La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/06/2012 | FRANCE | N°11/579

France | France, Cour d'appel de Nouméa, 25 juin 2012, 11/579


COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 25 Juin 2012



Chambre Civile
Numéro R. G. : 11/ 579



Décision déférée à la Cour :
rendue le : 07 Novembre 2011
par le : Tribunal Civil de NOUMEA

Saisine de la cour : 24 Novembre 2011

PARTIES DEVANT LA COUR

APPELANT

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE



INTIMÉS

M. Pierre X...

né le 01 Janvier 1957 à TAZA (MAROC)
demeurant...- ... NOUMEA CEDEX

Mme Pierrette Marie Agnès Louise Z... épouse X...

née le 21 Janvier 1957 à NOUMEA (

98800)
demeurant...- ... NOUMEA CEDEX

Tous deux représentés par Me Nicolas MILLION

AUTRES INTERVENANTS

L'ASSOCIATION " SOS VIOLENCES SEXUELLES "

représenté...

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 25 Juin 2012

Chambre Civile
Numéro R. G. : 11/ 579

Décision déférée à la Cour :
rendue le : 07 Novembre 2011
par le : Tribunal Civil de NOUMEA

Saisine de la cour : 24 Novembre 2011

PARTIES DEVANT LA COUR

APPELANT

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

INTIMÉS

M. Pierre X...

né le 01 Janvier 1957 à TAZA (MAROC)
demeurant...- ... NOUMEA CEDEX

Mme Pierrette Marie Agnès Louise Z... épouse X...

née le 21 Janvier 1957 à NOUMEA (98800)
demeurant...- ... NOUMEA CEDEX

Tous deux représentés par Me Nicolas MILLION

AUTRES INTERVENANTS

L'ASSOCIATION " SOS VIOLENCES SEXUELLES "

représentée par Me CHATAIN de la SELARL CABINET D'AFFAIRES CALEDONIEN

LE PROCUREUR GENERAL
COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 Mai 2012, en chambre du conseil, devant la cour composée de :

Jean-Michel STOLTZ, Conseiller, président,
Christian MESIERE, Conseiller,
Régis LAFARGUE, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Régis LAFARGUE, Conseiller, ayant présenté son rapport.

Greffier lors des débats : Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Jean-Michel STOLTZ, président, et par Cécile KNOCKAERT, adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

M. Pierre X..., né le 1er janvier 1957 à Taza (Maroc), et Mme Pierrette Z... son épouse, née le 21 janvier 1957 à Nouméa, demeurant tous deux à Nouméa, et mariés depuis plus de deux ans, leur mariage ayant été célébré le 28 mai 2002 à Taza (Maroc), ont sollicité, par requête adressée au procureur de la République le 3 août 2010 et transmise au tribunal de première instance le 10 janvier 2011, l'adoption plénière du jeune Abdellah B..., d'ores et déjà désigné dans leur requête comme Abdellah X....

Le jeune Abdellah B..., né le 27 mars 2003 à Igherm Taroudant (Maroc), de père inconnu, est le fils de Mme Khadija B....

Par jugement du 13 mai 2003, le tribunal de première instance de Taroudant (Maroc) a déclaré l'enfant " délaissé " faute pour sa mère de pouvoir subvenir à ses besoins, sur le fondement du Dahir du 13 juin 2002 relatif aux enfants délaissés ;

Par ordonnance du 10 novembre 2004, du juge des affaires des mineurs du même tribunal de Taroudant (Maroc), faisant droit à la requête de M. et Mme X..., leur a attribué " la kafala de l'enfant délaissé Abdellah B... ", le juge se désignant lui-même comme tuteur datif de l'enfant.

C'est dans ces conditions que l'enfant est entré en France, et que s'en suivirent deux autres décisions le concernant :

- d'une part, un jugement du tribunal de première instance de Nouméa (Nouvelle-Calédonie) en date du 3 avril 2006 qui a prononcé l'exequatur de l'ordonnance précitée du 10 novembre 2004 attribuant aux époux X... la kafala de l'enfant Abdellah, et désignant un tuteur ;
- d'autre part, la déclaration de nationalité française souscrite au nom de l'enfant par Mme X..., le 17 mars 2010, sur le fondement de l'article 21-12 du Code civil.

Et c'est encore dans ces conditions que, l'enfant ayant acquis la nationalité française, les époux X... ont sollicité, par requête du 3 août 2010, l'adoption plénière de l'enfant, sur le fondement des dispositions applicables à l'adoption d'un mineur de nationalité française par des adoptants de nationalité française, après que par délibération du 8 juillet 2011, le conseil de famille ad hoc du mineur Abdellah (composé des requérants à l'adoption eux-mêmes, d'un parent proche, et d'amis de la famille) ait consenti à ce projet d'adoption, et désigné l'association " SOS violences sexuelles ", ès qualités de tutrice ad hoc de l'enfant, aux fins de le représenter dans le cadre de la procédure.

Par courrier du 4 novembre 2011, l'association " SOS violences sexuelles " a fait savoir qu'elle était favorable à la requête en adoption.

Par conclusions du 18 février 2011, le ministère public s'est opposé à cette demande en arguant de ce que la nationalité d'origine de l'enfant n'était pas sans incidence sur la requête en adoption plénière, que l'enfant avait été confié aux demandeurs dans le cadre d'une kafala, laquelle s'analyse en une forme de délégation de l'autorité parentale, et que l'enfant n'étant ni pupille de l'Etat ni un enfant déclaré abandonné, le consentement à adoption ne pouvait être donné que par sa mère ou les autorités marocaines, ce qui en toute hypothèse se serait avéré impossible, dès lors que la loi marocaine prohibe l'adoption.

Le ministère public en concluait que le consentement donné à l'adoption par le conseil de famille, nécessairement donné en fraude de la loi marocaine, devait être tenu pour nul.

Toutefois, par jugement du 7 novembre 2011, le tribunal de première instance de Nouméa, statuant au visa notamment des articles 343 à 359 du Code civil, du jugement de délaissement du tribunal de première instance de Taroudant (Maroc) en date du 13 mai 2003, de l'ordonnance d'attribution de kafala précitée en date du 10 novembre 2004, et du jugement d'exequatur en date du 3 avril 2006, a rejeté l'argumentation du ministère public et prononcé l'adoption plénière de l'enfant Abdellah.
Pour statuer ainsi le premier juge a considéré que, dès lors qu'à la date du dépôt de la requête en adoption, l'enfant avait la nationalité française, il ne relevait plus de l'application de l'article 370-3, alinéa 2, du Code civil qui édicte une règle de conflit en matière d'adoption d'enfants étrangers, et écarté les conclusions du ministère public sans examiner le grief de fraude à la loi étrangère, tenu pour inopérant puisqu'en l'espèce le premier juge retenait que les conditions étaient réunies pour l'application des dispositions de la loi française, seule applicable en l'espèce, et qu'en l'espèce le conseil de famille réuni le 8 juillet 2011, avait valablement consenti à l'adoption en application des dispositions de l'article 347 1o du Code civil.

PROCÉDURE D'APPEL

Le 24 novembre 2011, le ministère public a interjeté appel de cette décision.

Dans son mémoire ampliatif d'appel, du 18 février 2012, il a conclu à l'infirmation de la décision entreprise et au débouté de la requête en adoption au motif que, même si les époux X... ainsi que l'enfant sont de nationalité française, la nationalité d'origine de celui-ci doit être prise en compte, ainsi que le lien de filiation l'unissant à sa mère biologique.

La critique du ministère public s'ordonne autour de trois axes majeurs : la fraude à la loi, dont il résulte que le conseil de famille n'avait pas valablement consenti à l'adoption, puisque l'adoption de l'enfant d'origine étrangère ne ressortissait pas de l'application de la loi française en dépit de l'acquisition, par celui-ci de la nationalité française (1o), ce à quoi le ministère public ajoute que l'intérêt supérieur de l'enfant ne pouvait y remédier et justifier de passer outre le constat de cette fraude à la loi marocaine prohibant le recours à l'adoption (2o). Ensuite, le ministère public soulève une troisième critique tenant au fait que même si la loi française était applicable, les conditions légales ne seraient, de toute façon, pas réunies pour pouvoir considérer que l'enfant était adoptable, faute pour lui d'avoir été abandonné au sens où l'entend la loi française (3o).

Ainsi, pour justifier le grief de fraude à la loi, dont il découle implicitement mais nécessairement un grief de violation de l'autorité de la chose jugée, le parquet souligne que toute la procédure engagée par les époux X... depuis l'arrivée de l'enfant sur le sol français l'a été en violation de la réglementation de la kafala, mise en oeuvre par les décisions de justice qui ont investi les époux X... de la garde de l'enfant. Le ministère public expose que l'enfant est né à l'étranger d'une mère qui est toujours à la date de la requête de nationalité marocaine, et que le fait pour l'enfant de ne pas être né en France a des implications en ce que l'enfant relève toujours de la législation marocaine sur la kafala, et donc du même statut personnel que sa mère biologique, le changement de nationalité de l'enfant n'ayant pas pour effet de rompre le lien de filiation d'origine.
Le ministère public rappelle que, par décision du 13 mai 2003, le tribunal de Taroudant a constaté que la mère de l'enfant était dans l'impossibilité de subvenir aux besoins de celui-ci en raison de sa situation matérielle et, qu'en application du Dahir du 13 juin 2002 (qui constitue le cadre juridique à l'institution de la kafala), le tribunal a déclaré l'enfant " délaissé ", qu'en outre, par ordonnance du juge aux affaires des mineurs du tribunal de Taroudant, M. et Mme X... se sont vus attribuer la kafala de l'enfant délaissé Abdellah B.... Cette institution s'analyse en un engagement de la famille d'accueil de prendre en charge la protection, l'éducation et l'entretien d'un enfant délaissé sans créer, pour autant, de lien de filiation ni de droit à succession. Le suivi de la mesure de kafala est assuré par le juge des tutelles du lieu de résidence de la personne assurant la kafala ou par les autorités consulaires marocaines du lieu de résidence de la famille si celle-ci a quitté le territoire marocain. Ainsi, la kafala s'analyse en une forme de délégation de l'autorité parentale ou de tutelle suivie et contrôlée par les autorités marocaines, et ce, que l'enfant réside sur le territoire marocain ou à l'étranger (auquel cas le contrôle est dévolu à l'autorité consulaire).

Le ministère public qui fait le constat que le mineur n'est ni un pupille de l'Etat, ni un enfant abandonné dans les conditions de l'article 350 du Code civil, soutient que le consentement à son adoption ne pourrait être donné que par sa mère ou les autorités marocaines, si l'institution de l'adoption existait dans le droit marocain. Or la loi marocaine prohibe l'adoption : puisque selon cette loi " la filiation se réalise par la procréation de l'enfant par ses parents ".

Il s'en suit que toute manifestation de consentement à une mesure d'adoption, qu'elle émane d'une autorité publique marocaine (Civ. 1ère, 1er juillet 1997, Bull. civ. 1997, I, no223) ou d'une personne privée investie du droit de garde, doit être considérée comme passée en fraude de la loi locale et tenue pour nulle.

La critique du ministère public qui porte essentiellement sur le non respect de la réglementation de la kafala qui régit l'enfant et s'impose aux époux X... en vertu des décisions de justice prises en leur faveur s'analyse donc en une double critique adressée aux époux X... : la fraude à la loi marocaine, outre la violation de l'autorité de la chose jugée en application de cette loi marocaine.

Le ministère public ajoute, par ailleurs, que l'intérêt supérieur de l'enfant ne saurait justifier qu'il soit passé outre les conditions légales françaises (enfant déclaré abandonné), au surplus, incompatibles avec le droit marocain qui prohibe l'adoption et qui ne peut être tenu pour inopérant au regard de la présente procédure, compte tenu de la nationalité de la mère de l'enfant, et compte tenu du fait que les époux X... se sont vus confier Abdellah dans le cadre d'une institution, très encadrée par le droit marocain, incompatible avec leur projet d'adoption.

En effet, l'ordonnance de kafala assure de façon précise la protection du mineur confié aux requérants, en sorte que son intérêt supérieur ne saurait être un argument permettant à la juridiction française de s'affranchir des règles applicables.

La troisième critique du ministère public se situe dans l'hypothèse où la loi française serait considérée comme applicable. Il est fait grief au jugement déféré d'avoir privé sa décision de base légale, faute d'avoir constaté que l'enfant était véritablement abandonné et remplissait les conditions pour être adoptable.

Le ministère public fait le constat que le mineur n'est ni un pupille de l'Etat, ni un enfant abandonné dans les conditions de l'article 350 du Code civil.

Dès lors, étant rappelé que l'enfant objet d'une décision de kafala n'est pas un enfant abandonné et reste placé sous la tutelle des autorités marocaines, qui ont seules le pouvoir de consentir aux actes graves concernant l'enfant lorsque les parents biologiques de celui-ci ne sont pas en mesure d'y consentir eux-mêmes, et aucun consentement à l'adoption de l'enfant n'ayant été donné et étant susceptible de l'être, il convient de rejeter la demande d'adoption plénière. Le ministère public ajoute que les mêmes motifs conduisent à écarter l'adoption simple de l'enfant durant sa minorité.

Par écritures du 11 avril 2012, l'association SOS violences sexuelles a conclu à la confirmation du jugement déféré, en soulignant que le fait de suivre le parquet dans son argumentation reviendrait à priver l'enfant du bénéfice de l'article 347 du Code civil, cette solution étant au surplus contraire à la réponse ministérielle à la question écrite no03703 de M. Piras (JO Senat 21/ 08/ 2008, p. 1698), le 21 août 2008, aux termes de laquelle " dès lors que l'enfant a été élevé pendant cinq ans en France par des Français, la nationalité française peut lui être accordée, selon les conditions fixées par l'article 21-12 du code civil. La loi française lui étant applicable, l'enfant devient adoptable. Ce dispositif, qui garantit le respect du statut personnel de l'enfant et des droits qui en découlent, ne paraît pas devoir être remis en cause... ".

Les époux X... par écritures du 16 avril 2012 ont conclu, eux aussi, à la confirmation du jugement en invoquant la réponse ministérielle, à la question de M. Cardo, no1362 (JOAN 11/ 08/ 2009, p. 7979), identique à celle du 21 août 2008 précitée, laquelle réaffirme que " ce dispositif, qui garantit le respect du statut personnel de l'enfant et des droits qui en découlent, ne paraît pas devoir être remis en cause ". Ils se prévalent enfin d'un précédent jurisprudentiel : CA Paris, 15 février 2011, no10/ 1271.

MOTIFS

Attendu qu'il est constant que l'enfant a été accueilli en France par des personnes de nationalité française par l'effet de l'ordonnance d'attribution de kafala du tribunal de première instance de Taroudant (Maroc) en date du 10 novembre 2004, et du jugement d'exequatur du tribunal de première instance de Nouméa en date du 3 avril 2006, et que cet enfant a, par suite, acquis la nationalité française sur le fondement de l'article 21-12 1o du Code civil qui prévoit cette possibilité pour " l'enfant qui, depuis au moins cinq années, est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française... " ;

1o/ sur le grief de fraude à la loi et de méconnaissance de l'autorité de la chose jugée

Attendu que, pour statuer ainsi qu'il l'a fait, le premier juge a considéré que dès lors qu'à la date du dépôt de la requête en adoption, soit le 3 août 2010, l'enfant avait déjà la nationalité française, il ne ressortissait plus de l'application de l'article 370-3, alinéa 2, du Code civil qui édicte une règle de conflit en matière d'adoption concernant des enfants qui ont encore la nationalité étrangère à la date de la requête ; qu'en outre le conseil de famille avait valablement consenti à l'adoption sur le fondement de l'article 347 1o du Code civil ;

Mais attendu que les demandeurs à l'adoption n'ont obtenu des autorités marocaines le droit de s'occuper de l'enfant qu'en vertu d'une institution de droit coranique, dite kafala, inconciliable avec le principe même d'une adoption ; qu'ainsi leur requête méconnaît l'autorité de la chose jugée par les autorités judiciaires marocaines constatant le " délaissement " de l'enfant, et confiant l'enfant aux époux X..., au titre de la kafala, laquelle a fait l'objet d'une décision d'exequatur par le juge français ;

Que ces décisions instaurant une kafala excluaient, par la même, toute possibilité d'adoption ;

Attendu ensuite, ainsi que le souligne le ministère public, que la kafala ressortit encore du statut personnel de l'enfant né à l'étranger d'une mère étrangère, et ce d'autant que le statut de l'enfant, qui résulte du lien de filiation, demeure inchangé tant que son lien de filiation n'est pas rompu avec sa mère ; qu'ainsi, la règle qui prohibe l'adoption en vertu du statut personnel de la mère et de l'enfant s'impose encore à la date de la requête en adoption, quoique la nationalité de l'enfant ait entre-temps changé ;

Qu'ainsi le parquet soutient à bon droit, qu'en dépit du changement de nationalité de l'enfant, le consentement à l'adoption ne pouvait être donné, par une autorité incompétente (en l'espèce le conseil de famille), pas plus qu'il ne pouvait l'être en contemplation d'une institution incompatible avec le statut personnel de l'enfant et de sa mère qui prohibe l'adoption, sauf à contourner les prescriptions de l'article 370-3, alinéa 2, du Code civil, l'enfant n'étant pas né en France (Civ. 1ère, 09 juillet 2008, Bull. civ. 2008, I, no198), et sauf à faire prévaloir une institution du seul fait de la résidence actuelle de l'enfant en France au moment où est présentée la requête litigieuse ;

D'où il suit que le consentement donné à l'adoption, sur le fondement de l'article 347 1o du Code civil, par un conseil de famille incompétent, constitué en France pour les besoins de la procédure, doit être déclaré nul ;

2o/ Sur la considération de l'intérêt supérieur de l'enfant et de sa portée

Attendu que les requérants à l'adoption, tout comme l'association " SOS Violences sexuelles ", se bornent à affirmer que leur projet servirait nécessairement l'intérêt supérieur de l'enfant ; que le ministère public considère ce moyen inopérant en ce que la considération de l'intérêt supérieur de l'enfant, à supposer même que le projet d'adoption puisse servir un tel intérêt, ne permet pas de valider une adoption réalisée en fraude de la loi ;

Attendu d'abord que la kafala, qui exclut la possibilité d'adoption en droit musulman, expressément reconnue par l'article 20, alinéa 3, de la convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, préserve l'intérêt supérieur de l'enfant (Civ. 1ère, 15 décembre 2010, Bull. civ. 2010, I, no265) ;

Et attendu qu'aux termes de l'article 3 de la convention de New York précitée : " dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ;

Attendu, au surplus, que précisant le principe qui précède en lui donnant un contenu concret ladite convention affirme en son article 7 le droit pour l'enfant de " connaître ses parents et d'être élevé par eux ", et souligne même en son article 8 l'engagement des Etats " à respecter le droit de l'enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale " ;

Qu'en l'espèce, c'est de manière unilatérale et sans y avoir été autorisée par les autorités marocaines que Mme X..., se prévalant de ce qu'elle exerçait l'autorité parentale sur l'enfant, a souscrit en son nom, le 17 mars 2010, une déclaration de nationalité française, alors que dans le cadre du suivi des mesures de kafala, (ainsi que le précise la note, du 1er octobre 2008 de M. Rabineau, magistrat de liaison au Maroc, intitulée " Le régime de la kafala au Maroc et ses conséquences au regard du Droit français "), c'est au juge des tutelles du lieu de résidence de la personne assumant la kafala qu'il incombe de veiller à la situation de l'enfant en s'assurant que le kafil respecte les obligations mises à sa charge ; que, de ce point de vue, la décision de kafala n'investit pas l'adulte qui prend en charge l'enfant de prérogatives sans bornes ; qu'elle l'investit au contraire de pouvoirs restreints en fonction de la nature de l'engagement pris par celui-ci (élever l'enfant et pourvoir à ses besoins) ;

Que la limitation des prérogatives du kafil, jointe au contrôle exercé par l'autorité tutélaire, sont les seuls véritables garants de l'intérêt supérieur de l'enfant, en évitant comme dans le cas de l'enfant fa'a'amu en Polynésie française (la culture océanienne ne concevant pas la notion d'abandon tout en admettant aisément de confier l'enfant à celui qui est le plus apte à prendre soin de lui), que sous couvert de donner un cadre matériel plus favorable à l'enfant on ne le prive de son identité personnelle, de sa filiation, de ses origines, au mépris de l'exigence du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ; qu'à cet égard, la défense des intérêts de l'enfant, par la désignation d'un tuteur ad hoc qui se borne à épauler la demande des requérants à l'adoption, au mépris de toute autre considération que le seul " droit à l'enfant " n'offre qu'une garantie illusoire au regard de la nécessaire protection de l'intérêt supérieur de l'enfant " ;

Qu'en effet la kafala étant définie comme " l'engagement de prendre en charge la protection, l'éducation et l'entretien d'un enfant abandonné ‘ au même titre que le ferait un père pour son enfant'... " (note précitée), il en résulte des obligations pour les personnes délégataires et la définition de prérogatives enfermées dans un périmètre strict qui s'impose à la famille d'accueil ; qu'au regard de ces principes, la démarche de Mme X... en vue de faire acquérir la nationalité française à l'enfant, préalable à la procédure d'adoption, et qui manifeste sa volonté de se placer sous l'empire d'une loi favorable à ses propres intérêts, excède les pouvoirs qui lui ont été conférés au titre de la kafala ;

Que lorsque, comme en l'espèce, l'enfant réside à l'étranger, une obligation de suivi incombe aux autorités consulaires marocaines du lieu de résidence de l'enfant ; que l'autorité consulaire, chargée de veiller aux conditions d'éducation de l'enfant, peut saisir le juge marocain qui a prononcé la kafala en vue de sa révocation, selon ce que commande l'intérêt supérieur de l'enfant ; que le changement de nationalité est à l'évidence l'un de ces actes, importants pour l'avenir de l'enfant, nécessitant'autorisation préalable de l'autorité consulaire ; que les époux X..., qui prétendent agir dans l'intérêt de l'enfant, n'en justifient pas ; qu'il ont, au contraire, contourné le dispositif de surveillance établi pour préserver l'intérêt supérieur de l'enfant, ce qui démontre clairement la fraude à la loi dénoncée par le ministère public ;

Qu'ainsi, le prétendu intérêt supérieur de l'enfant à être adopté par des Français ne saurait valider une situation juridique née d'une fraude à la loi (Civ. 1ère, 17 novembre 2010, Bull. civ. 2010, I, no236), sauf à considérer, désormais, que le kafala, reconnue par l'article 20, alinéa 3, de la convention de New York ne préserverait pas l'intérêt supérieur de l'enfant ;

Attendu, en conséquence, que dès lors que l'enfant confié en application d'une décision de kafala n'est pas un enfant adoptable, en ce qu'il n'est pas un enfant abandonné (puisqu'il reste notamment placé sous la tutelle des autorités marocaines qui seules ont le pouvoir de consentir aux actes importants le concernant lorsque ses parents biologiques ne sont pas en mesure d'y consentir eux-mêmes), et qu'aucun consentement à l'adoption de l'enfant n'est susceptible d'être donné, la demande d'adoption de l'enfant d'origine marocaine, doit être rejetée en ce qu'elle est faite en fraude d'une loi étrangère, laquelle ne reconnaît que la filiation biologique, et s'impose aussi longtemps que demeure le lien de filiation entre la mère et l'enfant ;

Qu'ainsi, et sans qu'il en résulte une quelconque violation du principe de non discrimination en raison des origines, l'acquisition de la nationalité française par l'enfant, laquelle n'a pas eu pour effet de rompre le lien de filiation unissant l'enfant à sa mère biologique, ne permet pas d'écarter l'application de la loi étrangère régissant ce lien ;

3o/ sur le défaut de base légale au regard des conditions posées par la loi française

Attendu, surabondamment, qu'à supposer même que les dispositions du Code civil français puissent trouver à s'appliquer en l'espèce, par suite de l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, et étant rappelé que le conseil de famille n'a cependant pas pu valablement consentir à l'adoption et que l'enfant n'est pas pupille de l'Etat, l'article 347 3o du Code civil précise que " peuvent être adoptés... les enfants déclarés abandonnés dans les conditions prévues à l'article 350 " ; que cet article 350 évoque une déclaration d'abandon qui résulte d'un désintérêt volontaire des parents biologiques à l'égard de l'enfant ;

Que toutefois, il n'est nullement établi qu'en l'espèce la décision de " délaissement ", prise par les autorités marocaines pour autoriser le recours à la kafala, résulte du constat du désintérêt volontaire de la mère à l'égard de l'enfant ; que le jugement du tribunal de première instance de Taroudant en date du 13 mai 2003, bien au contraire, n'évoque ni abandon moral ni désintérêt volontaire, mais des considérations de survie matérielle de l'enfant et de la mère puisqu'il y est indiqué " que les pièces jointes à ce dossier, notamment le certificat de personne nécessiteuse qui atteste que la nommée, Khadija A...
F... n'a pas la possibilité de subvenir aux besoins de l'enfant à cause de sa situation matérielle défavorable.... " ;

Que la situation de détresse de la mère, liée à ses difficultés matérielles pour élever l'enfant, n'est nullement assimilable au désintérêt volontaire que constate dans notre droit la décision d'abandon ;

Qu'ainsi les requérants à l'adoption ne rapportent pas la preuve que la décision des autorités marocaines, constatant le " délaissement " de l'enfant, soit assimilable à une déclaration d'abandon au sens où l'entend l'article 350 du Code civil, ni même que les conditions de l'abandon telles que définies par l'article 350 du Code civil soient réunies en l'espèce, l'enfant ayant été pris dans son pays d'origine et amené en Nouvelle-Calédonie du seul fait des requérants, sous la condition expresse, prévue par la loi marocaine, de respecter la tutelle exercée par l'autorité consulaire marocaine sur l'enfant qui leur était confié ;

D'où il suit que, les conditions posées par les articles 347 3o et 350 du Code civil n'étant pas réunies, l'enfant n'était pas adoptable au sens où l'entend le Code civil ;

Attendu en définitive, étant rappelé que la kafala préserve l'intérêt supérieur de l'enfant, que la cour d'appel constate que l'enfant, même de nationalité française au jour de la requête, confié en application d'une décision judiciaire de kafala ayant autorité de la chose jugée, n'est pas un enfant abandonné et reste placé sous la tutelle des autorités marocaines qui ont seules le pouvoir de consentir aux actes graves concernant l'enfant lorsque ses parents biologiques ne sont pas en mesure d'y consentir eux-mêmes ;

Que, dès lors que l'autorité publique marocaine n'a pas le pouvoir de consentir à l'adoption de l'enfant, confié en application d'une décision de kafala, laquelle préserve au surplus le droit de l'enfant au respect de son identité et de ses origines familiales, la demande d'adoption de l'enfant d'origine marocaine, faite en méconnaissance de la loi étrangère, qui régit toujours le lien de filiation qui l'unit à sa mère biologique, et qui prohibe l'adoption, doit être rejetée ;

Et attendu que les époux X... et l'association " SOS Violences sexuelles ", qui succombent, supporteront les entiers dépens ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement après débats en chambre du conseil, par arrêt contradictoire, déposé au greffe ;

Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau,

Dit que l'acquisition de la nationalité française, laquelle n'a pas eu pour effet de rompre le lien de filiation unissant l'enfant à sa mère biologique, ne permet pas d'écarter l'application de la loi étrangère régissant ce lien ;

Dit, en outre, qu'aucune considération tenant à l'intérêt supérieur de l'enfant ne saurait valider une situation juridique née d'une fraude à la loi ;

Déclare nul le consentement du conseil de famille à l'adoption, comme étant donné par une autorité incompétente ;

Constate, au surplus, que n'a pas la qualité de pupille de l'Etat ni celle d'enfant abandonné, au sens des dispositions du droit français, l'enfant confié aux époux X..., et placé sous la tutelle des autorités consulaires marocaines, en vertu d'une décision de kafala objet d'un jugement d'exequatur en France ;

En conséquence,

Rejette la requête en adoption plénière présentée par les époux X... ;

Condamne les époux X... et l'association " SOS Violences sexuelles " aux entiers dépens.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Numéro d'arrêt : 11/579
Date de la décision : 25/06/2012

Références :

Décision attaquée : Tribunal de première instance de Nouméa


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-06-25;11.579 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award