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04/07/2024 | FRANCE | N°23/01735

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5e chambre pole social, 04 juillet 2024, 23/01735


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 23/01735 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I2NS



EM/DO



POLE SOCIAL DU TJ DE NIMES

06 avril 2023



RG :21/00168





S.A.S. [7]





C/



[P]

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU GARD



















Grosse délivrée le 04 JUILLET 2024 à :



- Me SERGENT

- Me THOMAS CO

MBRES

- CPAM GARD









COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

5e chambre Pole social



ARRÊT DU 04 JUILLET 2024





Décision déférée à la Cour : Jugement du Pole social du TJ de NIMES en date du 06 Avril 2023, N°21/00168



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Madame Evelyne...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 23/01735 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I2NS

EM/DO

POLE SOCIAL DU TJ DE NIMES

06 avril 2023

RG :21/00168

S.A.S. [7]

C/

[P]

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU GARD

Grosse délivrée le 04 JUILLET 2024 à :

- Me SERGENT

- Me THOMAS COMBRES

- CPAM GARD

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5e chambre Pole social

ARRÊT DU 04 JUILLET 2024

Décision déférée à la Cour : Jugement du Pole social du TJ de NIMES en date du 06 Avril 2023, N°21/00168

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 14 Mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 04 Juillet 2024.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A.S. [7]

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Jean jacques MARCE de la SCP MARCE ANDRIEU CARAMEL, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Sylvie SERGENT de la SELARL DELRAN-BARGETON DYENS-SERGENT- ALCALDE, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉES :

Madame [V] [P]

[Adresse 9],

[Adresse 9]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie THOMAS COMBRES, avocat au barreau de MONTPELLIER

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro N-30189-2023003434 du 20/06/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Nîmes)

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU GARD

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par M. [C] en vertu d'un pouvoir spécial

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 04 Juillet 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 23 avril 2019, Mme [V] [P] a été embauchée par la SAS [7] suivant contrat de travail à durée déterminée à temps plein, pour accroissement temporaire d'activité, puis suivant contrat à durée indéterminée à compter du 23 mai 2019, en qualité de brodeuse.

Le 1er août 2020, Mme [V] [P] a souscrit une déclaration de maladie professionnelle pour un 'syndrome canalaire du nerf ulnaire dans gouttière confirmé par EMG', sur la base d'un certificat médical initial établi le 1er juillet 2020 par le Dr [Y] [R] qui mentionne 'syndrome canalaire du nerf ulnaire dans la gouttière épitrochléo-olécranienne confirmée par EMG".

Le caractère professionnel de cette maladie a été reconnu par la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Gard le 14 décembre 2020 et l'état de santé de Mme [V] [P] a été déclaré guéri au 17 décembre 2020, aucune incapacité permanente partielle n'ayant été retenue.

Contestant le taux d'IPP fixé à 0, Mme [V] [P] a saisi la Commission médicale de recours amiable (CMRA) le 16 mars 2021, laquelle en sa séance du 21 juin 2021, a rejeté son recours.

Contestant cette décision, le 13 septembre 2021, Mme [V] [P] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes, lequel, par jugement du 12 janvier 2023, a fixé le taux d'incapacité permanente à hauteur de 5%. La CPAM du Gard a interjeté appel de cette décision.

Sollicitant la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, le 30 décembre 2020, Mme [V] [P] a saisi la CPAM du Gard pour mettre en oeuvre la procédure de conciliation. Après échec de cette procédure concrétisé par la signature d'un procès-verbal de non-conciliation le 05 février 2021, Mme [V] [P] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes le 17 février 2021, aux mêmes fins.

Par jugement du 06 avril 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes a:

- fait droit au recours en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7],

- dit le recours bien fondé,

- dit que la maladie professionnelle affectant Mme [V] [P] résulte de la faute inexcusable de l'employeur,

- dit n'y avoir lieu à majoration de la rente,

Avant dire droit au fond sur l'évaluation des préjudices complémentaires :

- ordonné une expertise médicale d'office et commis pour y procéder le Dr [Z] [D], avec les missions suivantes :

* se faire remettre par qui les détient tous les documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission,

* procéder à l'examen de Mme [V] [P] demeurant [Adresse 2],

* décrire les lésions subies à la suite de la survenance de la maladie professionnelle le 01 août 2020 et les soins qu'elle a nécessités,

* qualifier en utilisant les barèmes habituels :

° les souffrances physiques et morales endurées,

° le préjudice esthétique temporaire et permanent,

° le préjudice d'agrément,

° l'assistance d'une tierce personne,

°le déficit fonctionnel temporaire jusqu'à la date de consolidation fixée au 17 décembre 2020,

- dit que l'expert tiendra informée la présidente du pôle social chargée du contrôle des expertises, de l'avancement de ses opérations et des difficultés rencontrées,

- dit que l'expert déposera son rapport au greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Nimes dans un délai de 5 mois à compter de sa saisine,

- dit que l'expert remettre un pré-rapport aux parties qui ouvrira un délai d'un mois permettant de recueillir, le cas échéant, leurs observations,

- dit que les frais d'expertise seront avancés par la caisse étant rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R142-39 du code de la sécurité sociale, les frais d'expertise sont réglés, sans consignation préalable de provision, selon les modalités définies à l'article L141-5 du même code, ce dernier texte disposant que les frais d'expertise sont en charge des caisses qui pourront en obtenir le remboursement le cas échéant,

- dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Gard récupérera auprès de l'employeur les indemnités qu'elle sera amenée à verser directement à la victime, dans un délai de quinze jours, et avec intérêts au taux légal en cas de retard,

- renvoyé la cause et les parties à l'audience de mise en état du 07 novembre 2023,

- informé les parties que si elles ne se présentent pas à l'audience, elles doivent néanmoins présenter leurs observations ou tout autre élément qu'elles souhaitent transmettre à la juridiction avant 16 heures la veille de l'audience de mise en état,

- rejeté comme non fondées toutes autres conclusions contraires ou plus amples,

- réservé l'ensemble des demandes d'indemnisation,

- réservé les dépens.

Par acte du 23 mai 2023, la SAS [7] a régulièrement interjeté appel de cette décision dont il n'est pas justifié de la date de notification dans le dossier de première instance.

L'affaire a été fixée à l'audience du 14 mai 2024 à laquelle elle a été retenue.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, la SAS [7] demande à la cour de :

- recevoir l'appel et le dire bien fondé,

A titre principal :

- juger que la motivation du tribunal judicaire révèle un doute sur l'impartialité de la juridiction

devant entraîner la nullité du jugement dont appel,

- prononcer la nullité du jugement du tribunal judiciaire pôle sociale de Nîmes du 06 avril 2023

A titre subsidiaire :

- infirmer dans ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Nîmes du 6 avril 2023 et notamment en ce qu'il :

* l'a déboutée de sa demande de voir statuer que l'accident du travail de Mme [P] n'est pas dû à sa faute inexcusable,

* l'a déboutée de sa demande de voir débouter Mme Devauxde sa demande relative à la majoration de la rente,

* a fait droit au recours en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [7],

* a dit le recours bien fondé,

* a dit que la maladie professionnelle affectant Mme [V] [P] résulte de la faute inexcusable de l'employeur,

* a dit y avoir lieu à majoration de la rente,

* a ordonné, avant dire droit sur l'évaluation des préjudices complémentaires, une expertise médicale d'office et commis pour y procéder le Dr [D] [Z], avec les missions suivantes :

° de se faire remettre par qui les détient tous les documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission,

° de procéder à l'examen de Mme [V] [P] demeurant [Adresse 2] à [Localité 8],

° de décrire les lésions subies à la suite de la survenance de la maladie professionnelle le 01 août 2020 et les soins qu'elle a nécessités,

° de qualifier en utilisant les barèmes habituels : les souffrances physiques et morales endurées, le préjudice esthétique temporaire et permanent, le préjudice d'agrément, le préjudice sexuel, l'assistance d'une tierce personne, le déficit fonctionnel temporaire jusqu'à la date de consolidation fixée au 17 décembre 2020

* a dit que l'expert tiendra informée la présidente du pôle social chargée du contrôle des expertises de l'avancement de ses opérations et des difficultés rencontrées,

* a dit que l'expert déposera son rapport au greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes dans un délai de cinq mois à compter de sa saisine,

* a dit que l'expert remettra un pré-rapport aux parties qui ouvrira un délai d'un mois permettant de recueillir le cas échéant leurs observations,

* a dit que les frais d'expertise seront avancées par la caisse étant rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R 142-39 du code de la sécurité sociale les frais d'expertise sont réglés, sans consignation préalable de provision, selon les modalités définies à l'article L 141-5 du même code, ce dernier texte disposant que les frais d'expertise sont en charge des caisses qui pourront en obtenir le remboursement le cas échéant,

* a dit que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Gard récupérera auprès de l'employeur les indemnités qu'elle sera amenée à verser directement à la victime, dans un délai de quinze jours et avec intérêts au taux légal en cas de retard,

* renvoyé la cause et les parties à l'audience de mise en état du 07 novembre 2023,

* l'a déboutée de sa demande de voir Mme [P] condamnée à lui verser la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* l'a déboutée de sa demande de voir Mme [P] condamnée aux entiers dépens,

* a réservé les dépens.

En toute hypothèse,

- débouter purement et simplement Mme [P] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner Mme [P] à payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.

La SAS [7] soutient que :

- le jugement entrepris est nul ; les premiers juges ont écarté sans même l'expliquer l'ensemble des pièces qu'elle avait produites à l'audience et se fondent sur les deux seules attestations produites par Mme [P] manifestement orientées puisqu'elles émanent de ses amis proches et parfaitement irrecevables en ce qu'il s'agit de salariés n'ayant jamais exercé leur prestation de travail en contact direct de la salariée ; le principe du contradictoire a manifestement été méconnu ; on ne peut que constater un doute sur l'impartialité du jugement;

- elle conteste avoir commis une faute inexcusable ; Mme [P] invoque une faute à son encontre qui, même si elle était avérée, ne pourrait être la cause nécessaire de la maladie professionnelle dont elle est atteinte ; elle ne rapporte pas la preuve d'une faute de la société, qu'elle aurait dû avoir conscience du danger, ni le commencement de preuve qu'elle a manqué à son obligation de sécurité ; au contraire, elle ne rapporte qu'un seul élément fantaisiste qui ne correspond en rien à la réalité.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, Mme [V] [P] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le pole social du tribunal judiciaire de Nîmes le 6 avril 2023

En conséquence

- juger que la maladie professionnelle dont elle souffre est due à la faute inexcusable de la société [7],

- juger qu'elle a droit à la majoration de sa rente ainsi qu'à la réparation des préjudices complémentaires de ce fait,

- ordonner une expertise judiciaire confiée à tel médecin expert qu'il plaira avec pour mission de :

* fixer les degrés de préjudices qu'elle a subis, en ce qui concerne les souffrances physiques et morales, préjudice esthétique, temporaires et ou permanent,

* fixer le déficit fonctionnel temporaire, pour la période antérieure à la date de consolidation, incluant l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique,

* dire si elle devait être assistée d'une tierce personne avant la consolidation,

* dire dans l'hypothèse où la victime exerçait des activités sportives ou de loisir spécifique antérieur à l'accident, si l'existe un préjudice d'agrément et donner les éléments permettant de l'évaluer,

* dire si elle a subi un préjudice sexuel, et dans l'affirmative le définir en précisant si une atteinte des organes sexuels entravant la possibilité mécanique de réaliser un acte sexuel satisfaisant a été constaté ou s'il y a eu perte de la capacité à accéder au plaisir.

* dire si sa pathologie nécessite des frais d'aménagement de logement ou de véhicule adapté,

- condamner la société [7] à payer une somme provisionnelle de 3000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice,

- condamner la société [7] au paiement de la somme de 2400 euros TTC sur le fondement de l'article 37 de la loi du 31 juillet 1991, ainsi qu'aux entiers dépens.

Mme [V] [P] fait valoir que :

- le jugement entrepris n'est pas nul ; contrairement à ce que soutient la société, la seule motivation de la décision ne repose pas sur seulement deux attestations qu'elle a produites puisque sont repris la déclaration de la maladie professionnelle, l'étude de poste établie par la médecine du travail et le rapport de son conseiller lors de l'entretien préalable à son licenciement; les premiers juges ne sont pas contentés de reprendre les conclusions qu'elle avait produites en première instance, même en procédant à quelques adaptations de style ; la motivation n'est pas non plus lapidaire ; manifestement, la société mécontente, fait preuve de mauvaise foi ;

- l'employeur avait conscience du risque auquel elle était exposée ; elle l'avait alerté sur la nécessité de changer les cadres de broderie, et ce à plusieurs reprises,

- l'employeur n'a pas pris toutes les mesures pour éviter ce qui a conduit à la maladie professionnelle dont elle souffre.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, la CPAM du Gard demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle déclare s'en remettre à justice sur le point de savoir si la maladie professionnelle en cause est due à une faute inexcusable de l'employeur,

Si la cour retient la faute inexcusable :

1) constater qu'à ce jour, Mme [V] [P] ne bénéficie d'aucun taux d'incapacité permanente,

2) limiter l'éventuelle mission de l'expert à celle habituellement confiée en matière de faute inexcusable et mettre les frais d'expertise à la charge de l'employeur,

3) lui donner acte de ce qu'elle déclare s'en remettre à justice sur la demande de provision,

4) condamner l'employeur à lui rembourser dans le délai de quinzaine les sommes dont elle aura fait l'avance, assorties des intérêts légaux en cas de retard.

La CPAM du Gard fait valoir que :

- elle intervient dans la présente instance en tant que partie liée puisqu'il lui appartiendra, lorsque la cour se sera prononcée sur la reconnaissance de la faute inexcusable, de récupérer, le cas échéant, auprès de l'employeur, les sommes qu'elle sera amenée à verser à Mme [P],

- les préjudices qui sont déjà couverts totalement ou partiellement, forfaitairement ou avec limitation par le livre IV du code de la sécurité sociale ne peuvent donner lieu à indemnisation complémentaire ; parmi les postes couverts figurent notamment les incapacités temporaire et permanente, la perte de gains professionnels actuelles et futures et l'assistance à tierce personne après consolidation ; la Cour de cassation a reconnu que la rente indemnise d'une part les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent,

- dans l'hypothèse où une expertise serait ordonnée, la mission de l'expert sera limité à celle habituellement confiée en matière de faute inexcusable.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures déposées et soutenues oralement lors de l'audience.

MOTIFS

Sur la demande de nullité du jugement entrepris :

L'article 455 du code de procédure civile dispose que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé.

Il énonce la décision sous forme de dispositif.

L'article 458 du code de procédure civile prévoit que ce qui est prescrit par les articles 447,451,454, en ce qui concerne la mention du nom des juges, 455 (alinéa 1) et 456 (alinéas 1 et 2) doit être observé à peine de nullité.

Toutefois, aucune nullité ne pourra être ultérieurement soulevée ou relevée d'office pour inobservation des formes prescrites aux articles 451 et 452 si elle n'a pas été invoquée au moment du prononcé du jugement par simples observations, dont il est fait mention au registre d'audience.

Contrairement à ce que prétend la SAS [7], les premiers juges ont motivé leur décision en déterminant dans un premier temps les circonstances de la survenue de la maladie déclarée par Mme [V] [P] puis, dans un second temps, en caractérisant la faute inexcusable de l'employeur en se prononçant sur la conscience qu'il avait ou aurait dû avoir du risque encouru puis sur l'absence de mesures prises pour préserver la salariée de ce risque.

Les premiers juges ne se sont pas seulement fondés sur deux attestations produites par la salariée, puisqu'ils font également référence au rapport établi par l'AISMT, à la déclaration de maladie professionnelle et au rapport du conseiller salarié qui a assisté Mme [V] [P] à l'entretien préalable à son licenciement.

Quand bien même les premiers juges n'ont pas évoqué dans la décision critiquée l'intégralité des pièces produites par la société appelante, force est de constater qu'ils n'ont pas non plus fait référence à toutes les pièces communiquées par la salariée, et que la motivation des premiers juges ne constitue pas une simple transposition de la position de la salariée telle qu'elle a été adoptée dans ses conclusions agrémentée de quelques aménagements de style, de sorte qu'une motivation personnelle transparaît de leur décision.

La demande de nullité du jugement entrepris n'est donc pas fondée et sera en conséquence rejetée.

Sur la faute inexcusable sollicitée par Mme [V] [P] :

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il résulte de l'application combinée des articles L452-1 du code de la sécurité sociale, L4121-1 et L4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur et le fait qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, sont constitutifs d'une faute inexcusable.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ou de la maladie l'affectant; il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, étant précisé que la faute de la victime, dès lors qu'elle ne revêt pas le caractère d'une faute intentionnelle, n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable.

Il incombe, néanmoins, au salarié de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l'employeur dont il se prévaut'; il lui appartient en conséquence de prouver, d'une part, que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait ses salariés et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires concernant ce risque, d'autre part, que ce manquement tenant au risque connu ou ayant dû être connu de l'employeur est une cause certaine et non simplement possible de l'accident ou de la maladie.

Le tableau 57 B créé par décret du 02 novembre 1972 des maladies professionnelles relatives aux affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures du travail :

- désigne la maladie : 'Syndrome canalaire du nerf ulnaire dans la gouttière épitrochléo-olécrânienne confirmé par électroneuromyographie (EMG)',

- prévoit un délai de prise en charge de 90 jours sous réserve d'une durée d'exposition de 90 jours,

- liste les travaux susceptibles de provoquer ces maladies : travaux comportant habituellement des mouvements répétitifs et/ou des postures maintenues en flexion forcée, travaux comportant habituellement un appui prolongé sur la face postérieure du coude.

En l'espèce, i1 rcssort de la description du poste établie le 21 janvier 2021 par l'AISMT que Mme [V] [P] :

- exerce la fonction de brodeuse, qu'elle effectue comme tâches principales : brode des textiles en fonction des commandes des clients ; pas de broderie à la main mais utilisation d'une brodeuse industrielle ; le mode opératoire : la salariée prépare le programme informatique de la broderie, elle télécharge sur une clé USB et paramètre sa machine,

- la salariée fait environ 80 pièces par jour, elle travaillait sur des brodeuses à 6 têtes,

- pour poser les cadres, la salariée s'appuie sur un plan de travail ; l'employeur a essayé d'adapter la hauteur pour la salariée en sciant les pieds de ce dernier ; utilisation de ciseaux parfois et de découd vite ; force sur les épaules et pieds en extension pour clipser le cadre ; des documents photographiques illustrent ces gestes et notamment le mouvement d'extension des pieds et de pression des épaules,

- sources de danger : chute de plain pied lié à l'encombrement possible des locaux, chute d'objets : cadres, cartons, circulation interne, activité physique; manutention manuelle de charges (cartons de vêtements de poids et de tailles différents) gestes répétitifs, cadence élevée suivant les commandes, postures qui peuvent être contraignantes : travail debout essentiellement, en force pour enclencher les cadres sur les vêtements, produits, émissions et déchets...vibrations générées par les machines à broder lors de leur fonctionnement.

Les gestes ainsi effectués par Mme [V] [P] étaient répétitifs puisque la SAS [7] indique qu'elle réalisait en moyenne 81 broderies pendant sa journée de travail, soit 11 broderies à l'heure ; au vu des éléments qui précèdent, il apparaît que Mme [V] [P] était amenée à avoir un appui prolongé de la face antérieure des coudes notamment pour 'clipser' les cadres de broderie, et ce, de façon répétée, tout en étant en extension sur les pieds et qu'elle adoptait, dès lors, des mouvements de flexion forcée des épaules et des coudes.

Incontestablement, les travaux ainsi réalisés par Mme [V] [P] se rapportent directement à ceux listés dans le tableau n°57 des maladies professionnelles.

Sur la conscience du danger :

Mme [V] [P] soutient que l'employeur avait conscience du danger dans la mesure où elle l'avait alerté à plusieurs reprises sur la nécessité de procéder à des changements de cadres pour améliorer ses conditions de travail et produit à l'appui de son argumentation :

- trois attestations d'anciens salariés de la SAS [7] :

- M. [G] [T], graphiste : certifie avoir été témoin à plusieurs reprises que Mme [V] [P] a très clairement exprimé à la direction les difficultés qu'elle éprouvait à correctement exécuter son travail du fait d'un environnement et d'un matériel inadéquat, notamment les cadres de broderie non adaptés et une pièce trop exigue, les encadrants n'y ont pas répondu favorablement, ont répondu de façon agressive et l'ont renvoyée à son 'manque de volonté supposé',

- M. [H] [I], ouvrier : étant éloigné de l'atelier de broderie, ce n'est que lorsqu'il passait récupérer les typors à isoler...qu'il voyait les conditions dans lesquelles Mme [V] [P] travaillait ; il a constaté que Mme [V] [P] a demandé du matériel pour améliorer ses conditions et une bonne formation, en vain...suite à ces sollicitations, il s'en suivait des discussions houleuses avec M. [U] ( gérant de la société ) sans compter la pression qu'il lui 'mettait' pour qu'elle 's'exécute',

- M. [A] [K], sérigraphe : il a été salarié chez SAS [7] du 20/05/2019 au 14/06/2021 ; l'atelier présentait des conditions de travail déplorables, odeur de solvant... Mme [V] [P] a réclamé à plusieurs reprises du matériel ( cadres magnétiques...) nécessaires à l'amélioration de ses conditions de travail mais ses demandes sont restées sans suite ; le matériel en question a été acheté après le départ et les soucis médicaux de Mme [V] [P],

- un compte-rendu de l'entretien préalable au licenciement de Mme [V] [P] qui s'est tenu le 03 mars 2021, rédigé par M. [W] [O] qui l'a assistée : Mme [V] [P] rappelle avoir fait des sacrifices dans sa vie en venant travailler dans l'entreprise de M. [U] pour exercer son métier, évoque ses conditions de travail et plus particulièrement l'utilisation des cadres pour broder des casquettes qui ont provoqué en moins de deux ans la maladie qui l'handicape, elle dit avoir alerté à plusieurs reprises M. [U] sur la difficulté d'utilisation de cette machine et des conséquences physiques qu'elle impliquait au quotidien, avoir parlé de l'achat de 'cadres magnétiques' qui auraient évité les dégradations physiques ; Mme [V] [P] indique également que la formation qu'elle a reçue n'est pas appropriée et ne correspondait pas à la spécificité de la broderie sur casquette qui est une technique particulière.

Force est de constater que M. [U] ne s'insurge pas contre ces affirmations, répond qu'il s'agit d'un investissement de 16 000 euros 'pour du confort', reconnaît le non-confort de l'utilisation de certaines machines et qu'il n'est pas en mesure de faire cet investissement.

S'il n'est pas contesté que la machine sur laquelle intervenait Mme [V] [P] était informatisée et que la salariée n'avait, comme l'indique l'employeur, qu'un 'seul geste d'encadrement par broderie', une fois toutes les 5 minutes, il n'en demeure pas moins que ce geste manuel a généré des postures contraignantes comme rappelées précédemment et qu'il s'agit bien d'un geste répétitif, contrairement à ce qu'il prétend, dans la mesure où il se reproduit à l'identique à un rythme régulier.

Les trois attestations produites par d'anciens salariés de la SAS [7] ne peuvent pas être écartées au seul motif que ces témoins ont maintenu des contacts avec la salariée sur le site Facebook, alors que le contenu de leurs attestations est convergent au fond.

L'employeur affirme que ces témoins n'avaient pas de contacts avec Mme [V] [P], sur le lieu de travail, qu'ils ne se rencontraient qu'au moment des pauses, dans la salle de repos, sans pour autant en rapporter la preuve et sans démontrer qu'ils ne pouvaient pas accéder à la pièce dans laquelle la salariée travaillait.

Contrairement à ce que prétend l'employeur, les éléments produits par Mme [V] [P] sont suffisants pour établir qu'il a été alerté à plusieurs reprises sur la nécessité de procéder à des changements de cadre de broderie pour améliorer ses conditions de travail.

Les trois attestations, même si elles ne précisent pas les dates auxquelles la salariée a procédé à ces sollicitations, sont néanmoins circonstanciées puisque sont évoquées des discussions houleuses à ce sujet entre Mme [V] [P] et M. [U].

Par ailleurs, force est de constater que M. [U] ne remet en cause sérieusement les affirmations de Mme [V] [P] sur ce point lors de l'entretien préalable, M. [U] mettant plutôt en avant les dépenses d'investissement pour l'acquisition de matériel de 'confort', à savoir des cadres magnétiques qui pourtant auraient permis, outre une meilleure fiabilité de cerclage, un cerclage sans effort, peu importe que la machine sur laquelle intervenait Mme [V] [P] était neuve, en parfait état de fonctionnement, ne présentait pas d'anomalie et qu'elle était entretenue régulièrement.

Il se déduit des éléments qui précèdent que la SAS [7] avait incontestablement conscience, par les alertes données par la salariée, sur les risques auxquels Mme [V] [P] était exposée, étant précisé que la maladie professionnelle déclarée se rattachant au tableau n°57 des maladies professionnelles a été reconnue comme maladie professionnelle dès 1972.

Sur l'absence de mesures prises par l'employeur :

L'employeur justifie que Mme [V] [P] a suivi une formation pour l'utilisation de la brodeuse BARUDAN sur laquelle elle intervenait du 23/04 au 26/04/2019, notamment pour l'utilisation des cadres de broderie et des cadres casquette et justifie par la production d'une attestation du fournisseur que la machine est considérée comme 'fiable et rapide par sa simplicité d'utilisation, son faible bruit et sa haute technologie', et qu'une autre salariée, Mme [L] [J] certifie qu' 'il n'y a aucun souci de réalisation avec le même matériel',

La SAS [7] justifie avoir effectué l'achat de cadres magnétiques selon une facture datée du 31/03/2021, soit postérieurement à la déclaration de maladie professionnelle de Mme [V] [P] et à son licenciement qui a été notifié le 06 mars 2021.

M. [F] [U] justifie par ailleurs, avoir :

- validé le module relatif à la prévention des risques professionnels le 12 novembre 2020 auprès de l'INRS,

- signé un contrat de prévention des risques professionnels avec la CARSAT avec effet au 07 mai 2020, portant sur les risques chimiques, sur l'amélioration de la connaissance des risques professionnels du chef d'entreprise,

- signé une attestation le 15/04/2020 où il indique 'avoir un projet global d'investissement visant à minimiser voir supprimer totalement les problèmes de TMS ou risques chimiques au sein de' l'établissement et qu'un investissement est prévu pour 2020 et avoir acheté du matériel en octobre 2020 pour 90000 euros,

il n'en demeure pas moins que M. [U], qui pourtant était sensibilisé aux questions relatives aux risques professionnels, n'a pas fait droit aux sollicitations de Mme [V] [P] pour l'achat de cadres magnétiques avant son licenciement, lesquels auraient permis d'éviter en tout ou partie la persistante des postures contraignantes visées au tableau 57B susvisé, moyennant un investissement bien moindre que celui qu'il justifie avoir fait en octobre 2020.

Au vu des éléments qui précèdent, il apparaît que la SAS [7] qui avait conscience du danger auquel Mme [V] [P] était exposée n'a pas pris toutes le mesures nécessaires et efficaces pour l'en préserver.

C'est à bon droit que les premiers juges ont conclu que Mme [V] [P] a démontré la faute inexcusable de son employeur.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a reconnu la faute inexcusable de la SAS [7] dans la maladie professionnelle dont Mme [V] [P] a été victime au titre du tableau 57B des maladies professionnelles.

Sur l'évaluation des préjudices :

Mme [V] [P] justifie par la production de plusieurs pièces médicales, avoir subi des préjudices résultant de la maladie professionnelle dont elle a été victime :

- rapport médical d'évaluation du taux d'IPP établi par le service médical de la CPAM qui mentionne l' 'absence d'état antérieur' et un 'retentissement professionnel majeur',

- rapport de consultation médicale réalisé par le docteur [S] [X] 'Brodeuse de 35 ans au moment des faits victime d'une maladie professionnelle n°57B ...côté droit chez une droitière, ayant nécessité une intervention chirurgicale de libération, conserve comme séquelle une discrète diminution de l'efficacité des pinces paucidigitales',

- certificat médical du docteur [Y] [R] qui atteste le 08 mars 2021 que Mme [V] [P] ne peut plus travailler à son poste, ne peut plus conduire, ne peut plus porter de charges supérieures à 0,5 kgs,

- certificat médical du docteur [E] [M] le 26/03/2021 'récupération incomplète du bloc moteur cubital droit. Pas d'élément pour un double cruch. L'atteinte neurogène est surout proximale sur les muscles épitrochléens.',

- courrier du docteur [N] [B] du 03/05/2021 '...au niveau de la main il existe toujours une faiblesse au niveau des fléchisseurs profonds...paresthésies dans le territoire cubital...il est...étonnant qu'il n'y ait pas déjà une petite amélioration...',

- fiche renseignée par le médecin du travail le 04/02/2021 'Inapte. Pas de mouvements répétitifs avec les membres supérieurs, pas de port répété de charges, même légères, reste apte à un poste administratif, type bureau',

- reconnaissance du statut de travailleur handicapé par la Maison départementale des personnes handicapées le 06/04/2021.

Les pièces médicales produites justifient qu'il soit fait droit à la demande de provision à hauteur de 3000 euros.

Le jugement entrepris sera par ailleurs confirmé en ce qu'il a désigné un médecin expert aux fins d'évaluer les différents préjudices subis par Mme [V] [P] résultant de la maladie déclarée le 01 août 2020.

Enfin, quand bien même une procédure judiciaire en contestation du taux d'IPP est toujours en cours, il y a lieu de faire droit à la demande de majoration de la rente sollicitée par Mme [V] [P], pour le cas où le taux d'IPP fixé initialement par la CPAM du Gard serait infirmé ; dans le cas contraire, la majoration n'aurait pas d'objet.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière de sécurité sociale et en dernier ressort;

Juge que le jugement entrepris n'est pas nul,

Confirme le jugement rendu le 06 avril 2023 par le tribunal judiciaire de Nîmes, contentieux de la protection sociale, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de provision présentée par Mme [V] [P],

Statuant sur les dispositions réformées et y ajoutant,

Condamne la SAS [7] à payer à Mme [V] [P] la somme de 3 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation des préjudices,

Condamne la SAS [7] à payer à Mme [V] [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SAS [7] aux dépens de la procédure d'appel.

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5e chambre pole social
Numéro d'arrêt : 23/01735
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;23.01735 ?
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