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28/06/2023 | FRANCE | N°22/03553

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 4ème chambre commerciale, 28 juin 2023, 22/03553


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 22/03553 - N° Portalis DBVH-V-B7G-ITSM



AV



JUGE DE L'EXECUTION D'ALES

27 octobre 2022 RG :22/00733



[G]

[P]



C/



[N]

[I]







































Grosse délivrée

le 28 JUIN 2023

à Me Frédéric MANSAT JAFFRE r>
Me Jean-michel DIVISIA









COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale



ARRÊT DU 28 JUIN 2023





Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge de l'exécution d'ALES en date du 27 Octobre 2022, N°22/00733



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Madame Agnès VAREILLES, Conseillère, a entendu...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/03553 - N° Portalis DBVH-V-B7G-ITSM

AV

JUGE DE L'EXECUTION D'ALES

27 octobre 2022 RG :22/00733

[G]

[P]

C/

[N]

[I]

Grosse délivrée

le 28 JUIN 2023

à Me Frédéric MANSAT JAFFRE

Me Jean-michel DIVISIA

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale

ARRÊT DU 28 JUIN 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge de l'exécution d'ALES en date du 27 Octobre 2022, N°22/00733

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Agnès VAREILLES, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre

Madame Claire OUGIER, Conseillère

Madame Agnès VAREILLES, Conseillère

GREFFIER :

Madame Isabelle DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 08 Juin 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 Juin 2023.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTS :

Madame [F] [G] épouse [P]

née le [Date naissance 4] 1942 à [Localité 17]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Frédéric MANSAT JAFFRE de la SELARL MANSAT JAFFRE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

Monsieur [H] [P]

né le [Date naissance 2] 1935 à [Localité 15]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Frédéric MANSAT JAFFRE de la SELARL MANSAT JAFFRE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉS :

Monsieur [M] [N]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représenté par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représenté par Me Patricia PIJOT de la SCP PIJOT POMPIER MERCEY, Plaidant, avocat au barreau de BEZIERS

Madame [V] [I]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Patricia PIJOT de la SCP PIJOT POMPIER MERCEY, Plaidant, avocat au barreau de BEZIERS

Affaire fixée en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile avec ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 01 Juin 2023

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 28 Juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu l'appel interjeté le 4 novembre 2022 par Madame [F] [P] et Monsieur [H] [P] à l'encontre du jugement prononcé le 27 octobre 2022 par le juge de l'exécution d'Alès dans l'instance n°22/00733,

Vu l'avis du 15 novembre 2022 de fixation de l'affaire à bref délai à l'audience du 30 mars 2023,

Vu l'avis de déplacement d'audience au 8 juin 2023,

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 14 décembre 2022 par les appelants, et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 11 janvier 2023 par Monsieur [M] [N] et Madame [V] [I], intimés, et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu l'ordonnance du 15 novembre 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 23 mars 2023, révoquée par avis de déplacement d'audience du 9 janvier 2023 avec nouvelle clôture fixée au 1er juin 2023,

Madame [F] [G] épouse [P] et Monsieur [H] [P] ont fait appel à Monsieur [M] [N] aux fins d'enlèvement de tous les objets présents dans leur résidence secondaire qu'ils avaient le projet de vendre.

Le 28 septembre 2021, Monsieur [N] a acquis auprès de Madame [P] un masque africain pour un montant de 150 euros.

Par la suite, Monsieur [N] a contacté les hôtels de vente Drouot Estimation et Fauve Paris qui ont respectivement estimé ce masque entre 100 et 120 euros et entre 400 et 600 euros.

Puis, dans le cadre d'une vente d'objets d'art africain, Monsieur [N] a pris attache avec l'Hôtel des ventes de [Localité 16] qui, après expertise, a estimé ledit masque entre 300 000 et 400 000 euros.

Lors de la vente aux enchères du 26 mars 2022, le masque africain a finalement été adjugé au prix de 4 200 000 euros.

Monsieur [N] a proposé aux époux [P] de leur reverser la somme de 300 000 euros mais aucun accord n'a pu aboutir du fait de l'opposition des enfants du couple.

Par requête du 3 mai 2022, les époux [P] ont saisi le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Alès afin de solliciter l'autorisation de pratiquer une saisie conservatoire des sommes détenues par Monsieur [N].

Par ordonnance du 3 mai 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Alès a autorisé cette saisie conservatoire pour sûreté et garantie de la somme de 5 250 000 euros.

Le 10 mai 2022, la saisie conservatoire a été pratiquée entre les mains de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et a abouti à bloquer la somme de 1 452 676,58 euros. Elle a été dénoncée aux débiteurs le 17 mai 2022.

Les époux [P] ont assigné le 19 mai 2022 Monsieur [M] [N] devant le tribunal judiciaire d'Alès aux fins notamment de voir prononcer la nullité du contrat de vente et condamner l'acheteur à leur payer la somme de 5 250 000 euros, outre 25 000 euros à titre de dommages-intérêts et 8 400 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par exploit du 14 juin 2022, Monsieur [M] [N] et Madame [V] [I] ont fait assigner Madame [F] [G] épouse [P] et Monsieur [H] [P] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Alès aux fins notamment de mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée.

Par jugement du 27 octobre 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Alès a :

-Rejeté la demande de sursis à statuer formulée par Madame [F] [G] épouse [P] et Monsieur [H] [P];

-Ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire réalisée à la demande de Madame [F] [G] épouse [P] et Monsieur [H] [P] en date du 20 mai 2022 entre les mains du Crédit Agricole sur les comptes de Monsieur [M] [N] et le compte joint [N] / [I];

-Condamné in solidum Madame [F] [G] épouse [P] et Monsieur [H] [P] à payer à Monsieur [M] [N] et Madame [V] [I] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts

-Rejeté les demandes formulées par Madame [F] [G] épouse [P] et Monsieur [H] [P]

-Condamné in solidum Madame [F] [G] épouse [P] et Monsieur [H] [P] à payer à Monsieur [M] [N] et Madame [V] [I] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

-Condamné in solidum Madame [F] [G] épouse [P] et Monsieur [H] [P] aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais de saisie conservatoire

-Rappelé que la présente décision est exécutoire de droit.

Le 4 novembre 2022, Madame [F] [P] et Monsieur [H] [P] ont interjeté appel de cette décision aux fins de la voir réformer en toutes ses dispositions.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique, Madame [F] [P] et Monsieur [H] [P], appelants, demandent à la cour, au visa des articles 378 et suivants du code de procédure civile, des articles 1112-1, 1132, 1133, 1131, 1137, 1240 du code civil, de :

-Réformer le jugement rendu le 27 octobre 2022 par le tribunal judiciaire d'Alès en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau,

-Débouter les consorts [N] [I] de leurs entières demandes, fins et conclusions;

-Dire et juger que l'assignation délivrée le 14 juin 2022 par la SCP d'Araquy, Huissiers de justice à Chartres, aux époux [P], devant la juridiction de céans, caractérise pour Monsieur [M] [N] un aveu judiciaire quant à indemniser et payer aux époux [P] une somme minimale de 300 000 euros

-Valider la saisie conservatoire de créances réalisée à la demande des époux [P] en date du 20 mai 2022 entre les mains du Crédit Agricole sur les comptes de Monsieur [N] et sur le compte joint de Monsieur [N] et Madame [I]

-Condamner Monsieur [N] et Madame [I] à payer aux époux [P] une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens en ce compris les frais de saisie conservatoire par eux avancés.

Au soutien de leurs prétentions, les appelants font valoir que l'intimé est un brocanteur qui propose sur son site, de manière non équivoque, un service d'estimation. Seule une personne ayant une parfaite connaissance du marché de l'art est capable de monter une vente par l'intermédiaire d'un hôtel des ventes, après avoir sollicité une expertise au carbone 14 et s'être adjoint le concours d'un expert des masques africains. Si l'intimé n'avait pas de connaissance en art africain, il avait l'obligation de se renseigner sur les qualités du masque avant de l'acheter précipitamment au prix dérisoire de 150 euros. Il lui revenait de faire tout son possible pour réaliser une juste estimation du bien et en négocier le prix de manière juste et raisonnable. L'intimé s'est présenté à l'hôtel des ventes sous une fausse qualité d'indivisaire avec le jardinier des vendeurs du masque. Il s'est renseigné auprès de ce dernier sur la famille et les ancêtres des vendeurs pour en déduire l'authenticité du masque.

Les appelants soutiennent que la proposition de l'intimé de cantonner la saisie conservatoire à hauteur de 300 000 euros, dans son assignation délivrée devant le juge de l'exécution, caractérise un aveu judiciaire et témoigne de la prise de conscience de l'intimé qu'il est redevable envers les appelants.

Les appelants indiquent que la dénonciation de la saisie au co-titulaire du compte n'existe que pour permettre à celui-ci de contester la saisie dans le cas où elle porte sur des sommes dont il est propriétaire. Les appelants n'avaient donc pas à faire assigner la co-titulaire du compte bancaire saisi. La charge de la preuve de la propriété des fonds portés au crédit du compte joint repose sur le titulaire du compte.

Les appelants exposent que l'intimé a retenu de manière consciente des informations. Il n'ignorait pas la valeur réelle du masque ou à tout le moins, avait un doute sur celle-ci car après la vente, il a fait rapidement procéder à l'expertise du masque et a insisté auprès des vendeurs pour obtenir plus d'informations sur les origines du masque. Il ne les a jamais informés de son lien avec leur jardinier avec lequel il a partagé la somme provenant de la vente. Les vendeurs ont commis une erreur de fait portant sur les qualités essentielles du masque qu'ils pensaient être anodin alors qu'il s'agit d'un rarissime masque Fang, issu de l'art traditionnel du Gabon. Cette erreur est excusable en ce qu'ils ont légitiment fait confiance à l'acheteur, professionnel de l'estimation des oeuvres d'art, mandaté à cet effet. L'erreur sur la valeur est indirecte, elle n'est que la conséquence de l'erreur sur les qualités essentielles. Aucun aléa, ni doute sur la provenance du masque n'a été prévu, ni évoqué lors de la vente. L'erreur indirecte sur la valeur a été déterminante du consentement des acheteurs.

Les appelants précisent que le fait que la décision au fond puisse intervenir dans un laps de temps assez long justifie la nécessité d'ordonner une saisie conservatoire. Rien ne garantit que l'intimé et sa compagne n'utilisent pas le prix de la vente pour leur seul profit.

Les appelants contestent avoir commis un abus de saisie, indiquant qu'ils n'ont pas eu d'autre choix que de sécuriser leur créance par saisie conservatoire. La preuve de leur mauvaise foi ou d'une quelconque faute de leur part n'est pas rapportée.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique, Monsieur [M] [N] et Madame [V] [I], intimés, demandent à la cour, au visa des articles L. 511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, de l'article 511-7 du code de procédure civile, des articles L. 512-2 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, de l'article L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution, des articles 1137 alinéa 3, 1240, 1115 du code civil, de :

En tout état de cause,

-Confirmer la décision dont appel en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance rendue le 3 mai 2022 et ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée sur le compte chèque joint [N]/[I] N°[XXXXXXXXXX013];

Puis, au principal, concernant les comptes personnels de Monsieur [M] [N],

-Confirmer la décision dont appel en ce que la créance n'a pas été reconnue comme étant fondée en son principe puisque Monsieur [N] n'est pas un professionnel de l'art africain, qu'il n'est tenu à aucune obligation d'information, qu'il ne s'est absolument pas rendu coupable d'un dol et qu'aucune erreur n'a été commise par les époux [P]

-Juger en effet que le montant de l'adjudication échappe totalement à Monsieur [N] puisqu'il n'en a jamais eu la maîtrise

-Juger qu'il n'existe aucune menace dans le recouvrement de cette créance « inexistante »

-Juger qu'il n'existe aucun aveu judiciaire de la part de Monsieur [N]

En conséquence,

-Confirmer la décision dont appel en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance rendue le 3 mai 2022 et ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée sur les comptes personnels de Monsieur [N], à savoir :

Compte chèque individuel numéro [XXXXXXXXXX07] : 771 542,04 euros

Compte sur livret numéro [XXXXXXXXXX012] : 500 010 euros

Compte sur livret sociétaire numéro [XXXXXXXXXX011] : 50 000 euros

Livret développement durable numéro [XXXXXXXXXX010] : 12 000 euros

Livret A numéro [XXXXXXXXXX014] : 22 950 euros

Livret Epargne Populaire numéro [XXXXXXXXXX09] : 7 700 euros

Compte courant professionnel numéro [XXXXXXXXXX08] : 5 739,28 euros

Au subsidiaire et à titre incident,

Si par extraordinaire la Cour d'appel retient que la créance dont arguent les époux [P] est fondée en son principe et que son recouvrement est menacé,

-Prendre acte de la proposition de Monsieur [N] de payer la somme de 300 000 euros aux époux [P] en guise de rétribution, correspondant à près de 20% du prix de vente aux enchères, tel que proposé après la vente aux enchères;

-Dire que cette proposition ne saurait être assimilée à un aveu judiciaire;

-Juger que la somme de 5 250 000 euros ayant servi de base à la requête aux fins de saisie conservatoire est totalement erronée;

-Juger que c'est la somme de 1 585 979,70 euros que Monsieur [N] a réellement perçue, après paiement des frais de l'hôtel des ventes et partage avec l'indivisaire, Monsieur [W] [E]

En conséquence,

-Cantonner la saisie conservatoire pratiquée à hauteur de 300 000 euros;

En tout état de cause,

-Juger qu'en l'absence de créance fondée en son principe, en l'absence de menace dans son recouvrement, en présence d'une proposition de rétribution à hauteur de 300 000 euros correspondant à 20% de la somme reçue par Monsieur [N], les époux [P] ont commis un abus de droit en formalisant une demande de saisie conservatoire sur la base d'une soit-disant créance de 5 250 000 euros qui n'existe pas;

-Confirmer la décision dont appel en ce que le juge de l'exécution a considéré que ce blocage injustifié de tous les comptes des consorts [I]/[N] leur a causé un réel préjudice qu'il convient de réparer à hauteur de 2 000 euros

-Confirmer la décision dont appel en ce que le juge de l'exécution a condamné les époux [P] au paiement de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

-Confirmer la décision dont appel en ce que le juge de l'exécution a laissé à la charge des époux [P] les frais relatifs aux saisies conservatoires pratiquées à tort sur tous les comptes, comprenant les frais de signification et de dénonce

Y ajoutant,

-Condamner les époux [P] in solidum au paiement de la somme de 4 000 euros à chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile liés à la présente procédure d'appel

-Condamner les époux [P] à payer in solidum les entiers dépens de la procédure d'appel

-Laisser à la charge des époux [P] les frais relatifs aux saisies conservatoires pratiquées à tort sur tous les comptes, comprenant les frais de signification et de dénonce.

Les intimés répliquent que Madame [I] n'a aucun lien contractuel avec les vendeurs. Ces derniers ne l'ont pas assignée au fond en validation de saisie dans le mois suivant la dénonce de sorte que la saisie conservatoire pratiquée sur le compte joint doit être déclarée caduque. Les appelants ne rapportent pas la preuve du caractère personnel à Monsieur [N] des fonds détenus sur le compte joint. Les intimés sont pacsés et doivent être considérés comme des époux séparés de biens. Il appartenait aux créanciers saisissants d'identifier les fonds personnels de leur débiteur afin de pouvoir les saisir. A défaut, le solde du compte n'était pas saisissable.

Les intimés font valoir que Monsieur [N] est brocanteur et non antiquaire et ne peut être considéré comme un professionnel de l'estimation. Il n'a aucune connaissance en art africain. Ce n'est pas son doute sur les qualités substantielles du masque et son authenticité qui a induit les expertises mais plutôt le souhait de revendre l'objet au prix le plus juste et l'initiative du commissaire priseur qui a souhaité que des expertises soient menées sur cet objet. La démarche du vendeur de vouloir vendre le masque et tous les objets africains dans le cadre d'une vente aux enchères ne démontre en rien la conscience qu'il pouvait avoir de la valeur du dit masque qui a été vendu aux côtés d'autres objets provenant du grenier des vendeurs. Il n'a eu connaissance de la valeur réelle du masque qu'à l'occasion de son estimation par l'hôtel des ventes de [Localité 16] et ne sachant pas à quel prix il allait être vendu, il a attendu le résultat de la vente pour faire une proposition aux acheteurs, ce qu'il n'était pas obligé de faire.

Les intimés soulignent que, dès la conclusion du contrat, Madame [P] avait un doute sur les qualités du masque africain, au point de l'exclure du lot comprenant tous les objets du vide-grenier et de le vendre séparément. Ce doute est entré dans le champ de la relation contractuelle. Les vendeurs ne sont pas fondés à se prévaloir d'une erreur. Ce sont eux-mêmes qui ont proposé l'objet à la vente à 150 euros. Ils ont fait une appréciation économique inexacte de la valeur présentée par le masque. Le débat ne porte pas sur l'authenticité du masque. Les vendeurs ne prouvent pas qu'il importait au brocanteur d'acquérir non pas des objets hétérogènes et communs mais bien des objets recherchés sur le marché de l'art africain. Ils sont insuffisants à démontrer que la créance paraît fondée en son principe.

Les intimés rétorquent que le recouvrement de la créance alléguée ne peut être menacé alors que le brocanteur a lui-même proposé de régler aux vendeurs la somme de 300 000 euros, montant de l'estimation réalisée par des experts en art africain, sur les bases d'un rapport scientifique. La rumeur selon laquelle ils partiraient s'installer au Portugal n'est pas fondée et elle ne saurait suffire à justifier la menace dans le recouvrement de la créance.

Les intimés contestent l'existence d'un aveu judiciaire de la part de Monsieur [N] qui n'a formalisé, qu'à titre subsidiaire, une proposition qui devait aboutir à la régularisation d'un protocole d'accord, non suivi d'effet à cause de la fille des intimés qui a convaincu ses parents d'agir en justice pour tout récupérer.

A titre subsidiaire, les intimés rétorquent que le masque a été adjugé à 4 200 000 euros et que l'indivision constituée entre le brocanteur et le jardinier n'a réellement perçu que la somme de 3 371 959,40 euros, après paiement des frais de vente. Cette somme a été partagée de sorte que chacun d'entre eux a perçu la somme de 1 685 979,70 euros. La somme de 5 250 000 euros ne pouvait donc servir de base à la saisie conservatoire.

Enfin, les intimés précisent que la saisie abusive les a privés de leurs comptes bancaires du 17 mai au 9 novembre 2022. Monsieur [N] n'a pu exercer normalement son activité de brocanteur pendant six mois.

Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

MOTIFS

Les époux [P] ont fait appel de l'intégralité du jugement rendu le 27 octobre 2022, y compris du chef de rejet de la demande de sursis à statuer qu'ils avaient formée devant le juge de l'exécution. Cependant, ils n'ont pas repris, dans le dispositif de leurs conclusions en appel, leur précédente demande de sursis à statuer de sorte que la cour n'est pas saisie d'une telle prétention.

1) Sur la validité de la saisie pratiquée sur le compte joint des intimés

La saisie conservatoire litigieuse a été opérée le 10 mai 2022 sur tous les comptes dont le brocanteur était titulaire auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc, y compris sur un compte joint ouvert avec sa compagne avec laquelle il était lié par un pacte de solidarité.

Les intimés reprochent aux appelants de ne pas avoir assigné au fond la compagne du brocanteur en validation de la saisie, comme le prévoient les dispositions de l'article R.511-7 du code des procédures civiles d'exécution en vue d'obtenir un titre exécutoire à l'égard de cette dernière.

En l'occurrence, les appelants n'ayant pas procédé à la saisie des créances détenues par Madame [I] sur la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc, ils n'avaient aucune obligation d'introduire une action en paiement à son encontre afin de valider la saisie conservatoire qui n'est opérée que pour garantir le paiement des indemnités réclamées à Monsieur [N].

Les intimés font grief aux appelants de ne pas rapporter la preuve du caractère personnel au débiteur saisi des fonds détenus sur le compte joint.

Aux termes de l'article 515-5, alinéa 2, du code civil, chacun des partenaires du pacte civil de solidarité peut prouver par tous les moyens, tant à l'égard de son partenaire que des tiers, qu'il a la propriété exclusive d'un bien. Les biens sur lesquels aucun des partenaires ne peut justifier d'une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.

L'acte de saisie-attribution pratiqué entre les mains d'un établissement habilité à tenir des comptes de dépôt porte sur l'ensemble des comptes du débiteur qui représentent des créances de sommes d'argent de ce dernier contre cet établissement ; dans le cas d'un compte joint, cet établissement étant débiteur de la totalité du solde de ce compte à l'égard de chacun de ses cotitulaires, l'effet attributif de la saisie s'étend, sous réserve des règles propres aux régimes matrimoniaux entre époux, à la totalité du solde créditeur, sauf pour le débiteur saisi ou le co-titulaire du compte, avisé de la saisie dans les conditions prévues par l'article R. 211-22 du code des procédures civiles d'exécution, à établir que ce solde est constitué de fonds provenant de ce dernier, en vue de les exclure de l'assiette de la saisie (2e Civ. 21 mars 2019, n°18-10.408).

En l'occurrence, les fonds déposés sur le compte joint saisi sont présumés appartenir indivisément pour moitié à chacun des partenaires du pacte civil de solidarité.

Les créanciers saisissants ne rapportent pas la preuve que le compte-joint ait été alimenté exclusivement par le débiteur saisi. La partenaire du débiteur saisi ne prétend pas être propriétaire en propre de fonds au delà de la moitié déposée sur ce compte; dans ces circonstances, il y a lieu d'ordonner la mainlevée partielle de la saisie et de la cantonner à la moitié du solde créditeur du compte saisi.

2) Sur la validité de la saisie pratiquée sur l'ensemble des comptes de Monsieur [N]

L'aveu judiciaire

L'article 1383 du code civil dispose que l'aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques.

Dans son assignation devant le juge de l'exécution, le débiteur saisi a indiqué que les appelants, informés de ses démarches, avaient accepté de percevoir le montant de l'estimation du bien de 300 000 euros et qu'un protocole d'accord devait être signé en ce sens. Il a également précisé que cette proposition constituait une large et honnête rétribution qu'il n'avait aucune obligation de proposer.

Ce faisant, le débiteur saisi n'a pas reconnu, de manière non équivoque, qu'il avait commis une réticence dolosive dont il devait réparer les conséquences préjudiciables alors qu'il s'agissait d'une simple proposition transactionnelle destinée à prévenir une contestation à naître. L'aveu n'est pas constitué.

Le caractère fondé en son principe de la créance

L'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose que:

« Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.

La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire.'

L'article R. 512-1 du code des procédures civiles d'exécution prévoit que si les conditions requises pour la validité d'une mesure conservatoire ne sont pas réunies, le juge peut en ordonner la mainlevée à tout moment.

La mesure conservatoire opérée le 10 mai 2022 étant contestée par la partie saisie, il incombe au créancier de prouver que les conditions prévues à l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution sont réunies.

Il appartient au juge de rechercher l'existence, non pas d'un principe certain de créance mais seulement d'une créance paraissant fondée dans son principe (2e Civ, 3 mars 2022, n° 21-19.298).

Les appelants ont assigné le 19 mai 2022 le brocanteur en annulation de la vente portant sur le masque Fang pour vices du consentement. Ils ont notamment invoqué l'erreur sur les qualités substantielles.

L'article 1133 du code civil dispose que:

'Les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté.

L'erreur est une cause de nullité qu'elle porte sur la prestation de l'une ou de l'autre partie.

L'acceptation d'un aléa sur une qualité de la prestation exclut l'erreur relative à cette qualité.'

L'article 1136 précise que l'erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n'est pas une cause de nullité.

Les intimés soutiennent que dès la conclusion du contrat, Madame [P] avait un doute sur les qualités du masque africain au point de l'exclure du lot comprenant tous les objets du vide-grenier.

Il résulte toutefois du certificat de vente du 28 septembre 2021 que Madame [P] a vendu le masque en même temps que des miroirs à restaurer et qu'un lot de petits cadres pour photographies ; elle n'a donc pas réservé un sort distinct au masque de celui d'autres objets de valeur modique, dont elle souhaitait se débarrasser.

Le fait qu'elle n'ait pas fait figurer sur cette liste d'autres objets africains, issus de la collection de son ancêtre, ne signifie pas nécessairement qu'elle avait un doute sur la singularité des caractéristiques du masque.

L'acceptation d'un aléa sur les qualités essentielles présentés par le masque n'est donc pas manifeste.

Le prix de la vente a été fixé à 150 euros par Madame [P] qui semble s'être fait une représentation inexacte des qualités substantielles de l'objet qu'elle a considéré comme étant un masque traditionnel gabonais, communément mis en circulation sur le marché.

Les analyses effectuées avec la méthode du carbone 14, couplée à une spectrométrie de masse, ont permis de date le masque du 19 ème siècle. De plus, l'expertise réalisée par un ethnologue a mis en évidence le fait qu'il s'agissait d'un masque utilisé exclusivement lors de rites purificateurs par la société du Ngil, société secrète qui officiait jusque dans les années 1920 au Gabon au sein du groupe ethnique des Fang. Cette pièce en bois de fromager recouvert de kaolin est ainsi exceptionnelle du fait de sa rareté puisqu'il n'existerait qu'une petite dizaine d'autres spécimens de référence connus dans le monde, à travers les musées et les collections d'Occident.

Il s'en suit qu'il est vraisemblable que les vendeurs n'aient pas seulement fait une appréciation économique inexacte de la valeur présentée par le masque vendu mais également de ses qualités essentielles provenant du fait qu'il présente un intérêt majeur pour l'histoire de l'art et qu'il appartient à un corpus aussi réduit que recherché, selon l'expression employée par la gazette Drouot.

Au vu de ces éléments, la créance alléguée par les appelants paraît fondée en son principe.

Les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance

L'importance du montant de la créance et le caractère volatile des fonds perçus de la vente, qui ont été déposés sur des comptes d'épargne desquels ils peuvent être retirés à tout moment, caractérisent les circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.

3) Sur la demande de cantonnement de la saisie conservatoire

L'article 1352-2, alinéa 1, du code civil prévoit que celui qui l'ayant reçue de bonne foi a vendu la chose ne doit restituer que le prix de la vente.

Il s'en suit que dans l'hypothèse où la juridiction du fond saisie annulerait la vente et quand bien même le brocanteur serait reconnu comme ayant reçu le masque de bonne foi, il devrait restituer le prix de la revente qui s'est élevé, après déduction des frais et de l'impôt sur la plus-value, à la somme nette de 3 171 959,40 euros.

Le brocanteur n'avait aucune obligation légale de procéder au transfert au jardinier des vendeurs d'une partie de ses droits de propriété sur le masque de sorte qu'il est peu plausible qu'il soit reconnu fondé à opposer à ces derniers le partage du prix de la vente aux enchères dont il n'établit d'ailleurs pas qu'il ait été opéré par moitié au profit de son co-indivisaire.

Dès lors, la saisie conservatoire sera seulement cantonnée à la somme de 3 171 959,40 euros.

L'abus de saisie n'étant pas caractérisé, le jugement critiqué sera également infirmé en ce qu'il a condamné les créanciers saisissants au paiement de dommages-intérêts.

4) Sur les frais du procès

Les intimés qui succombent seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur des appelants et de leur allouer une indemnité de 2 500 euros, à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour

Statuant à nouveau,

Ordonne la mainlevée partielle de la saisie portant sur le compte chèques joint n°[XXXXXXXXXX013] à hauteur de la moitié du solde créditeur du dit compte

Déboute Monsieur [M] [N] et Madame [V] [I] de leur demande en mainlevée totale de la saisie conservatoire opérée le 10 mai 2022

Déboute Madame [F] [G] épouse [P] et Monsieur [H] [P] de leur demande tendant à voir dire et juger que l'assignation du 14 juin 2022 contient un aveu judiciaire

Ordonne le cantonnement de la saisie conservatoire pour sûreté et garantie de la somme de 3 171 959,40 euros

Valide, par conséquent, la saisie conservatoire à hauteur de 3 171 959,40 euros

Déboute Monsieur [M] [N] et Madame [V] [I] de leur demande en dommages-intérêts

Y ajoutant,

Condamne Monsieur [M] [N] et Madame [V] [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris les frais de saisie conservatoire avancés par les époux [P]

Condamne Monsieur [M] [N] et Madame [V] [I] à payer à Madame [F] [G] épouse [P] et Monsieur [H] [P] une indemnité de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Arrêt signé par la présidente et par la greffiere.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 22/03553
Date de la décision : 28/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-28;22.03553 ?
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