Ordonnance N°790
N° RG 24/00830 - N° Portalis DBVH-V-B7I-JKD2
J.L.D. NIMES
01 septembre 2024
[E]
C/
LE PREFET DE L'AVEYRON
COUR D'APPEL DE NÎMES
Cabinet du Premier Président
Ordonnance du 03 SEPTEMBRE 2024
Nous, Mme Marine KARSENTI, Conseillère à la Cour d'Appel de NÎMES, conseiller désignée par le Premier Président de la Cour d'Appel de NÎMES pour statuer sur les appels des ordonnances des Juges des Libertés et de la Détention du ressort, rendues en application des dispositions des articles L 742-1 et suivants du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit de l'Asile (CESEDA), assistée de Mme Céline DELCOURT, Greffière,
Vu l'arrêté préfectoral ordonnant une obligation de quitter le territoire français en date du 15 septembre 2023 notifié le 26 septembre 2023 ayant donné lieu à une décision de placement en rétention en date du 30 août 2024, notifiée le même jour à 08 heures 10 concernant :
M. [Z] [E]
né le 31 Octobre 1996 à [Localité 2]
de nationalité Nigériane
Vu la requête présentée par Monsieur [Z] [E] le 30 août 2024 à 16h30 tendant à voir contester la mesure de placement en rétention prise à son égard le 30 août 2024 ;
Vu la requête reçue au Greffe du Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal Judiciaire de Nîmes le 31 août 2024 à 11 heures 52, enregistrée sous le N°RG 24/4006 présentée par M. le Préfet l'Aveyron ;
Vu l'ordonnance rendue le 01 Septembre 2024 à 11 heures 39 par le Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal de NÎMES, qui a :
* Déclaré les requêtes recevables ;
* Ordonné la jonction des requêtes ;
* Rejeté la requête en contestation de placement en rétention ;
* Ordonné pour une durée maximale de 26 jours commençant 4 jours après la notification de la décision de placement en rétention, le maintien dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, de M. [Z] [E] ;
* Dit que la mesure de rétention prendra fin à l'expiration d'un délai de 26 jours à compter du 03 septembre 2024 à 08 heures 10,
Vu l'appel de cette ordonnance interjeté par Monsieur [Z] [E] le 02 Septembre 2024 à 10 heures 21 ;
Vu l'absence du Ministère Public près la Cour d'appel de NIMES régulièrement avisé ;
Vu la présence de Monsieur [W] [B], représentant le Préfet l'Aveyron, agissant au nom de l'Etat, désigné pour le représenter devant la Cour d'Appel en matière de Rétention administrative des étrangers, entendu en ses observations ;
Vu l'assistance de Madame [K] [R] interprète en langue anglaise, inscrite sur la liste des experts de la Cour d'Appel de Nîmes
Vu la comparution de Monsieur [Z] [E], régulièrement convoqué ;
Vu la présence de Me Grégory LORION, avocat de Monsieur [Z] [E] qui a été entendu en sa plaidoirie ;
MOTIFS
Monsieur [E] a reçu notification le 21 septembre 2023 d'un arrêté du Préfet de l'Aveyron en date du 15 septembre 2023 lui faisant obligation de quitter le territoire national.
[E] a été interpellé le 29 août 2024.
Par arrêté de la même préfecture en date du 30 août 2024 et qui lui a été notifié le jour, il a été placé en rétention administrative aux fins d'exécution de la mesure d'éloignement.
Par requêtes du 31 août 2024 et du 30 août 2024, Monsieur [E] et le Préfet de l'Aveyron ont respectivement saisi le Juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nîmes d'une contestation de ce placement en rétention et d'une demande en prolongation de la mesure.
Par ordonnance prononcée le 1er septembre 2024, le Juge des libertés et de la détention de Nîmes a rejeté les moyens présentés par Monsieur [E] et ordonné la prolongation de sa rétention administrative pour vingt-six jours.
Monsieur [E] a interjeté appel de cette ordonnance le 2 septembre 2024 à 10h21.
A l'audience, Monsieur [E] déclare qu'il a une compagne en France, avec laquelle il est de nouveau en couple et qu'il a été traité au sein de l'hôpital psychiatrique de [Localité 4], le médecin lui ayant demandé de ne pas partir. Il produit un certificat médical de l'unité médicale du centre de rétention administrative indiquant qu'il bénéficie d'un suivi psychiatrique et d'un traitement mensuel par injection.
Son avocat soutient que le signataire de la requête en prolongation de la préfecture n'est pas compétent et que l'état de santé de Monsieur [E] est incompatible avec la mesure de rétention.
Monsieur le Préfet pris en la personne de son représentant demande la confirmation de l'ordonnance dont appel.
SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL :
L'appel interjeté par Monsieur [E] à l'encontre d'une ordonnance du Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Nîmes a été relevé dans les délais légaux et conformément aux dispositions des articles L.743-21, R.743-10 et R.743-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Il est donc recevable.
SUR LES MOYENS NOUVEAUX ET ÉLÉMENTS NOUVEAUX INVOQUÉS EN CAUSE D'APPEL:
L'article 563 du code de procédure civile dispose : « Pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves. »
L'article 565 du même code précise : « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ».
Sauf s'ils constituent des exceptions de procédure, au sens de l'article 74 du code de procédure civile, les moyens nouveaux sont donc recevables en cause d'appel.
A l'inverse, pour être recevables en appel, les exceptions de nullité relatives aux contrôle d'identité, conditions de la garde à vue ou de la retenue et d'une manière générale celles tenant à la procédure précédant immédiatement le placement en rétention doivent avoir été soulevées in « limine litis » en première instance.
Par ailleurs, le contentieux de la contestation de la régularité du placement en rétention (erreur manifeste d'appréciation de administration ou défaut de motivation) ne peut être porté devant la cour d'appel que s'il a fait l'objet d'une requête écrite au juge des libertés et de la détention dans les 48 heures du placement en rétention, sauf à vider de leur sens les dispositions légales de l'article R.741.3 du CESEDA imposant un délai strict de 48h et une requête écrite au Juge des libertés et de la détention.
En l'espèce, Monsieur [E] ne soulève aucun moyen qui serait irrecevable.
SUR LA RECEVABILITE DE LA REQUETE EN PROLONGATION:
Sur l'incompétence :
Monsieur [E] soutient qu'il appartient au juge judiciaire de vérifier la compétence du signataire de la requête en prolongation et la mention des empêchements éventuels des délégataires de signature. En l'espèce, le signataire de la requête ne serait pas compétent.
C'est à tort qu'il est argué de l'incompétence du signataire de la requête en prolongation signée pour le Préfet de l'Aveyron le 31 août 2024 par Madame [X] [O], cheffe du bureau de l'immigration et de la nationalité, alors qu'est précisément joint à cette requête un arrêté préfectoral en date du 24 octobre 2022 lui portant délégation de signature.
L'apposition de sa signature sur ladite requête présuppose l'empêchement des autres personnes ayant délégation par préférence, le retenu ne démontrant pas le contraire alors qu'en application de l'article 9 du code de procédure civile c'est bien à lui qu'il incombe d'apporter la preuve du bienfondé de ses prétentions.
Le moyen d'irrecevabilité doit donc être écarté.
Sur l'erreur manifeste d'appréciation :
Depuis le 1er novembre 2016, le Juge des libertés et de la détention est compétent pour apprécier la légalité de la décision de placement en rétention aux fins d'éloignement ainsi que pour contrôler l'exécution de cette mesure et décider de sa prolongation. Il n'est en revanche pas le juge de l'opportunité ni de la légalité de la mesure d'éloignement qui fonde cette décision de rétention.
Une décision de placement en rétention administrative est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation lorsque l'administration s'est trompée grossièrement dans l'appréciation des faits qui ont motivé sa décision.
Le juge judiciaire peut sanctionner une telle erreur à condition qu'elle soit manifeste et donc évidente, flagrante, repérable par le simple bon sens, et qu'elle entraîne une solution choquante dans l'appréciation des faits par l'autorité administrative, notamment en ce qu'elle est disproportionnée par rapport aux enjeux et nécessités d'éloignement de l'intéressé.
Il convient de rappeler que la décision administrative de placement en rétention est prise au visa des éléments dont l'autorité préfectorale dispose alors et notamment des justificatifs de garanties de représentation qui sont déjà en sa connaissance.
En l'espèce, Monsieur [E] ne produit aucun élément de nature à étayer sa vie familiale, ni ses relations avec son enfant. La décision du tribunal correctionnel de Rodez en date du 31 janvier 2023 lui fait interdiction d'entrer en contact avec la mère de son enfant pendant une durée de 3 ans de telle sorte que les déclarations de Monsieur [E] sur la reprise d'une vie familiale semblent incompatibles avec la peine prononcée. Monsieur [E] a en outre déclaré ne pas avoir vu son enfant depuis le mois de février 2024 et ne justifie pas d'une contribution à son éducation.
Il s'en déduit que la décision prise par l'administration n'est pas contraire à la situation personnelle de Monsieur [E] qui n'avait justifié ni d'un document d'identité en cours de validité ni d'un domicile fixe et certifié, ni de moyens de subsistance ou de revenus réguliers.
La décision de placement en rétention concernant Monsieur [E] ne procède ainsi d'aucune erreur manifeste d'appréciation et le moyen ainsi soulevé doit être rejeté.
SUR LA COMPATIBILITE DE LA MESURE DE RETENTION :
Monsieur [E] soutient que son état de santé serait incompatible avec la mesure de rétention. Le certificat médical produit par ses soins atteste qu'il bénéficie d'un suivi psychiatrique et d'un traitement mensuel par injection dans le cadre de la rétention administrative. Monsieur [E] précise en outre que la dernière injection dont il a bénéficié date du 22 août 2023.
La fréquence des injections étant, selon ses déclarations, mensuelle, aucun élément ne permet d'étayer la possibilité d'une rupture de soins. Monsieur [E] a fait l'objet d'un examen médical dans le cadre de sa retenue le 29 août 2024, le médecin ayant conclu à la compatibilité de la mesure de retenue avec son état de santé.
Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé n'a pas demandé à se faire examiner par un médecin, sur le fondement de l'article R751-8 ou R752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il peut également demander directement à l'administration qu'il soit procédé à une évaluation de son état de vulnérabilité aux fins de déterminer s'il est compatible avec les conditions de la rétention et celles du transport aérien.
Monsieur [E] n'établit pas en quoi son maintien en rétention administrative serait incompatible avec son état de santé, un suivi médical ayant déjà été mis en 'uvre.
SUR LE FOND :
L'article L.611-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose des cas dans lesquels un étranger peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et l'article L.612-6 du même code d'une interdiction de retour sur le territoire français tandis que l'article L611-3 du même code liste de manière limitative les situations dans lesquelles de telles mesures sont exclues.
L'article L.741-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précise qu'en tout état de cause «un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration exerce toute diligence à cet effet.»
Au motif de fond sur son appel, Monsieur [E] soutient que l'administration française ne démontre pas avoir fait toutes diligences pour mettre à exécution la mesure d'éloignement.
Il en conclut que la mesure de rétention dont il fait l'objet ne se justifie plus et doit donc être levée.
En l'espèce, Monsieur [E] ne disposait au moment de son interpellation d'aucun justificatif en original de son identité ni d'aucun document de voyage et n'en a pas davantage communiqué depuis aux autorités administratives, de telle sorte qu'il est nécessaire de l'identifier formellement avant que de pouvoir procéder à son éloignement effectif. C'est ainsi à l'origine son propre fait qui retarde donc son départ et conduit l'administration à solliciter que sa rétention soit prolongée.
De plus, de l'examen des pièces de la procédure, il ressort que le consulat du Nigéria dont Monsieur [E] s'est affirmé être ressortissant a été saisi d'une demande de laissez-passer le 30 août 2024, dès le placement en rétention de l'intéressé.
Les services préfectoraux ne disposent d'aucun pouvoir de coercition envers les autorités consulaires étrangères de telle sorte qu'il ne peut leur être reproché le délai pris par celles -ci pour leur répondre.
Aucun élément du dossier ou du débat à l'audience ne permet d'affirmer que les réponses du Consulat ne puissent intervenir à bref délai en l'état des diligences dont il est ainsi justifié.
Il s'en déduit qu'il y a lieu de dire que l'administration n'a pas failli à ses obligations.
SUR LA SITUATION PERSONNELLE DE MONSIEUR [E] :
Monsieur [E], présent irrégulièrement en France est dépourvu de passeport et de pièces administratives pouvant justifier de son identité et de son origine de telle sorte qu'une assignation à résidence judiciaire est en tout état de cause exclue par les dispositions de l'article L743-13 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Monsieur [E] s'est déclaré séparé de sa compagne, Mme [G] [J], avant de prétendre à l'audience être à nouveau en couple avec cette dernière, sans toutefois en justifier. Il a une fille mineure, née le 31 novembre 2022 à [Localité 4].
Monsieur [E] a fait l'objet d'une condamnation par le tribunal correctionnel de Rodez le 31 janvier 2023 à la peine de 10 mois d'emprisonnement avec sursis probatoire pour des faits de violences commis au préjudice de sa compagne, Mme [G] [J]. La peine complémentaire d'interdiction de contact avec cette dernière pendant une durée de 3 ans a également été prononcée. Monsieur [E] ne produit aucun élément sur les diligences qu'il aurait accomplies afin de rendre la reprise d'une vie de couple compatible avec le respect de cette peine complémentaire.
Il ne justifie de plus d'aucune adresse ni domicile stables en France, ne démontre aucune activité professionnelle et ne dispose d'aucun revenu ni possibilité de financement pour assurer son retour dans son pays.
Il est l'objet d'une mesure d'éloignement en vigueur, telle que précitée, et qui fait obstacle à sa présence sur le sol français.
Il s'en déduit que la prolongation de sa rétention administrative demeure justifiée et nécessaire aux fins qu'il puisse être procédé effectivement à son éloignement.
Il convient par voie de conséquence de confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort,
Vu l'article 66 de la constitution du 4 octobre 1958,
Vu les articles L.741-1, L.742-1 à L.743-9 ; R.741-3 et R.743-1 à R.743-19, L.743.21 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
Vu le décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 pris pour l'application du titre VII de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, relatif à la simplification des règles du contentieux;
CONSTATANT qu'aucune salle d'audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention n'est disponible pour l'audience de ce jour ;
DÉCLARONS recevable l'appel interjeté par Monsieur [Z] [E] ;
CONFIRMONS l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
RAPPELONS que, conformément à l'article R.743-20 du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile, les intéressés peuvent former un pourvoi en cassation par lettre recommandée avec accusé de réception dans les deux mois de la notification de la présente décision à la Cour de cassation [Adresse 1].
Fait à la Cour d'Appel de NÎMES,
le 03 Septembre 2024 à
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
' Notification de la présente ordonnance a été donnée ce jour au Centre de rétention administrative de [Localité 3] à M. [Z] [E], par l'intermédiaire d'un interprète en langue anglaise
Le à H
Signature du retenu
Copie de cette ordonnance remise, ce jour, par courriel, à :
- Monsieur [Z] [E], par le Directeur du CRA de [Localité 3],
- Me Grégory LORION, avocat
,
- M. Le Préfet l'Aveyron
,
- M. Le Directeur du CRA de [Localité 3],
- Le Ministère Public près la Cour d'Appel de NIMES,
- Mme/M. Le Juge des libertés et de la détention.