du bien vendu, a eu un comportement manifestement déloyal en vendant ce bien à son insu et en soutenant avoir ignoré les dettes de son concubin en dépit des multiples lettres de relance.

Sur quoi,

Attendu que le prêt du 30 avril 2002 prévoyait en " conditions particulières " des " Garanties et sûretés " ainsi libellées :

- " Promesse d'affectation hypothécaire... L'emprunteur du présent contrat de prêt promet... d'hypothéquer à première demande de la CCAM... les biens et droits immobiliers ci-après désignés... ",

- " Warrant agricole sur 72 têtes de bétail marquées NM59 ",

- " Caution solidaire.. "

Attendu que cette clause prévoyait une simple promesse d'hypothèque de M. Y... mais ne contenait aucun engagement de la CCAM de faire inscrire l'hypothèque dont la promesse lui avait été faite ; Que le reproche fait à la CCAM n'est donc pas juridiquement fondé ;

Qu'en tout état de cause, il convient de constater que la perte de cette sûreté résulte du fait des consorts Y...- X... qui, à l'insu de la CCAM, ont signé en décembre 2004 une promesse de vente de la propriété bénéficiant de la promesse d'hypothèque puis ont procédé à la vente en janvier 2005 ;

Qu'au surplus, l'hypothèque envisagée n'aurait pu être inscrite qu'en 3ème rang et que Mme X... n'établit pas qu'après le paiement de la BCI, le solde restant-dont elle a au demeurant bénéficié-aurait permis de rembourser le solde des prêts de la CCAM ;

Sur la perte de garantie liée aux warrants agricoles :

Attendu qu'en application de l'article 2037 du code civil la caution n'est déchargée que si, par le fait exclusif du créancier, elle ne peut plus être subrogée dans les droits de celui-ci ; (Civ. 1 7 Décembre 2004 ; 9 Mai 2001 ; COM 12 novembre 1991 ; 23 novembre 1999)

Attendu que Mme X... fait valoir que la caisse n'a pas mis en oeuvre les warrants agricoles dont elle bénéficiait alors même que, les prêts étant impayés depuis 2001, elle aurait ainsi pu solder sa créance et qu'elle n'est pas en mesure de justifier de l'existence du cheptel affecté des warrants agricoles ce qui constitue un autre manquement à ses obligations ;

Qu'elle relève ensuite que la CCAM bénéficiait de deux délégations d'abattage acceptées en janvier et février 2002 et n'a pas justifié de la mise en oeuvre de cette garantie ;

Qu'elle observe, en réponse à la CCAM, qu'il ne lui appartiendra pas d'agir en responsabilité contre M. Y... suite à la disparition du cheptel et qu'au demeurant, une partie du bétail semblant avoir été vendue et la vente d'un cheptel waranté à un tiers de bonne foi faisant obstacle à tout recours, elle sera dans l'impossibilité d'obtenir remboursement ;

Attendu que la CCAM réplique que le constat d'huissier doit être écarté des débats comme nul pour inobservation des mentions prescrites à l'article 648 du Code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie et qu'à le retenir, ce constat ne démontre pas que le bétail visé a été retrouvé chez un autre éleveur ni ne permet de justifier de l'existence ou non du cheptel warranté ;

Qu'elle rappelle que l'OCEF a réalisé 55 abattages sur les 72 bêtes warrantées et que les fonds en résultant lui ont été versés en régularisation d'une partie des impayés conformément à la délégation prévue ; Qu'ainsi Mme X... n'établit pas être privée de toute subrogation lui permettant d'être déchargée de ses obligations de caution ;

Sur quoi,

Attendu qu'il appartient à Mme X... d'établir que la subrogation est devenue impossible par le fait exclusif de la banque ;

Attendu qu'il résulte tout d'abord des pièces justificatives versées par la CCAM qu'en garantie des deux prêts, M. Y... a, par acte du 8 octobre 2001, déclaré warranter 50 têtes de bétail, et par acte du 6 mai 2002 déclaré warranter 72 têtes de bétail ; que la banque a procédé à l'inscription de ces deux warrants au greffe du tribunal mixte de commerce les 25 octobre 2001 et 18 juillet 2002 puis a procédé à leur renouvellement les 6 octobre 2006 et 29 juin 2007 ;

Qu'à ce stade, il convient de constater que le créancier a respecté ses engagements et n'a commis aucune faute ;

Attendu ensuite que la cour constate :

- qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier que le bétail objet des warrants ait disparu,

- que Mme X... conclut de manière très hypothétique " il est plus que probable que le cheptel objet des warrants agricoles ne lui appartient plus " (à M. Y...),

- que le procès-verbal de constat du 5 juin 2008 établi par le fonctionnaire-huissier de Koné dont se prévaut Mme X... pour justifier de la disparition du cheptel n'a pas la portée qui lui est ainsi prêtée, la seule constatation de la présence de dix têtes de bétail portant la marque de M. Y... sur le terrain d'un tiers n ‘ établissant nullement l'existence d'un transfert de propriété, le tiers présent n'ayant fait aucune déclaration en ce sens, et le bétail pouvant tout aussi bien avoir été changé temporairement de pâturage,

- que la CCAM justifie avoir mis en oeuvre les délégations d'abattage et en avoir imputé le montant sur la dette de M. Y... diminuant par voie de conséquence la charge de la caution ;

Attendu en définitive que Mme X... n'établit pas l'impossibilité de subrogation dans les droits du créancier et qu'à admettre cette impossibilité, Mme X... ne soutient ni n'établit qu'elle découle de la faute exclusive de la CCAM puisqu'elle affirme au contraire que la vente du cheptel serait le fait de M. Y... et qu'elle ne soutient pas que cette cession se serait faite avec l'accord de la CCAM ou, à tout le moins, à sa connaissance ;

Que ce moyen sera donc également écarté comme mal fondé ;

Sur le défaut d'information de la caution :

Attendu que Mme X..., qui maintient ne pas avoir reçu les lettres d'information, soutient qu'il appartient à la CCAM de justifier de leur envoi ; qu'au surplus, les lettres versées par la CCAM en mentionnant la somme due " intérêts de retard, frais et accessoires en sus " ne respectent pas l'obligation posée par l'article L313-22 du code monétaire et financier ;

Attendu que la CCAM soutient avoir justifié de l'envoi des lettres d'information prévues par les textes et observe qu'était mentionné le solde en capital et intérêts tel que prévu au tableau d'amortissement ; que la formule spécifique " intérêts de retard, frais et accessoires en sus " s'appliquait aux impayés et ne pouvait être précisée tant que la régularisation n'était pas intervenue ; qu'elle n'avait pas à porter la mention de faculté de révocation s'agissant d'engagements à durée déterminée ;

Sur quoi,

Attendu que la CCAM a produit toutes les lettres plus le listing informatique des envois postaux ce qui satisfait aux exigences de preuve de l'envoi ;

Qu'aucun élément ne permet de douter de la réalité de l'expédition des lettres d'information ; que par ailleurs, la banque n'a pas à justifier de leur réception ;

Attendu, sur le contenu des lettres d'information, qu'il appartient à l'établissement de crédit, par application de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier de faire connaître à la caution le " montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement " ;

Qu'il est jugé que les composantes de la créance doivent être distinguées, pour le moins en ce qui concerne le principal et les intérêts (Cass. com., 22 juin 1993) ;

Attendu en l'espèce que toutes les lettres produites sont ainsi libellées " Nous vous informons que ce prêt présente au (31 décembre de l'année précédente) sauf erreurs ou omissions, un solde de (montant global) plus (un montant) de sommes impayées, intérêts de retard, frais et accessoires en sus " ; qu'elles précisent par ailleurs le terme de l'engagement ;

Attendu que cette information qui ne précise que le solde du prêt et un second montant indéterminé au titre de " sommes impayées, intérêts de retard, frais et accessoires en sus ", en ne donnant pas exactement le montant du principal et celui des intérêts ne satisfait pas aux exigences du texte ;

Qu'en conséquence, la CCAM sera déchue de son droit aux intérêts conventionnels ;

Sur la demande de dommages-intérêts :

Attendu que Mme X... a formulé pour la première fois cette demande dans le dispositif de son mémoire ampliatif du 15 mai 2008 pour un montant de 3 millions F CFP sans aucune argumentation à son soutien ;

Que Mme X... a formulé dans ses conclusions du 28 avril 2009 une demande modifiée de condamnation de la CCAM à lui payer la somme de 6 445 331 F CFP à titre de dommages-intérêts pour le préjudice causé par les fautes contractuelles ;

Mais attendu qu'en l'absence de toute faute de la CCAM, cette demande sera rejetée comme non fondée ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par arrêt contradictoire déposé au greffe ;

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Nouméa du 29 octobre 2009 ayant déclaré l'appel recevable ;

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 5 avril 2011 ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré sauf en sa disposition sur la nature des intérêts ;

Infirme de ce seul chef ;

Vu l'article L. 313-22 du code monétaire et financier,

Dit la Caisse de crédit agricole mutuel de Nouvelle-Calédonie déchue de son droit aux intérêts conventionnels et dit que les intérêts au taux légal courront à compter du 14 février 2005 ;

Déboute Mme Nadine X... de toutes ses demandes au titre de son engagement de caution ;

Rejette comme non fondée la demande en dommages et intérêts formée par Mme Nadine X... ;

Condamne Mme Nadine X... à payer à la Caisse de crédit agricole mutuel de Nouvelle-Calédonie la somme de Trois cent mille (300. 000) FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ;

La condamne en outre aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL REUTER-DE RAISSAC, avocat, sur ses offres de droit.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Numéro d'arrêt : 11/432
Date de la décision : 22/10/2012

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-10-22;11.432 ?
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