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21/06/2024 | FRANCE | N°23/03811

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 4ème chambre commerciale, 21 juin 2024, 23/03811


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS















ARRÊT N°



N° RG 23/03811 - N° Portalis DBVH-V-B7H-JAVU



CO



PRESIDENT DU TC DE NIMES

29 novembre 2023

RG:2023R104



S.A.S. SERIACAM INGENIERIE



C/



S.A.S. PHAREA





























Grosse délivrée

le 21 JUIN 2024

à

Me Emmanuelle VAJOU Me Sylvie

SERGENT















COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale





ARRÊT DU 21 JUIN 2024





Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Président du TC de NIMES en date du 29 Novembre 2023, N°2023R104



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Mme Christine COD...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 23/03811 - N° Portalis DBVH-V-B7H-JAVU

CO

PRESIDENT DU TC DE NIMES

29 novembre 2023

RG:2023R104

S.A.S. SERIACAM INGENIERIE

C/

S.A.S. PHAREA

Grosse délivrée

le 21 JUIN 2024

à

Me Emmanuelle VAJOU Me Sylvie SERGENT

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale

ARRÊT DU 21 JUIN 2024

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Président du TC de NIMES en date du 29 Novembre 2023, N°2023R104

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,

Madame Claire OUGIER, Conseillère,

Madame Agnès VAREILLES, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Isabelle DELOR, Greffière à la Chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 16 Mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 21 Juin 2024.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A.S. SERIACAM INGENIERIE, Société par actions simplifiée, immatriculée au RCS de Nîmes sous le numéro 902 972 652, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité en son siège social,

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LX NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Pierre DEGOUL, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

INTIMÉE :

S.A.S. PHAREA société par actions simplifiée, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés de LYON sous le numéro 533 500 393, ayant son siège social [Adresse 1], agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié es qualités audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Sylvie SERGENT de la SELARL DELRAN-BARGETON DYENS-SERGENT- ALCALDE, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Affaire fixée en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile avec ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 02 Mai 2024

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 21 Juin 2024,par mise à disposition au greffe de la Cour

EXPOSÉ

Vu l'appel interjeté le 8 décembre 2023 par'la SAS Seriacam ingénierie à l'encontre de l'ordonnance de référé rendue le 29 novembre 2023 par le tribunal de'commerce de Nîmes dans l'instance n°'2023R00104 ;

Vu l'ordonnance de fixation de l'affaire à bref délai du 19 décembre 2023 ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 12 mars 2024 par la SAS Seriacam ingénierie, appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 15 février 2024 par la SAS Pharéa, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure du 19 décembre 2023 à effet différé au 2 mai 2024 ;

***

Par acte du 14 avril 2021, la SAS Pharéa a acquis l'intégralité des titres de la société VKP auprès de Monsieur [R] [HG] (1.000 actions) et de Monsieur [K] [O] (500).

Cet acte stipulait des obligations de non-concurrence et de non-sollicitation à la charge seulement de Monsieur [HG] qui était l'actionnaire majoritaire et président de la société VKP.

Le 1er septembre 2021, Monsieur [O] a constitué la société Seriacam ingénierie -ci-après Seriacam.

Arguant d'une concurrence déloyale par l'exercice d'une activité similaire à partir d'un siège social situé à [Localité 3], soit à moins de dix kilomètres de l'agence cédée de [Localité 4], et se plaignant d'une politique commerciale et de recrutement très agressive ciblant les clients et salariés cédés, la société Pharéa a mis en demeure la société Seriacam de cesser cette activité et de l'indemniser de ses préjudices, par courrier du 23 mars 2023.

Sur requête de la société Pharéa et par ordonnance de référé du 13 juillet 2023, le tribunal de commerce de Nîmes l'a autorisée, au visa des articles 145, 493 et suivants, et 874 et suivants du code de procédure civile, à faire procéder par huissier de justice, à l'encontre de la société Seriacam, à toutes recherches et constatations utiles, et procéder à la saisie de tous documents dont pourrait résulter la preuve des faits allégués, avec séquestre provisoire pendant trente jours.

Le 4 septembre 2023, il était procédé par huissier de justice à cette saisie au siège de la société Seriacam.

Par exploit du 2 octobre 2023, la société Sériacam a fait assigner la société Pharéa devant le tribunal de commerce de Nîmes en rétractation de cette ordonnance.

Par ordonnance du 29 novembre 2023, le tribunal de commerce de Nîmes a, au visa des articles 514 et 514-1 aliéna 3, 14, 145, 874, 875, 493 et suivants du code de procédure civile, et des articles L151-1 et R152-1 et suivants du code de commerce,

«'déclar(é) être compétent pour connaître des demandes de la SAS Seriacam ingénierie,

constat(é) que la mesure d'instruction prononcée par l'ordonnance en date du 13 juillet 2023, par le président du tribunal de commerce de Nîmes sur requête de la SAS Pharéa, est justifiée par un motif légitime et que l'absence de débat contradictoire est justifiée compte tenu du risque de déperdition de preuves,

débout(é) la SAS Seriacam ingénierie, de sa demande en rétractation,

mainten(u) l'ordonnance en date du 13 juillet 2023, en toutes ses dispositions,

ordonn(é) la remise des documents saisis, après sélection par le commissaire de justice, à la SAS Pharéa, dans un délai de huit jours à compter de la présente décision,

débout(é) la SAS Seriacam ingénierie, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions en toutes fins qu'elles comportent,

condamn(é) la SAS Seriacam ingénierie à régler à la SAS Pharéa la somme de 2.000,00 euros, au titre des dispositions de 1'article 700 du code de procédure civile,

rejet(é)toutes autres demandes, fins et conclusions contraires,

di(t) la présente décision exécutoire de plein droit,

condamn(é) la SAS Seriacam ingénierie, aux dépens prévus à l'article 695 du code de procédure civile et les (a) liquid(és) conformément à l'article 701 du code de procédure civile.'»

La société Seriacam a relevé appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions, à l'exception de celle par laquelle le tribunal s'est déclaré compétent.

***

Dans ses dernières conclusions, l'appelante demande à la cour, au visa des articles 415, 493, 496, 497 et 875 du code de procédure civile, statuant sur son appel,

«'Le déclarant recevable et bien fondé,

Y faisant droit,

(d')infirmer la décision entreprise en (toutes les dispositions déférées),

Statuant à nouveau,

infirmer l'ordonnance entreprise,

En conséquence,

rétracter l'ordonnance rendue le 13 juillet 2023 par le président près le tribunal de commerce de Nîmes à la requête de la société Pharéa,

annuler toutes les constatations et diligences et les copies et procès-verbaux réalisés en exécution de cette ordonnance,

ordonner la restitution au représentant de la société Seriacam de tous les documents sur support papier ou numérique saisis le 5 septembre 2023 par l'huissier instrumentaire,

Subsidiairement,

modifier l'ordonnance rendue le 13 juillet 2023 par le président près le tribunal de commerce de Nîmes à la requête de la société Pharéa,

dire que la seule investigation légalement admissible est : Rechercher et prendre copie de tous les fichiers et messages, notamment courriels, comprenant les mots-clés ou une combinaison des mots-clés suivants

' concernant les salariés qui ont quitté la société VKP après le 14 avril 2021, aux fins de vérifier s'ils ont été démarchés en vue de leur embauche par la société Seriacam ingénierie :

Monsieur [X] [J],

Monsieur [G] [W],

Madame [N] [H],

Monsieur [B] [C],

Monsieur [T] [V],

Madame [MO] [P],

Monsieur [OG] [Z],

Monsieur [S] [F],

Monsieur [SX] [U].

Monsieur [OG] [M],

Monsieur [E] [Y],

Monsieur [A] [D],

Monsieur [L] [I].

annuler toutes les constatations et diligences et les copies et procès-verbaux réalisés en exécution de cette ordonnance en relation avec les clients de la société Seriacam,

ordonner la restitution au représentant de la société Seriacam de tous les documents sur support papier ou numérique saisis le 5 septembre 2023 par l'huissier instrumentaire en relation avec les clients de la société Seriacam,

débouter la SAS Pharéa, de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires et de tout appel incident,

condamner la SAS Pharéa, à payer à la SAS Seriacam ingénierie, la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de 1ere instance et d'appel ».

La société Seriacam soutient tout d'abord que l'ordonnance attaquée permet une mesure générale d'investigation prohibée par la loi.

La mesure doit être circonscrite aux faits litigieux tels que décrits dans la requête et ne peut porter que sur des éléments de preuve en rapport direct avec les faits dénoncés. Or si les faits dénoncés dans la requête sont seulement relatifs à de la concurrence déloyale par démarchage de clients et débauchage de salariés, la mission telle que fixée à l'ordonnance donne toute latitude à l'huissier pour investiguer et saisir tout document en relation avec «'des faits de violation du secret des affaires'», notion qui n'a jamais été évoquée dans la requête.

De plus, «'ces recherches ne sont limitées dans aucune limite chronologique'».

L'appelante fait en outre valoir que l'effet de surprise, condition nécessaire à la procédure d'ordonnance sur requête et qui justifie l'absence de contradictoire, est en l'espèce absente puisque dès le 23 mars 2023, la société Pharéa avait exposé par courrier à la société Seriacam ses récriminations et celle-ci avait alors tout loisir de dissimuler tous éléments prétendument compromettants. Considérant la stratégie ainsi mise en place, la disproportion des moyens sollicités interroge à tout le moins puisque lors de ce courrier, la société Pharéa considérait manifestement, selon les propos comminatoires tenus, être assez armée pour intenter un procès. Le recours à une procédure sur requête, non contradictoire, est donc disproportionné puisqu'inutile.

En second lieu, l'objet des mesures d'instruction ne nécessitait pas de dérogation au principe du contradictoire': la production du registre unique du personnel de la société Seriacam aurait suffi à répondre aux interrogations de la société Pharéa quant au débauchage de salariés, et celle du bilan avec la balance-clients et le grand livre -clients aurait également permis d'évaluer le démarchage de clients reproché.

Enfin, alors que doivent être justifiés des indices suffisants rendant vraisemblables les soupçons de la société requérante à la mesure, la requête de la société Pharéa ne qualifiait aucun commencement d'un acte de concurrence déloyale, ne la déduisant que de la création le 1er septembre 2021 de la société Seriacam. Les quatre pièces produites ne comportaient aucun élément objectif et vérifiable, s'agissant d'une attestation irrégulière en la forme et non probante, et de pages d'un site Linkedin publiques faisant seulement état de l'embauche de deux anciens salariés de la société VKP par la société Seriacam -ce que rien n'interdit.

Ainsi, il est seulement allégué l'existence d'une société concurrente dont la création n'est pourtant prohibée par aucune clause de non-concurrence, le débauchage de salariés alors qu'une seule des 35 salariés de la société VKP a intégré l'effectif de la société Seriacam après sa démission, et sans preuve d'un quelconque démarchage de celle-ci, et il n'est pas davantage justifié qu'un seul client de la société VKP serait passé dans le portefeuille de la société Seriacam.

A titre subsidiaire, si devait être retenue comme justifiée la vraisemblance d'un débauchage de salariés constituant des indices sérieux, objectifs et vérifiables de faits de concurrence déloyale, la mesure devrait être réduite aux investigations sur ces faits, à l'exclusion de tout autre.

***

Dans ses dernières conclusions, la société Pharéa, intimée, demande à la cour, au visa des articles 145, 493, 700, 874 et 875 du code de procédure civile, de

«'Confirmer purement et simplement l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de commerce de Nîmes le 29 novembre 2023,

Débouter la société Seriacam de l'intégralité de ses demandes,

Condamner la société Seriacam à payer la somme de 7.000 euros à la société Pharéa au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Seriacam aux entiers dépens'».

Elle rappelle que la mission sollicitée et ordonnée tend à la saisie de tous documents «'d'où pourrait résulter la preuve des faits allégués, de leur origine, de leur nature, de leur étendue ou présentant un rapport avec des faits de violation de secret des affaires et/ou de concurrence déloyale'», que le cumul des conjonctions de coordination est synonyme d'alternative et que ce sont ainsi les faits de concurrence déloyale expressément visés dans la requête qui sont concernés par cette mission.

Les recherches confiées à l'huissier de justice étaient parfaitement circonscrites dans l'ordonnance, sur le plan matériel puisqu'elles portaient sur la liste des clients institutionnels de la société VKP et des salariés ayant quitté cette société après le 14 avril 2021, et sur le plan temporel puisque la période était précisée.

Elle ajoute que l'effet de surprise était la condition de réussite de la mesure sollicitée, s'agissant, comme précisé dans sa requête, de preuves informatiques présentant un fort risque de déperdition.

Enfin, l'intimée fait valoir que l'attestation qu'elle a produite est à tout le moins un commencement de preuve parfaitement recevable, la preuve étant libre entre commerçants, et que les faits qu'elle cite ne sont pas démentis par les assertions de l'appelante.

De même, les pages Linkedin produites démontrent que les quatre anciens salariés de la société VKP ne se retrouvent pas par hasard dans les effectifs de la société Seriacam qui a été créée moins de cinq mois après la cession et qui est située à moins de 10 kilomètres de l'ancienne agence VKP, pour exercer une activité strictement similaire. Ces éléments objectifs et vérifiables suffisaient à caractériser la vraisemblance d'actes constitutifs de concurrence déloyale.

Aucune modification de l'ordonnance sur requête n'est davantage justifiée sauf à vider la mesure d'investigation de sa substance.

***

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

Sur le fond':

Selon l'article 145 du même code, « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

L'article 497 du code de procédure civile dispose que le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire.

L'instance en rétractation a pour seul objet de soumettre à un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l'initiative d'une partie en l'absence de son adversaire.

Le juge saisi d'une demande de rétractation d'une décision ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, doit s'assurer de l'existence d'un motif légitime à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement au jour où le juge des requêtes a statué.

En revanche, si les circonstances nouvelles apparues à la faveur de l'exécution de la mesure ordonnée ne sauraient justifier à posteriori la mesure prise, il résulte du principe dégagé, de manière constante, par la Cour de cassation que le juge de la rétractation doit apprécier l'existence d'un motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête initiale et de ceux produits ultérieurement devant lui (notamment Civ. 2è 17 mars 2016 n°15-13.343).

Il appartient au requérant de justifier de la recevabilité et du bien-fondé de sa requête et non au demandeur à la rétractation de démontrer que ces conditions ne sont pas réunies (Civ., 2è, 21 octobre 1987, n°86-14.978, publié).

-Sur l'absence de contradictoire :

L'article 493 du code de procédure civile dispose que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

L'article 495 du même code précise que l'ordonnance sur requête est motivée et il est retenu par la jurisprudence que l'ordonnance qui vise la requête en adopte les motifs et satisfait à cette obligation (Civ. 1ère 24 octobre 1978 n°77-11.513).

En l'espèce, la requête déposée par la société Pharéa le 12 juillet 2023 précise en page 9 que « S'agissant d'une utilisation d'informations stratégiques confidentielles de VKP/PHAREA. il parait impératif de connaître l'ampleur de la fuite des données de VKP/PHAREA qui ne pourra être constatée valablement et exhaustivement que par un huissier désigné et autorisé non contradictoirement à se rendre sur place. Les faits énoncés ci-dessus mettent en évidence un risque important de déperdition des preuves informatiques. En effet, si SERIACAM INGENIERIE venait à prendre connaissance de la présente procédure, il est fortement à craindre qu'elle tenterait de faire disparaitre les éléments informatiques caractérisant ses actes de concurrence déloyale à l'encontre de PHAREA ou tout autre élément pouvant mettre en jeu sa responsabilité délictuelle.'»

L'ordonnance rendue sur cette requête le 13 juillet 2023 vise expressément cette motivation en indiquant : « attendu qu'il est démontré l'existence de circonstances exigeant qu'une mesure urgente ne soit pas prise contradictoirement », et la fait donc sienne.

La motivation du recours à une procédure contradictoire est ainsi circonstanciée en ce qu'il est fait état non seulement d'un risque de déperdition des preuves mais également de la nécessité d'un effet de surprise par une mesure exercée sur tous les éléments informatiques et documents de la société Seriacam.

Il est relevé le risque évident de dépérissement des preuves, s'agissant principalement de documents informatiques, pièces par essence furtives et susceptibles d'être aisément détruites ou altérées, même à distance et même par un tiers au saisi.

Le seul fait que certaines pièces auraient pu être communiquées et obtenues de façon contradictoire est sans objet, tenant toutes celles dont il était légitimement à craindre qu'elles soient dissimulées ou complètement effacées et détruites, s'agissant précisément d'une mesure pratiquée en particulier sur des supports informatiques.

Et c'est vainement que l'appelante soutient que ses seuls registres du personnel et livres comptables auraient suffi alors qu'elle expose par ailleurs, à juste titre, que la seule embauche d'un personnel ayant anciennement travaillé pour la société VKP, ou l'existence d'une clientèle commune ne suffit pas à caractériser des faits délictuels de concurrence déloyale.

Par ailleurs, le courrier daté du 23 mars 2023 et adressé par le conseil de la société Pharéa à la société Seriacam ainsi qu'à Monsieur [O], reprend l'exposé des faits reprochés à celle-ci, liste les préjudices qui en découleraient pour la première et met en demeure la société Seriacam d'indemniser ces préjudices tels qu'évalués, mais également de cesser toute activité concurrente. Il précise, in fine, que ce conseil a «'d'ores et déjà reçu mandat pour introduire toute action judiciaire tant à votre encontre, que de celle de la société Seriacam ingénierie ('), afin d'obtenir votre condamnation et la cessation immédiate, sous astreinte, de (son) activité déloyale et concurrente'».

Ce courrier constitue une démarche initiée par l'intimée aux fins d'un rapprochement amiable des parties. Pour autant, il n'ôte pas la pertinence de la mesure d'investigation sollicitée dans la mesure où d'une part, celle-ci demeure utile, et d'autre part, l'effet de surprise persiste.

La mesure reste utile dès lors que les assertions formulées dans l'exposé du courrier ne permettent pas à d'établir une preuve suffisante pour engager ab initio une instance judiciaire contentieuse, même si l'intention en est annoncée.

Et elle conserve un effet de surprise dès lors que la société Sericam pouvait légitimement considérer que l'annonce faite par ce courrier resterait sans suite face à ses dénégations par courriel du 5 avril 2023.

Ainsi, les circonstances précises, propres au cas d'espèce, exigeaient que la mesure d'instruction sollicitée ne soit pas prise contradictoirement.

-Sur l'existence d'un motif légitime :

Pour apprécier l'existence d'un motif légitime, pour une partie, de conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige dans le cadre de l'article 145 du code de procédure civile, il n'appartient pas à la juridiction des référés de trancher le débat de fond sur les conditions de mise en 'uvre de l'action que cette partie pourrait ultérieurement engager (Civ 2è 19 janvier 2023 n° 21-21.265).

Le juge n'a donc pas à porter une appréciation sur le fond du litige et il ne peut être exigé de la société requérante qu'elle démontre la concurrence déloyale qu'elle invoque, et ce d'autant moins que l'objet de sa requête est précisément de lui permettre d'en ménager la preuve.

Il s'agit seulement de vérifier qu'il existe une potentialité de procès et que l'action au fond n'est pas manifestement vouée à l'échec.

En l'espèce, la société Pharéa verse aux débats :

une attestation de Monsieur [R] [HG] - président, associé majoritaire et cessionnaire de la société VKP, datée du 17 mars 2023,

des captures d'écran du site «'Linkedin.com'» concernant Madame [N] [H] et Monsieur [X] [J],

les statuts de la société Seriacam ingénierie en cours de constitution à la date du 1er septembre 2021.

S'agissant de l'attestation, quelle qu'en soit sa régularité formelle puisqu'elle ne tend à ce stade de la procédure, qu'à constituer un «'indice'» des faits reprochés et non une preuve judiciaire, il n'est en tout état de cause pas contesté qu'elle émane véritablement de Monsieur [HG]. Il y est mentionné que, si aucune clause de non-concurrence n'a été négociée dans le cadre de la cession à l'encontre de Monsieur [O] c'est parce que cela est apparu «'inutile'» compte tenu de ce qu'il «'n'intervenait plus dans la direction de l'entreprise depuis de nombreux mois'» et «'semblait totalement désintéressé de l'activité de la société VKP, et ce, tant pour le présent que pour le futur'». Et il est précisé par Monsieur [HG] qu'il n'avait pas été informé par Monsieur [O] de son projet de création de la société Seriacam.

Il est ensuite fait état des informations apportées à l'attestant par le président de la société Pharéa -ce qui n'est d'aucune utilité pour les débats.

Mais, Monsieur [HG] atteste également'«'que l'un de ces salariés (qui faisaient partie de la société VKP lors de sa cession et qui auraient -selon les dires du président de la société Pharéa, été démarchés par Monsieur [O] et auraient rejoint les effectifs de la société Seriacam) n'est autre que Monsieur [B] [C], lequel a participé à la création de la société Seriacam ingénierie en souscrivant le 1er septembre 2021 au capital social à concurrence de la délivrance de 980 actions (sur un total de 10.000) alors même qu'il n'a quitté les effectifs de la société VKP que courant mars 2022'».

Or cet élément est encore accrédité par les statuts produits par ailleurs et qui établissent que Monsieur [C] est effectivement, aux côtés de Monsieur [O], un associé fondateur de cette société Seriacam dont le siège social est d'ores et déjà fixé à [Localité 3] et qui a une activité concurrente à celle qu'avait VKP dans son agence voisine de quelques kilomètres -ce qui n'est en l'instance pas contesté.

Les pages du site «'Linkedin.com'» telles que communiquées mentionnent que Madame [H] comme Monsieur [J] ont travaillé, comme responsable qualité pour la première, et comme chargé d'affaires technique pour le second, pour la société VKP de, respectivement, novembre 2012 à octobre 2022, et mars 2015 à mars 2022, avant d'être embauchés dès novembre 2022 pour Madame, et en juillet 2022 pour Monsieur, par la société Seriacam ingénierie comme chargée d'affaires et projeteur-chef de groupe, tous deux en contrats à durée indéterminée.

Il en ressort clairement une similitude quant au départ, après cession de la société VKP, de ces deux salariés qui travaillaient depuis plusieurs années dans cette société, au profit des effectifs fixes de la société Seriacam directement concurrente née après cette cession.

Tous ces éléments concordants constituent des indices d'agissements déloyaux, par détournement d'employés mais aussi possiblement de clientèle tenant l'emploi de Madame [H] sur un poste de chargée d'affaires, de la société Pharéa au profit de la société Seriacam, susceptibles d'occasionner à la société Pharéa un préjudice, et suffisamment sérieux et concordants pour caractériser la potentialité d'une action au fond en indemnisation, non manifestement vouée à l'échec.

Les pièces produites par l'appelante pour démentir ces éléments n'en affectent pas la pertinence.

L'empêchement de Monsieur [O] pour raisons de santé sur la période de juillet 2020 au 5 janvier 2021 dont il justifie peut contribuer à expliquer son «'désintérêt'» de la société VKP tel que perçu par Monsieur [HG], mais n'a plus cours lors de la cession intervenue le 14 avril 2021, pas plus que lors de la création de la société Seriacam ingénierie -immatriculée le 8 septembre 2021.

Le tableau comprenant une liste de noms produit en pièce 10, intitulé «'liste de salariés/mandataires sociaux et rémunérations'», et qui était annexé à l'acte de cession et désignant les salariés de l'entreprise VKP cédée, comme s'accordent à le retenir les deux parties, confirme bien seulement au contraire la pertinence des noms cités comme mots-clés dans la mesure d'investigation ordonnée.

De même, le certificat de travail concernant Monsieur [J] (pièce 12 de l'appelante) établit que cet ancien salarié de la société VPK qui, selon le site Linkedin, a quitté celle-ci en mars 2022, a certes travaillé un mois après pour la société Fouré-Lagadec jusqu'au 13 juillet 2022, mais aussi qu'il en est parti moins de trois mois plus tard -au cours de sa période d'essai selon les propres termes de l'appelante (page 13), pour rejoindre alors immédiatement l'effectif de la société Seriacam dans le cadre d'un CDI, Monsieur [J] estimant même cette expérience intermédiaire suffisamment brève et inutile pour ne pas la mentionner sur son curriculum vitae de ce site spécialisé.

Encore, le témoignage de Madame [H] qui certifie que seuls «'la désorganisation de la société Pharéa et son management délétère'» ont motivé sa décision de quitter ses fonctions au sein de cette société est nécessairement empreint d'une subjectivité qui en ôte tout l'intérêt.

Enfin, l'exercice par Monsieur [C] d'une activité parallèle dans le cadre d'une micro-entreprise alors qu'il était salarié de la société VKP et avec l'autorisation de celle-ci, est étranger à la concurrence déloyale dont se plaint la société Pharéa dans le cadre de la création de la société Seriacam par le débauchage des anciens salariés et de la clientèle de la société VKP acquise le 14 avril 2021.

-Sur le caractère légalement admissible de la mesure :

Constituent des mesures légalement admissibles, les mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi (Civ. 2è 24 mars 2022 n°20-21.925).

N'est ainsi pas une mesure d'instruction légalement admissible la mesure générale d'investigation qui s'entend, selon la cour de cassation, comme une perquisition civile. Sont sanctionnées à ce titre les mesures qui portent sur l'ensemble d'une activité de la société, ou tendent à la collecte de toute information quels qu'en soient l'ancienneté, l'objet, l'origine, ou le support, dans le cadre de données informatiques.

Le secret des affaires ou la protection des données personnelles ne sont pas des obstacles absolus aux mesures d'instruction si le juge constate que les mesures ordonnées procèdent d'un motif légitime, si les mesures demandées sont nécessaires à la protection des droits de la partie requérante et si elles ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l'autre partie.

En l'espèce, les mesures d'instruction demandées et ordonnées concernent le siège social de la société Seriacam à [Localité 3] «'et en tout autre lieu que les opérations de constat pourraient révéler'», ce qui supposerait un lien direct établi avec l'huissier de justice instrumentaire lors de l'exercice de sa mission. La mesure est donc géographiquement strictement délimitée et circonscrite.

Selon mentions de l'ordonnance du13 juillet 2023, la mesure porte sur « toutes recherches et constatations utiles dans le but de découvrir la nature, l'origine et l'étendue des faits de concurrence déloyale de la société Seriacam ingénierie. Et notamment sur tous supports, physique ou informatique utilisés ou détenus par la société Seriacam ingénierie, le cas échéant en lui demandant les codes d'accès'».

Mais cette mission dont il est déjà exigé qu'elle ne peut concerner que des faits de concurrence déloyale, est ensuite strictement limitée puisqu'il est précisé': «'et (ce qui constitue une exigence supplémentaire)':

Rechercher et prendre copie de tous les fichiers et messages, notamment courriels, comprenant les mots-clés ou une combinaison des mots-clés suivants':

Concernant les clients institutionnels de la société VKP, inclus dans le prix de cession payé par la société Pharéa et potentiellement détournés au profit de la société Seriacam ingénierie, aux fins de vérifier si la société Seriacam ingénierie effectue ou a effectué des prestations pour eux (suit une liste de 29 noms et des identifiants correspondants),

Concernant les salariés qui ont quitté la société VKP après le 14 avril 2021, aux fins de vérifier s'ils ont été embauchés par la société Seriacam ingénierie (suit une liste de 13 prénoms et noms),

Procéder à toute recherche informatique utile, par mots-clés, notamment en utilisant les termes visés ci-dessus, sur la période comprise entre la cession des titres de la société VKP du 14 avril 2021 et le prononcé de l'ordonnance sur requête'».

Etaient ainsi précisément fixées les limites de la mesure à des documents en lien direct avec les faits de concurrence déloyale dénoncés et concernant directement la société Pharéa pour être relatifs aux clients et salariés acquis avec la société VKP le 14 avril 2021.

Ne pouvaient être ainsi appréhendés dans le cadre de cette mesure que les documents en lien direct avec les faits de concurrence déloyale tels que dénoncés et sur les deux volets dénoncés ' débauchage de personnel et démarchage de clientèle, et concernant des personnes directement concernées par ces faits telles que nominativement citées, sur la seule période postérieure à la cession pouvant être l'objet du litige.

La mesure ordonnée était ainsi non seulement strictement circonscrite dans le temps et dans son objet à ce qui était nécessaire pour satisfaire le droit à la preuve de la société Pharéa mais également proportionnée au regard des droits de la société Seriacam, puisque toutes ses autres données et informations étaient préservées de la saisie.

C'est à ce sujet vainement que l'appelante fait reproche à la mission confiée par l'ordonnance de référé à l'huissier de justice de viser «'tout document en relation avec des faits de violation du secret des affaires'» en isolant cette phrase de son contexte.

En effet, cette formule apparait seulement dans l'énoncé des procédés autorisés'en paragraphe 4': «'autorisons l'huissier à rechercher, à compulser puis, à copier y compris sur un support informatique, sur le champ, tous documents, tels que notamment': devis, factures'et autres échanges de correspondances ou courriers électroniques, et plus généralement, tous documents quelconques quel qu'en soit le support d'où pourrait résulter la preuve des faits allégués, de leur origine, de leur nature, de leur étendue ou présentant un rapport avec des faits de violation de secret des affaires et/ou de concurrence déloyale'».

La mission ayant, préalablement à ce paragraphe, été strictement et expressément circonscrite à «'toutes recherches et constatations utiles dans le but de découvrir la nature, l'origine et l'étendue des faits de concurrence déloyale de la société Seriacam ingénierie'», elle n'avait aucune portée générale mais se limitait strictement à ces seuls faits.

Enfin, le fait qu'un séquestre provisoire de tous les éléments recueillis soit organisé par la décision constitue une précaution supplémentaire, permettant de vérifier dans tout le déroulement de la mesure autorisée, et après son exécution, qu'elle reste strictement limitée à ce qui est nécessaire à la détermination de la preuve des faits de concurrence déloyale allégués par la société Pharéa, requérante, et l'atteinte portée aux droits de la société Seriacam strictement limitée et proportionnée au but poursuivi.

Tous les moyens soulevés par les appelants étant ainsi rejetés, c'est à juste titre que le tribunal de commerce de Nîmes a, par ordonnance du 29 novembre 2023, rejeté les demandes en rétractation de l'ordonnance rendue le 13 juillet 2023, et la décision déférée est confirmée.

Sur les frais de l'instance':

L'appelante, qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance et payer à l'intimée une somme équitablement arbitrée à 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS':

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions';

Y ajoutant,

Dit que la SAS Seriacam ingénierie supportera les dépens d'appel et payera à la SAS Pharéa une somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par la présidente et par la greffiere.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 23/03811
Date de la décision : 21/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-21;23.03811 ?
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