RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/00214 - N° Portalis DBVH-V-B7G-IKBZ
POLE SOCIAL DU TJ D'AVIGNON
16 décembre 2021
RG :18/528
CPAM DE VAUCLUSE
C/
[K]
Grosse délivrée le 04 JUILLET 2024 à :
- CPAM VAUCLUSE
- Me HANOCQ
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5e chambre Pole social
ARRÊT DU 04 JUILLET 2024
Décision déférée à la Cour : Jugement du Pole social du TJ d'AVIGNON en date du 16 Décembre 2021, N°18/528
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère
Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère
GREFFIER :
Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l'audience publique du 07 Mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 04 Juillet 2024.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
CPAM DE VAUCLUSE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Dispensée de comparution
INTIMÉ :
Monsieur [E] [K]
né le 03 Février 1977
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Elisabeth HANOCQ de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS ELISABETH HANOCQ, avocat au barreau D'AVIGNON
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/003411 du 15/06/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Nîmes)
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par M. Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 04 Juillet 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.
FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [E] [K] a bénéficié d'indemnités journalières au titre d'un arrêt de travail du 22 février 2016 au 4 décembre 2017.
Par décision notifiée le 29 novembre 2017, la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse a informé M. [E] [K] que son arrêt de travail n'était plus médicalement justifié à compter du 5 décembre 2017 et qu'il pouvait donc reprendre une activité professionnelle.
Contestant cette décision, M. [E] [K] a sollicité la mise en oeuvre d'une expertise technique sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de la sécurité sociale.
Le docteur [I] a été désigné pour procéder à cette expertise et a effectué sa mission le 29 janvier 2018.
Par décision notifiée le 28 mars 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse a confirmé qu'elle considérait que l'arrêt de travail de M. [E] [K] n'était plus médicalement justifié à compter du 5 décembre 2017.
Contestant cette décision, M. [E] [K] a saisi la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse laquelle, par décision du 24 avril 2018, a rejeté son recours.
Par requête du 16 avril 2018, M. [E] [K] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance d'Avignon en contestation de la décision de la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse du 24 avril 2018.
Par ordonnance du 7 avril 2021, le président du pôle social du tribunal judiciaire d'Avignon a ordonné une expertise médicale et a désigné le docteur [U] pour y procéder.
Le docteur [U] a déposé son rapport le 4 août 2021.
Par jugement du 16 décembre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire d'Avignon a :
- rejeté la demande de contre-expertise formée par la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse
- dit que l'état de santé de M. [E] [K] ne lui permettait pas de reprendre une activité professionnelle quelconque à la date du 5 décembre 2017,
- déclaré irrecevable la demande du requérant tendant à dire que son état de santé justifie une mise en invalidité totale et définitive à l'exercice de son activité professionnelle et de toute activité professionnelle,
- débouté les parties du surplus de leurs prétentions,
- condamné la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse à payer les entiers dépens de l'instance.
Par acte du 17 janvier 2022, la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 27 décembre 2021.
Par arrêt du 28 septembre 2023, la chambre sociale de la cour d'appel de Nîmes a :
- infirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 décembre 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire d'Avignon,
Statuant à nouveau,
- ordonné une expertise médicale,
- désigné pour y procéder le docteur [X] [J](...)
- sursis à statuer sur les demandes plus amples formées par les parties,
- renvoyé l'affaire et les parties à l'audience du 13 mars 2023 à 14h00 et dit que la notification du présent arrêt vaut convocation,
- réservé les dépens d'appel.
Par avis du 23 novembre 2023, l'examen de l'affaire a été déplacé à l'audience du 07 mai 2024.
Le Dr [J] [X] a déposé son rapport le 19 février 2024, lequel est conclu en ces termes :
'- A la question 1 : Dire si, à la date du 5 décembre 2017, l'état de santé de M. [E] [K] lui permettait de reprendre une activité professionnelle.
- À la date du 05/12/2017, l'état de santé de M. [E] [K] ne lui permettait pas de reprendre une activité professionnelle.
A la question 2 : Dans la négative, dire à quelle date l'état de santé de M. [E] [K] lui permettait de reprendre une activité professionnelles quelconque,
- faire toutes observations utiles pour la résolution du litige : L'état de santé de M. [E] [K] permettait la reprise d'une activité professionnelle quelconque à la date du 01/02/2019.
- Observation : La MDPH a reconnu M. [E] [K] comme travailleur handicapé le 10/10/2023.'
Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse demande à la cour de :
- dire que M. [E] [K] pouvait reprendre une activité salariée quelconque à la date du 5 décembre 2017,
- débouter M. [E] [K] de l'intégralité de ses demandes.
La CPAM de Vaucluse soutient que :
- aucune prise en charge n'a été effectuée entre le 5 décembre 2017 et le 1er février 2019, ce que confirme le pneumologue en date du 1er février 2019,
- l'état clinique ne nécessitait pas d'arrêt de travail au-delà du 5 décembre 2017, avec état stabilisé avec incapacité inférieure aux 2/3 motivant l'arrêt des indemnités journalières.
Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience, M. [E] [K] demande à la cour de :
- homologuer le rapport d'expertise judiciaire déposée initialement par le Docteur [U], désigné par le pôle social du tribunal judiciaire d'Avignon;
- dire que son état de santé ne lui permettait pas de reprendre une activité professionnelle quelconque à la date du 5 décembre 2017,
En conséquence,
- annuler la décision de rejet de la caisse du 28 mars 2018 ;
- dire que son état de santé ne lui permet pas de reprendre une activité professionnelle quelconque ;
- condamner la CPAM au paiement des entiers dépens de l'instance, distraits comme en matière d'aide juridictionnelle.
M. [E] [K] fait valoir que :
- les deux experts s'accordent sur le fait qu'il n'était pas en capacité de reprendre une activité professionnelle quelconque à la date du 5 décembre 2017,
- la date du 1er février 2019 retenue par le Dr [X] comme étant celle à laquelle il pouvait reprendre une activité est contredite par le Dr [U] désigné par le premier juge, mais également par les éléments médicaux qu'il verse aux débats,
- il convient d'homologuer le rapport du Dr [U], les conclusions du Dr [X] ne tenant pas compte des pièces médicales qu'il a produites.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures déposées et soutenues oralement lors de l'audience.
MOTIFS
Par application des dispositions de l'article L 321-1 dans sa version applicable au litige, l'assurance maladie comporte ( ... ) 5°) L'octroi d'indemnités journalières à l'assuré qui se trouve dans l'incapacité physique constatée par le médecin traitant, selon les règles définies par l'article L. 162-4-1, de continuer ou de reprendre le travail ; l'incapacité peut être également constatée, dans les mêmes conditions, par la sage-femme dans la limite de sa compétence professionnelle et pour une durée fixée par décret ; toutefois, les arrêts de travail prescrits à l'occasion d'une cure thermale ne donnent pas lieu à indemnité journalière, sauf lorsque la situation de l'intéressé le justifie suivant des conditions fixées par décret. ( ... ).
Ainsi, le bénéfice des indemnités journalières est subordonné à la seule constatation de l'incapacité physique de l'assuré de reprendre le travail , cette incapacité s'analysant non pas dans l'inaptitude de l'assuré à remplir son ancien emploi, mais dans celle d'exercer une activité salariée quelconque.
En l'espèce, M. [E] [K] a été placé en arrêt de travail à compter du 22 février 2016 et a bénéficié d'indemnités journalières jusqu'au 4 décembre 2017, date à compter de laquelle la Caisse Primaire d'assurance maladie a considéré qu'il était en capacité de reprendre une activité professionnelle.
Le Dr [I] désigné pour procéder à une expertise technique a effectué sa mission le 29 janvier 2018 et a conclu ' le patient présente une insuffisance respiratoire mise en évidence par l'EFR du 03/02/2017, avec une capacité vitale à 70% environ de la normale, l'examen des membres ne met en évidence aucun déficit. Il existe probablement un aménagement du poste de travail à envisager après du médecin du travail mais la pathologie présentée ne rend pas l'assuré inapte à tout travail. Depuis le 05/12/2017, il n'y a aucun projet thérapeutique particulier'.
Le Dr [U], expert désigné par le premier juge a dans son rapport daté du 4 août 2021 conclu en ces termes :
' A la date du 05.12.2017, l'état de santé de M. [E] [K] ne lui permettait pas de reprendre une activité professionnelle du fait de la gêne respiratoire, des douleurs intercostales et des traitements mis en oeuvre du fait de leur traitement sur la vigilance et les possibilités de déplacements (...) A ce jour, si l'on tient compte des différents éléments de l'interrogatoire, de l'examen clinique et des différentes explorations, l'état de santé de M. [E] [K] ne lui permet pas de reprendre une activité quelconque.'
Suite au dire du médecin conseil de la Caisse Primaire d'assurance maladie faisant état d'une évolution favorable de la pathologie prise en charge, et indiquant ' vous faites état d'un TDM du 26.10.2020 largement postérieur à la date du 05.12.2017 qui confirme la non évolutivité de la pathologie respiratoire avec mise en évidence d'une hernie hiatale. Cette pathologie digestive ne peut justifier un arrêt de travail en 2017. Il en est de même de la petite intervention pour trouble statique du pied droit en avril 2021 ( seul un arrêt de travail limité se justifie)' ; le Dr [U] a précisé ses conclusions ' pour moi l'élément dominant sont les séquelles douloureuses dues à la thoracotomie qui justifient la prise d'un traitement morphinique avec les retentissements sur la vigilance et l'attention nécessaire dans le cadre d'une activité professionnelle, le retentissement respiratoire étant stabilisé comme indiqué. Concernant l'aménagement possible du poste de travail aucun document ne m'a été fourni. Le seul concernant la visite auprès du médecin de la Santé au travail en date du 06.12.2017 est peu explicite quant à cette possibilité et au délai de reprise. (...) La pathologie digestive, le syndrome anxio-dépressif et l'intervention chirurgicale sur le pied ne sont effectivement que des éléments associés, sans rapport évident avec la cause de l'arrêt de travail'.
Le Dr [X], expert désigné par la présente cour a, dans son rapport daté du 12 février 2024, conclu que ' à la date du 05/12/2017, l'état de santé de M. [E] [K] ne lui permettait pas de reprendre une activité professionnelle' et ' l'état de santé de M. [E] [K] permettait la reprise d'une activité professionnelle quelconque à la date du 01/02/2019".
L'expert précise dans la motivation de son rapport que lors de la visite de reprise auprès du médecin du travail le 6 décembre 2017, celui-ci indiquera ' dyspnée + difficultés respiratoires, proposition d'une reprise à temps partiel thérapeutique dans quelques mois;' 'je pense qu'une reprise actuelle est prématurée, il faudrait envisager une revalidation pour qu'il puisse reprendre le travail dans quelques mois, de préférence en temps partiel thérapeutique'. Il mentionne un traitement inchangé depuis le 22 février 2016 à base d'antalgiques de classe III ( morphinique ).
Il retient à la date du 5 décembre 2017, outre les certificats médicaux du médecin traitant en date du 29 novembre 2017 qui estime qu'une mise en invalidité serait souhaitable, le certificat médical du médecin du travail en date du 6 décembre 2017 et l'expertise technique du Dr [I], qu'il existe une insuffisance respiratoire franche ainsi que des douleurs de type neuropathiques intercostales droites nécessitant une prise de morphine en patch tous les trois jours.
Pour expliquer la capacité à reprendre une activité professionnelle quelconque le 1er février 2019, l'expert se réfère au certificat médical du pneumologue, le Dr [V], qui retient à cette date une ' insuffisance ventilatoire due au léger surpoids mais les débits sont parfaits. Il n'y a aucun traitement spécifique. Je lui demande d'essayer de perdre 3/4 kilos dans les mois à venir et surtout de faire une kiné spécialisée'.
Pour remettre en cause l'incapacité à reprendre une activité professionnelle au 5 décembre 2017, la Caisse Primaire d'assurance maladie de Vaucluse fait valoir qu'une réorientation professionnelle aurait dû être envisagée dès cette date, et qu'aucune prise en charge particulière n'est intervenue entre le 5 décembre 2017 et le 1er février 2019.
Pour remettre en cause la date du 1er février 2019 comme permettant la reprise d'une activité professionnelle quelconque, M. [E] [K] fait valoir:
- qu'il a bénéficié de kinésithérapie jusqu'au 23 avril 2019, puis jusqu'au 10 janvier 2024, lesquelles ne sont toutefois pas incompatibles avec une reprise d'activité en l'absence d'élément médical en ce sens,
- que le Dr [T] [C] retenait le 1er juin 2022 une persistance des douleurs thoraciques, et une dyspnée chronique à l'effort,
- qu'une radiographie thoracique a mis en évidence la présence d'une hernie gastrique transhiatale le 22 juin 2022, pour laquelle le Dr [U] dans le cadre de son expertise a retenu qu'elle ne présentait pas de lien avec la pathologie respiratoire,
- qu'il a été reconnu travailleur handicapé le 17 octobre 2023, ce qui confirme cependant une capacité à reprendre un travail,
- qu'un scanner thoracique a mis en évidence une anomalie du lobe thyroïdien gauche en date du 29 novembre 2023 ce qui est sans rapport avec la pathologie respiratoire,
- que dans un certificat médical en date du 16 janvier 2024, le Dr [T] [C] mentionne la découverte en octobre 2022 d'une sclérose en plaque, laquelle est toutefois sans lien avec la pathologie respiratoire.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que contrairement à ce qui est soutenu par la Caisse Primaire d'assurance maladie, à la date du 5 décembre 2017, l'état de santé de M. [E] [K] ne lui permettait pas de reprendre une activité professionnelle quelconque, en raison notamment des douleurs traitées par antalgique à base de morphine.
S'agissant de la date à laquelle il était en capacité de reprendre une activité professionnelle, fixée au 1er février 2019 par le Dr [X], force est de constater que les éléments dont se prévaut M. [E] [K] pour la contester sont relatifs à des pathologies diagnostiquées postérieurement à la prise en charge de sa pathologie respiratoire pour laquelle le Dr [V], pneumologue, a considéré qu'à cette date elle ne donnait plus lieu à traitement spécifique.
Le fait que l'évolution de son état de santé ait pu nécessiter postérieurement au 1er février 2019 de nouveaux arrêts de travail ne remet pas en cause le fait qu'à cette date, il était en capacité de reprendre une activité professionnelle quelconque.
Il en résulte qu'à la date du 5 décembre 2017 et jusqu'au 1er février 2019, M. [E] [K] n'était pas en capacité de reprendre une activité professionnelle quelconque.
La décision de la Caisse Primaire d'assurance maladie en date du 29 novembre 2017 sera en conséquence annulé et M. [E] [K] renvoyé devant la Caisse Primaire d'assurance maladie de Vaucluse pour faire valoir ses droits.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, en matière de sécurité sociale, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Vu l'arrêt de la présente cour en date du 28 septembre 2023,
Juge que M. [E] [K] n'était pas en capacité de reprendre une activité professionnelle quelconque à la date du 5 décembre 2017, et ce jusqu'au 1er février 2019,
Annule la décision de la Caisse Primaire d'assurance maladie de Vaucluse en date du 28 mars 2018,
Renvoie M. [E] [K] devant la Caisse Primaire d'assurance maladie de Vaucluse pour l'examen de ses droits à indemnités journalières pour la période du 5 décembre 2017 au 1er février 2019,
Rejette les demandes plus amples ou contraires,
Condamne la Caisse Primaire d'assurance maladie de Vaucluse aux dépens de première instance et de la procédure d'appel.
Arrêt signé par le président et par la greffiere.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,