La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/03/2024 | FRANCE | N°23/02317

France | France, Cour d'appel de Nîmes, Indemnisation détention, 12 mars 2024, 23/02317


COUR D'APPEL

DE NÎMES

indemnisation à raison d'une détention provisoire



























DÉCISION N°24/5



R.G : N° RG 23/02317 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I4GB



MA/ED





[U]



C/



AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

LE MINISTERE PUBLIC









DÉCISION DU 12 MARS 2024







DEMANDEUR :



Monsieur [C] [U]

né le [Date naissance 1] 1998

à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représenté par Me Guillaume DE PALMA, avocat au barreau D'AVIGNON







CONTRE :



AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 7]

[Localité 4]



Représenté par Me Jérémy ROCHE, avocat au barreau de MONTPELLIER





LE MINISTERE PUBLIC

Cour d'Appel de NI...

COUR D'APPEL

DE NÎMES

indemnisation à raison d'une détention provisoire

DÉCISION N°24/5

R.G : N° RG 23/02317 - N° Portalis DBVH-V-B7H-I4GB

MA/ED

[U]

C/

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

LE MINISTERE PUBLIC

DÉCISION DU 12 MARS 2024

DEMANDEUR :

Monsieur [C] [U]

né le [Date naissance 1] 1998 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Guillaume DE PALMA, avocat au barreau D'AVIGNON

CONTRE :

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représenté par Me Jérémy ROCHE, avocat au barreau de MONTPELLIER

LE MINISTERE PUBLIC

Cour d'Appel de NIMES - [Adresse 8]

[Adresse 2]

EN PRÉSENCE DE :

Monsieur le Procureur Général près la COUR d'APPEL de NÎMES

DÉBATS :

Les débats ont eu lieu devant M. Michel ALLAIX, Premier Président et Mme Ellen DRÔNE, Greffière, à l'audience publique du 13 Février 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 Mars 2024. Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

Le demandeur a été avisé de la faculté qu'il a de s'opposer à ce que les débats aient lieu en audience publique ;

Le demandeur, ou son Conseil, a été entendu en ses conclusions ;

Maître ROCHE a plaidé pour l'Agent Judiciaire de l'Etat ;

Le Procureur Général a développé ses conclusions ;

Les parties ont été entendues en leurs répliques, le demandeur ou son avocat ayant eu la parole en dernier.

DÉCISION :

Décision contradictoire prononcée publiquement et signée par M. Michel ALLAIX, Premier Président, le 12 Mars 2024, en présence de Mme Ellen DRÔNE, Greffière, par mise à disposition au greffe de la Cour,

*

* *

Par requête en date du 29 juin 2023, M. [C] [U] demande l'indemnisation de la période de détention provisoire injustifiée qu'il a subie du 17 octobre 2022 au 24 janvier 2023.

A l'appui de sa demande, il expose qu'il a été attrait dans un dossier de violences volontaires ayant entrainé une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours aggravées par trois circonstances, que par jugement du 12 octobre 2022, assorti d'un mandat d'arrêt, le tribunal correctionnel d'Avignon a prononcé une peine principale d'emprisonnement délictuel de 5 ans dont 1 an assorti d'un sursis probatoire pendant 2 ans, que par déclaration au greffe en date du 18 octobre 2022, il a interjeté appel de l'entier dispositif dudit jugement, qu'il s'est présenté à la gendarmerie de l'ISLE SUR LA SORGUE pour se constituer prisonnier, que par arrêt du 24 janvier 2023, la Cour d'appel de Nîmes a prononcé sa relaxe, et que cette décision, n'ayant fait l'objet d'aucun pourvoi en cassation, est devenue définitive.

Il rappelle qu'il a subi une période de détention provisoire injustifiée, ouvrant droit à indemnisation du 17 octobre 2022 au 24 janvier 2023, soit 99 jours.

Au titre de son préjudice moral, il demande l'allocation de la somme de 30.000 euros, liée à la rupture avec sa vie ordinaire d'électricien, de compagnon et de père de famille, de l'impossibilité de voir son fils âgé à peine d'un an au moment de son incarcération, de la cohabitation particulièrement compliquée avec son codétenu, et des répercussions psychologiques entraînant une dépression, étant précisé qu'il était primo-incarcéré.

Au titre de la réparation de son préjudice matériel, il demande la somme de 25 000 euros expliquant qu'à la date de son incarcération, il était électricien exerçant sous le statut de micro-entrepreneur, qu'il n'a pu réaliser un chantier dans les délais impartis, d'un montant total de 55 363 euros, et qu'il n'a pu reprendre le travail à sa sortie d'incarcération, ainsi que la somme de 3 400 euros au titre de ses frais de défense, soit un total de 28 400 euros, outre la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions responsives notifiées le 24 octobre 2023, au détail desquelles il sera renvoyé, M. [C] [U] précise que sa demande est recevable pour avoir été présentée dans le délai légal et être fondée sur une décision définitive ,et il produit aux débats le certificat de non-pourvoi, il rappelle qu'il n'a jamais été incarcéré avant d'être placé en détention provisoire le 17 octobre 2022 contrairement à ce qu'affirme l'agent judiciaire de l'Etat et que l'existence de condamnations antérieures n'a pas vocation à minorer l'indemnité du préjudice moral lié au choc carcéral.

Par son mémoire N°2 déposé à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président, au visa des articles 149 et suivants du code de procédure pénale :

A titre principal,

De déclarer irrecevable la requête de M. [C] [U] puisque ce dernier ne justifie pas d'une procédure terminée à son égard par une décision définitive, Il indique toutefois lors de l'audience avoir pris connaissance du certificat de non pourvoi , et ne maintient pas ses conclusions d'irrecevabilité.

A titre subsidiaire, il conclut :

- sur le préjudice moral, à l'allocation de la somme de 8.000 euros. Il indique que M. [U] a déjà été incarcéré à plusieurs reprises comme en témoignent son casier judiciaire et sa fiche pénale, qu'il ne justifie pas de ses problèmes psychologiques, ni qu'ils soient en lien direct et certain avec la période de détention et qu'il ne fournit aucune pièce permettant de démontrer qu'il a personnellement subi des conditions de détention particulièrement difficiles.

- sur le préjudice matériel, à l'allocation de la somme de 10 000 euros. Il relève que le préjudice invoqué par M. [U] s'analyse en une perte de chance au regard des attestations fiscales produites, lesquelles font état d'une activité professionnelle qui générait des revenus en 2020 et 2021, et du devis établi antérieurement à la détention de l'intéressé (non-réalisé), avec précision faite que cette perte de chance est aléatoire. Il conclut également à la fixation à la somme de 1 000 euros le montant de l'indemnisation due au titre des honoraires liés au seul contentieux de la détention.

Il conclut enfin à la réduction de la demande formée au visa de l'article 700 du code de procédure civile.

Le ministère public conclut le 21 novembre 2023 à l'admission de la requête dans les limites proposées par l'agent judiciaire de l'Etat.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l'article 149 du Code de Procédure Pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

Ce droit à réparation qui est distinct des procédures d'indemnisation du fonctionnement défectueux des services publics ou d'atteintes à la présomption d'innocence, à l'image à la réputation, suppose donc l'établissement d'un lien de causalité direct et certain entre la détention et le préjudice invoqué.

Sur la recevabilité

Aux termes de l'article 149-2 du code de procédure pénale, la requête doit parvenir au greffe de la commission d'indemnisation dans le délai de six mois de la décision de non-lieu, d'acquittement ou de relaxe devenue définitive.

La requête a été reçue le 29 juin 2023 soit dans le délai de six mois suivant le prononcé de l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, en date du 24 janvier 2023, devenu définitif. Il est produit à cet égard un certificat de non pourvoi.

La requête est donc recevable.

Sur la recevabilité des conclusions de L'AJE

Les articles R.28 et R.31 du code de procédure pénale précisent que dans les 15 jours de la réception de la requête initiale elle est transmise par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à l'Agent Judiciaire de l'État. Ce dernier doit déposer ses conclusions au greffe de la cour d'appel dans le délai de deux mois à compter de la réception de la lettre recommandée prévu à l'article R.28. L'agent judiciaire de l'état a conclu le 26 septembre 2023. La recevabilité des conclusions de l'agent judiciaire de l'état ne fait pas l'objet de contestations dans ce dossier.

Il n'est pas contesté que M. [C] [U] a subi une période de détention provisoire injustifiée, ouvrant droit à indemnisation du 17 octobre 2022 au 24 janvier 2023, soit 99 jours.

Sur le préjudice moral

Le préjudice moral s'apprécie au regard du casier judiciaire de l'intéressé lors de son placement en détention, de son âge, de sa personnalité, de sa situation familiale, de la durée du placement en détention, d'éventuelles circonstances aggravantes des conditions de détention. Il doit être réparé dans tous les cas même en l'absence de pièces justificatives, la détention subie injustifiée causant nécessairement un préjudice moral.

En l'espèce, le casier judiciaire de M. [C] [U] porte mention de 4 condamnations, dont une condamnation à la peine de 1 an d'emprisonnement dont six mois avec sursis probatoire le 1er février 2017 et mandat de dépôt en date du 31.01.2017, et une condamnation à 9 mois d'emprisonnement ferme en date du 15 octobre 2018 ' peine exécutée. M [C] [U] avait déjà subi une période de détention avant son incarcération en date du 17 octobre 2022 et il ne s'agissait pas de sa première incarcération, ce qui est de nature à relativiser le choc carcéral invoqué. Il verse aux débats une attestation de sa compagne, Madame [O] [V], dont il résulte qu'au moment de son placement en détention il vivait avec elle let leurs trois enfants, l'incarcération a donc interrompu le cours de sa vie familiale . Il n'est pas justifié par la production de pièces d'un préjudice psychologique particulier, dépassant le préjudice habituel lié à la privation de liberté .

Au vu de ces différents éléments, il convient de fixer la réparation du préjudice moral en lien de causalité direct ou exclusif avec la détention à la somme de 10500 euros.

Sur le préjudice matériel

Il appartient à Monsieur [C] [U] d'établir la réalité du préjudice matériel et l'existence d'un lien de causalité direct entre la détention et le préjudice allégué.

M. [C] [U] rapporte la preuve de l'exercice du métier d'électricien dans le cadre d'une micro entreprise, au moment de son incarcération ; avec la réalisation d'un chiffre d'affaires de 830176 euros en 2020, et de 45 731 euros en 2021. Il produit par ailleurs un devis accepté pour un chantier qu'il devait réaliser en 2022, pour un montant de 55 363 euros, il n'a pas pu réaliser ce chantier du fait de son incarcération, ce qui caractérise une perte de chance ouvrant droit à indemnisation, la perte de chance ne peut toutefois couvrir la totalité du montant de ce chantier ; il lui sera alloué à ce titre la somme de 12.000 euros.

Il produit également trois factures liées aux honoraires versés à son conseil. De jurisprudence constante, seuls les honoraires directement liés aux prestations de défense concernant le contentieux de la liberté ouvrent droit à indemnisation ; la facture du 26 juillet 2022, correspondant au contentieux de la détention sera en conséquence seule prise en compte, pour son montant de 1000 euros.

Il sera enfin alloué à M. [C] [U] une indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile comme indiqué au dispositif.

PAR CES MOTIFS

Le Premier Président,

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière d'indemnisation à raison d'une détention provisoire et en premier ressort,

Vu les articles 149, 150 et 626-1 du code de procédure pénale,

DÉCLARONS la requête déposée recevable ;

ALLOUONS à Monsieur [C] [U] les sommes de :

- 10 500 euros en réparation de son préjudice moral,

- 13 000 euros au titre de son préjudice matériel,

Ainsi qu'une indemnité d'un montant de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Laissons les dépens à la charge de l'état ;

La présente décision a été signée par M. Michel ALLAIX, Premier Président et par Mme Ellen DRÔNE, Greffière lors du prononcé.

LE GREFFIER, LE PREMIER PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : Indemnisation détention
Numéro d'arrêt : 23/02317
Date de la décision : 12/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-12;23.02317 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award