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02/04/2024 | FRANCE | N°22/02133

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5ème chambre sociale ph, 02 avril 2024, 22/02133


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 22/02133 - N° Portalis DBVH-V-B7G-IPIQ



GLG/EB



CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AVIGNON

25 mai 2022



RG :20/00099







[N]





C/



S.A. SNCF VOYAGEURS





















Grosse délivrée le 02 AVRIL 2024 à :



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COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH



ARRÊT DU 02 AVRIL 2024





Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'Avignon en date du 25 Mai 2022, N°20/00099



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Monsieur Guénaël LE GALLO,...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/02133 - N° Portalis DBVH-V-B7G-IPIQ

GLG/EB

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AVIGNON

25 mai 2022

RG :20/00099

[N]

C/

S.A. SNCF VOYAGEURS

Grosse délivrée le 02 AVRIL 2024 à :

- Me

- Me

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 02 AVRIL 2024

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'Avignon en date du 25 Mai 2022, N°20/00099

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Monsieur Guénaël LE GALLO, Magistrat honoraire juridictionnel, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Monsieur Guénaël LE GALLO, Magistrat honoraire juridictionnel

M. Michel SORIANO, Conseiller

GREFFIER :

Madame Emmanuelle BERGERAS, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 02 Février 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 02 Avril 2024.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANT :

Monsieur [L] [N]

né le 13 Octobre 1971 à [Localité 7]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représenté par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, avocat au barreau de CARPENTRAS

INTIMÉE :

S.A. SNCF VOYAGEURS venant aux droits et obligations de SNCF MOBILITES, établissement public à caractère industriel et commercial, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Aurore VEZIAN de la SELARL LEONARD VEZIAN CURAT AVOCATS, avocat au barreau de NIMES

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 19 Janvier 2024

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 02 Avril 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Embauché par la SNCF en qualité d'agent statutaire à compter du 14 avril 1998, exerçant en dernier lieu l'emploi d'agent de surveillance principal au sein de l'Etablissement Provence Alpes, qualification C, niveau 2, PR 13, M. [L] [N] s'est vu notifier par le directeur de région, le 19 octobre 2015, la sanction suivante pour absence injustifiée en gare de [Localité 6], le 23 juin 2015 : 'Dernier avertissement + Déplacement par Mesure Disciplinaire + Mise à Pied de 2 jours ouvrés', décision qui, faisant suite à la précédente sanction du 7 octobre 2014, a entraîné sa radiation des cadres.

Contestant cette mesure ainsi que les sanctions disciplinaires prises à son encontre les 7 octobre 2014, 2 juillet 2015 et 19 octobre 2015, et soutenant avoir été victime de discrimination et de harcèlement moral, le salarié a, par requête reçue le 18 mai 2018, saisi le conseil de prud'hommes d'Avignon afin de voir ordonner sa réintégration et condamner l'employeur à lui payer plusieurs sommes à caractère salarial et indemnitaire.

L'affaire ayant été radiée par décision du 4 février 2019, puis réenrôlée le 3 mars 2020, le conseil de prud'hommes a, par jugement du 25 mai 2022, déclaré les demandes prescrites et irrecevables, dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile, et laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.

M. [N] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 24 juin 2022.

' Aux termes de ses dernières conclusions remises le 19 janvier 2024, l'appelant demande à la cour de :

'Infirmer le jugement du Conseil des prud'hommes d'Avignon en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrites les demandes de Monsieur [N] [L] et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes ;

En conséquence,

Annuler les sanctions disciplinaires prises à l'encontre de Monsieur [L] [N] les 7 octobre 2014, 2 juillet 2015 et 19 octobre 2015 ;

Annuler en conséquence la mesure de radiation des cadres pris à l'encontre de Monsieur [L] [N] le 19 octobre 2015 ;

Dire et juger que Monsieur [L] [N] a été victime de discrimination pour raisons familiales et de harcèlement moral ;

Subsidiairement, avant dire droit, surseoir à statuer

Inviter la partie la plus diligente à saisir le juridiction administrative compétente sur l'appréciation de la légalité de l'article 3 § 6 du chapitre 9 intitulée « Garanties disciplinaires et sanctions » du « Statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel » au regard de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et du principe de valeur constitutionnel de proportionnalité des peines, et l'autoriser à poser à cette fin toute question préjudicielle à la juridiction administrative ;

Voir condamner l'établissement public SNCF MOBILITES à payer à Monsieur [L] [N] les sommes suivantes :

' 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

' 8 394,40 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;

' 3 727,02 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

' 372,70 euros au titre des congés payés correspondants ;

' 638,15 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied ;

' 63,81 euros à titre de congés payés y afférents

' 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral résultant du harcèlement moral et de la discrimination subis entre 2012 et 2015 ;

Ordonner la remise de bulletins de salaires rectifiés, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conforme sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de 15 jours après la notification de la décision à intervenir ;

Dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine

Condamner la SNCF au paiement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile

La condamner aux entiers.'

Il soutient en substance que :

' la SNCF ayant refusé de lui accorder les aménagements horaires qu'il sollicitait depuis la fin de l'année 2012 afin de pouvoir exercer la garde de sa fille en résidence alternée suite à son divorce, son état de santé s'est dégradé au point qu'il a été placé en arrêt de travail pour dépression ;

' s'il a fini par obtenir une réduction de sa durée de travail, assortie d'une baisse de sa rémunération, son emploi du temps n'était toujours pas adapté à sa situation et il a fait l'objet d'un véritable acharnement disciplinaire aboutissant à une mesure de déplacement totalement injustifiée et finalement à sa radiation des cadres ;

' son action fondée sur la discrimination en raison de sa situation de famille et de son état de santé et sur le harcèlement moral est soumise à la prescription quinquennale dont le point de départ se situe à la date du prononcé de la dernière sanction ayant entraîné sa radiation des cadres ;

' considérant à la fois la saisine du juge des référés, le 19 décembre 2014 et la décision du 16 mars 2015 ayant fait courir un nouveau délai de deux ans, sa demande d'aide juridictionnelle présentée le 5 mai 2017, la saisine du juge prud'homal, le 18 mai 2018, et l'article 8 de la Convention n° 158 de l'OIT dont il résulte que tout salarié est en droit de contester devant une juridiction impartiale les éléments matériels invoqués à l'appui de son licenciement, son action ne serait pas prescrite quand bien même il serait fait application de la prescription biennale réduite à un an par ordonnance du 22 septembre 2017 ;

' la sanction automatique de radiation des cadres dans certaines situations de récidive, telle qu'elle est prévue par l'article 3 § 6 chapitre 9 du statut de la SNCF, est illégale en ce qu'elle se heurte au principe de l'individualisation des peines résultant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'à l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

' lorsque la sanction de blâme avec inscription au dossier lui a été notifiée, le 2 juillet 2015, l'employeur avait déjà connaissance des faits du 23 juin 2015 à l'origine de la sanction du 19 octobre 2015 ; ayant épuisé son pouvoir disciplinaire, il ne pouvait prononcer la nouvelle sanction entraînant sa radiation des cadres ;

' le conseil de discipline a été consulté sur la sanction envisagée mais non sur la radiation des cadres ;

' les sanctions disciplinaires des 7 octobre 2014, 2 juillet 2015 et 19 octobre 2015 sont non seulement nulles en raison de la discrimination et du harcèlement moral, mais également infondées ;

' il est donc en droit de prétendre au paiement de plusieurs sommes à titre de rappel de salaire sur la mise à pied injustifiée, d'indemnités de rupture, de dommages et intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse, et de dommages et intérêts pour discrimination et harcèlement moral.

' Au dispositif de ses conclusions remises le 19 décembre 2022, la SNCF Voyageurs demande à la cour de :

' CONFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes d'Avignon en date du 22 mai 2022 en ce qu'il a débouté Monsieur [N] sur les chefs de demandes critiqués ;

Statuant à nouveau :

Au principal :

' DECLARER IRRECEVABLE l'ensemble des demandes exposées par Monsieur [N] prescrites ;

Subsidiairement et en tout état de cause :

' JUGER les demandes de Monsieur [N] non fondées ;

' DEBOUTER Monsieur [N] de l'ensemble de ses demandes ;

' CONDAMNER Monsieur [N] à payer à la SNCF la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du CPC ;

' CONDAMNER Monsieur [N] aux entiers dépens.'

Elle réplique essentiellement que :

' M. [N] a commis des fautes professionnelles pour lesquelles il a été légitimement sanctionné, notamment le 7 octobre 2014, le 2 juillet 2015 et le 19 octobre 2015, après avoir bénéficié de l'ensemble des garanties statutaires, et la dernière sanction a entraîné sa radiation des cadres ;

' le contentieux relatif à la contestation de la sanction disciplinaire ne relève pas de la prescription quinquennale applicable à la discrimination et au harcèlement moral, mais de la prescription biennale prévue par l'article L. 1471-1 du code du travail, de sorte que, le conseil de prud'hommes ayant été saisi le 18 mai 2018, les demandes sont prescrites ;

' peu important la demande d'aide juridictionnelle déposée le 5 mai 2017 et la décision du juge des référé du 16 mars 2015, la prescription de la sanction du 7 octobre 2014 est acquise ;

' M. [N] est également irrecevable à contester sa radiation des cadres intervenue le 19 octobre 2015 conformément à l'article 3 du statut, et il invoque vainement les dispositions de la Convention n° 158 de l'OIT dès lors qu'il avait la faculté de contester les sanctions prononcées à son encontre en saisissant le conseil de prud'hommes au fond dans le délai de deux  ans ;

' les faits fautifs du 29 avril 2015 et du 23 juin 2015 impliquant la conduite de procédures distinctes (Cour de cassation, 10 juin 2015 n° 14-10778), son pouvoir disciplinaire n'était pas épuisé ;

' lorsqu'il a été consulté, le 8 octobre 2015, le conseil de discipline était parfaitement informé du dernier avertissement notifié le 7 octobre 2014 ;

' M. [N] ne peut soutenir que le pouvoir disciplinaire était lié par les dispositions de l'article 3 § 6 du chapitre 9 du statut et que le principe de l'individualisation des sanctions a été méconnu car le Directeur de région aurait pu prendre une sanction d'un niveau inférieur à celle proposée par le conseil de discipline conformément à l'article 6.11 du statut ;

' le délai de prescription de l'action fondée sur la discrimination et le harcèlement ayant commencé à courir à compter du 1er septembre 2012, date à laquelle M. [N] a fait part de ses difficultés à sa hiérarchie, l'action exercée sur ces fondements est également prescrite en application de l'article 2224 du code civil ;

' subsidiairement, M. [N] ne présente aucun élément laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral ou d'une discrimination directe ou indirecte liée à sa situation familiale ; les éléments versés aux débats attestent au contraire qu'elle a tenté au mieux de ses possibilités de concilier les contraintes personnelles du salarié avec les exigences de bon fonctionnement du service, et les sanctions prononcées à l'encontre de l'intéressé reposent sur des éléments objectifs sans rapport avec sa situation personnelle ou familiale ;

' la radiation des cadres notifiée le 19 octobre 2015 étant l'équivalent du licenciement de droit commun et les cas de nullité étant prévus limitativement par le code du travail et la jurisprudence de la Cour de cassation, la demande en vue de voir prononcer la nullité de cette mesure au motif que le juge judiciaire a le pouvoir de contrôler la légalité d'un acte administratif est irrecevable ;

' la demande de sursis à statuer, nouvelle en appel au sens de l'article 564 du code de procédure civile, est également irrecevable.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 janvier 2024, à effet au 19 janvier 2024.

MOTIFS DE L'ARRÊT

' sur la discrimination

Selon l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison notamment de sa situation de famille ou de son état de santé.

L'article 1132-4 du même code prévoit que toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul.

Aux termes de l'article L. 1134-1, lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Conformément aux dispositions de l'article 2224 du code civil, la prescription applicable en la matière est de cinq ans à partir du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En l'espèce, M. [N] expose qu'à partir de la fin de l'année 2012, il a fait face à d'importantes difficultés d'organisation consécutives à son divorce ; que la garde en résidence alternée de sa fille alors âgée de six ans nécessitait des aménagements horaires que la SNCF a refusé de lui accorder malgré l'intervention de son médecin-traitant et du CHSCT ; que son état de santé s'est dégradé à partir de l'année 2013 au point d'entraîner plusieurs arrêts de travail pour dépression ; que son planning annuel a été modifié en son absence et sans prévenance ; qu'il n'a pu obtenir la modification de ses horaires à la différence de certains collègues de travail ; que s'il a fini par obtenir une réduction de sa durée de travail assortie d'une baisse de sa rémunération, son emploi du temps n'était toujours pas adapté à sa situation ; qu'il se heurtait en outre au comportement agressif de sa hiérarchie ; que les prescriptions du médecin du travail n'étaient pas respectées ; que ses appels de détresse étaient ignorés ; qu'il a fait l'objet d'un véritable acharnement disciplinaire aboutissant à une mesure de déplacement totalement injustifiée et finalement à sa radiation des cadres ; qu'il a ainsi été victime de discrimination en raison de son état de santé et de sa situation familiale.

Le dernier fait invoqué étant la sanction disciplinaire du 19 octobre 2015 la demande d'aide juridictionnelle ayant été déposée le 5 mai 2017, et le conseil de prud'hommes ayant été saisi le 18 mai 2018, l'action n'est pas prescrite.

Au soutien de sa demande, M. [N] expose qu'il a subi plusieurs sanctions disciplinaires injustifiées :

' le 7 octobre 2014 ('dernier avertissement + mise à pied de 10 jours ouvrés'), pour avoir pris son service à 13h50 au lieu de 12h30 le 8 mai 2014 sans avoir avisé le chef d'escale, pour avoir eu des altercations physiques avec deux clients les 8 et 9 mai 2014, et pour avoir tenu des propos insultants à l'égard d'un supérieur hiérarchique et d'une collègue de travail le 9 mai 2014.

' le 2 juillet 2015 ('blâme avec inscription'), pour ne pas s'être présenté en gare de [Localité 6] le mercredi 29 avril 2015 à 9h15 sans en avoir avisé son employeur

' le 19 octobre 2015 ('dernier avertissement + déplacement par mesure disciplinaire + mise à pied de 2 jours ouvrés'), pour ne pas s'être présenté en gare de [Localité 6] le 23 juin 2015 alors qu'il n'avait pas reçu l'autorisation de son employeur de s'absenter suite à sa demande adressée la veille, sanction faisant suite à celle notifiée le 8 octobre 2014 et entraînant sa radiation des cadres.

Les pièces qu'il verse aux débats font ressortir, en ce qui concerne la première sanction, que sa contestation porte sur les déclarations qualifiées de calomnieuses faites à son sujet par M. [J] ('auparavant un collègue et un ami', devenu son 'hiérarchique direct' depuis le 1er janvier 2014), sur la nature exacte de ses propos envers Mme [S], lesquels selon lui n'étaient nullement insultants, même si sa collègue de travail lui a confirmé qu'elle se trouvait en arrêt de travail suite à leur conversation, ainsi que sur les circonstances des incidents survenus avec des clients, dont il ne saurait être tenu responsable.

Concernant la seconde sanction, il a indiqué le 5 mai 2015, en réponse à la demande d'explications écrites, qu'une erreur dans l'envoi de ses feuilles de congés s'était sans doute produite, qu'il avait fait parvenir plusieurs feuilles de congés ce jour-là et que celle du 29 avril avait dû rester en gare de [Localité 6] ou était peut-être passée en double dans le fax, qu'il aurait dû mieux contrôler les avis de réception et qu'il présentait ses excuses pour cette nouvelle erreur.

Il apparaît enfin qu'il n'a pas donné suite à la demande d'explications écrites qui lui a été adressée avant le prononcé de la dernière sanction, qu'il n'a pas comparu et ne s'est pas fait représenter devant le conseil de discipline, et que son affirmation selon laquelle la SNCF était parfaitement informée des motifs de son absence liée à sa situation particulière n'est nullement étayée.

Aucun élément n'est produit sur sa situation de famille, ni sur ses horaires de travail et les refus prétendument opposés à ses demandes d'aménagements, ni sur son état de santé et les préconisations du médecin du travail qui n'auraient pas été respectées.

Force est ainsi de constater que les seuls éléments présentés par M. [N] ne laissent pas supposer l'existence d'une discrimination commise à son encontre en raison de sa situation de famille et/ou de son état de santé.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a déclaré la demande prescrite et M. [N] sera débouté de ce chef.

' sur le harcèlement moral

Selon l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article 1153-4 du même code prévoit que toute disposition ou tout acte contraire à ces dispositions est nul.

Aux termes de l'article L. 1154-1, lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En application des dispositions de l'article 2224 du code civil, la prescription applicable en la matière est de cinq ans à partir du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

En l'espèce, M. [N] présente au soutien de sa demande fondée sur le harcèlement moral les mêmes éléments que ceux invoqués au titre de la discrimination.

Si son action n'est pas prescrite pour les raisons exposées ci-dessus, il reste que ces éléments ne laissent pas supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu'il a déclaré la demande prescrite et M. [N] sera également débouté de ce chef.

' sur la sanction du 7 octobre 2014

Aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa version applicable, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

En l'espèce, M. [N] s'est vu notifier le 7 octobre 2014, après avis du conseil de discipline, la sanction suivante (9ème dans l'échelle du statut) : 'dernier avertissement + Mise à pied de jours 10 ouvrés', par décision du directeur de région ainsi motivée :

'Vous étiez commandé le 8 mai 2014 sur la référence AE014 avec une prise de service à 12h30. Vous avez pris votre service à 13h50 sans aviser le chef d'escale.

Vous étiez commandé le 8 et 9 mai 2014 sur la référence AE014. Lors des opérations de filtrage, vous avez eu des altercations physiques avec deux clients (blocage d'un client contournant le filtrage avec nécessité d'intervention de la SUGE pour vous séparer, descente d'un client sans titre de transport du train 879529).

Vous étiez commandé le 9 mai sur la référence AE014. Vous avez été reçu en entretien avec votre DPX et l'adjoint RH et avez attaqué votre dirigeant en l'accusant d'être en état d'ébriété sur son lieu de travail : « tu es imbibé d'alcool ». Dans la journée, vous avez également agressé verbalement votre DPX et lui avez tenu les propos suivants : « tu es un branleur », et ce à plusieurs reprises sur le parvis de la gare devant la clientèle. Vous avez également agressé la coordinatrice Accueil/Embarquement et vous l'avez qualifiée d'« arriviste, voleuse de poste ». Vous avez dénigré la qualité de son travail et de son rôle de coordonnateur qu'elle tient depuis mars 2014. L'altercation a été traumatisante pour elle psychologiquement.

Infractions aux Articles 2, 3.1 et 7 du RH0006 : Principe de comportement, prescriptions applicables au personnel.'

Saisi par le salarié en référé, le 19 décembre 2014, en vue d'obtenir l'annulation de cette sanction, sa réintégration sur le poste d'[Localité 4], et le paiement de dommages-intérêts, notamment pour harcèlement et discrimination, outre des rappels de primes, le conseil de prud'hommes d'Avignon a, par ordonnance du 16 mars 2015, dit n'y avoir lieu à référé.

S'il est constant qu'en application des articles 2241 et 2242 du code civil, la prescription de l'action a été interrompue par la demande en référé jusqu'à l'extinction de l'instance, il reste que le nouveau délai de deux ans qui avait commencé à courir à compter de cette décision était expiré lors du dépôt de la demande d'aide juridictionnelle, le 5 mai 2017.

Il en résulte que la demande d'annulation de la sanction du 7 octobre 2014 est prescrite sans que l'appelant ne puisse utilement se prévaloir de l'article 8 de la Convention n° 158 de l'OIT et de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour soutenir que cette fin de non-recevoir, si elle était accueillie, conduirait à le priver de son droit de recours effectif contre la décision de radiation des cadres intervenue ultérieurement, dès lors qu'il lui appartenait de contester la sanction litigieuse en temps utile, qu'en outre la nouvelle sanction intervenue le 19 octobre 2015, entraînant sa radiation des cadres, n'était pas automatique puisque le directeur de région pouvait prononcer une sanction inférieure à celle proposée par le conseil de discipline conformément à l'article 6.11 chapitre 9 du statut, et qu'enfin il incombe à la juridiction saisie d'apprécier si cette sanction est justifiée et proportionnée à la faute commise.

Le jugement sera ainsi confirmé de ce chef.

' sur la sanction du 2 juillet 2015

Aux temes de l'article L. 1333-2 du code du travail, le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

En l'espèce, le directeur d'établissement a notifié à M. [N], le 2 juillet 2015, la sanction suivante (3ème dans l'échelle du statut) : 'blâme avec incription', par décision ainsi motivée :

'Vous ne vous êtes pas présenté le mercredi 29 avril 2015 en gare de [Localité 6] à 9h15 comme indiqué sur votre commande du personnel sans en aviser votre employeur conformément à l'article 7 du RH 006.

Infraction au RH 006 « Principe de comportement, prescriptions applicables au personnel » - Article 7 « Les agents sont tenus de respecter strictement les heures de service qui leur sont fixées. Le temps de travail non effectué (retard à la prise de service, cessation prématurée de service ou absence non autorisée pendant les heures de service) n'est pas rémunéré.»

La prescription biennale ayant été interrompue par la demande d'aide juridictionnelle déposée le 5 mai 2017, l'action en contestation de cette sanction n'est pas prescrite.

Au soutien de sa demande, M. [N] fait valoir qu'il justifie 'avoir déposé pour cette journée du 29 avril par fax transmis le 27 avril une demande d'autorisation portant sur plusieurs jours d'absence, complété par un courriel du 28 avril 2015 rappelant la journée pour enfants malades qu'il avait sollicitée.'

Il produit en réalité deux demandes distinctes d'autorisation d'absence, la première pour la journée du 29 avril, et la seconde, pour les journées du 4 au 9 mai, du 3 juin et du 22 juin, ainsi que le rapport de transmission par télécopie daté du 27 avril 2015 à 11h30, mentionnant une seule page transmise, à savoir sa seconde demande d'autorisation d'absence jointe au rapport, dûment acceptée le 28 avril 2015.

Invité par sa hiérarchie, le 30 avril 2015, à présenter ses observations écrites sur son absence injustifiée du 29 avril 2015, M. [N] a d'ailleurs reconnu son erreur puisque, le 5 mai 2015, il a fourni les explications suivantes : 'Comme indiqué à Mme [O] lors de notre entretien du 30/04, une erreur dans l'envoi de mes feuilles de congés (28/04) est à l'origine probablement de cette « absence ». En effet j'ai fait parvenir plusieurs feuilles de congés ce jour là (journée enfant malade ' DR - VT ' CPS - C ' CPS) et celle du 29/04 a du rester en gare de [Localité 6] ou est peut-être passé en double dans le fax. Quoi qu'il en soit, j'ai toujours avisé de mes absences et retards éventuels ; j'aurai du mieux contrôler mes avis de réception. Acceptez mes excuses pour cette « nouvelle » erreur. Cdt'

Peu important son courriel peu explicite du 28 avril 2015, versé aux débats sans les pièces jointes (continuité du mi-temps médical, renouvellement du temps partiel, courrier adressé à M. [T] concernant sa demande de prise en compte de JEM et transmission d'une nouvelle demande de congés de 4 jours avec le certificat médical afférent, faisant doublon avec celle du 31 mars, non versement de la prime de réserve), la sanction prononcée est ainsi justifiée et proportionnée à la faute commise.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a déclaré la demande prescrite et M. [N] sera débouté de ce chef.

' sur la sanction du 19 octobre 2015 et la radiation des cadres

Le statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel (RH00001) dispose en son article 3 § 6 chapitre 9 : « Toute faute nouvelle commise dans un délai de douze mois à partir de la notification d'un dernier avertissement et comportant une des punitions à partir de la septième prononcée par le directeur de la Région (ou de l'autorité assimilée) entraîne la radiation des cadres ou la révocation ».

Selon l'article 6.11, le directeur de région (ou l'autorité assimilée) décide de la sanction à prononcer, laquelle peut toujours être inférieure à celle proposée par le conseil de discipline.

Il résulte des articles L. 1235-1, L. 1235-3 et L. 1333-3 du code du travail et des dispositions statutaires de la SNCF que la radiation des cadres prévue à l'article 3 de ce statut s'analyse en une rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur. Hors les cas prévus par la loi ou en cas de violation d'une liberté fondamentale, cette rupture ne peut être déclarée nulle en l'absence de disposition statutaire prévoyant la nullité, mais seulement dépourvue de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, le directeur de région a notifié à M. [N], le 19 octobre 2015, la sanction suivante (9ème dans l'échelle du statut) : 'Dernier avertissement + Déplacement par Mesure Disciplinaire + Mise à pied de 2 jours ouvrés', par décision ainsi motivée :

'Vous avez sollicité une autorisation d'absence le lundi 22 juin à 14h19 par mail auprès de la CPS pour le mardi 23 juin.

Vous n'avez pas reçu l'autorisation de votre employeur de vous absenter.

Vous ne vous êtes pas présenté le mardi 23 juin en gare de [Localité 6].

Ce comportement récidiviste est contraire à l'Article 7 « Respect des heures de prise et de cessation de service » du RH0006 (Principes de comportement, prescriptions applicables au personnel).

Faisant suite au DA + MAP 10 notifié le 8 octobre 2014 et en application de l'Article 3 § 6 du Chapitre 9 du Statut des Relations Collectives entre la SNCF et son personnel, la présente notification entraîne la radiation des cadres.'

M. [N] a été informé simultanément que la radiation des cadres étant la conséquence d'une faute privative de préavis, ses fonctions dans l'entreprise prenaient fin le jour même.

La prescription biennale ayant été interrompue par la demande d'aide juridictionnelle déposée le 5 mai 2017, l'action en contestation de cette sanction n'est pas prescrite.

Même si elle connaissait les faits nouveaux du 23 juin 2015 lorsqu'elle a notifié à M. [N] la sanction du 2 juillet 2015, la SNCF soutient à bon droit qu'elle n'avait pas épuisé son pouvoir disciplinaire.

En effet, l'avis du conseil de discipline devait être recueilli conformément à l'article 3 chapitre 9 du statut pour prononcer la sanction envisagée, ce qui nécessitait la conduite de procédures disciplinaires distinctes.

La SNCF justifie par ailleurs que, lors de sa séance du 8 octobre 2015, le conseil de discipline était informé de la précédente sanction prononcée le 7 octobre 2014, laquelle était mentionnée au dossier disciplinaire. Composée de représentants de l'employeur et du personnel, cette instance ne pouvait ignorer que la radiation des cadres était encourue en application des dispositions susvisées.

Il est constant que M. [N] n'a pas donné suite à la demande d'explications écrites qui lui a été adressée concernant son absence du 23 juin 2015, qu'il ne s'est pas présenté à l'entretien fixé au 7 août 2015, et qu'il n'était pas présent ni représenté devant le conseil de discipline.

Ne contestant pas qu'il était absent le 23 juin 2015, sans en avoir reçu l'autorisation, il se borne à faire valoir, tardivement et sans fournir aucun élément justificatif, que la SNCF était parfaitement informée des motifs de son absence liée à sa situation particulière et à la modification de ses horaires imposée dans le cadre de la précédente procédure disciplinaire.

La SNCF établit en outre que l'avertissement notifié à M. [N] le 7 octobre 2014 avait été précédé de sanctions prononcées le 22 octobre 2012 et le 8 octobre 2013, également pour des absences injustifiées.

Elle observe enfin pertinemment, ce qui résulte de ses propres pièces, que M. [N] avait obtenu des autorisations d'absence pour les journées du 4 au 9 mai, du 3 juin et du 22 juin 2015.

La sanction disciplinaire prononcée le 19 octobre 2015 et la mesure de radiation des cadres subséquente sont ainsi justifiées au regard de la réitération des faits et de la gravité de la faute commise.

En conséquence et sans qu'il y ait lieu de faire droit à la demande subsidiaire aux fins de sursis à statuer, M. [N] n'ayant pas été privé de tout recours effectif contre cette mesure, le jugement sera infirmé en ce qu'il a déclaré les demandes prescrites dans leur ensemble et l'appelant sera débouté de ses prétentions.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré les demandes prescrites dans leur ensemble et en ce qu'il a laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que seule est prescrite la demande d'annulation de la sanction disciplinaire du 7 octobre 2014,

Déboute M. [N] de ses autres demandes,

Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'appelant aux entiers dépens.

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5ème chambre sociale ph
Numéro d'arrêt : 22/02133
Date de la décision : 02/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-02;22.02133 ?
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