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18/06/2024 | FRANCE | N°21/03641

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5ème chambre sociale ph, 18 juin 2024, 21/03641


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 21/03641 - N° Portalis DBVH-V-B7F-IGO6



LR/EB



CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES

14 septembre 2021



RG :F20/00427







S.A.S. CLINIQUE [Localité 3]





C/



[O]





















Grosse délivrée le 18 juin 2024 à :



- Me

- Me >












COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH



ARRÊT DU 18 JUIN 2024





Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NIMES en date du 14 Septembre 2021, N°F20/00427



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Madame L...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 21/03641 - N° Portalis DBVH-V-B7F-IGO6

LR/EB

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES

14 septembre 2021

RG :F20/00427

S.A.S. CLINIQUE [Localité 3]

C/

[O]

Grosse délivrée le 18 juin 2024 à :

- Me

- Me

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 18 JUIN 2024

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NIMES en date du 14 Septembre 2021, N°F20/00427

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Leila REMILI, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Leila REMILI, Conseillère

M. Michel SORIANO, Conseiller

GREFFIER :

Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 18 Janvier 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 30 Avril 2024 prorogé à ce jour

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A.S. CLINIQUE [Localité 3]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Priscilla COQUELLE, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Emmanuelle POURRAT, avocat au barreau de TOURS

INTIMÉ :

Monsieur [X] [O]

né le 20 Décembre 1949 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par M. [W] [C] (Délégué syndical ouvrier)

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 14 Août 2023

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 18 juin 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :

M. [X] [O] a été engagé à compter du 24 mai 1999, suivant contrat à durée indéterminée à temps plein, en qualité d'infirmier de nuit par la SAS Clinique psychiatrique de [Localité 3].

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 décembre 2019, M. [X] [O] a été convoqué par la SAS Clinique de [Localité 3] à un entretien préalable, fixé au 13 décembre 2019.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 décembre 2019, M. [X] [O] a été licencié par la SAS Clinique de [Localité 3] pour faute grave, dans les termes suivants : 'Vous avez en charge le pavillon des Jonquilles depuis un dizaine d'années.

Vous avez rédigé une Fiche d'événement indésirable le 2 décembre à 7 h 09 dans laquelle vous avez déclaré « 3 h 40 une scène d'agression sexuelle vu par caméra par l'IDE de nuit de Coquelicot. A re-visionner pour décision de la Direction et des psychiatres concernés ».

L'agression sexuelle a eu lieu lors de la nuit du 1er au 2 décembre au Pavillon Jonquilles aux

alentours de 3 h 53.

Lors du visionnage des caméras, nous avons noté les faits suivants :

3h19, vous sortez de la porte d'entrée du service des jonquilles avec un fauteuil pliant et vous vous dirigez vers la salle de soin des Jonquilles.

3h23, vous éteignez la lumière de la salle de soins.

La patiente Mme [T] erre dans le couloir du self.

3h45-3h50 le patient M. [K] se déplace vers la salle de soins qui est plongée dans l'obscurité puis repart vers les fauteuils situés derrière la salle TV où est installée Mme [T]

3h53 l'IDE des Coquelicots, Mme [F] quitte son poste aux Coquelicots et se déplace aux Jonquilles pour voir les deux patients concernés.

3h55 l'IDE des Coquelicots vient vous voir dans la salle de soins des Jonquilles, la lumière est toujours éteinte puis repart voir les patients pour les séparer.

3h56 l'IDE des Coquelicots retourne dans la salle de soins des Jonquilles pour venir vous chercher. Vous sortez de la salle de soins et vous accompagnez votre collègue de travail auprès des patients.

A la lecture de la caméras, nous ne pouvons que constater que vous organisez votre nuit. Le patient connaît manifestement votre rituel, raison pour laquelle M. [K] est venu vérifier si vous aviez commencé votre nuit pour pouvoir ensuite agir en toute quiétude.

Je vous rappelle que vous devez surveiller le service avec beaucoup de vigilance dans la mesure où les patients de ce pavillon sont des personnes fragiles, parfois délirantes, et que par conséquent les tensions peuvent subvenir à tout moment.

Lors de notre entretien, vous avez d'une part validé la lecture du contenu des caméras et d'autre part, vous m'avez apporté les explications suivantes :

-Vous êtes allé chercher votre transat dans votre voiture, raison pour laquelle on vous voit sortir de la porte extérieure des Jonquilles côté parking

-Vous organisez vos nuits en vous reposant dans la salle de soin au maximum 2h00 par nuit

-Vous connaissez les patients et le contenu de leur dossier médical.

-Le service des jonquilles accueille 1 ou 2 entrées maximum par jour.

-Vous n'avez pas répondu tout de suite lorsque votre collègue IDE du pavillon Coquelicot a tapé à la porte parce que vous pensiez qu'elle venait vous faire un petit coucou avant de passer prendre quelque chose à manger au self des Jonquilles.

-Vous avez répondu la 2ème fois lorsque votre collègue IDE du pavillon Coquelicot a tapé à nouveau à la porte. Vous avez plié votre transat avant de sortir de la salle de soins. Vous avez raccompagné M. [K] dans sa chambre.

Concernant Mme [T], votre collègue IDE du pavillon Coquelicot et vous-même l'avez raccompagné dans sa chambre.

Vous avez en charge la responsabilité de ce service en tant qu'IDE lorsque vous effectuez vos nuits. L'une de vos missions principales est la connaissance du dossier médical de chacun de vos patients de manière à prendre en charge le mieux possible vos patients. La promiscuité des patients, le mélange des pathologies font de ce pavillon un endroit extrêmement sensible.

J'attire votre attention sur le fait que la durée moyenne de séjour des patients des Jonquilles est assez longue, de ce fait il est assez facile de connaître le contenu des dossiers médicaux des « nouveaux entrants ».

Mme D hospitalisée depuis le 14 novembre est déficiente mentale. M. [K] est hospitalisé depuis le 30 octobre et souffre de troubles aigus de la libido.

Ces admissions étant récentes, vous connaissez bien les spécificités de chacun ainsi que leurs

antécédents psychiatriques. Vous n'avez pas suffisamment de recul pour anticiper le comportement de chacun de ces patients.

Malgré le profil des patients, vous avez organisé votre nuit, vous êtes installé dans votre transat au lieu de surveiller les couloirs en y effectuant des rondes ou par l'intermédiaire des caméras, ce qui démontre une désinvolture inacceptable de votre part

Comment pouvez-vous organiser votre nuit de repos alors que vous avez en charge un patient avec un problème non réglé'

La gravité des faits reprochés rend impossible la poursuite de votre contrat de travail y compris pendant la période de préavis; pour ces motifs, je suis amenée à vous licencier pour faute grave'.

Par requête du 23 juin 2020, M. [X] [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes aux fins de dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ; de condamner la société à diverses sommes indemnitaires.

Par jugement du 14 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Nîmes a :

- requalifié le licenciement de M. [X] [O] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné en conséquence la SAS Clinique de [Localité 3] à lui payer les sommes suivantes :

- 6704,08 euros au titre du préavis et 670 euros au titre du congés payés afférents,

- 21 005,87 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [X] [O] du surplus de ses demandes,

- débouté la SAS Clinique de [Localité 3] de sa demande reconventionnelle,

- rappelé que l'exécution provisoire de plein droit s'applique aux mesures visées par l'article R1454-28 du code du travail,

- dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'établit à la somme de 3352, 04 euros bruts,

- condamné la SAS Clinique de [Localité 3] à supporter la charge des dépens.

Par acte du 5 octobre 2021, la SAS Clinique de [Localité 3] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions du 8 novembre 2021, la SAS Clinique de [Localité 3] demande à la cour de :

« - Dire et juger la SAS CLINIQUE DE [Localité 3] recevable et bien fondée en son appel ;

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que le licenciement de M. [O] reposait sur une cause réelle et sérieuse ;

- Juger que le licenciement de M. [O] repose sur une faute grave ;

A titre subsidiaire

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS CLINIQUE DE [Localité 3] à régler à M. [O] les sommes de 670 € à titre de congés payés et 21.005,87 € à titre

d'indemnité conventionnelle de licenciement.

- Condamner M. [O] à régler à la CLINIQUE DE [Localité 3] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile. »

La SAS Clinique de [Localité 3] soutient en substance que :

-la matérialité des faits n'est pas contestée ainsi que l'ont relevé les premiers juges en indiquant « même si pendant l'entretien préalable, M. [O] valide la lecture des caméras de contrôle » mais ils ont cependant considéré que les faits n'étaient pas constitutifs d'une faute grave au regard de l'ancienneté du salarié et en soulignant qu'il n'y avait ni plainte, ni certificat médical permettant de constater « les lésions générées par cette agression »

-or, aucune de ces circonstances n'est de nature à minorer la faute commise par M. [X] [O] alors que la jurisprudence considère que le fait pour un salarié de nuit de dormir pendant l'exécution de son travail et donc de se dispenser de participer au bon fonctionnement du service constitue une faute grave

-la qualification des faits est difficilement contestable puisque le jour même de l'agression, M. [X] [O] a renseigné une fiche d'événements indésirables en faisant état d'une agression sexuelle, il a également validé la lecture des caméras de contrôle lors de l'entretien préalable alors que plus de 10 jours s'étaient écoulés et que ce laps de temps ne l'avait pas conduit à modifier son appréciation des faits depuis qu'il avait rempli la fiche d'événements indésirables ; ce n'est que dans le cadre de l'instance prud'homale qu'il a opportunément fait état d'une maladresse de langage

-la gendarmerie est intervenue à la clinique et a requis une expertise des deux protagonistes et la description de leur comportement par l'huissier qui relève que la victime repousse son agresseur à trois reprises ne laisse aucune place au doute

-cette agression n'aurait pas dû se produire si le salarié avait surveillé le service avec la rigueur qui convenait alors qu'il avait pris l'habitude d'organiser ses nuits dans le local infirmier, laissant ainsi le service sans surveillance

-le fait que la note de service précise les horaires des 4 rondes à effectuer pendant le service de nuit, ne signifie pas que le salarié n'a aucun travail de surveillance à effectuer en dehors des rondes

-en outre, il aurait dû raccompagner la patiente qui errait dans les couloirs

-enfin, le conseil de prud'hommes a statué ultra petita concernant la somme de 21 005,87 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement et de celle de 670 euros au titre des congés payés afférents à l'indemnité de préavis.

En l'état de ses dernières écritures du 12 janvier 2022, contenant appel incident, M. [X] [O] demande de :

« Plaise à la Cour de dire et juger

que M. [O] est recevable et bien fondé en son appel incident ;

Plaise à la Cour

de reformer le jugement du Tribunal des Prud'hommes

en ce qu'il a considéré que le licenciement de M. [O] reposait sur une cause

réelle et sérieuse ;

de Juger que le licenciement de Mr [X] [O] est sans cause réelle et sérieuse ;

de condamner la SAS Clinique neuropsychiatrique de [Adresse 5]

au versement des sommes suivantes à Mr [X] [O]

6704,08 € au titre de préavis outre 670 € pour congés payés

25000 € au titre de l'indemnité pour licenciement abusif

500 € au titre de I'article 700 du CPC »

M. [X] [O] fait valoir en substance que :

-le seul reproche qui lui est explicitement fait dans la lettre de licenciement est « vous organisez votre nuit »

-il a continué à travailler après l'entretien préalable, les nuits des 13, 14 et 15 décembre, était ensuite en repos puis en congé annuel pendant lequel il recevait notification de son licenciement

-il a ainsi continué à travailler pendant 15 jours dans l'entreprise, de sorte qu'il est impossible d'invoquer la faute grave

-il a suivi les instructions et les procédures habituelles, il n'a pas laissé son service sans surveillance

-la qualification « d'agression sexuelle  » utilisée par lui dans la fiche d'événements est plutôt une maladresse de langage de sa part et rend mal compte de la description d'une rencontre nocturne dont personne ne saurait établir si elle a un caractère de surprise, d'agression ou de rendez-vous.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

MOTIFS

Sur le licenciement pour faute grave

Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La charge de la preuve de la gravité de la faute privative des indemnités de préavis et de licenciement incombe à l'employeur débiteur qui prétend en être libéré.

La gravité d'une faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et c'est au regard des motifs qui y sont énoncés que s'apprécie le bien-fondé du licenciement.

Il sera rappelé enfin que le doute doit toujours profiter au salarié.

En l'espèce, il est reproché au salarié d'avoir été désinvolte, ainsi, malgré le profil des patients dont il connaissait le dossier médical, d'avoir organisé sa nuit en s'installant sur son transat dans la salle de soins, au lieu de surveiller les couloirs en y effectuant des rondes ou par l'intermédiaire des caméras, permettant ainsi à une agression sexuelle d'être commise sur une patiente déficiente mentale par un patient ayant un problème de libido non réglé.

Pour démontrer la faute grave, l'appelante produit :

-l'attestation de Mme [S] [F], infirmière et collègue de travail de M. [X] [O] -un procès-verbal de constat d'huissier, établi le 13 décembre 2019, lequel a visionné deux caméras de surveillance (l'une au niveau de la salle TV et l'autre du hall des Jonquilles) et qui relate ce qu'il y a vu

-la fiche d'événements indésirables établie par M. [X] [O] le 2 décembre 2019 à 7h09 : « 3h40 : vu par caméra IDE Coquelicots scène d'aggression sexuelle de M [K] ch415p. A revisionner pour décision de la direction et des psychiatres des patients concernés »

-le plan du pavillon des Jonquilles

-les procès-verbaux de gendarmerie en date du 4 décembre 2019 de réquisitions d'une psychologue clinicienne avec pour mission d'expertiser la « personne mise en cause pour agressions sexuelles » et la « victime d'agressions sexuelles »

-un extrait du suivi médical de Mme [T], sur le logiciel Axila mentionnant « troubles spécifiques mixtes du développement, retard mental grave : déficience du comportement significatif, nécessitant une surveillance ou traitement ».

Si le salarié, qui ne prétend pas ignorer l'état de fragilité de Mme [T], ne peut dans ses conclusions affirmer péremptoirement qu'il s'agissait simplement d'une « rencontre nocturne entre deux adultes », à la lecture attentive du procès-verbal de l'huissier de justice qui relate précisément que M. [K] procède à divers attouchements sur le haut du corps, la poitrine, sur le « bas ventre » et sur le « haut de la cuisse gauche » de Mme [T], décrivant cette dernière comme « somnolente » puis « inerte » mais également lui repoussant la main à plusieurs reprises, pour autant, en l'état, au plus, de simples réquisitions d'une psychologue de la clinique dans le cadre d'une enquête préliminaire, aucune des pièces que l'employeur produit ne lui permet de qualifier juridiquement les faits d'« agression sexuelle ».

De plus, l'employeur n'apporte pas la preuve d'une faute grave commise par son salarié en lien de causalité certaine avec les faits précédents.

La cour rappellera tout d'abord que la faute grave implique une réaction immédiate de l'employeur. Or, en l'espèce, l'appelante ne peut à la fois soutenir que le maintien dans l'entreprise du salarié était impossible et continuer à le faire travailler, après l'entretien préalable, les nuits des 13, 14 et 15 décembre 2019. L'appelante ne s'explique d'ailleurs pas sur ce point.

Il est reproché au salarié, d'avoir le 2 décembre 2019, « organisé » sa nuit, d'avoir installé son transat dans la salle de soins au lieu de surveiller les couloirs en y effectuant des rondes ou par l'intermédiaire de caméras, ce qui démontrerait une désinvolture inacceptable.

Pourtant, l'appelante ne produit aucun élément confirmant que le salarié n'aurait pas respecté les instructions données et d'une manière telle que cela justifiait le licenciement intervenu.

D'ailleurs, seul l'intimé produit des pièces concernant des instructions données et ses conditions de travail, pièces sur lesquelles au demeurant l'appelante ne formule aucune observation.

M. [X] [O] produit ainsi une note de service du 18 janvier 2014 mentionnant « Nous vous rappelons que, suite à l'incident du 16/01/2014, les rondes de surveillance doivent être réalisées.

Note :

L'IDE et/ou l'ASDE veillent à la présence et au bien être des patients dans le service par des rondes de surveillance à 21h30, 00h30, 03h30, 06h30.

Les rondes de surveillance doivent être tracées instantanément dans le logiciel AXILA en précisant l'heure de la ronde.

Tout problème doit être retranscrit sur le dossier du patient.

Le médecin d'astreinte et le cadre de permanence doivent être alertés en cas d'événement grave. (...) ».

Il est pour le moins surprenant que l'employeur ne fournisse pour sa part aucun autre document qui, dans l'établissement, contiendrait des consignes supplémentaires ou différentes à l'infirmier de nuit, dans un service de psychiatrie et notamment concernant des obligations de vigile ou de gardien alors que l'employeur indique lui-même que « La promiscuité des patients, le mélange des pathologies font de ce pavillon un endroit extrêmement sensible ».

En outre, si le salarié ne conteste pas qu'il connaissait le dossier médical et les troubles respectifs des deux patients concernés, force est de constater que le plan du pavillon Les Jonquilles montre que les chambres de Mme [T] et M. [K] étaient toutes proches l'une de l'autre, alors que la première était identifiée comme déficiente mentale et le second comme ayant un « problème de libido non réglé ».

Par ailleurs, les éléments au débat ne permettent pas de constater que le salarié a laissé son service sans surveillance.

Il ressort en effet de l'extrait du logiciel Axila que M. [X] [O] avait effectué cette nuit-là et avant les faits, des rondes à 22 heures, minuit et 2h30.

M. [X] [O] indique, sans que rien ne le contredise, qu'il avait confié à sa collègue du service des Coquelicots le soin de garder le contrôle sur les écrans des caméras de surveillance, comme habituellement puisque lui-même ne pouvait pas les voir depuis la salle de repos, qu'il était prévu qu'il prendrait sa pause vers 3h15 et qu'il avait conservé sur lui l'appareil d'alarme transmettant instantanément tout appel d'un patient.

Outre que l'appelante ne justifie en rien que l'intimé n'aurait pas dû prendre sa pause à ce moment-là, elle n'explique pas bien où et comment le salarié aurait dû prendre celle-ci, alors que la « salle de soins » ou « bureau de garde », aménagée dans une chambre et dans laquelle il prenait habituellement ses pauses, ne comporte aucun écran de surveillance, ni non plus de fauteuil de repos, de sorte qu'il ne peut être reproché à l'intéressé de ne pas visionner les caméras depuis celle-ci, ni non plus d'amener son transat personnel.

Au demeurant, la convention collective décrit en son article 53-7 les conditions de travail de l'infirmier de nuit : « Dans le cadre du travail de nuit, les établissements mettront à disposition des salariés les locaux et mobiliers nécessaires (relax ergonomique par exemple), permettant d'organiser le temps d'activité et de pause, dans des conditions de confort satisfaisantes. Chaque établissement devra apporter une attention particulière au respect du temps de pause (...) ». L'appelante ne conteste d'ailleurs pas que, quelques mois après le départ de son salarié, des fauteuils de repos ont été livrés dans les services.

Il ressort de plus de l'attestation de Mme [S] [F], produite par l'appelante, que celle-ci assurait alors la surveillance par l'intermédiaire des caméras en compagnie d'une aide soignante, ce qui confirme que M. [X] [O], comme il le déclare, avait confié à sa collègue du service voisin le soin de garder le contrôle sur les écrans, puisque lui-même ne pouvait pas les voir depuis la salle de repos. Mme [F] ajoute encore, ce qui confirme l'entente entre les salariés cette nuit-là, que lorsque qu'elle est passée « au bureau IDE des Jonquilles », elle a « tapoté » en passant puis est intervenue auprès des personnes concernées. En tout état de cause, il ressort du procès-verbal établi par l'huissier de justice qu'après que sa collègue a frappé à sa porte, M. [X] [O] a mis moins d'une minute pour en sortir, étant relevé que rien ne permet de contredire l'affirmation selon laquelle il pensait qu'elle venait simplement lui dire bonjour avant de prendre quelque chose à manger dans la cuisine voisine, de sorte qu'il ne peut, dans ces conditions, lui être reproché de n'avoir répondu que lorsqu'elle a une nouvelle fois tapé à la porte.

De plus, si M. [X] [O] ne conteste pas que les patients n'auraient pas dû être présents dans les couloirs et si les images de vidéosurveillance telles que commentées par l'huissier de justice semblent contredire le fait prétendu par l'intimé qu'il ait ramené Mme [T] dans sa chambre avant d'aller prendre sa pause, ce seul élément ne saurait permettre de fonder le licenciement pour faute grave ou même pour cause réelle et sérieuse, étant relevé que les patients peuvent toujours sortir de leur chambre.

Il convient enfin de relever que le salarié, embauché en 1999, avait une ancienneté de 20 ans, sans aucun passé disciplinaire, qu'il avait demandé à deux reprises de pouvoir bénéficier d'un temps partiel dans le cadre de son compte professionnel de prévention et qu'il a été licencié à la veille de ses 70 ans et de son départ à la retraite que l'employeur souhaitait voir intervenir à compter du 20 décembre 2019 ainsi qu'il l'exprimait dans un courriel du 18 octobre 2019.

Il convient donc, au vu de l'ensemble de ces éléments, d'infirmer le jugement déféré et de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnisation

La cour n'est tenue que par la demande de M. [X] [O] formulée au dispositif de ses conclusions, étant relevé qu'il ressort de la motivation de ses conclusions en appel qu'il n'entend, comme en première instance, solliciter la condamnation de l'employeur qu'à la seule somme de 25 000 euros au titre du licenciement abusif, de sorte qu'effectivement, il ne saurait être statué ultra petita. Le jugement étant en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement de la somme de 21 005,87 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Cependant, concernant la somme de 670 euros au titre des congés payés afférents à l'indemnité de préavis, M. [X] [O] en sollicite bien le paiement en appel.

La somme sollicitée au titre des deux mois de préavis n'est pas au subsidiaire contestée, de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Clinique de [Localité 3] à payer la somme de 6704,08 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents.

En application des dispositions de l'article L.1235-3 telles qu'issues de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 tenant compte du montant de la rémunération de M. [X] [O] ( 3352,04 euros en moyenne) et de son ancienneté en années complètes ( 20 années), il n'est pas contesté que celui-ci a droit à une indemnité comprise entre 3 et 15,5 mois, de sorte que la somme réclamée à hauteur de 25 000 euros, correspondant à peu moins de 7,5 mois de salaire brut, est justifiée pour réparer le préjudice subi.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens d'appel seront mis à la charge de la SAS Clinique de [Localité 3] mais il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort

-Confirme le jugement rendu le 14 septembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Nîmes en ce qu'il a :

-condamné la SAS Clinique de [Localité 3] à payer les sommes suivantes:

- 6704,08 euros au titre du préavis et 670 euros au titre du congés payés afférents,

-500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SAS Clinique de [Localité 3] de sa demande reconventionnelle,

- rappelé que l'exécution provisoire de plein droit s'applique aux mesures visées par l'article R1454-28 du code du travail,

- dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'établit à la somme de 3352, 04 euros bruts,

- condamné la SAS Clinique de [Localité 3] à supporter la charge des dépens

-L'infirme pour le surplus

-Statuant à nouveau des chefs infirmés,

-Condamne la SAS Clinique de [Localité 3] à payer à M. [X] [O] la somme de 25 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-Rejette le surplus des demandes,

-Condamne la SAS Clinique de [Localité 3] aux dépens de l'appel.

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5ème chambre sociale ph
Numéro d'arrêt : 21/03641
Date de la décision : 18/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-18;21.03641 ?
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