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23/05/2024 | FRANCE | N°22/01690

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5e chambre pole social, 23 mai 2024, 22/01690


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 22/01690 - N° Portalis DBVH-V-B7G-IN7W



CRL/DO



POLE SOCIAL DU TJ D'AVIGNON

31 mars 2022



RG :16/00099





[W]





C/



S.A.S.U. [8]

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE



















Grosse délivrée le 23 Mai 2024 à :



- Me BREUILLOT

- Me ABDOU

- C

PAM VAUCLUSE











COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

5e chambre Pole social



ARRÊT DU 23 MAI 2024





Décision déférée à la Cour : Jugement du Pole social du TJ d'AVIGNON en date du 31 Mars 2022, N°16/00099



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Mme Catherine REYTER LEVIS, ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/01690 - N° Portalis DBVH-V-B7G-IN7W

CRL/DO

POLE SOCIAL DU TJ D'AVIGNON

31 mars 2022

RG :16/00099

[W]

C/

S.A.S.U. [8]

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE

Grosse délivrée le 23 Mai 2024 à :

- Me BREUILLOT

- Me ABDOU

- CPAM VAUCLUSE

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5e chambre Pole social

ARRÊT DU 23 MAI 2024

Décision déférée à la Cour : Jugement du Pole social du TJ d'AVIGNON en date du 31 Mars 2022, N°16/00099

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 Février 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 Avril 2024 et prorogé ce jour.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

Madame [R] [W]

née le 04 Avril 1961 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, avocat au barreau de CARPENTRAS

INTIMÉES :

S.A.S.U. [8] VENANT AUX DROITS DE LA SOCIÉTÉ [7]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Valéry ABDOU de la SELARL ABDOU ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE

[Adresse 3]

[Localité 4]

Non comparante, non représentée

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 23 Mai 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [R] [W], salariée en qualité de conductrice de car au sein de la société [7] a adressé à la Caisse Primaire d'assurance maladie du Gard une demande de reconnaissance de maladie professionnelle en date du 28 septembre 2012 sur la base d'un certificat médical initial établi le 28 septembre 2012 par le Dr [X] qui a diagnostiqué une ' rupture coiffe épaule droite'.

Cette pathologie a été prise en charge par la Caisse Primaire d'assurance maladie de Vaucluse au titre de la législation relative aux risques professionnels. - tableau 57 A des maladies professionnelles ( rupture partielle de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite ), et Mme [R] [W] a été déclarée consolidée de ses lésions le 18 août 2012, avec un taux d'incapacité permanente partielle de 7% qui a été porté à 27% par jugement du tribunal du contentieux de l'incapacité en date du 20 novembre 2015.

Le 28 février 2014, Mme [R] [W], a adressé à la Caisse Primaire d'assurance maladie de Vaucluse une déclaration d'accident du travail pour des faits survenus le 24 juillet 2012 et ainsi décrit ' lors de la conduite du car, en manipulant la boîte de vitesse du véhicule, difficile et dure à la manipulation'. Le certificat médical en date du 27 juillet 2012 établi par le Dr [O] mentionne une douleur à la mobilisation de l'épaule droite.

Le 22 août 2012, le médecin du travail suite à la visite de reprise a adressé un courrier à l'employeur indiquant qu'il convenait d'être vigilant et de fournir à Mme [R] [W] un véhicule adapté à ses problèmes de santé, et a fait état d'une seconde visite après IRM et avis d'un spécialiste.

Le 28 mai 2014, la Caisse Primaire d'assurance maladie de Vaucluse a refusé la prise en charge de cet accident au titre de la législation relative aux risques professionnels et sur recours de Mme [R] [W], le tribunal des affaires de sécurité sociale de Vaucluse par jugement du 11 mai 2017 a jugé que cet accident devait être pris en charge au titre de la législation professionnelle.

Parallèlement, par courriers des 19 mars et 2 juillet 2015, Mme [R] [W] a sollicité la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur au titre de l'accident du travail dont elle a été victime le 24 juillet 2012 et de la maladie professionnelle du 28 septembre 2012.

Après échec de la procédure de conciliation mise en 'uvre par la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse constaté par procès-verbaux en date des 24 juin 2015 s'agissant de l'accident du travail et 5 août 2015 s'agissant de la maladie professionnelle, Mme [R] [W] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Vaucluse aux mêmes fins par requête du 26 janvier 2016.

Par jugement du 31 mars 2022, le pôle social du tribunal judiciaire d'Avignon a :

- dit que la société [7] n'a commis aucune faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail du 24 juillet 2012,

- dit que la société [7] n'a commis aucune faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle du 28 septembre 2012,

- débouté Mme [R] [W] de toutes ses demandes,

- déclaré le présent jugement opposable à la caisse primaire d'assurance maladie,

- condamné Mme [R] [W] aux dépens (article 696 du code de procédure civile).

Par acte du 18 mai 2022, Mme [R] [W] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 19 avril 2022. Enregistrée sous le numéro RG 22 01690, l'examen de cette affaire a été appelé à l'audience du 14 juin 2023 et renvoyé à celle du 6 février 2024.

Par conclusions déposées et développées oralement à l'audience, Mme [R] [W] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire d'Avignon du 31 mars 2022 en ce qu'il a déclaré que la société [7], aux droits de qui intervient aujourd'hui la société [8], n'avait commis aucune faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail du 24 juillet 2012 et la maladie professionnelle du 28 septembre 2012 ;

- l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,

- dire que la société [8] a commis une faute inexcusable à l'origine tant de l'accident du 24 juillet 2012 que de la maladie professionnelle constatée le 17 septembre 2012,

- dire que le capital ou la rente alloué au titre de cet accident et de cette maladie professionnelle sera portée au maximum prévu à l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale,

- avant dire droit, voir désigner tel médecin expert qu'il plaira au tribunal aux fins d'évaluer le préjudice corporel ainsi que le préjudice professionnel consécutif à cet accident ;

- dire que l'expert aura notamment pour mission de :

1) Se faire communiquer par les parties ou leurs conseils :

' tous les documents médicaux relatifs à l'accident, depuis les constatations des secours d'urgence jusqu'aux derniers bilans pratiqués,

' tous les éléments relatifs au mode de vie de la blessée, antérieurs à l'accident:

*degré d'autonomie fonctionnelle et intellectuelle par rapport aux actes élémentaires et élaborés de la vie quotidienne,

*conditions d'exercice des activités professionnelles,

*statut exact et/ou formation s'il s'agit d'un demandeur d'emploi et carrière professionnelle antérieure à l'acquisition de ce statut, tous les éléments relatifs au mode de vie de la blessée contemporains de l'expertise (degré d'autonomie, statut professionnel..., lieu habituel de vie...),

2) Après discussion contradictoire en cas de divergence entre les déclarations ainsi recueillies et les documents produits :

' indiquer précisément le mode de vie du blessé antérieur à l'accident retenu pour déterminer L'incidence séquellaire, à savoir : degré d'autonomie, d'insertion sociale et / ou professionnelle,' avec retranscription intégrale du certificat médical initial, et totale ou partielle du ou des autres éléments médicaux permettant de connaître les principales étapes de l'évolution, décrire de façon la plus précise possible les lésions initiales, les modalités du ou des traitements, les durées d'hospitalisation (périodes, nature, nom de l'établissement, service concerné), les divers retours à domicile (dates et modalités), la nature et la durée des autres soins et traitements prescrits imputables à l'accident,

' décrire précisément le déroulement et les modalités des 24 heures quotidiennes de la vie de la victime, au moment de l'expertise,

3) Procéder à un examen clinique détaillé permettant de décrire les lésions et leur répercussion sur les actes et gestes de la vie quotidienne,

4) Evaluer les séquelles aux fins de :

' indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles,

' en cas d'incapacité partielle, en préciser le taux et la durée,

' dire si l'état de la victime nécessite ou a nécessité l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne et, dans l'affirmative, préciser la durée quotidienne et la nature de cette intervention,

' dire si l'état de la victime nécessite ou a nécessité un aménagement de son logement,

' dire si l'état de la victime nécessite ou a nécessité un aménagement de son véhicule,

' après s'être entouré, au besoin, d'avis spécialisés, dire :

' si elle est ou sera capable de progresser dans son activité professionnelle (perte de chance d'une promotion professionnelle),

' si la victime est ou sera capable de poursuivre, dans les mêmes conditions, son activité professionnelle antérieure à l'accident (incidence professionnelle),

' dans la négative, si elle est ou sera capable d'exercer une activité professionnelle. Dans ce cas, en préciser les conditions d'exercice et les éventuelles restrictions ou contre-indications,

' décrire les souffrances physiques et psychiques endurées du fait des blessures subies et les évaluer sur l'échelle habituelle de 7 degrés, en différenciant le préjudice temporaire, avant consolidation, du préjudice permanent après celle-ci,

' décrire le préjudice sexuel, qui peut être lié à une atteinte morphologique, à l'acte sexuel lui- même (troubles de la libido, rapports sexuels techniquement difficiles et aléatoires, désagréments à l'occasion de l'acte sexuel tels des douleurs, etc') ou à une impossibilité ou difficulté de procréer,

' décrire le déficit fonctionnel permanent, qui constitue un préjudice extra patrimonial, après consolidation, consistant en une perte de la qualité de vie et troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales,

- voir déclarer la décision à intervenir opposable à la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse ;

- voir condamner la société [8] au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- voir ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir pour tous les chefs qui n'en bénéficieraient pas de droit.

Au soutien de ses demandes, Mme [R] [W] fait valoir que :

- l'accident du travail du 24 juillet 2012 est survenu alors qu'elle utilisait le levier de vitesse de son véhicule qui était défectueux et exigeait beaucoup de force,

- le 22 août 2012, le médecin du travail l'a déclarée apte à son poste, mais a écrit à l'employeur qu'il convenait d'être vigilant et ' de la doter d'un véhicule adapté à ses problèmes de santé',

- son employeur a méconnu ces préconisations de la médecine du travail, n'a pas fourni de véhicule adapté ni été vigilant sur sa situation et cette absence d'adaptation de son poste de travail est la cause de sa maladie professionnelle,

- les attestations qu'elle produit établissent le refus de l'employeur de lui attribuer un véhicule doté d'une boîte de vitesse automatique,

- si comme il le soutient l'employeur estimait que les préconisations du médecin du travail n'étaient pas suffisamment précises, il lui appartenait de l'interroger pour avoir des indications, mais il ne pouvait pas laisser les choses en l'état,

- l'employeur ne produit aucun DUERP établissant qu'il a pris en compte ce risque,

- s'agissant de la contestation du caractère professionnel de sa maladie, sans apporter d'élément sur l'absence d'exposition au risque autrement que par ses propres affirmations, et ce alors qu'il n' a jamais contesté la décision de reconnaissance du caractère professionnel de sa pathologie,

- sa demande de requalification de cette maladie professionnelle en rechute de l'accident du travail intervient au-delà du délai de prescription de 5 ans de l'article 2224 du code civil, et n'est étayée par aucun élément,

- la faute inexcusable de l'employeur, elle est fondée à solliciter une expertise pour évaluer son entier préjudice afin d'en solliciter l'indemnisation.

Au terme de ses conclusions écrites, déposées et soutenues oralement lors de l'audience, la SAS [8], venant aux droits de la société [7] demande à la cour de :

- confirmer l'entier jugement déféré,

Sur l'accident du travail du 24 juillet 2012,

- à titre principal, dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail du 24 juillet 2012 de Mme [W],

- à titre subsidiaire, dire et juger que la Caisse Primaire d'assurance maladie ne pourra exercer son action récursoire à l'encontre de l'employeur quant à la majoration de rente et sommes allouées à la salariée en remboursement de ses préjudices, compte tenu de l'inopposabilité de la prise en charge du sinistre à l'égard de celui-ci,

Sur la maladie professionnelle du 28 septembre 2012,

- à titre principal, dire et juger que la maladie déclarée le 28 septembre 2012 par la salariée ne peut être imputée à son travail, empêchant ainsi toute faute inexcusable de la part de son employeur,

- à titre subsidiaire, dire et juger que la maladie déclarée le 28 septembre 2012 par la salariée doit être requalifiée de rechute de l'accident du travail du 24 juillet 2012, et qu'en connaissance elle peut faire l'objet d'une procédure en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur,

- à titre très subsidiaire, dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute inexcusable à l'origine de la maladie déclarée le 28 septembre 2012 par Mme [R] [W],

- à titre infiniment subsidiaire, dire et juger qu'en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, l'action récursoire de la Caisse Primaire d'assurance maladie quant à la récupération de la majoration de la rente ne pourra se faire que sur la base du taux d'IPP initial de 17%, opposable à l'employeur dans ses rapports avec l'organisme de sécurité sociale.

Au soutien de ses demandes, la SAS [8] fait valoir que:

- concernant l'accident du travail, elle n'a, à aucun moment pu anticiper le fait que Mme [R] [W] serait affectée d'une lésion du fait de l'utilisation du levier de vitesse d'un car scolaire, geste qui est la base de son métier de conductrice de car scolaire,

- les attestations produites par Mme [R] [W] tardivement dans la procédure sont de pure complaisance et ne permettent pas de rapporter cette preuve,

- la décision de refus de prise en charge de cet accident au titre de la législation relative aux risques professionnels qui lui a été notifiée par la Caisse Primaire d'assurance maladie fait obstacle à toute action récursoire de cette dernière à son encontre si la faute inexcusable venait à être retenue,

- concernant la maladie professionnelle : elle est recevable à contester dans le cadre de la demande de reconnaissance de faute inexcusable le caractère professionnel de la pathologie puisque Mme [R] [W] n'était pas soumise dans le cadre de son activité professionnelle au risque tel que décrit au tableau 57 des maladies professionnelles puisque l'angle invoqué est bien supérieur à celui d'un conducteur de bus lorsqu'il manipule le levier de vitesse, et au surplus, ce geste qui prend quelques secondes n'est pas effectué en cumulé plus de deux heures par jour,

- subsidiairement, si le lien entre les lésions subies par Mme [R] [W] et le travail était établi, il s'agirait d'un rechute de celles observées lors de l'accident du travail du 24 juillet 2012, l'IRM révélant l'existence d'une rupture de la coiffe des rotateurs ayant été effectuée avant la date de constatation de la maladie professionnelle, et aucune faute inexcusable ne peut être recherchée à l'encontre de l'employeur sur une rechute,

- encore plus subsidiairement, les critères de la faute inexcusable de l'employeur, si la pathologie était qualifiée de maladie professionnelle, ne sont pas réunis, l'avis du médecin du travail du 2 août 2012 ne permet pas de démontrer une quelconque conscience du risque, puisqu'à cette date la procédure contentieuse devant le tribunal des affaires de sécurité sociale n'était pas aboutie et le médecin du travail lui-même parle d'arrêt en maladie de Mme [R] [W] et non d'accident du travail,

- l'avis d'aptitude lui-même ne comprend aucune restriction, et en l'absence de préconisations précises du médecin du travail, Mme [R] [W] ne peut lui reprocher une quelconque conscience d'un danger auquel elle aurait été exposée,

- le cas échéant, l'action récursoire et non subrogatoire de la Caisse Primaire d'assurance maladie devra se faire sur la base du taux d'incapacité permanente partielle qui a été initialement fixé par l'organisme social soit 17% dont 2% à titre socio-professionnel.

Par conclusions déposées et développées oralement à l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour quant à la reconnaissance ou pas du caractère inexcusable de la faute éventuellement commise par l'employeur,

Dans l'hypothèse où la faute inexcusable de l'employeur serait retenue,

- lui donner acte de ses protestations et réserves tant sur la demande d'expertise médicale que sur les préjudices réparables,

- notamment refuser d'ordonner une expertise médicale visant à déterminer :

* la date de consolidation,

* le taux d'IPP,

* le déficit fonctionnel permanent,

* les pertes de gains professionnels actuels,

* plus généralement, tous les préjudices déjà couverts, même partiellement par le livre IV du code de la sécurité sociale dont :

° les dépenses de santé future et actuelle,

° les pertes de gains professionnels actuels,

° l'assistance d'une tierce personne,

- lui donner acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse du tribunal quant au montant de l'indemnisation à accorder à la victime au titre de la faute inexcusable de l'employeur,

- ramener les sommes réclamées à de justes et raisonnables proportions compte tenu du 'référentiel indicatif régional de l'indemnisation du préjudice corporel' habituellement retenu par les diverses cour d'appel,

- dire et juger qu'elle sera tenue d'en faire l'avance à la victime,

- au visa de l'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, dire et juger que l'employeur est de plein droit tenu de lui verser l'ensemble des sommes ainsi avancées par elle au titre de la faute inexcusable de l'employeur commise par lui,

- en tout état de causes, elle rappelle toutefois qu'elle ne saurait être tenue à indemniser l'assuré au-delà des obligations mises à sa charge par l'article précité, notamment à lui verser une somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS

Selon l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité Sociale, lorsque l'accident ou la maladie professionnelle est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

Le manquement à cette obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident ou de la maladie professionnelle survenu au salarié, mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

La conscience du danger s'apprécie au moment ou pendant la période d'exposition au risque.

Il incombe en conséquence au salarié de prouver, en dehors des hypothèses de faute inexcusable présumée, que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

L'article L 4121-1 du code du travail, sans sa version applicable, dispose que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent:

1° des actions de préventions des risques professionnels et de la pénibilité au travail,

2° des actions d'information et de formation,

3° la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

* sur la faute inexcusable de l'employeur concernant l'accident du travail en date du 24 juillet 2012

Le 27 juillet 2012, Mme [R] [W] a été placé en arrêt de travail jusqu'au 18 août 2012 au titre de l'assurance maladie pour une tendinite de l'épaule droite, selon certificat médical du Dr [O], qui a établi un second certificat médical sous forme de certificat médical initial pour accident du travail du 24 juillet 2012 pour le même motif et la même durée d'arrêt de travail.

Le 28 février 2014, Mme [R] [W] a adressé à la Caisse Primaire d'assurance maladie de Vaucluse une déclaration d'accident du travail concernant cette lésion, laquelle a fait l'objet d'une décision de refus de prise en charge par l'organisme social en date du 28 mai 2014.

En revanche, ces faits ont été pris en charge en tant qu'accident du travail par jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Vaucluse en date du 11 mai 2017.

Pour démontrer la faute inexcusable de l'employeur dans la survenue de cet accident du travail en date du 24 juillet 2012, Mme [R] [W] explique avoir demandé la veille de l'accident à changer le car qui lui était attribué, en raison de la difficulté à manipuler le levier de vitesse de celui qui lui était attribué. Elle précise dans ses écritures que ' de longue date ce levier de vitesse opposait dont une résistance anormale et susceptible d'entrainer des lésions physiques. C'est d'ailleurs pour cela que le médecin du travail avait recommandé un véhicule adapté.'

Au soutien de ses affirmations, Mme [R] [W] produit les attestations de plusieurs collègues de travail qui indiquent pour les faits du 24 juillet 2012 :

- s'agissant de Mme [E] [G] : ' Mme [R] [W] amie et collègue de travail m'a appelé pour me confier son inquiétude car elle a demandé à changer de car pour faciliter le passage de vitesse pour ne pas souffrir de son épaule fragile. Devant le refus catégorique de son chef, Mme [A] [Z], Mme [R] [W] n'a pas eu le choix d'utiliser le car n°5624 pour effectuer son service. Le 24 juillet 2012 au soir Mme [R] [W] m'a appelée pour me faire part du claquement de son épaule, en manipulant le car n°5624, en effet j'affirme que la boîte à vitesse de ce véhicule est très dure, l'ayant moi-même utilisé à plusieurs reprises pour effectuer certains services. (...)'

- s'agissant de Mme [F] [Y] : dans une première attestation en date du 4 juillet 2014 ' Mme [R] [W] craignait pour son bras droit qui était douloureux à la conduite de certains véhicules de la société. J'affirme d'être à maintes reprises présente et avoir pu constater la gène douloureuse occasionnée par la manipulation du levier de vitesse. Sa demande pour obtenir un véhicule plus adapté à une conduite sans forcer n'a pas été prise en compte et à était rejeter. Le 25 juillet 2012 au matin Mme [R] [W] m'a fait part de l'incident de la veille, le 24 juillet 2012 alors qu'elle conduisait le car n°5624 pour rentrer sur son dépot (...)' et dans une seconde en date du 14 octobre 2022 qu'elle était présente lorsque Mme [A] a refusé le changement de car 'sur un ton énervé'

- s'agissant de M. [P] [V], dans une attestation datée du 18 octobre 2022 qu'il était présent dans la salle des conducteurs le 23 juillet 2012 lorsque Mme [R] [W] s'est présentée à Mme [A] pour demander à changer le bus qui lui été affecté pour le lendemain, et qu'elle a ' souhaité faire constater à notre responsable pour justifier sa demande de changement de car' sa douleur au bras et que la demande a été 'fermement rejetée par Mme [A]'.

La SAS [8] conteste avoir été informée d'un quelconque danger auquel aurait été exposée Mme [R] [W], conductrice de bus, en lien avec la manipulation du levier de vitesse et observe que les seules attestations faisant état d'une information sur ce point de l'employeur ont été établies en 2022 et produites tardivement.

De fait, force est de constater que les premières attestations produites par Mme [R] [W] ne font que rapporter ses propos sur le fait qu'elle aurait informé son employeur avant le 24 juillet 2012 d'une douleur au bras l'empêchant de conduire certains véhicules.

L'attestation initiale de Mme [Y] ne mentionne absolument pas sa présence la veille de l'accident lorsque Mme [R] [W] aurait sollicité ce changement de véhicule en raison de douleur à son bras ou de difficulté à la conduite, alors même qu'elle indique en amont avoir pu assister, sans préciser de date à une telle demande.

Le fait qu'elle se souvienne de ce détail plus de 10 ans après les faits interroge sur la spontanéité de ce témoignage effectué après le jugement déféré rejetant la faute inexcusable de l'employeur, de même que sur celui de M. [V].

Au surplus, ces témoignages tardifs ne précisent pas quelles informations auraient été effectivement données à Mme [A] avant qu'elle ne refuse un changement de car.

Par suite, Mme [R] [W] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce qu'elle aurait informé son employeur d'un danger auquel elle était exposée et que celui-ci aurait refusé de prendre les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La décision déférée qui a justement débouté Mme [R] [W] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [7] aux droits de laquelle vient la SAS [8], dans la survenue de son accident du travail en date du 24 juillet 2012 sera en conséquence confirmée.

* sur la faute inexcusable de l'employeur concernant la maladie professionnelle du 28 septembre 2012

Il convient en premier lieu, de rappeler que dans le cadre d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime ou ses ayants droit, l'employeur peut soutenir que l'accident n'a pas d'origine professionnelle.

Au terme de l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable à la date de déclaration de la maladie professionnelle, issue de la loi du 98-1194 du 23 décembre 1998, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 [ qui précise que le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité ] et au moins égal à un pourcentage déterminé, soit 25% .

Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1.

Sur le caractère professionnel de la pathologie déclarée par Mme [R] [W] le 28 septembre 2012

La présomption d'imputabilité s'applique aux maladies professionnelles inscrites sur les tableaux officiels dès lors que les conditions posées par ceux-ci sont remplies; ainsi, la pathologie du salarié doit répondre à trois conditions: être inscrite sur un tableau, avoir été médicalement constatée dans le délai de prise en charge et avoir été provoquée par l'exécution de certains travaux exposant à un risque professionnel.

Le tableau N° 57 A des maladies professionnelles,

- désigne l'une des maladies suivantes: rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM,

- prévoit un délai d'exposition d'un an (sous réserve d'une durée d'exposition d'un an),

- liste limitativement les travaux comportant des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction, avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé ou avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé.

En l'espèce, il résulte du certificat médical initial établi par le Dr [X] en date du 28 septembre 2012 qui Mme [R] [W] présentait une maladie professionnelle ' rupture de la coiffe des rotateurs' dont la date de première constatation était le 17 septembre 2012.

La SAS [8] conteste le caractère professionnel de la pathologie déclarée par Mme [R] [W] au motif que dans le cadre de son activité de conducteur de car, Mme [R] [W] n'était pas exposée à la liste limitative des travaux, soit des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction, avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé ou avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé. Elle renvoie en ce sens au questionnaire employeur qu'elle a renseigné dans le cadre de l'enquête administrative diligentée par la Caisse Primaire d'assurance maladie.

A titre subsidiaire, si l'origine professionnelle de la pathologie était retenue, la SAS [8] soutient que celle-ci doit être considérée comme une rechute de la tendinite constatée lors de l'accident du travail du 24 juillet 2012, le contrôle par IRM objectivant la rupture de la coiffe des rotateurs étant intervenu dans la suite de la prise en charge de cette pathologie, ainsi que cela résulte du courrier du médecin du travail en date du 22 août 2012.

Force est de constater que Mme [R] [W] n'apporte aucun élément sur ce point, se contentant à tort de soutenir que la ' contestation de la maladie ' par voie d'exception' opposée par l'employeur' était irrecevable car celui-ci ne l'avait pas contestée lorsque sa prise en charge lui avait été notifiée et que plus de 5 années s'étaient écoulées depuis cette notification.

Or, comme rappelé supra dans le cadre d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime ou ses ayants droit, l'employeur peut soutenir que l'accident n'a pas d'origine professionnelle, cette possibilité n'étant soumise à aucune autre condition de procédure ou de délai.

Par suite, Mme [R] [W] n'apporte aucun élément permettant de remettre en cause le constat de l'employeur selon lequel la manipulation d'un levier de vitesse sur un car ne place pas le conducteur dans une des situations visée au tableau 57A des maladies professionnelles.

Ainsi, il résulte de l'ensemble de ces éléments que, malgré la décision de prise en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels par la Caisse Primaire d'assurance maladie de Vaucluse qui reste acquise à l'assurée et opposable à l'employeur, le caractère professionnel de la pathologie constatée par certificat médical en date du 28 septembre 2012, n'est pas démontré.

Sur la faute inexcusable

Dès lors que le caractère professionnel de la pathologie n'est pas retenu, la demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable  de l'employeur est en voie de rejet.

Le jugement déféré, qui a débouté Mme [R] [W] de ses demandes en ce sens, sera en conséquence confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, en matière de sécurité sociale, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 31 mars 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire d'Avignon,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Condamne Mme [R] [W] aux dépens de la procédure d'appel.

Arrêt signé par le président et par la greffière.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5e chambre pole social
Numéro d'arrêt : 22/01690
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;22.01690 ?
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