La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2024 | FRANCE | N°23/01730

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5e chambre pole social, 04 juillet 2024, 23/01730


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 23/01730 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I2M7



EM/DO



POLE SOCIAL DU TJ DE PRIVAS

17 novembre 2022



RG :22/00064





CIPAV



C/



[P]



















Grosse délivrée le 04 JUILLET 2024 à :



- Me RIPERT

- Me PINCENT









COUR D'APPEL DE NÎMES<

br>


CHAMBRE CIVILE

5e chambre Pole social



ARRÊT DU 04 JUILLET 2024





Décision déférée à la Cour : Jugement du Pole social du TJ de PRIVAS en date du 17 Novembre 2022, N°22/00064



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 23/01730 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I2M7

EM/DO

POLE SOCIAL DU TJ DE PRIVAS

17 novembre 2022

RG :22/00064

CIPAV

C/

[P]

Grosse délivrée le 04 JUILLET 2024 à :

- Me RIPERT

- Me PINCENT

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5e chambre Pole social

ARRÊT DU 04 JUILLET 2024

Décision déférée à la Cour : Jugement du Pole social du TJ de PRIVAS en date du 17 Novembre 2022, N°22/00064

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 14 Mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 04 Juillet 2024.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

CIPAV

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Malaury RIPERT de la SCP LECAT ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Dispensée de comparution

INTIMÉ :

Monsieur [L] [P]

né le 09 Septembre 1969 à [Localité 6] (ITALIE)

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS

Dispensé de comparution

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 04 Juillet 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [L] [P] est affilié à la Caisse interprofessionnelle de Prévoyance et d'Assurance Vieillesse (CIPAV) sous le statut d'auto entrepreneur du fait de son activité de designer depuis le 1er janvier 2010.

Après s'être procuré un relevé de situation individuelle sur le site internet Groupement d'intérêt public Info Retraite, M. [L] [P] a saisi la Commission de recours amiable (CRA) de la CIPAV, par courrier du 05 janvier 2022, afin de contester la méthode de comptabilisation des points de retraite retenue par la CIPAV.

Contestant la décision implicite de rejet de la CRA, par requête en date du 17 mars 2022, M. [L] [P] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Privas afin que ses points de retraites complémentaire et de base soient rectifiés pour les années 2010 à 2020.

Par décision du 25 mars 2022, la CRA a déclaré la requête de M. [L] [P] irrecevable.

Par jugement du 17 novembre 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Privas a :

- fixé les points de retraite complémentaire attribués à M. [L] [P] à:

* 40 points pour l'année 2010,

* 40 points pour l'année 2011,

* 40 points pour l'année 2012,

* 36 points pour l'année 2013,

* 36 points pour l'année 2014,

* 36 points pour l'année 2015,

* 36 points pour l'année 2016,

* 36 points pour l'année 2017,

* 36 points pour l'année 2018,

* 36 points pour l'année 2019,

* 36 points pour l'année 2020,

- débouté M. [L] [P] de sa demande relative aux points de retraite de base,

- enjoint la CIPAV à rectifier le relevé de situation individuelle de M. [L] [P] conformément à ces dispositions,

- condamné la CIPAV à payer à M. [L] [P] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné la CIPAV à payer à M. [L] [P] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la CIPAV au paiement des dépens,

- débouté les parties de leurs plus amples demandes.

Par lettre recommandée datée du 23 novembre 2022 et reçue à la cour le 28 novembre 2022, la CIPAV a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Suite à ordonnance de radiation en date du 11 mai 2023, la CIPAV a sollicité la remise au rôle de son affaire par requête du 24 mai 2023.

L'affaire a été fixée à l'audience du 14 mai 2024 à laquelle elle a été retenue. Suite à leurs demandes, la CIPAV et M. [L] [P] ont été dispensés de comparaître à l'audience.

Par conclusions écrites, la CIPAV demande à la cour de :

- infirmer le jugement dont appel,

A titre principal :

- déclarer irrecevable le recours formé par M. [L] [P]

A titre subsidiaire :

- juger du bon calcul des points de retraite complémentaire de M. [L] [P],

- atrribuer à M. [L] [P] les points de retraite complémentaire suivants :

* 10 points de retraite complémentaire en 2010

* 10 points de retraite complémentaire en 2011

* 10 points de retraite complémentaire en 2012

* 9 points de retraite complémentaire en 2013

* 9 points de retraite complémentaire en 2014

* 18 points de retraite complémentaire en 2015

* 25 points de retraite complémentaire en 2016

* 13 points de retraite complémentaire en 2017

* 15 points de retraite complémentaire en 2018

* 20 points de retraite complémentaire en 2019

* 19 points de retraite complémentaire en 2020

- débouter M. [L] [P] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [L] [P] à lui verser la somme de 600 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager.

La CIPAV soutient que :

- à titre principal : le recours de M. [L] [P] est irrecevable dans la mesure où le relevé de situation individuelle qu'il s'est procuré via le site internet [5] ne constitue pas une décision de la caisse, élément nécessaire à la saisine de la CRA et où il n'a pas formé de demande préalable auprès d'elle ; il ne pouvait pas saisir directement le tribunal,

- à titre subsidiaire : le statut de auto-entrepreneur est un statut dérogatoire au régime 'normal' ouvrant droit à un régime de cotisation spécifique ; pour chaque période d'affiliation, le statut d'auto-entrepreneur permet aux professionnels libéraux, en fonction du chiffre d'affaires déclaré et donc du montant cotisé, de valider des trimestres de retraite et d'acquérir des points de retraite de base et de retraite complémentaire ; pour la période antérieure à 2016, le BNC est bien l'assiette de calcul des points ; cependant, l'auto entrepreneur ne déclare qu'un chiffre d'affaires brut mensuel ou trimestriel, le montant de ses recettes brutes correspondant aux factures effectivement encaissées sur lequel il ne peut pas déduire ses charges ; pour obtenir une assiette de cotisations équivalente au régime de droit commun, les cotisations de l'auto entrepreneur sont calculées sur le chiffre d'affaires après abattement de 34% reconstituant ainsi un revenu correspondant au BC et en application des articles L133-6-8 du code de la sécurité sociale et 102 du code général des impôts ; ce revenu professionnel reconstitué correspond au bénéfice imposable dans le cadre du régime fiscal de la micro-entreprise et plus précisément du bénéfice imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux pour une activité libérale ; M. [L] [P] commet une erreur en se fondant sur son chiffre d'affaires dans le calcul de ses points de retraite de base et complémentaire pour la période antérieure à 2016,

- sur la retraite complémentaire, le décret du 21/03/1979 a institué un régime d'assurance vieillesse complémentaire obligatoire pour ses adhérents et 8 classes de cotisations sont prévues; à chaque classe correspond un montant de cotisation dont le versement permet l'acquisition d'un nombre de points au titre du régime complémentaire ; chaque année, un décret fixe le montant forfaitaire des cotisations à verser pour bénéficier des points de la classe A du régime complémentaire ; le régime complémentaire de la caisse étant un régime obligatoire, ses statuts s'appliquent à tous ses assurés, quel que soit leur régime; les auto entrepreneurs étant soumis à un seuil de chiffre d'affaires ne peuvent en tout état de cause prétendre à 40 points sur la période de 2009/2012 ni à 36 points au delà de 2013 ; concernant les auto-entrepreneurs, il y a lieu d'opérer une distinction entre la période antérieure au 1er janvier 2016 pour laquelle une compensation du régime par l'Etat a été prévue et la période postérieure à cette date à partir de laquelle la compensation a pris fin ; entre 2009 et 2015, il y a lieu de s'assurer de la réalité des sommes versées tant par l'adhérent que par l'Etat au titre de la compensation pour déterminer le nombre de points dû au titre du régime complémentaire ; à compter du 1er janvier 2016, il y a lieu de vérifier pour chaque année, le montant de la cotisation versée par l'adhérent au titre de la retraite complémentaire pour lui attribuer les droits correspondants à la cotisation payée; elle fait donc une stricte application du principe de proportionnalité ; la détermination des points acquis par M. [L] [P] ne résulte que de l'application des dispositions réglementaires applicables au régime de l'auto-entrepreneur,

- le mode de calcul ainsi exposé a été expressément validé par le Ministère de l'économie et des Finances et le ministère des affaires sociales et de la santé et le secrétaire d'Etat chargé du budget ;

- M. [L] [P] ne justifie pas avoir subi un préjudice moral dont elle serait à l'origine à défaut de démontrer une faute, un dommage et un lien de causalité.

Par conclusions écrites et déposées, M. [L] [P] demande à la cour de:

- confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Privas du 17 novembre 2022, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande relative au points de retraite de base, à l'indemnisation de son préjudice moral,

- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral,

- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de l'appel abusif,

- condamner la CIPAV à lui verser la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.

M. [L] [P] fait valoir que :

- son recours est recevable et le jugement entrepris doit être confirmé sur ce point ; la recevabilité d'une contestation du contenu du relevé de situation individuelle à une date antérieure à la liquidation des droits est reconnue par la Cour de cassation, dans la mesure où il recèle une comptabilisation de droits à la retraite, par définition provisoire, susceptible de faire grief ; la demande en ligne de l'adhérent sur le site du [5] auquel la CIPAV renvoie elle-même génère autant de décisions dématérialisées que de caisses concernées dont la caisse en dernière page ; elle ne saurait sérieusement prétendre être extérieure à cette décision puisqu'elle est membre à part entière dudit groupement ; surtout, il est constant que la CIPAV est légalement tenue de mettre à jour le relevé de situation individuelle de ses adhérents ;

- s'agissant de la revalorisation des points, le 23 janvier 2020, la Cour de cassation par son arrêt Tate, a posé pour principe que l'article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 est seul applicable à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement à l'auto-entrepreneur inscrit à la CIPAV, en sorte qu'est inévitable la censure de la pratique de la CIPAV consistant à allouer des points de retraite complémentaire d'un montant inférieur à ceux de la première classe ; les relations financières entre l'Etat et la CIPAV sont étrangères à la question de comptabilisation des droits à la retraite, n'intéressent pas l'adhérent ; l'invocation d'une règle de 'proportionnalité' sans fondement textuel ou jurisprudentiel avéré apparaît incompatible avec la règle issue du décret susvisé qui vise un octroi de points forfaitaire ; le décret prime les statuts de la CIPAV qui ont la valeur d'un arrêté ministériel et doivent intéresser que le fonctionnement interne de l'organisme;

- la CIPAV ne s'explique pas sur le fait qu'à compter de 2016, elle prend en compte le bénéfice de l'auto entrepreneur pour calculer les points de retraite complémentaire puis au chiffre d'affaires à compter de cette date ; or, de manière constante, l'assiette à retenir pour déterminer la classe de revenu applicable de l'auto entrepreneur est celle du chiffre d'affaires qui constitue l'assiette spécifique des cotisations ; si l'auto entrepreneur est autorisé à régler un impôt sur le revenu calculé sur la base de son chiffre d'affaires grâce au prélèvement libératoire, l'abattement fiscal de 34% ne peut pas être transposé sans fondement textuel pour la détermination de la classe de revenu ;

- s'agissant des points de retraite de base, les parties s'accordent sur la formule de calcul des points de retraite de base des auto entrepreneurs mais sont contraires sur l'assiette de revenu puisque la CIPAV pratique à tort sur le chiffre d'affaires un abattement de 34%, ce qui conduit à une minoration des points de retraite de base de 34% ; la rectification des points de retraite de base doit donc être également opérée conformément au tableau de calcul qu'il produit ;

- il a subi un préjudice moral résultant de la minoration de sa retraite ; il souffre de stress lié à un sentiment d'impossibilité d'obtenir la rectification de ses droits ; la caisse s'acharne sur une activité indépendante pour subvenir à ses besoins et constate l'indifférence et le mépris de cette dernière ; cette attitude est exclusive de la bonne foi ;

- l'appel formé par la CIPAV est uniquement destiné à le décourager dans ses démarches et à profiter de l'effet suspensif lié à l'appel pendant une durée relativement longue ; la caisse n'a entrepris aucune démarche de régularisation des droits à retraite complémentaire de 300 000 auto-entrepreneurs concernés et force les plus courageux à saisir la justice tout au long de leur carrière pour obtenir au fil de l'eau le rectification de leurs points.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures déposées et soutenues oralement lors de l'audience.

MOTIFS

Sur la recevabilité du recours de M. [L] [P] :

L'article R142-1 du code de la sécurité sociale dispose que les réclamations relevant de l'article L. 142-4 formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d'administration de chaque organisme.

Cette commission doit être saisie dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision contre laquelle les intéressés entendent former une réclamation.

La forclusion ne peut être opposée aux intéressés que si cette notification porte mention de ce délai.

L'article R142-6 du même code stipule que lorsque la décision du conseil, du conseil d'administration ou de l'instance régionale ou de la commission n'a pas été portée à la connaissance du requérant dans le délai de deux mois, l'intéressé peut considérer sa demande comme rejetée.

Le délai de deux mois prévu à l'alinéa précédent court à compter de la réception de la réclamation par l'organisme de sécurité sociale. Toutefois, si des documents sont produits par le réclamant après le dépôt de la réclamation, le délai ne court qu'à dater de la réception de ces documents. Si le comité des abus de droit a été saisi d'une demande relative au même litige que celui qui a donné lieu à la réclamation, le délai ne court qu'à dater de la réception de l'avis du comité par l'organisme de recouvrement.

Le relevé de situation individuelle que les organismes et services en charge des régimes de retraite adressent périodiquement ou à leur demande, aux assurés comportent notamment pour chaque année pour laquelle des droits ont été constitués, selon les régimes, les durées exprimées en années, trimestres, mois ou jours, les montants de cotisations ou le nombre de points pris en compte ou susceptibles d'être pris en compte pour la détermination des droits à pension ; l'assuré est recevable à contester devant la commission de recours amiable puis la juridiction du contentieux général le montant des cotisations ou nombre de points figurant sur ce relevé (Cour de cassation, 2ème chambre civile, 11 octobre 2018, pourvoi N°17-25956).

Il s'en déduit que le relevé de situation individuelle constitue une décision dans le sens de l'article R142-1 susvisé et que l'assuré est recevable, s'il considère qu'il comporte des informations ou données erronées, à contester devant la CRA de la caisse, puis devant la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale, le report des durées d'affiliation, le montant des cotisations ou le nombre de points figurant sur le relevé de situation individuelle.

En l'espèce, force est de constater que lors de l'obtention de son relevé individuel de situation édité le 04 novembre 2021, M. [L] [P] a constaté que la CIPAV l'avait crédité de 145 points au titre de sa retraite complémentaire et 1078 points au titre de sa retraite de base pour la période 2010/2020 et qu'il a contesté le nombre de points qui lui était ainsi attribué, a saisi, à cet effet, la CRA de la caisse par courrier envoyé le 07 janvier 2022, puis, à défaut de décision explicite dans le délai imparti, a saisi le tribunal d'un recours contre la décision implicite de rejet de la CRA.

Il résulte des éléments qui précèdent que c'est à bon droit que les premiers juges ont conclu qu'il n'existe aucun texte obligeant l'affilié à effectuer une réclamation préalable auprès de la CIPAV avant de saisir la CRA et a précisé que cette commission est précisément un organe de la caisse et qu'en la saisissant, M. [L] [P] a respecté les termes de l'article R142-1 susvisé et que l'absence de mention des voies de recours sur ledit relevé ne saurait la priver dudit recours.

M. [L] [P] était donc recevable à contester les mentions ou omissions objets du relevé dont s'agit au titre des années soumises à l'examen de la CRA.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Sur la retraite complémentaire :

L'article L131-6-2 du code de la sécurité sociale dans ses versions applicables au litige énonce que les cotisations des travailleurs indépendants non agricoles ne relevant pas du régime prévu à l'article L. 133-6-8 sont dues annuellement. Leurs taux respectifs sont fixés par décret.

Elles sont calculées, à titre provisionnel, sur la base du revenu d'activité de l'avant-dernière année. Pour les deux premières années d'activité, les cotisations provisionnelles sont calculées sur la base d'un revenu forfaitaire fixé par décret après consultation des conseils d'administration des organismes de sécurité sociale concernés. Lorsque le revenu d'activité de la dernière année écoulée est définitivement connu, les cotisations provisionnelles, à l'exception de celles dues au titre de la première année d'activité, sont recalculées sur la base de ce revenu.

Lorsque le revenu d'activité de l'année au titre de laquelle elles sont dues est définitivement connu, les cotisations font l'objet d'une régularisation sur la base de ce revenu.

Par dérogation au deuxième alinéa, sur demande du cotisant, les cotisations provisionnelles peuvent être calculées sur la base du revenu estimé de l'année en cours. Lorsque le revenu définitif est supérieur de plus d'un tiers au revenu estimé par le cotisant, une majoration de retard est appliquée sur la différence entre les cotisations provisionnelles calculées dans les conditions de droit commun et les cotisations provisionnelles calculées sur la base des revenus estimés, sauf si les éléments en la possession du cotisant au moment de sa demande justifiaient son estimation. Le montant et les conditions d'application de cette majoration sont fixés par décret.

Lorsque les données nécessaires au calcul des cotisations n'ont pas été transmises, celles-ci sont calculées dans les conditions prévues à l'article L. 242-12-1.

Par renvoi à l'article L131-6 du même code, les revenus des professions indépendantes non soumises au statut d'auto-entrepreneur sont calculés par référence au revenu retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu.

L'article R133-30-10 du même code, en vigueur entre le 05 avril 2009 et le 01 janvier 2016 énonce que l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale reverse aux comptables publics compétents les sommes recouvrées en application du V de l'article 151-0 du code général des impôts aux dates fixées par arrêté des ministres chargés du budget et de la sécurité sociale.

Pour l'application des dispositions de l'article L. 131-7 au régime prévu à l'article L. 133-6-8, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale notifie à l'Etat la différence entre :

a) D'une part, le montant des cotisations et contributions sociales dont les travailleurs indépendants auraient été redevables au cours de l'année civile en application des articles L. 131-6, L. 136-3, L. 635-1, L. 635-5, L. 642-1, L. 644-1 et L. 644-2 du code de la sécurité sociale et de l'article 14 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, et,

b) D'autre part, le montant des cotisations et contributions sociales calculées en application de l'article L. 133-6-8.

Pour l'application des dispositions du présent article aux travailleurs indépendants relevant de l'organisme mentionné au 11° de l'article R. 641-1 du code de la sécurité sociale, est retenue au titre des régimes mentionnés aux articles L. 644-1 et L. 644-2 la plus faible cotisation non nulle dont ils auraient pu être redevables en fonction de leur activité en application des dispositions mentionnées au a du présent article.

L'article L133-6-8 du même code dispose dans ses différentes versions applicables, que les cotisations et contributions de sécurité sociale dont sont redevables les travailleurs indépendants mentionnés au II du présent article bénéficiant des régimes définis aux articles 50-0 et 102 ter du code général des impôts sont calculées mensuellement ou trimestriellement en appliquant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs recettes effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent un taux global fixé par décret pour chaque catégorie d'activité mentionnée aux mêmes articles.

Il résulte de la jurisprudence ( Cour de cassation 2ème chambre sociale, 23 janvier 2020, pourvoi n°18-15542) que les dispositions de l'article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 modifié sont les seules à être applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV.

Les modifications apportées à cet article par la loi n°2015-1702 du 21 décembre 2015 n'ont pas modifié le principe, la loi substituant à la notion de 'revenus non commerciaux effectivement réalisés', celle de 'recettes effectivement réalisées' . L'article L133-6-8 du code de la sécurité sociale étant dérogatoire n'opère pas de renvoi aux dispositions de l'article L131-6 du même code.

Il résulte de l'article 2 du décret n°79-262 du 21 mars 1979 que le régime d'assurance vieillesse complémentaire obligatoire, géré par la CIPAV et institué par l'article 1er de ce texte, comporte plusieurs classes de cotisations, auxquelles correspond l'attribution d'un nombre de points de retraite qui procède directement de la classe de cotisation de l'intéressé, déterminée en fonction de son revenu d'activité et dont le montant est fixé par décret sur proposition du conseil d'administration de cet organisme.

Le nombre de ces classes a été porté de six à huit par ce décret applicable aux cotisations dues à compter du 1er janvier 2013, auquel correspond l'attribution d'un nombre de points de retraite fixé à 40 points pour la première de ces classes pour l'année 2012 puis à 36 points à compter de 2013.

- la classe A portant attribution annuelle de 36 points,

- la classe B portant attribution annuelle de 72 points,

- la classe C portant attribution annuelle de 108 points,

- la classe D portant attribution annuelle de 180 points,

- la classe E portant attribution annuelle de 252 points,

- la classe F portant attribution annuelle de 396 points,

- la classe G portant attribution annuelle de 432 points,

- la classe H portant attribution annuelle de 468 points.

Les montants des cotisations des classes B, C, D, E, F, G et H sont respectivement égaux à 2,3,5,7,11,12 et 13 fois le montant de la cotisation de la classe A.

La cotisation due par chaque assujetti est celle de la classe à laquelle correspond, dans les conditions fixées par les statuts prévus à l'article 5, son revenu d'activité tel que défini à l'article L.131-6 du code de la sécurité sociale

En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [L] [P] s'est acquitté de ses cotisations telles qu'elles ont été déterminées selon les modalités prévues à l'article L133-6-8 du code de la sécurité sociale et que son revenu ne dépassait pas celui fixé par décret qui lui aurait permis de relever d'une classe supérieure.

L'absence de compensation appropriée par l'Etat au profit de la CIPAV de la différence entre la cotisation versée en application du statut d'auto entreprise et la cotisation dont le professionnel aurait été redevable s'il n'avait pas opté pour ce statut, peut difficilement être opposée à l'auto-entrepreneur qui bénéficie du statut incitatif instauré par les textes et des dispositions réglementaires applicables, de sorte que la caisse n'est pas fondée à s'appuyer sur le mécanisme de la compensation financière de l'Etat pour calculer les droits de l'assurée, l'article 2 du décret susvisé ne prévoyant pas que le calcul des points de retraite s'opère sur la base de 'la cotisation la plus faible non nulle dont l'adhérent aurait pu être redevable'.

La CIPAV ne démontre pas que ses statuts feraient obstacle à l'application des dispositions de l'article 2 du décret du 21 mars 1979 au profit de M. [L] [P], pour la période antérieure au 1er janvier 2016.

La CIPAV ne peut pas non plus se référer au bénéfice non commercial déclaré par l'auto entrepreneur en lieu et place du chiffre d'affaires pour déterminer à la baisse le revenu d'activité, et en conséquence, la classe de cotisation de l'affilié.

Par ailleurs, l'argument de la caisse selon lequel le nombre de points revendiqué par M. [L] [P] aurait pour effet de lui attribuer des points pour une valeur d'achat bien inférieure à celle fixée par le conseil d'administration de la caisse est inopérant, dans la mesure où il se heurte au principe du forfait social institué par des dispositions législatives.

Le seul fait pour M. [L] [P] d'avoir bénéficié du statut des auto-entrepreneurs ne correspond pas à une demande de réduction de la cotisation pour insuffisance de revenus, au sens de l'article 3.12 des statuts de la caisse, entraînant une réduction proportionnelle du nombre de points au titre de la complémentaire retraite.

Dès lors que M. [L] [P] a opté pour le régime micro-social, l'abattement pratiqué par la CIPAV n'est pas fondé.

Il résulte de l'article L133-6-8 susvisé que les cotisations et contributions sociales des entrepreneurs affiliés à la CIPAV sont calculées sur la base d'un taux de cotisation spécifique et global pour l'ensemble des garanties, y compris celles afférentes au régime d'assurance vieillesse de base, à l'exception de la contribution à la formation professionnelle, l'assiette retenue correspondant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs recettes effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent.

La CIPAV a communiqué le montant du chiffre d'affaires perçu par M. [L] [P] pendant la période litigieuse et indique s'être fondée sur les données communiquées par l'ACOSS (bénéfice non commercial) ; ces montants ne sont pas sérieusement contestés par M. [L] [P] :

2010 : 3 000 euros 2011 : 3 959 euros 2012 :13 416 euros 2013 : 6 600 euros

2014 : 9 163 euros 2015 :17 854 euros 2016 :18 239 euros 2017 : 9 874 euros

2018 : 12 200 euros 2019 :16 675 euros 2020 : 16 575 euros.

Le montant de son chiffre d'affaires révèle que M. [L] [P] relevait bien de la première des classes ; ses revenus lui permettaient ainsi de bénéficier entre :

2010 et 2012 : 40 points

2013 et 2020 : 36 points

La CIPAV doit donc être condamnée à rectifier le nombre de points de retraite complémentaire acquis par M. [L] [P] sous le statut auto-entrepreneur en le portant à 40 points entre 2010 à 2012, puis à 36 points entre 2013 et 2020.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Sur la retraite de base :

L'assiette de calcul des points du régime de retraite de base est le chiffre d'affaires réalisé, sans qu'il y ait lieu d'appliquer un abattement.

Contrairement à ce qu'allègue la CIPAV, l'article L.133-6-8 du code de la sécurité sociale, dans ses versions applicables, pose le principe du calcul des cotisations sur le chiffre d'affaires.

S'il précise que le taux spécifique applicable aux auto-entrepreneurs ne pas peut être, compte tenu des taux d'abattement mentionnés aux articles 50-0 ou 102 ter du (code général des impôts), inférieur à la somme des taux des contributions mentionnés à l'article L.136-3 du présent code et à l'article 14 de l'ordonnance n°96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale' pour autant les articles ainsi cités du code général des impôts ne régissent que le régime fiscal des auto-entrepreneurs alors que les cotisations dues par ces derniers, calculées à un taux spécifique, sont assises sur leur chiffre d'affaires et sans référence à une déduction pour charges, dès lors qu'il a été opté pour le régime de la micro-entreprise

Il convient de rappeler que la mention d'un abattement de 34% mentionné à l'article L133-6-8 susvisé ne s'applique sur les prestations attribuées qu'à compter du 1er janvier 2018, de sorte qu'il n'y a pas lieu de procéder, comme l'a fait la CIPAV à un abattement de ce montant sur le chiffre d'affaires perçu par M. [L] [P] pour le calcul du nombre de ses points de retraite de base.

Par ailleurs, la CIPAV a pris en compte pour le calcul du nombre de points de retraite de base le bénéfice non commercial tandis que M. [L] [P] a pris en considération le montant de son chiffre d'affaires. Or, l'article L133-6-8 susvisé fait bien référence au chiffre d'affaires.

A l'appui de son argumentation, M. [L] [P] produit un tableau précis et complet sur lequel il a mentionné pour chaque année correspondant à la période litigieuse, soit 2009/2020, le montant du plafond annuel de la sécurité sociale, le calcul de la valeur du point et le calcul des points de retraite de base calculés en application de l'article D643-1 du code de la sécurité sociale ; force est de constater que la CIPAV ne conteste pas sérieusement les données chiffrées ainsi présentées et le mode de calcul appliqué par l'intimé.

Il convient en conséquence de faire droit à ce chef de demande ; le jugement entrepris sera donc infirmé en ce sens.

Sur la demande de dommages et intérêts :

L'article 1240 du code civil énonce que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et l'article 1241 du même code ajoute que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

L'article 9 du code de procédure civile fait obligation à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Il incombe donc à celui qui invoque un préjudice de rapporter la preuve.

Si dans son rapport annuel 2017, la Cour des comptes avait dénoncé 'une absence anormale de rétablissement des auto-entrepreneurs dans leurs droits' et a 'réitéré sa recommandation de rétablir dans la plénitude de leurs droits les auto-entrepreneurs concernés entre 2009 et 2015, sur la base d'une cotisation minimale recalculée', il n'en demeure pas moins que le différend opposant la CIPAV à M. [L] [P] sur les modalités de calcul de ses droits à pension ne suffit pas à caractériser l'existence d'une faute de la part de la caisse.

La résistance de la CIPAV ne peut pas être qualifiée d'abusive ou de fautive.

De même, M. [L] [P] ne démontre pas que l'appel interjeté par la CIPAV présente un caractère abusif.

M. [L] [P] sera donc débouté de ses demandes de dommages et intérêts et le jugement entrepris infirmé en ce qu'il a condamné la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse à lui payer la somme de 500 euros de dommages et intérêts.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière de sécurité sociale et en dernier ressort ;

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Privas, contentieux de la protection sociale, le 17 novembre 2022, en ce qu'il a :

- fixé les points de retraite complémentaire attribués à M. [L] [P] à :

* 40 points pour l'année 2010

* 40 points pour l'année 2011,

* 40 points pour l'année 2012,

* 36 points pour l'année 2013,

* 36 points pour l'année 2014,

* 36 points pour l'année 2015,

* 36 points pour l'année 2016,

* 36 points pour l'année 2017,

* 36 points pour l'année 2018,

* 36 points pour l'année 2019,

* 36 points pour l'année 2020,

- enjoint la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse à rectifier le relevé de situation individuelle et le montant de la pension de retraite versée à M. [L] [P] conformément à ces dispositions,

- condamné la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse à payer à M. [L] [P] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse au paiement des dépens,

- débouté les parties de leurs plus amples demandes à l'exception de celle présentée par M. [L] [P] au titre de la rectification des points de sa retraite de base,

L'infirme pour le surplus,

Statuant sur les dispositions réformées,

Fixe le nombre de points de retraite de base à attribuer à M. [L] [P] comme suit :

*2010 : 45,9 points

* 2011 : 59,3 points

* 2012 : 194,5 points

* 2013 :94,4 points

* 2014 : 129,2 points

* 2015 :248,8 points

* 2016 : 250,3 points

* 2017 :133,4 points

* 2018 : 162,7 points

* 2019 : 218,1 points

* 2020: 213,6 points,

Déboute M. [L] [P] de ses demandes de dommages et intérêts,

Y ajoutant,

Condamne la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse à payer à M. [L] [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Condamne la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse aux dépens de la procédure d'appel.

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5e chambre pole social
Numéro d'arrêt : 23/01730
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;23.01730 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award