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07/06/2024 | FRANCE | N°23/03765

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 4ème chambre commerciale, 07 juin 2024, 23/03765


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS















ARRÊT N°



N° RG 23/03765 - N° Portalis DBVH-V-B7H-JASC



AV



PRESIDENT DU TC DE NIMES

12 juillet 2023

RG:2023R64



S.A.S. LINERBENNE



C/



[R]





























Grosse délivrée

le 07 JUIN 2024

à

Me Caroline JULIEN GUICHARD

Me Anaïs COLETT

A















COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale





ARRÊT DU 07 JUIN 2024





Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Président du TC de Nîmes en date du 12 Juillet 2023, N°2023R64



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Mme Christine CODOL, Présidente ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 23/03765 - N° Portalis DBVH-V-B7H-JASC

AV

PRESIDENT DU TC DE NIMES

12 juillet 2023

RG:2023R64

S.A.S. LINERBENNE

C/

[R]

Grosse délivrée

le 07 JUIN 2024

à

Me Caroline JULIEN GUICHARD

Me Anaïs COLETTA

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale

ARRÊT DU 07 JUIN 2024

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Président du TC de Nîmes en date du 12 Juillet 2023, N°2023R64

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,

Madame Claire OUGIER, Conseillère,

Madame Agnès VAREILLES, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Isabelle DELOR, Greffière à la Chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 02 Mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 07 Juin 2024.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A.S. LINERBENNE, Société par acti ons simplifi ée au capital de 80 600,00 € immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 817 767 460, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Caroline JULIEN GUICHARD, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Anne BALLET, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMÉE :

Mme [K] [R]

née le 03 Août 1975 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Thomas KLIBANER de l'AARPI DELANNOY & KLIBANNER AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Représentée par Me Anaïs COLETTA de la SCP B.C.E.P., Postulant, avocat au barreau de NIMES

Affaire fixée en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile avec ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 25 Avril 2024

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 07 Juin 2024,par mise à disposition au greffe de la Cour

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu les appels interjetés les 5 et 6 décembre 2023 par la société Linerbenne à l'encontre de l'ordonnance de référé rendue le 12 juillet 2023 par le président du tribunal de commerce de Nîmes, dans l'instance n° RG 2023R64 ;

Vu l'ordonnance du 15 décembre 2023 de jonction des procédures n° RG 23/03765 et 23/03775, l'affaire étant désormais inscrite sous le n° RG 23/03765 ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 22 avril 2024 par la société Linerbenne, appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 25 avril 2024 par Madame [R] [K], intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu l'avis de fixation de l'affaire à bref délai du 19 décembre 2023 ;

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure du 19 décembre 2023 à effet différé au 25 avril 2024 ;

Vu la note en délibéré transmise le 10 mai 2024 par la société Linerbenne avec l'autorisation de la cour, pour présenter des observations sur la pièce n°43 communiquée par Madame [R] [K] le jour de la clôture de l'instruction de l'affaire;

Vu la réponse à cette note en délibéré transmise le 16 mai 2024 par Madame [R] [K] ;

Vu la note en délibéré transmise le 15 mai 2024 par Madame [R] [K], à la demande de la cour, pour présenter des observations sur le moyen soulevé d'office selon lequel le commissaire de justice susceptible d'avoir commis une faute dans l'exécution de sa mission n'est pas partie à la procédure et en tout état de cause, le contentieux de l'exécution de la mesure d'instruction ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, qui n'affecte pas la décision ayant ordonné cette mesure, ne relève pas des pouvoirs du juge de la rétractation;

Vu la note en délibéré en réponse transmise le 16 mai 2024 par la société Linerbenne ;

La société Linerbenne exerce son activité dans le domaine de la dépollution et du désamiantage et propose notamment des solutions de conditionnement des déchets amiantés. Elle a été constituée en 2016 par Messieurs [I], [Y], [B], [V] et [X].

Les produits de la S.A.S.Linerbenne étaient commercialisés par la société FMC ayant pour associé majoritaire et gérant, Monsieur [I].

Suivant assemblée générale du 8 janvier 2018, les associés de la S.A.S.Linerbenne ont notamment pris acte de la démission de Monsieur [Y] de ses fonctions de président et nommé Monsieur [G] en qualité de nouveau président non associé.

La société Aurex, détenue et représentée par Monsieur [G], a acquis des actions de la S.A.S.Linerbenne.

Les 5 et 7 mai 2018, trois des associés fondateurs, Messieurs [B], [V] et [X], ont cédé leur actions à la société Clinigenetics détenue par la société Aurex.

Par le biais de cessions et d'augmentations de capital, Monsieur [C], Monsieur [M] et Madame [R] sont également devenus actionnaires de la S.A.S.Linerbenne.

La société Aurex a absorbé la société Clinégetics dans le cadre d'une fusion-absorption du 12 juin 2019.

C'est ainsi qu'à la fin de l'année 2021, Messieurs [I], [M] et [Y] ainsi que la société FMC détenaient 60,6% du capital social de la S.A.S.Linerbenne tandis que Monsieur [G] et ses enfants, Madame [R], la société Aurex ainsi que Monsieur [C] en détenaient 39,30%.

En vertu d'un contrat de prêt de main d'oeuvre conclu avec la société Clinigenetics, Madame [R] s'est vue confier les tâches administratives de la S.A.S.Linerbenne à compter du 1er juillet 2018.

Le 13 mai 2019, un contrat de prestation de services a été conclu entre la S.A.S.Linerbenne et Madame [R].

Lors de l'assemblée générale ordinaire du 15 juin 2022, il a été voté la révocation ad nutum de Monsieur [G] de ses fonctions de président de la S.A.S. Linerbenne et la nomination de Monsieur [I] en remplacement de Monsieur [G].

Par exploits des 28 juin et 4 juillet 2022, Madame [R], Monsieur [G] et la société Aurex (les associés minoritaires) ont assigné la S.A.S.Linerbenne ainsi que Monsieur [Y], Monsieur [I], Monsieur [M] et la société FMC (les associés majoritaires) devant le tribunal de commerce de Paris afin de voir annuler ces deux délibérations de l'assemblée générale ordinaire du 15 juin 2022 aux motifs que la révocation de Monsieur [G] et la nomination de Monsieur [I] ne pouvaient intervenir, en l'absence de l'accord du comité d'orientation stratégique (COS), que dans le cadre d'une assemblée générale extraordinaire.

Eu égard au conflit entre les actionnaires majoritaires et minoritaires, il avait été décidé lors d'une assemblée générale du 1er juin 2022 la constitution d'un comité ad hoc ayant pour mission de déterminer la valeur de la société par recours à un expert indépendant.

Dans un courrier du 11 janvier 2023, Monsieur [G] a adressé ses observations sur le projet de valorisation à la S.A.S.Linerbenne, en indiquant que l'expert avait établi son rapport sur la base des informations mises à sa disposition au 5 décembre 2022 ne comprenant pas le chiffre d'affaires réalisé à la fin du mois de novembre 2022 de 1 560 000 euros qui était pourtant connu de Monsieur [I]. Dans ce courrier, Monsieur [G] a également fait état du chiffre d'affaires effectué en 2022 par la S.A.S.Linerbenne en Allemagne et sur quatre grands chantiers dans lesquels la S.A.S.Linerbenne avait livré le LB30, concurrencé par [...].

Lors de la réunion du comité ad hoc du 13 janvier 2023, Monsieur [I] a indiqué que les chiffres évoqués par l'expert dans son rapport correspondaient bien à ceux qui étaient en sa possession au 5 décembre 2022 et que les chiffres évoqués par Monsieur [G] ne lui avaient été communiqués que plus tard, en décembre par Madame [R] qui suivait la facturation.

Par courrier du 9 février 2023 dont Madame [R] a accusé réception le 13 février 2023, Monsieur [I] en qualité de président de la S.A.S.Linerbenne lui a notifié le non renouvellement de son contrat de prestation de services expirant le 13 mai 2023. Il a été également demandé à Madame [R] de transmettre l'ensemble des documents ou correspondances communiqués à Monsieur [G] jusqu'à la fin du mandat de ce dernier, et dans l'hypothèse où elle aurait, depuis la prise de fonction de Monsieur [I], communiqué à un tiers, en ce compris un associé de la société, hors autorisation expresse préalable, des informations confidentielles, la date et la nature ainsi que le contenu de ces communications.

Dans un courrier recommandé en réponse du 15 février 2023, Madame [R] a fait observer que le respect du délai de préavis contractuel de trois mois n'avait pas été respecté de sorte que son contrat avait été reconduit automatiquement pour une nouvelle période d'un an. Elle a rétorqué qu'elle ne comprenait pas à quelles informations confidentielles il était fait allusion, les informations comptables dont elle disposait étant reprises dans le bilan et présentes sur la dropbox accessible par tous les associés. Elle a cependant reconnu avoir transmis le solde du compte bancaire de la société au 31 décembre 2022 à Monsieur [G], en qualité de président du COS, qui le lui avait demandé pour la préparation de sa réunion.

Le 10 mars 2023, les membres du comité d'orientation stratégique (COS), réunis par Monsieur [G], ont voté contre le renouvellement du contrat conclu par la S.A.S.Linerbenne avec la société FMC représentée par Monsieur [I].

Par ordonnance de référé du 26 avril 2023, le président du tribunal de commerce de Paris a débouté la S.A.S. Linerbenne de ses demandes tendant à suspendre les effets de toutes les décisions prises dans le cadre d'un COS dans sa composition actuelle ou d'une assemblée générale extraordinaire pour ce qui concerne les résolutions sur avis de ce même COS en sa formation actuelle, à compter du 10 mars 2023, et à reporter toutes les réunions de tout COS dans sa composition actuelle ou les résolutions d'assemblée générale extraordinaire devant faire l'avis d'un COS dans sa composition actuelle, jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été rendue dans l'affaire pendante au fond devant le tribunal de commerce de Paris.

Par ordonnance rendue le 9 mai 2023, à la requête du même jour de la S.A.S.Linerbenne, le président du tribunal de commerce de Nîmes a désigné un commissaire de justice avec mission notamment de se rendre au domicile de Madame [R] afin de recueillir tout document ou correspondance, papier ou électronique, concernant la société requérante, ses dirigeants, ses associés et salariés ainsi que toute société ou entreprise individuelle liée contractuellement avec la requérante notamment aux moyens de mots-clés, associés ou non, comprenant des noms et des adresses électroniques du 1er juillet 2018 jusqu'à ce jour.

Il a été procédé le 10 mai 2023 par le commissaire de justice désigné à la saisie de documents ordonnée. Le même jour, le commissaire de justice a signifié et remis copie à Madame [R] d'un courrier du 9 mai 2023 contenant résiliation de son contrat de prestation de services pour faute avec effet immédiat et lui a fait sommation de restituer l'ensemble des documents et le matériel mis à sa disposition par la société.

Par exploit du 6 juin 2023, Madame [R] a fait assigner en référé la société Linerbenne devant le président du tribunal de commerce de Nîmes, sur le fondement des articles 496 et 497 du code de procédure civile et de l'article 1240 du code civil, aux fins notamment de voir prononcer la rétractation de l'ordonnance rendue le 9 mai 2023 et condamner la société Linerbenne au paiement de la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts, outre la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

Par ordonnance de référé du 12 juillet 2023, le président du tribunal de commerce de Nîmes a, au visa des dispositions des articles 514 et 514-1, aliéna 3 du code de procédure civile, des articles 14,145, 493 et suivants du code de procédure civile:

-Prononcé la rétractation de l'ordonnance rendue le 9 mai 2023 à la requête de la SAS Linerbenne,

-Fait obligation à la SAS Linerbenne de détruire l'ensemble des documents saisis,

-Fait défense à la SAS Linerbenne d'utiliser les documents indûment saisis de quelque manière que ce soit,

-Dit que la demande de Madame [K] [R], au titre de l'application de dommages et intérêts, se heurte à une contestation sérieuse de sorte qu'elle ne relève pas du pouvoir du juge des référés,

-Dit n'y avoir lieu à référé sur ladite demande,

-Débouté la SAS Linerbenne de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

-Condamné la SAS Linerbenne à régler Madame [K] [R] la somme de 2.000 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-Rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires,

-Dit la décision exécutoire de plein droit,

-Condamné la SAS Linnerbenne aux dépens prévus à l'article 695 du code de procédure civile et les a liquidés conformément à l'article 701 du code de procédure civile.

L'ordonnance de référé du 12 juillet 2023 a été signifiée le 6 novembre 2023 à la S.A.S.Linerbenne.

Les 5 et 6 décembre 2023, la S.A.S.Linerbenne a interjeté appel de cette décision aux fins de la voir réformer en toutes ses dispositions.

Les deux procédures n°RG 23/03765 et 23/03775 ont été jointes le 15 décembre 2023 sous le n°RG 23/03765.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'appelante demande à la cour, au visa des articles 145 du code de procédure civile, de l'article 721-3 du code de commerce, et des articles 1103 et 1231 et suivants du code civil, de :

Sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête « in futurum » article 145 du code de procédure civile :

-Infirmer l'ordonnance du 12 juillet 2023 rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Nîmes en ce qu'elle a prononcé la rétractation de l'ordonnance du 9 mai 2023;

Et statuant à nouveau :

-Déclarer recevable et bien-fondée la requête « in futurum » du 09 mai 2023 de la société Linerbenne sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et confirmer l'ordonnance du 09 mai 2023;

-Débouter Madame [R] de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 09 mai 2023 rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Nîmes (2023OP00582),

Sur la demande reconventionnelle Madame [R] :

-Débouter Madame [R] de sa demande de versement d'une somme de 20.000 euros au titre du prétendu préjudice subi, et confirmer l'ordonnance du 12 juillet 2023 rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Nîmes sur ce point ;

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

-Infirmer l'ordonnance du 12 juillet 2023 rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Nîmes en ce qu'elle a condamné la société Linerbenne à payer à Madame [R] Ia somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau :

-Débouter Madame [R] de sa demande de versement de frais irrépétibles au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et infirmer l'ordonnance du 12 juillet 2023 rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Nîmes sur ce point ;

-Condamner Madame [R] au paiement de la somme de 6.500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. ».

Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir qu'il convient d'apprécier au jour du dépôt de la requête sa recevabilité, soit au 9 mai 2023. La procédure du référé probatoire est autorisée lorsqu'il s'agit de solliciter une mesure d'instruction dont l'objet porte sur un litige distinct de celui qui oppose les parties dans l'instance au fond. L'instance introduite au fond devant Ie tribunal de commerce de Paris n'est pas similaire auprocès dans l'optique duquel la mesure 'in futurum' est sollicitée. ll n'y a pas entre ces deux litiges d'identité des parties et, en tout état de cause, ni identité d'objet, ni de cause. L'affaire pendante au fond implique Madame [R] ès qualités d'associée de la S.A.S.Linerbenne alors que le procès envisagé la concerne ès qualités de prestataire de services de la S.A.S.Linerbenne, auto-entrepreneur, désignée au SIRENE sous le nom de Sonaca. Les litiges qui opposent la S.A.S.Linerbenne à Madame [R] n'ont pas de lien des lors qu'ils ont trait à des contrats distincts. lls n'ont pas le même fondement juridique (la cause). Les deux procédures sont indépendantes et non liées, contrairement à ce qu'a retenu le président du tribunal de commerce. Dans l'éventualité extraordinaire où les deux résolutions de l'assemblée générale en cause au fond seraient annulées et que Monsieur [G] retrouve son mandat de président, cela ne priverait pas la S.A.S.Linerbenne d'engager une procédure contre Madame [R]. La S.A.S.Linerbenne n'avait aucune raison de faire état de la procédure pendante devant le tribunal de commerce de Paris qui n'a aucun lien direct suffisant avec la procédure envisagée. L'affaire ayant abouti à l'ordonnance de référé du 26 avril 2023 n'a jamais impliqué Madame [R].

S'agissant de la dérogation au principe du contradictoire, l'appelante expose qu'elle est justifiée par la nature des éléments de preuve recherchés - le fait que ce soit en majeure partie des éléments informatiques-, et en particulier, leur caractère aisément altérable, dissimulable ou destructible. L'attitude de Madame [R] révèle une absence totale de rigueur et un manque de respect des stipulations contractuelles. Le contenu même du contrat de prestation de services conclu, sous la présidence de Monsieur [G], laisse craindre la déloyauté, la mauvaise foi, voire la malhonnêteté de Madame [R]. Le contrat est manifestement déséquilibré et privilégie les intérêts personnels de Madame [R] et ceux de Monsieur [G] au détriment de ceux de la S.A.S.Linerbenne. Madame [R] est dans une situation de conflit d'intérêts manifeste. Elle a refusé de restituer documents et matériels appartenant à la société.

S'agissant des manquements reprochés à Madame [R], l'appelante fait observer que la dropbox ne comprend que des éléments commerciaux, dont notamment le chiffre d'affaires prévisionnel de FMC, compte tenu des commandes signées. Le président du COS n'a pas, en cette qualité, un droit d'information général. Seuls les membres du COS, lorsqu'ils sont consultés sur un sujet, peuvent se voir transmettre les documents nécessaires à I'émission de leur avis. ll est donc totalement contraire aux dispositions statutaires de divulguer une quelconque information au président du COS, en dehors de toute consultation. Lorsque le 11 janvier 2023, Monsieur [G] a adressé ses observations sur le projet de valorisation, la S.A.S.Linerbenne a constaté qu'il disposait d'informations confidentielles, telles que le chiffre d'affaires encaissé sur le dernier mois d'activité. En tout état de cause, Madame [R] a confirmé avoir bien adressé à Monsieur [G] les relevés bancaires, compte tenu de sa qualité de président du COS. Madame [R] lui a donc transmis des documents confidentiels en dehors de tout cadre légal ou statutaire. D'autres éléments laissent penser que Madame [R] a soustrait des documents appartenant à la société (éléments comptables antérieurs à 2022, ordres de mouvements de titres, correspondances pré-contentieuses avec des prestataires de la S.A.S.Linerbenne mettant en cause Monsieur [G], etc...). Après la résiliation de son contrat de prestation de services, Madame [R] a refusé de restituer, non seulement les biens appartenant à la S.A.S.Linerbenne qui lui ont été confiés pour l'exécution de sa mission (ordinateur, téléphone...) mais également l'ensemble des documents et archives de la S.A.S.Linerbenne. Il est établi la vraisemblance du procès envisagé en démontrant que, si des preuves étaient réunies, l'action aurait des chances non nulles de prospérer.

S'agissant du caractère légalement admissible de la mesure, l'appelante indique qu'elle a été circonscrite à une période bien déterminée : entre le 1er juillet 2018 et le jour de l'exécution. Elle a vocation a couvrir tout le temps pendant lequel Madame [R] a eu accès à l'ensemble des documents appartenant à la société. Il résulte des termes de l'ordonnance que I'huissier n'a été autorisé à appréhender que les documents en lien avec les actes qui sont allégués dons la requête. L'ordonnance prévoit aussi le séquestre des documents. A ce jour, le commissaire de justice n'a adressé aucun document saisi à la S.A.S.Linerbenne.

En réponse à la demande de dommages-intérêts formée par Madame [R], l'appelante précise que la requête déposée n'est ni malveillante, ni dolosive, et n'a pas pour objectif de retarder une issue qui lui serait défavorable. Son action est justifiée par le risque que les pièces sollicitées disparaissent et par le préjudice qu'elle subirait du fait d'une divulgation des informations confidentielles détenues par Madame [R].

Dans sa note en délibéré du 10 mai 2024, l'appelante indique que les conclusions n°3 au fond de Madame [R] ont été communiquées le 21 mars 2024. Elles lui ont permis d'élargir ses demandes à la rupture de son contrat de prestation de services. Ses nouvelles demandes n'ont aucun lien avec les précédentes et ne visent qu'à répondre à l'exécution par la société Linerbenne de l'ordonnance rendue le 9 mai 2023.

Dans sa note en délibéré du 16 mai 2024, l'appelante précise que la cour, dont la compétence se limite au contentieux de la rétractation, ne saurait apprécier les modalités d'exécution de la mesure litigieuse pour condamner une partie à une amende civile. De plus, en l'absence du commissaire de justice contre qui la faute est alléguée, la cour n'est pas en mesure d'apprécier les conditions d'exécution de sa mission.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'intimée et appelante incidente demande à la cour, au visa des articles 496, 497 et 32-1 du code de procédure civile et 1240 du code civil, de :

-Débouter la société Linerbenne de l'intégralité de toutes ses demandes et fins et conclusions formées contre Madame [K] [R] ;

-Confirmer l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Nîmes du 12 juillet 2023 en ce qu'elle a :

Reçu Mme [R] en ses demandes fins et écritures,

Prononcé la rétractation de l'ordonnance rendue le 9 mai 2023 par le président du tribunal de commerce de Nîmes sur requête de la société Linerbenne.

Fait obligation à la société Linerbenne de détruire les documents indument saisis de quelque manière que ce soit,

Fait défense à la société Linerbenne d'utiliser les documents indument saisis de quelque manière que ce soit,

Débouté la SAS Linerbenne de l'ensemble des demandes, fins et prétentions,

Condamné la SAS Linerbenne à payer en première instance à Madame [R] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejeté toutes autres demandes fins et conclusions contraires,

Condamné la SAS Linerbenne, en premier instance aux dépens prévus à l'article 695 du code de procédure civile et liquidés conformément à l'article 701 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau sur appel incident,

-Infirmer l'ordonnance du 12 juillet 2023 rendue par le président du tribunal de commerce de Nîmes en ce qu'elle a débouté Madame [R] de sa demande de versement de la somme de 20 000 euros au titre de dommages et intérêts ;

-Condamner la société Linerbenne à une amende civile de10 000 euros ;

-Condamner la société Linerbenne à régler à Madame [K] [R] la somme de 20.000 euros à titre d'indemnité pour procédure abusive par l'usage de moyens fallacieux dans le dépôt de la requête du 9 mai 2023 et dans l'appel de l'ordonnance du 12 juillet 2023, ce avec l'intention de nuire ou de porter atteinte aux intérêts de l'autre partie ;

-Condamner la société Linerbenne au paiement de la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Condamner la société Linerbenne aux entiers dépens de l'instance et d'appel en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'intimée et appelante incidente réplique tout d'abord que la société appelante a dissimulé au président du tribunal de commerce de Nîmes l'existence d'une procédure au fond devant le tribunal de commerce de Paris faisant obstacle à la mise en 'uvre de l'article 145 du code de procédure civile. Le litige dont la S.A.S.Linerbenne entend aujourd'hui se prévaloir contre Madame [R] est directement lié à la procédure au fond lancée un an auparavant en juin 2022 par cette dernière et toujours pendante opposant les actionnaires minoritaires aux actionnaires majoritaires. Ce sont en fait des éléments contre les associés minoritaires pour le litige au fond que les associés majoritaires recherchent et non pas des éléments sur une soi-disant faute de Madame [R] qui n'existe pas. Il n'y a pas de distinction entre Madame [R], prise en sa qualité d'auto entrepreneur, et Madame [R], prise en sa qualité d'associé de la S.A.S.Linerbenne.

En second lieu, l'intimée explique qu'il n'y a aucun motif légitime de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige. Il n'existe aucun commencement de preuve d'une quelconque violation des obligations contractuelles de Madame [R]. Le procès-verbal établi par Messieurs [I] et [M] du comité ad hoc du 13 janvier 2023, n'a jamais été transmis à Monsieur [G], membre de ce comité, pourtant réclamé par ce dernier par courriel en date du 25 janvier 2023. Ce n'est pas Madame [R] qui a transmis les informations mentionnées dans ce procès-verbal à Monsieur [G] mais Monsieur [I] lui-même par l'intermédiaire de la dropbox LB Solutions qu'il gère. Mais surtout ces informations ne sont pas confidentielles pour le président du COS qui dispose des pouvoirs d'analyse les plus larges et est habilité à recevoir tous les documents commerciaux, comptables et financiers. Madame [R] n'a pas commis une faute en communiquant à Monsieur [G] le solde du compte bancaire au 31 décembre 2022 de la société mais a exécuté son contrat de prestations de services dans le respect des statuts. La clause de confidentialité figurant à l'article 6.4 du contrat de prestations de services du 13 mai 2019 de Madame [R] ne concerne que les termes du contrat et il existe par ailleurs l'obligation de loyauté de tout prestataire. La S.A.S.Linerbenne a dissimulé au président du tribunal de commerce de Nîmes l'ordonnance de référé rendue le 26 avril 2023 qui l'a déboutée de ses demandes de suspension et de report du COS dans sa formation actuelle jusqu'à ce qu'il soit statué au fond de façon définitive sur l'affaire aujourd'hui pendante devant le tribunal de commerce de Paris. Monsieur [G], en qualité de représentant permanent d'Aurex, président de Clinigenetics s'est bien désigné comme représentant permanent de cette dernière au COS à la suite du vote de la 9ème résolution de l'assemblée générale mixte du 6 juin 2018. La transmission universelle du patrimoine implique la reprise de facto par Aurex, des engagements de Clinigenetics dont la qualité de membre du COS. Le président du tribunal de commerce de Paris a, dans son ordonnance du 26 avril 2023, confirmé que le COS en sa forme actuelle avec Monsieur [G] en tant que Président pouvait valablement s'auto-saisir de tout sujet et que le COS s'était valablement réuni le 10 mars 2023. Il n'y a donc aucun litige en germe pouvant porter sur la communication de pièces par Madame [R].

L'intimée soutient que le renvoi dans l'ordonnance du 9 mai 2023 à la requête est manifestement insuffisant à justifier la dérogation au principe de la contradiction en ce que la requête est elle-même lacunaire, car trop générale.

L'intimée souligne que les mesures auraient dû être cantonnées à des recherches depuis le 15 juin 2022, date de révocation de Monsieur [G]. L'encadrement matériel de la mission du commissaire de justice désigné n'est donc pas garanti en ce qu'elle n'est pas suffisamment délimitée matériellement. En outre, le choix des mots-clefs entre dans le cadre d'un champ lexical si important qu'il a permis au commissaire de justice d'avoir accès à tous les messages et à tous les courriels personnels de Madame [R].

A l'appui de sa demande de prononcé d'une amende civile et d'allocation de dommages-intérêts, l'intimée expose que la S.A.S.Linerbenne a agi de toute mauvaise foi à son encontre, son objectif étant de faire pression sur elle et plus généralement sur les associés minoritaires afin de les obliger à céder à vil prix leurs actions. L'usage de moyens fallacieux dans le dépôt de la requête du 9 mai 2023 et dans l'appel de l'ordonnance du 12 juillet 2023, est fait avec l'intention de nuire ou de porter atteinte aux intérêts de l'autre partie.

Dans sa note en délibéré du 15 mai 2024, l'intimée précise qu'elle ne demande pas des dommages-intérêts et une amende civile au titre des fautes qu'aurait pu commettre le commissaire de justice dans l'exécution de sa mission mais bien sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, au titre de l'action en justice dilatoire et abusive de la société Linerbenne.

Dans sa note en délibéré du 16 mai 2024, l'intimée précise que sa pièce n°43 mentionne que les conclusions ont été prises pour l'audience du 21 mars 2024. Il n'y a donc aucune manoeuvre, tromperie ou tentative d'escroquerie au jugement de sa part.

Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

MOTIFS

1) Sur la condition de l'absence de procès au fond

L'article 145 du code de procédure civile prévoit que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L'article 493 du même code dispose que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

Aux termes de l'article 496, alinéa 2, du même code, s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance.

Selon ces dispositions tel qu'interprétées par la Cour de cassation (Civ., 1re, 13 juillet 2005, n°05-10.519, publié), le référé afin de rétractation ne constitue pas une voie de recours. L'instance en rétractation a pour seul objet de soumettre à l'examen d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l'initiative d'une partie en l'absence de son adversaire. L'objet de l'instance est donc de statuer sur les mérites de la requête. Le juge saisi d'une demande de rétractation d'une décision ayant ordonné une mesure, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, doit s'assurer de l'existence d'un motif légitime à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

Il appartient au requérant de justifier de la recevabilité et du bien-fondé de sa requête et non au demandeur à la rétractation de démontrer que ces conditions ne sont pas réunies (2ème Civ., 21 octobre 1987, n°86-14.978, publié).

L'absence de procès est une condition de recevabilité de la demande fondée sur l'article 145 du code de procédure civile. Au jour où la requête en mesure d'instruction est présentée, aucune juridiction ne doit avoir été saisie sur le fond.

En l'occurrence, lors du dépôt au 9 mai 2023 de la requête aux fins de mesure d'instruction, était pendante devant le tribunal de commerce de Paris une procédure au fond introduite par Monsieur [G], Madame [R] et la société Aurex, actionnaires minoritaires, à l'encontre d'une part de la S.A.S.Linerbenne et, d'autre part, de Monsieur [I], Monsieur [M], Monsieur [Y], la société FMC, actionnaires majoritaires.

L'existence d'une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d'instruction in futurum que si l'instance au fond est ouverte sur le même litige à la date de la requête (Com., 20 février 2019, no 17-27.668).

Lors de son introduction devant le tribunal de commerce de Paris par Ies associés minoritaires à l'encontre des associés majoritaires de la S.A.S.Linerbenne, l'instance tendait initialement à faire annuler la décision prise par l'assemblée générale ordinaire du 15 juin 2022 de révoquer ad nutum Monsieur [G] de ses fonctions de président et de nommer Monsieur [I] en ses lieu et place. Elle était fondée uniquement sur les dispositions légales ou statutaires régissant le fonctionnement de la société par actions simplifiée et notamment les rapports entre les actionnaires.

La procédure au fond que la S.A.S.Linerbenne envisage d'introduire à l'encontre de Madame [R] tendrait à engager la responsabilité contractuelle de cette dernière pour des fautes commises au cours de l'exécution de son contrat de prestation de services justifiant sa résiliation immédiate sans respect d'un délai de préavis.

La mesure d'instruction 'in futurum' qui vise à établir la preuve de la divulgation d'informations confidentielles par Madame [R], au titre de sa prestation de services en charge de tâches administratives et non pas d'associée, n'a pas été demandée en considération de l'instance au fond pendante devant le tribunal de commerce de Paris pour laquelle elle n'était d'aucune utilité au moment où la requête devant le président du tribunal de commerce de Nîmes a été déposée.

Le litige au fond n'avait pas trait initialement aux mêmes causes et objet que la demande de mesure d'instruction. Ce n'est qu'ultérieurement, par le biais de conclusions n°3 déposées en vue de l'audience de mise en état du 21 mars 2024 que Madame [R] a formé des demandes additionnelles en vue d'étendre la saisine du tribunal de commerce de Paris à la question de la régularité de la résiliation de la convention de prestation de services la liant à la S.A.S.Linerbenne.

Le succès de l'instance au fond pendante devant le tribunal de commerce de Paris ne serait pas automatiquement de nature à faire échec à toute action en responsabilité contractuelle que la S.A.S.Linerbenne serait susceptible d'engager à l'encontre de Madame [R] pour violation de l'obligation de confidentialité. En effet, le mandat de président de Monsieur [G] est d'une durée de trois ans à compter du 8 janvier 2018 et il a expiré, selon les dispositions des statuts en vigueur lors de sa nomination, à l'issue de la décision des associés appelée à statuer sur les comptes de l'exercice clos lors de la troisième année suivant sa nomination. Il n'existe aucune certitude sur le renouvellement du mandat de Monsieur [G], quand bien même la révocation de ses fonctions de président serait annulée par décision de justice, de sorte qu'il ne peut être exclu que la S.A.S.Linerbenne, représentée par un autre dirigeant, intente une action au fond aux fins de voir engager la responsabilité contractuelle de Madame [R].

Il s'en suit que la mesure d'instruction lorsqu'elle a été sollicitée et autorisée le 9 mai 2023 ne concernait pas le même litige que celui alors pendant devant le tribunal de commerce de Paris. L'existence d'un procès en cours ne constituait donc pas un obstacle à la saisine du président du tribunal de commerce, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, pour obtenir l'autorisation de procéder à une mesure d'instruction en vue d'introduire un autre procès au fond.

2) Sur le motif légitime

La mesure d'instruction doit aider à la préparation du procès ; le demandeur doit démontrer le caractère nécessaire de cette mesure d'instruction au procès envisagé de sorte qu'elle doit être utile et nécessaire à l'amélioration de la situation probatoire des parties.

Le juge doit vérifier que l'action éventuelle au fond n'est pas vouée à l'échec, ce qui le conduit à apprécier la potentialité d'un procès. Le litige doit être plausible, crédible, en fait et en droit.

Cependant, l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas que le demandeur ait à établir le bien-fondé de l'action en vue de laquelle la mesure d'instruction est sollicitée (2ème Civ., 4 novembre 2021, n°21-14.023). La carence d'une partie dans l'administration de la preuve, l'absence de preuve des faits ne peuvent donc justifier le rejet d'une demande de mesure d'instruction, celle-ci ayant précisément pour objet d'obtenir cette preuve.

Il n'appartient pas à la présente cour, statuant sur une demande de rétractation d'une décision autorisant la saisie de documents, de dire si les informations que Madame [R] est soupçonnée d'avoir divulguées revêtent un caractère confidentiel au regard notamment des données mises à disposition des associés sur la dropbox gérée par Monsieur [I], et de déterminer si Madame [R] est susceptible de s'exonérer de son éventuelle responsabilité du fait que Monsieur [G] en tant que membre et même président du COS disposait d'un droit à l'information.

La S.A.S.Linerbenne n'est pas tenue de fournir un commencement de preuve des fautes reprochées à Madame [R] mais seulement d'établir l'existence d'un procès en germe.

En l'espèce, Madame [R] entretenait des relations privilégiées avec Monsieur [G] dont elle était initialement la salariée au sein de la société Clinigénétics. C'est sous la présidence de Monsieur [G] que, le 13 mai 2019, un contrat de prestation de services a été conclu entre la S.A.S.Linerbenne et Madame [R], auto-entrepreneur. Madame [R] détient une participation dans la société Sequeris dans laquelle Monsieur [G] est également associé. Elle a pris fait et cause pour Monsieur [G] en introduisant à ses côtés devant le tribunal de commerce de Paris l'action aux fins d'annulation de la délibération de l'assemblée générale du 15 juin 2022 révoquant Monsieur [G] de ses fonctions de président de la S.A.S.Linerbenne.

Madame [R] qui disposait d'une procuration sur les comptes bancaires de la S.A.S.Linerbenne a reconnu elle-même qu'elle avait transmis à Monsieur [G] le solde du compte bancaire de la société au 31 décembre 2022. Il est vraisemblable que cette donnée ne figurait pas sur la dropbox LB Solutions comportant des indications d'ordre commercial, ni sur le bilan comptable de l'exercice 2022 lequel au surplus n'était pas encore diffusé aux associés lorsque l'information a été communiquée à Monsieur [G].

Il existe donc des raisons plausibles pour la S.A.S.Linerbenne de craindre que Madame [R] ait divulgué d'autres informations confidentielles aux associés minoritaires. Le procès au fond que la S.A.S.Linerbenne envisage d'introduire à l'encontre de Madame [R] aux fins de voir engager sa responsabilité contractuelle n'est pas manifestement voué à l'échec, aucune fin de non-recevoir entraînant l'irrecevabilité de l'action n'étant invoquée par l'intimée.

3) Sur la dérogation au principe du contradictoire

L'article 495 du code de procédure civile précise que l'ordonnance sur requête est motivée. Il résulte de l'interprétation de ces dispositions par la Cour de cassation (Civ. 1re, 24 octobre 1978) que l'ordonnance qui vise la requête en adopte les motifs et satisfait à l'article 495.

Les mesures d'instruction prises sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne pouvant être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne le soient pas contradictoirement, il appartient au juge, saisi d'une demande de rétractation, de vérifier, même d'office, si la requête ou l'ordonnance caractérisent de telles circonstances ( en ce sens Civ. 1ère, 5 juillet 2017, pourvoi no16-19.825).

En l'occurrence, l'ordonnance du 9 mai 2023 faisant droit à la demande de mesure d'instruction indique qu'il est démontré l'existence de circonstances exigeant qu'une mesure urgente ne soit pas prise contradictoirement et opère un renvoi à la requête.

La requête précise que Madame [R] et Monsieur [G] ont volontairement caché à la S.A.S.Linerbenne et à ses associés historiques le fait que Madame [R] continuait à transmettre à Monsieur [G] des informations couvertes par le secret et dont elle avait connaissance du fait de son contrat ; que malheureusement, il y avait de fortes chances pour que la preuve de ces actes fautifs disparaisse des téléphones et ordinateurs de la société si la demande était présentée par voie d'assignation, de façon contradictoire; que la commission par les requis en toute connaissance de cause d'actes caractérisant la matérialité et l'ampleur des violations de leurs clauses de confidentialité et du devoir de loyauté des mandataires sociaux instituait de toute évidence un risque de dissimulation des documents recherchés ; qu'il avait été jugé le 16 mai 2019 par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation que la requête visant des données informatiques, numériques ou électroniques par essence furtives et susceptibles d'être aisément détruites ou altérées justifiait que la mesure ne soit pas pris contradictoirement eu égard au risque de destruction des documents si les intéressés étaient avertis de la mesure ordonnée.

Il s'en suit que la requête déposée par la S.A.S.Linerbenne exposait, de manière motivée, les raisons qui l'amenaient à opter pour une procédure non contradictoire et que l'ordonnance du 9 mai 2023 qui vise la requête en a adopté les motifs et satisfait ainsi à l'article 495 du code de procédure civile.

De par leur nature même, les supports concernés par la mesure d'instruction présentent une volatilité certaine, étant pour l'essentiel des courriels et fichiers informations qui peuvent être facilement détruits et qu'il est indispensable que l'effet de surprise soit ménagé afin d'éviter toute suppression des éléments de preuve qui compromettrait le succès de l'opération.

Il est reproché à Madame [R] d'avoir refusé de restituer des documents et du matériel (téléphone et ordinateur), d'avoir porté atteinte au secret des affaires et de s'être montrée déloyale à l'égard de la S.A.S.Linerbenne en privilégiant les intérêts de Monsieur [G] qui a été son ancien employeur.

Dans ces circonstances, il était fortement à craindre que si Madame [R] avait été avisée d'un potentielle action en justice envisagée par la société à son encontre, elle ne fasse disparaître les documents pouvant être utiles à cette dernière pour établir la preuve de la transmission d'informations confidentielles à Monsieur [G].

La société requérante justifie ainsi qu'il était nécessaire, au jour où le président du tribunal de commerce a statué et ordonné la mesure d'instruction, de recourir à une procédure non contradictoire.

4) Sur la proportionnalité de la mesure et son caractère légalement admissible

Constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi; il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit de la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Civ., 2è, 24 mars 2022, n°20-21.925).

Les mots-clés 'a à k' ont tous un lien évident avec l'activité de la S.A.S.Linerbenne. En revanche, les mots-clés constitués des adresses électroniques personnelles et professionnelles des associés de la S.A.S.Linerbenne et de Madame [R] (mots-clés l à y) sans association avec un autre mot-clé permettent l'appréhension de documents et correspondances n'ayant pas nécessairement de rapport avec les faits présentés dans la requête.

La mesure d'investigation n'a pas été suffisamment circonscrite dans son objet. Il convient, en application de l'article 497 du code de procédure civile, de la modifier en restreignant l'usage des mots-clés 'l à y' à une association avec au moins l'un des mots-clés 'a à k'.

De même, les faits invoqués dans la requête consistant en la divulgation d'informations auxquelles Monsieur [G] n'a plus accès depuis sa révocation de ses fonctions de président, il y a lieu également de circonscrire la mesure d'instruction dans le temps à compter du 15 juin 2022.

Il a été donné mission au commissaire de justice d'écarter les éléments relevant du secret des correspondances à caractère privé ou des correspondances des personnes soumises au secret professionnel et, dans l'hypothèse de correspondances présentant un caractère mixte professionnel et personnel, d'occulter des dites correspondances les éléments confidentiels ne relevant pas du périmètre de l'ordonnance.

Les précautions ainsi prises permettent d'exclure toute saisie de documents à caractère personnel et ainsi de préserver la vie privée de Madame [R]. De plus, l'ordonnance a encadré le sort des documents, fichiers saisis en prévoyant leur séquestration provisoire entre les mains du commissaire de justice désigné.

Dans ces circonstances, la saisie ordonnée ne porte pas une atteinte excessive aux droits de Madame [R], au regard du but poursuivi de parvenir à la manifestation de la vérité.

5) Sur la demande de dommages-intérêts formée par l'intimée

Madame [R] soutient que le commissaire de justice a outrepassé ses pouvoirs dans l'exécution de sa mission en procédant à une extraction de son ordinateur personnel et de son téléphone personnel des informations les plus intimes.

Cependant le contentieux de l'exécution de la mesure d'instruction ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, qui n'affecte pas la décision ayant ordonné cette mesure, ne relève pas des pouvoirs du juge de la rétractation (Civ. 2 , 17 mars 2016, n°15-12.456). De plus, la mesure d'instruction est justifiée dans son principe si bien que le caractère abusif du comportement de la S.A.S.Linerbenne fait l'objet d'une contestation sérieuse. L'ordonnance du 12 juillet 2023 sera, par conséquent, confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de dommages-intérêts formée par Madame [R] .

6) Sur les frais du procès

Les parties ayant obtenu partiellement satisfaction, il convient de laisser à la charge de chacune les dépens de première instance et d'appel qu'elle a exposés.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dans le cas d'espèce.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme l'ordonnance en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'elle a dit que la demande de Madame [K] [R], au titre de l'application de dommages et intérêts, se heurte à une contestation sérieuse de sorte qu'elle ne relève pas du pouvoir du juge des référés, et dit n'y avoir lieu à référé sur ladite demande,

Statuant à nouveau,

Déboute Madame [R] [K] de sa demande de rétractation de l'ordonnance rendue le 9 mai 2023 par le président du tribunal de commerce de Nîmes sur requête de la société Linerbenne,

Modifie l'ordonnance du 9 mai 2023 en ce qui concerne la mission confiée au commissaire de justice au paragraphe 2), selon les modalités suivantes:

-dit que pour le recueil des documents ou correspondances, papiers ou électroniques, concernant la société requérante, ses dirigeants, ses associés et salariés ainsi que toute société ou entreprise individuelle liée contractuellement avec la société requérante, les mots clés l) à y) ne pourront être utilisés seuls et devront être associés à l'un au moins des mots clés a) à k)

-dit que les constats et saisies faisant l'objet du paragraphe 2) seront limités aux documents créés, modifiés, envoyés ou reçus à compter du 15 juin 2022 et jusqu'au jour de la saisie,

Dit et juge nulles les mesures exécutées qui auraient procédé d'un dépassement des termes de l'ordonnance du 9 mai 2023 telle que restreinte par le présent arrêt

Fait défense à la S.A.S.Linerbenne d'utiliser les documents obtenus en vertu de l'exécution de l'ordonnance du 9 mai 2023, et notamment dans le constat des 10 et 26 mai 2023, qui auraient procédé d'un dépassement de la mission confiée à l'huissier de justice telle que restreinte par le présent arrêt

Y ajoutant,

Dit que chacune des parties supportera les dépens de première instance et d'appel qu'elle a exposés,

Déboute les parties de leurs demandes d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par la présidente et par la greffiere.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 23/03765
Date de la décision : 07/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-07;23.03765 ?
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