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30/05/2024 | FRANCE | N°22/04056

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5e chambre pole social, 30 mai 2024, 22/04056


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 22/04056 - N° Portalis DBVH-V-B7G-IU5D



EM/DO



POLE SOCIAL DU TJ DE NIMES

17 novembre 2022



RG :21/00117





S.A.S. [10]



C/



CPAM DU GARD

[V]



















Grosse délivrée le 30 MAI 2024 à :



- Me ALLOUCHE

- Me HASSANALY

- CPAM GARD



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COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

5e chambre Pole social



ARRÊT DU 30 MAI 2024





Décision déférée à la Cour : Jugement du Pole social du TJ de NIMES en date du 17 Novembre 2022, N°21/00117



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/04056 - N° Portalis DBVH-V-B7G-IU5D

EM/DO

POLE SOCIAL DU TJ DE NIMES

17 novembre 2022

RG :21/00117

S.A.S. [10]

C/

CPAM DU GARD

[V]

Grosse délivrée le 30 MAI 2024 à :

- Me ALLOUCHE

- Me HASSANALY

- CPAM GARD

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5e chambre Pole social

ARRÊT DU 30 MAI 2024

Décision déférée à la Cour : Jugement du Pole social du TJ de NIMES en date du 17 Novembre 2022, N°21/00117

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 12 Mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 30 Mai 2024.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A.S. [10]

[Adresse 2]

[Localité 18]

Représentée par Me Delphine ALLOUCHE de l'AARPI NORTH AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

CPAM DU GARD

[Adresse 1]

[Localité 18]

Représentée par M. [D] en vertu d'un pouvoir spécial

Monsieur [Y] [V]

né le 01 Juin 1971 à [Localité 18]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représenté par Me Loubna HASSANALY de la SELEURL LOUBNA HASSANALY, avocat au barreau de NIMES

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 30 Mai 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [Y] [V] a été embauché par la Sas [10] à compter du 19 janvier 1999 suivant contrat à durée indéterminée à temps complet, en qualité de conducteur livreur.

Le 22 février 2017, M. [Y] [V] a déclaré une pathologie du rachis lombaire, au titre de la législation des maladies professionnelles et a joint à sa demande un certificat médical initial daté du 30 janvier 2017 qui faisait état d'une « lombocruralgie sur hernie discale foraminale droite L4-L5, compression L4 (IRM)».

Par courrier du 22 mai 2017, la caisse primaire d'assurance maladie (Cpam) du Gard a notifié à M. [Y] [V] la décision de prise en charge de cette pathologie au titre du tableau 97 des maladies professionnelles relatif aux « affections chroniques du rachis lombaire provoquées par des vibrations de basses et moyennes fréquences transmises au corps entier ».

Son état de santé a été déclaré consolidé à la date du 28 février 2017.

Par certificat médical du 28 juin 2017, M. [Y] [V] a déclaré une rechute de la maladie professionnelle déclarée le 22 février 2017.

Par lettre du 04 août 2017, la Cpam du Gard a informé la Sas [10] de sa décision de reconnaître le lien entre la rechute de M. [Y] [V] constatée par certificat médical du 28 juin 2017 et la maladie professionnelle déclarée le 22 février 2017.

L'état de M. [Y] [V] a été déclaré consolidé au 11 juin 2018 suivant notification du 27 juillet 2018.

Par courrier du 09 août 2018, la Cpam du Gard a attribué à M. [Y] [V] une rente, à compter du 12 juin 2018, calculée sur la base d'un taux d'incapacité permanente de 15%.

Par certificat médical du 10 mai 2019, M. [Y] [V] a déclaré une nouvelle rechute de la maladie professionnelle déclarée le 22 février 2017 qui a été prise en charge par la Cpam du Gard suivant notification du 24 mai 2019.

Le 25 octobre 2019, M. [Y] [V] a été licencié pour inaptitude.

Sollicitant la reconnaissance de la faute inexcusable de la Sas [10], M. [Y] [V] a saisi la Cpam du Gard le 28 février 2020 pour mettre en oeuvre la procédure de conciliation.

Après échec de cette procédure concrétisé par la signature d'un procès-verbal de non-conciliation le 08 janvier 2021, M. [Y] [V] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes par requête du 28 janvier 2021, pour qu'il soit jugé que sa maladie a eu pour origine la faute inexcusable de son employeur, pour que soit ordonnée une expertise aux fins d'évaluation des préjudices qu'il a subis et que soit fixée une provision de 5 000 euros.

Par jugement du 17 novembre 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes a :

- dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de délivrance du document unique d'évaluation des risques professionnels ainsi que les demandes d'astreinte y afférent ;

- dit que la maladie professionnelle dont a été victime M. [Y] [V] est due à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction et que la victime a droit à l'indemnisation complémentaire prévue par les articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale ;

- ordonné la majoration de la rente selon les dispositions légales et réglementaires du code de la sécurité sociale ;

- ordonné une expertise médicale judiciaire ;

- rejeté la demande de provision formulée par M. [Y] [V] ;

- renvoyé l'affaire à la conférence présidentielle du 16 mai 2023 ;

- réservé les demandes relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Par lettre recommandée du 13 décembre 2022, la Sas [10] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

L'affaire a été fixée à l'audience du 24 octobre 2023 puis déplacée à l'audience du 12 mars 2024 à laquelle elle a été retenue.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience auxquelles il convient de se reporter pour connaître les moyens développés à l'appui de ses prétentions, la Sas [10] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 17 novembre 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes,

Et statuant à nouveau :

A titre principal :

- juger la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur [V], ainsi que toutes décision subséquentes, inopposables à la société [10], les conditions du Tableau 97 des maladies professionnelles n'étant pas satisfaites,

- juger qu'aucune faute inexcusable ne peut lui être imputée, le caractère professionnel de la pathologie déclarée par M. [V] le 22 février 2017 n'étant pas établi,

A titre subsidiaire :

- juger que M. [V] ne rapporte pas la preuve de l'existence des éléments constitutifs de la faute inexcusable comme étant à l'origine de sa maladie professionnelle médicalement constatée le 30 janvier 2017 et prise en charge au titre du tableau n° 97 des maladies professionnelles ;

En conséquence,

- rejeter l'intégralité des demandes de M. [V] ;

- ordonner le remboursement des sommes versées en exécution du jugement relative à la majoration de la rente versée à M. [V] en application de l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale,

- condamner reconventionnellement M. [V] à lui verser une somme 7000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience auxquelles il convient de se reporter pour connaître les moyens soulevés à l'appui de ses prétentions, M. [Y] [V] demande à la cour de :

- juger que la société [10] avait conscience du danger auquel il était exposé et n'a pris aucune mesure ;

- juger que la société [10] s'est rendue coupable de faute inexcusable à son encontre;

- juger que l'obligation de réparation de l'employeur n'est pas sérieusement contestable ;

En conséquence,

- confirmer le jugement rendu le 17 novembre 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes en toutes ses dispositions,

- débouter la société [10] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- débouter la société [10] de ses demandes reconventionnelles,

En tout état de cause,

- condamner la société à lui payer la somme de 2280,00 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions écrites, déposées et développées oralement à l'audience auxquelles il convient de se reporter pour connaître les moyens développés à l'appui de ses prétentions, la Cpam du Gard demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle déclare s'en remettre à la justice sur le point de savoir si la maladie professionnelle en cause est due à une faute inexcusable de l'employeur.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures déposées et soutenues oralement lors de l'audience.

MOTIFS

Sur la faute inexcusable :

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il résulte de l'application combinée des articles L452-1 du code de la sécurité sociale, L4121-1 et L4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur et le fait qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, sont constitutifs d'une faute inexcusable.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ou de la maladie l'affectant; il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, étant précisé que la faute de la victime, dès lors qu'elle ne revêt pas le caractère d'une faute intentionnelle, n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable.

Il incombe, néanmoins, au salarié de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l'employeur dont il se prévaut'; il lui appartient en conséquence de prouver, d'une part, que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait ses salariés et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires concernant ce risque, d'autre part, que ce manquement tenant au risque connu ou ayant dû être connu de l'employeur est une cause certaine et non simplement possible de l'accident ou de la maladie.

Le tableau 97 des maladies professionnelles relatif aux 'affections chroniques du rachis lombaire provoquées par les vibrations de basses et moyennes fréquences transmises au corps entier':

- désigne les maladies suivantes : sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante. Radiculalgie crurale par hernie discale L2-L3 ou L3-L4 ou L4-L5, avec atteinte radiculaire de topographie concordante.

- prévoit un délai de prise en charge de 6 mois (sous réserve d'une durée d'exposition de 5 ans),

- liste les travaux exposant habituellement aux vibrations de basses et moyennes fréquences transmises au corps entier : par l'utilisation ou la conduite des engins et véhicules tout terrain : chargeuse, pelleteuse, chargeuse-pelleteuse, niveleuse, rouleau vibrant, camion tombereau, décapeuse, chariot élévateur, chargeuse sur pneus ou chenilleuse, bouteur, tracteur agricole ou forestier ; par l'utilisation ou la conduite des engins et matériels industriels : chariot automoteur à conducteur porté, portique, pont roulant, grue de chantier, crible, concasseur, broyeur ; par la conduite de tracteur routier et de camion monobloc.

- Sur l'exposition au risque de M. [Y] [V] :

La Sas [10] liste les postes occupés par M. [Y] [V] depuis son embauche le 19 janvier 1999 :

- janvier 1999 à janvier 2009 : chauffeur livreur ; selon la Sas [10] ce poste 'impliquait de longs déplacements ainsi que le chargement et le déchargement des marchandises transportées',

- 1er janvier 2009 à août 2011 : chauffeur de parc « conducteur de parc » au sein de la plateforme logistique d'[Localité 9] (dite « HUB ») qui a fermé en fin d'année 2011 ; la Sas [10] indique que les fonctions de M. [Y] [V] consistaient à déplacer et manipuler des remorques dans l'enceinte de l'entreprise et qu'il n'y avait plus de manutention de marchandises ; M. [Y] [V] précise qu'il disposait d'un 'tracteur de parc' adapté pour la réalisation de ses missions,

- à compter du mois d'août 2011 : chauffeur traction ou « conducteur de lignes » ; M. [Y] [V] indique qu'il effectuait des navettes interagences puis qu'il est revenu au sein de l'agence de [Localité 18] rapidement ; la Sas [10] précise que les fonctions exercées par M. [Y] [V] impliquaient un travail de conduite avec opération d'attelage et dételage sans manutention de marchandise.

M. [Y] [V] soutient que si à compter d'août 2011, il effectuait des navettes interagences, néanmoins il est revenu rapidement aux fonctions de 'chauffeur de parc' au sein de [14] et que la Sas [10] ne lui a pas fourni de tracteur de parc qui était pourtant le seul 'tracteur adapté'et produit un avenant signé le 12/08/2011 qui mentionne des 'conditions nouvelles' 'lieu de travail : [Localité 18]'. Ce seul élément est manifestement insuffisant pour corroborer ses affirmations.

M. [Y] [V] prétend que la Sas [10] a commis une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle qu'il a souscrite le 22 février 2017 dans la mesure où les douleurs lombaires sont la conséquence directe des vibrations des camions vétustes qu'il devait conduire dans le cadre de son activité professionnelle, où l'employeur était conscient des vibrations incessantes de son 'camion vétuste' qu'il conduisait régulièrement et qui 'ont fini par lui causer une sciatique par hernie discale L4/L5".

A l'appui de son argumentation, M. [Y] [V] fait référence à la décision de prise en charge de la maladie qu'il a déclarée du 22 mai 2017 où la Cpam du Gard ne fait que mentionner l'intitulé du tableau 97 des maladies professionnelles et produit plusieurs attestations de salariés ou d'anciens salariés de la Sas [10] :

- M. [W] [PW] : 'dans les années 2003/2005 sous la direction de Mr [F] [K], [V] [Y] conduisait un camion de marque Mercedes qui émettait énormément de vibrations et malgré de nombreux signalements, ce véhicule n'a jamais été réparé. Mr [F] avait pour réponse que le camion était passé aux mines et que si on était pas content la porte était grande ouverte. Et comme [V] [Y] j'ai conduis régulièrement ce camion. »,

- M. [C] [Z] : certifie 'avoir remplacé Mr [V] [Y] sur la tournée d'[Localité 8] zones en semi-remorque dans les années 2003 (...) Mr [V] [Y] ( a été mis ) sur une autre tournée en camion porteur (le Vigan). Monsieur [V] [Y] avait un vieux Mercedes qui vibrait beaucoup sûrement dû a un mauvais équilibrage des roues ou parallélisme j'ai entendu Monsieur [V] [Y] se plaindre plusieurs fois de ce fait-ci. Monsieur [F] [K] qui lui riait au nez en lui disant que c'était passé aux mines et que les mines étaient valable un an et que s'il n'était pas content il n'avait qu'à démissionner.' ,

- M. [S] [P] : 'En remplacement de Mr [V] [Y], j'ai conduit le camion [Immatriculation 5] et constaté que le camion vibrait à partir de 60/65 Km/H et jusqu'à à peu prêt 80kms/heures. Mr [V] a souvent signalé ce fait plusieurs fois pendant des mois. »,

- M. [AF] [SL] : ' aux environs des années 2005 Mr [V] faisait la journée sur la tournée du Vigan avec le véhicule immatriculé [Immatriculation 5] Quand la vitesse dépassait les 60KH elle entraînait des vibrations importantes de la cabine et du siège conducteur. Nous l'avons signalé à maintes reprises à la direction, moi-même en tant que délégué du personnel».

La Sas [10] prétend qu'elle n'a jamais eu dans sa flotte, un véhicule immatriculé [Immatriculation 5] et produit à l'appui de son argumentation :

- une attestation de M. [N] [B], salarié au sein de la Sas [10] qui se présente comme responsable organisation au sein de la division réseau, qui indique que parmi ses attributions il avait celles du suivi du parc de véhicule de l'entreprise, que dans ce cadre, il dispose d'une base de donnée exhaustive qui centralise tous les véhicules de l'entreprise en achat et en location longue durée il certificie être en mesure de confirmer que le tracteur [Immatriculation 5] ne fait pas partie de cette base et que la Sas [10] ( ex [13]) n'a jamais eu ce véhicule dans sa flotte, que par contre le tracteur [Immatriculation 4] a bien été dans la flotte automobiles jusqu'au 25/04/2012 et qu'il était affecté à l'agence de [Localité 18] ; il joint à son attestation un document qui correspond à l' 'extraction de l'ensemble des tracteurs présentsà [Localité 18] et dans l'ensemble de' la flotte entre le 01/01/2003 et le 31/12/2012,

- une attestation établie le 24/03/2023 de la compagnie d'assurance SA [17] selon laquelle 'la société [10] est assurée au sein d'un contrat flotte automobile...depuis le 01 janvier 2012 et jusqu'à ce jour sans interruption. Les véhicules routiers dits de type 'tracteurs routiers' dont la liste avec les immatriculations figure en annexe 1, les camions routiers dits de type 'camions porteurs' dont la liste avec les immatriculations figure en annexe 2. Pour la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2019 [17] certifie que les deux véhicules immatriculés [Immatriculation 5] et [Immatriculation 4] n'étaient pas présents sur les états de parc fournis par l'assuré.',

- une attestation établie par M. [U] [H], chauffeur routier, qui certifie que M. [Y] [V] avait à disposition un tracteur de parc en [Localité 9] mais pas à l'agence de [Localité 12].

A l'examen du document relatif à l'extraction des tracteurs joint à l'attestation de M. [B], que M. [Y] [V] ne conteste pas sérieusement, il apparaît que le véhicule immatriculé [Immatriculation 7] ne faisait effectivement pas partie de la flotte automobiles de la Sas [10] entre le 30/09/1984 et le 27/12/2012.

La Sas [10] soutient qu'entre 2005 et 2007, le camion qui était mis à la disposition de M. [Y] [V] était un camion immatriculé [Immatriculation 4] et verse aux débats :

- deux constats amiables d'accident automobile du 20/03/2006 et du 29/08/2007 dans lesquels le véhicule que conduisait M. [Y] [V] était impliqué ; il s'agissait d'un véhicule de marque Mercedes immatriculé Mercedes [Immatriculation 4] appartenant à la société [15],

- un constat interne d'accident automobile du 27/03/2007 concernant un véhicule conduit par M. [Y] [V] ; il s'agissait d'un camion immatriculé [Immatriculation 4].

Les éléments ainsi produits par la Sas [10] établissent suffisamment, d'une part, qu'elle n'a pas été en possession dans son parc automobiles entre 1984 et 2012 puis entre le 01/01/2016 et le 31/12/2019 d'un véhicule de marque Mercédes immatriculé [Immatriculation 7], alors que M. [Y] [V] affirme qu'il conduisait ce véhicule entre 2003 et 2007 et que les témoignages qu'il a produits s'y réfèrent également, d'autre part, que M. [Y] [V] a conduit un véhicule de marque Mercedes [Immatriculation 4]. Le document joint à l'attestation de M. [B] établit que ce véhicule est entré dans le parc le 12/06/2003 et qu'il en est sorti le 25/04/2012.

M. [Y] [V] soutient par ailleurs qu'il a été soumis à des vibrations sur la période comprise entre 2015/2017 durant laquelle il conduisait un tracteur EL 201 FQ qui avait été accidenté par un salarié nommé [J], et produit une attestation établie par M. [M] [A] qui certifie avoir 'intégré l'entreprise [10] en tant que chef de quai le 06 novembre 2017. Dès mon arrivée, j'ai constaté qu'un chauffeur M. [Y] [V] se plaignait d'anomalies sur son tracteur. Il a rempli plusieurs fiches d'anomalies que j'ai transmises à mon responsable de parc. Effectivement, son camion vibrait beaucoup, ce qui lui provoquait des douleurs à la jambe et au dos. Malgré plusieurs signalements de sa part, rien n'a été fait jusqu'au remplacement de son camion en location longue durée'.

Ces seuls éléments ne permettent pas néanmoins de confirmer les dires de M. [Y] [V] selon lesquels il avait à sa disposition entre 2015 et 2017 un véhicule endommagé et qui provoquait des vibrations, dans la mesure où M. [M] [A] ne peut attester que pour une période postérieure à la déclaration de la maladie professionnelle par M. [Y] [V].

Par ailleurs, la Sas [10] justifie que le véhicule EL 201FQ a été mis en circulation pour la première fois le 30/03/2017 par la production du certificat d'immaticulation, et qu'il a été pris en location à compter du 30/06/2017, par la production d'une attestation établie par [16] datée du 31/01/2024. Il s'agissait donc d'un véhicule que M. [Y] [V] n'a pu conduire qu'à compter du 30 juin 2017, soit postérieurement à la déclaration de la maladie professionnelle.

En outre, concernant ce même véhicule, la Sas [10] produit un document se rapportant à son entretien pour la période comprise entre le 06/02/2003 et le 19/09/2017, et justifie ainsi des nombreuses interventions pour sa réparation ou sa maintenance.

D'une manière plus générale, la Sas [10] prétend avoir porté une attention particulière à la santé et à la sécurité de ses salariés.

La Sas [10] justifie avoir établi un document d'évaluation des risques qui a été réévalué à plusieurs reprises et produit des exemplaires datés du 26/06/2013, du 25/08/2014 et de 2019, dans lesquels il est mentionné, s'agissant de la conduite d'un véhicule poids lourds, au titre des dommages éventuels 'hernie discale, lombalgie' pour la situation dangereuse suivante 'conduire un poids lourd', avec comme événement déclencheur 'NC car maladie professionnelle liée aux vibrations' et où sont listées les mesures de prévention existantes 'siège à suspension hydraulique, sensibilisation des conducteurs au réglage des sièges' et, enfin, au titre de la pénibilité au sens de la loi du 09/11/2010 'risque rentrant dans le facteur pénibilité 'vibrations mécaniques', niveau de priorité '3".

La Sas [10] était bien consciente des risques que pouvaient encourir des chauffeurs routiers.

Cependant, comme le rappellent les premiers juges, 'l'appréciation de l'éventuelle faute inexcusable de l'employeur doit nécessairement être faite au regard du véhicule effectivement conduit par M. [Y] [V]' ; or, contrairement à ce que les premiers juges ont retenu, il n'est pas établi que M. [Y] [V] conduisait un véhicule immatriculé [Immatriculation 5] ; or, les attestations que M. [Y] [V] a produites se rapportent exclusivement à ce véhicule, pour la période d'exposition qu'il situe entre 2003 et 2007. M. [Y] [V] ne produit pas d'autres éléments de nature à identifier précisément le ou les véhicules qui auraient été mis à sa disposition par la Sas [10] et qui auraient présenté des problèmes de vibrations.

Au titre des mesures prises, la Sas [10] justifie avoir élaboré un 'plan d'action en faveur de la prévention de la pénibilité pour les années 2015/2016/2017" et justifie entretenir et réparer régulièrement ses véhicules comme en atteste le document listant les factures payées à ce titre entre le 17/06/2003 et le 30/11/2011.

Dans le même sens, la Sas [10] produit plusieurs attestations de salariés ou anciens salariés : M. [O] [E], chauffeur livreur entre 2006 et 2009 certifie du bon fonctionnement des véhicules du parc routier ainsi que de l'entretien et du suivi des véhicules par le service réparations ; M. [T] [E], conducteur du 23/09/2002 au 31/08/2008 certifie n'avoir rencontré aucune anomalie d'entretien sur les véhicules utilisés, qu'ils étaient en bon état de fonctionnement et récents ; M. [GN] [G] chauffeur livreur de 2009 à 2011 indique avoir travaillé avec des équipements et des véhicules en bon état et régulièrement entretenus.

M. [Y] [V] ne justifie pas non plus que son employeur aurait été alerté par son intermédiaire ou par l'intermédiaire d'autres salariés d'anomalies concernant les véhicules qu'il conduisait au sein de la Sas [10] entre 1999 et jusqu' à la déclaration de la maladie du 22 février 2017, alors que de son côté, la Sas [10] verse aux débats des comptes rendus d'entretiens d'évaluation de M. [Y] [V] de 2015/2016 et 2018, au cours desquels ce dernier n'a formulé aucune observation sur d'éventuelles anomalies liées à des vibrations de véhicules.

Les autres éléments que M. [Y] [V] produit au débats ne sont pas utiles à la solution du présent litige :

- un courriel envoyé à M. [X] [L], dont la qualité n'est pas précisé, qui n'est pas daté et qui fait référence manifestement à un problème de durée quotidienne du travail,

- un document manuscrit rédigé manifestement à l'attention de M. [Y] [V] (pièce 15) dont le rédacteur ne peut pas être identifié et qui est relatif aux 'pauses',

- des échanges sur 'Chat' auquel M. [Y] [V] a participé, qui ne sont pas datés.

- le certificat médical établi par le docteur [I] [R] du 24/05/2018 est postérieur à la déclaration de la maladie qu'il a déclarée,

- un article de presse du 29/09/2023 qui fait état d'un 'accident chimique à la Sas [11]'

- une copie d'un document photographique d'un camion,

- un certificat médical d'un ophtamologiste daté du 01/08/2018

- un courrier de la société adressé à M. [Y] [V] daté du 19/07/2018 se rapportant à un accident survenu le 17 juillet précédent

- la fiche établie par le médecin du travail le 07/05/2018 à l'occasion d'une visite de reprise.

Enfin, M. [Y] [V] fait état de contraintes physiques liées à certaines fonctions qu'il a exercées et qui l'obligeaient régulièrement de 'monter et descendre du tracteur sans cesse' 'et ce malgré la parfaite information de son employeur de sa maladie professionnelle et de son statut de travailleur handicapé', alors que ces gestes ne sont pas visés dans la liste des travaux du tableau 97 des maladies professionnelles.

Au vu des éléments qui précèdent, il apparaît que M. [Y] [V] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que la Sas [10] avait conscience ou aurait dû avoir conscience du risque de vibrations auquel il était exposé et qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires et efficaces pour préserver sa santé.

La preuve d'une faute inexcusable de la M. [Y] [V] à l'origine de la maladie professionnelle reconnue par la Cpam le 22 mai 2017 n'est donc pas rapportée.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce sens.

- Sur la demande d'inopposabilité présentée par la Sas [10] :

Si l'employeur peut soutenir en défense à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime que la maladie n'a pas d'origine professionnelle, il n'est pas recevable à contester la décision de prise en charge de la maladie par la caisse primaire au titre de la législation professionnelle.

L'action engagée par l'employeur après notification de la décision de la caisse de prendre en charge la maladie déclarée au titre de la législation sur les risques professionnels oppose l'employeur à la caisse, alors que l'action aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable engagée par le salarié l'oppose principalement à l'employeur, la caisse n'étant que partie jointe aux fins d'assurer le cas échéant l'indemnisation de la victime.

En l'espèce, la Sas [10] sollicite l'inopposabilité de la décision de prise en charge de l'affection déclarée par M. [Y] [V] le 22 février 2017 par la Cpam du Gard le 22 mai 2017, mais ne conteste pas dans son dispositif le caractère professionnel de l'affection ainsi déclarée.

Comme le rappelle justement la Cpam du Gard dans ses conclusions soutenues oralement à l'audience, l'opposabilité de la décision de prise en charge qu'elle a rendue ne privait pas l'employeur de contester le caractère professionnel de la maladie, ce que la société n'a pas fait.

La Sas [10] sera donc déboutée de sa demande d'inopposabilité.

Enfin, il convient de rappeler en tant que de besoin que le présent arrêt infirmatif, ou partiellement infirmatif, tient lieu de titre afin d'obtenir le remboursement des sommes versées en vertu de la décision de première instance assortie de l'exécution provisoire.

Il n'y a donc pas lieu de statuer sur la demande présentée par la Sas [10] au titre du remboursement des sommes versées à M. [Y] [V] en exécution du jugement rendu en première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière de sécurité sociale et en dernier ressort ;

Infirme le jugement rendu le 17 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Nîmes, contentieux de la protection sociale,

Statuant sur les dispositions réformées et y ajoutant,

Juge que la Sas [10] n'a commis aucune faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle souscrite par M. [Y] [V] le 22 février 2017,

Déboute M. [Y] [V] de l'intégralité de ses prétentions,

Condamne M. [Y] [V] à payer à la Sas [10] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Déclare opposable et commun le présent arrêt à la caisse primaire d'assurance maladie du Gard,

Condamne M. [Y] [V] aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.

Arrêt signé par le président et par la greffière.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5e chambre pole social
Numéro d'arrêt : 22/04056
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.04056 ?
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