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27/06/2023 | FRANCE | N°20/02743

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5ème chambre sociale ph, 27 juin 2023, 20/02743


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 20/02743 - N° Portalis DBVH-V-B7E-H2V3



EM/JLB



CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ORANGE

07 octobre 2020



RG :18/00199







[G]





C/



[E]

Etablissement Public UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 1]





















Grosse délivrée le 27 JUIN 202

3 à :



- Me OLLIER-BONNET

- Me KUJUMGIAN

- Me MEFFRE













COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH



ARRÊT DU 27 JUIN 2023





Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ORANGE en date du 07 Octobre 20...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 20/02743 - N° Portalis DBVH-V-B7E-H2V3

EM/JLB

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ORANGE

07 octobre 2020

RG :18/00199

[G]

C/

[E]

Etablissement Public UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 1]

Grosse délivrée le 27 JUIN 2023 à :

- Me OLLIER-BONNET

- Me KUJUMGIAN

- Me MEFFRE

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 27 JUIN 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ORANGE en date du 07 Octobre 2020, N°18/00199

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière lors des débats et Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier lors du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 18 Avril 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 27 Juin 2023.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANT :

Monsieur [D] [G]

né le 12 Janvier 1971 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 5] / FRANCE

Représenté par Me Pauline OLLIER-BONNET, avocat au barreau de NIMES

Représenté par Me Muriel FASSIE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉS :

Maître [P] [E] Es qualité de « Mandataire liquidateur » de l' « EURL MARBRERIE CHRISTIAN ALTOVITI »

[Adresse 3]

[Localité 4] / FRANCE

Représenté par Me Nathalie KUJUMGIAN, avocat au barreau D'AVIGNON

Etablissement Public UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 1]

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représentée par Me Lisa MEFFRE de la SELARL SELARLU MG, avocat au barreau de CARPENTRAS

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 27 Juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour.

EXPOSE

M. [D] [G] a été engagé à compter du 25 septembre 2000, suivant contrat à durée déterminée dont le terme était fixé aux 22 décembre 2000, en qualité d'aide poseur-manutentionnaire par l' Eurl Marbrerie Christian Altoviti, puis dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée le 23 décembre 2000.

Par courrier du 02 mars 2018, M. [D] [G] a informé l'Eurl Marbrerie Christian Altoviti de sa démission ainsi que de la possibilité de ne pas effectuer le délai de préavis aux fins d'être libéré de ses obligations pour effectuer une mission d'intérim le 05 mars 2018.

Par jugement du 13 novembre 2019, le tribunal de commerce d'Avignon a placé l'Eurl Marbrerie Christian Altoviti en liquidation judiciaire.

Par requête du 22 octobre 2018, M. [D] [G] a saisi le conseil de prud'hommes d'Orange pour qu'il soit dit que sa démission contrainte doit s'analyser en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, que l'Eurl Marbrerie Christian Altoviti soit condamnée au paiement de diverses sommes indemnitaires à fixer au passif de la liquidation de l'entreprise.

Par jugement du 07 octobre 2020, le conseil de prud'hommes d'Orange a :

- débouté M. [D] [G] de l'intégralité de ses demandes,

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 1 763, 863 euros,

- débouté Me [E] es qualité de ses demandes reconventionnelles,

- condamné M. [D] [G] aux entiers dépens de l'instance.

Par acte du 28 octobre 2020, M. [D] [G] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance en date du 29 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 6 décembre 2022 à 16 heures et fixé examen de l'affaire à l'audience du 20 décembre 2022. Par avis de déplacement d'audience du 13 décembre 2022, l'examen de l'affaire a été fixé au 18 avril 2023 à laquelle elle a été retenue.

Aux termes de ses dernières conclusions du 26 janvier 2021, M. [D] [G] demande à la cour de :

- le dire bien fondé en son appel,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

En conséquence,

- dire que sa démission contrainte doit s'analyser en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- fixer en conséquence sa créance au passif de la liquidation de l'EURL Marbrerie Christian Altoviti aux sommes suivantes :

- 8 887,88 euros à titre d'indemnité légale de licenciement en application des dispositions de l'article L1234-9 du code du travail,

- 3 527,66 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis en application des dispositions de l'article L1234-1 du code du travail,

- 352,77 euros à titre d'incidence congés payés sur rappel précité,

- 1 763,83 euros à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement en application des dispositions de l'article L1232-2 du code du travail,

- 24 693,62 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l'article L1235-3 du code du travail,

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi résultant de la précarité imposée à M. [D] [G] en application des dispositions des articles 1240 du code civil et L1222-1 du code du travail,

- dire ces sommes opposables au CGEA,

- enjoindre Me [P] [E] d'avoir à établir et délivrer les documents suivants :

- une attestation destinée à Pôle Emploi mentionnant comme motif de la rupture du contrat de travail un « licenciement »,

- un certificat de travail,

- un reçu pour solde de tout compte,

- débouter Me [E] et le CGEA de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions.

M. [D] [G] soutient que :

- le gérant de Eurl Marbrerie Christian Altoviti, M. [L] l'a convoqué le 08 mars 2018 pour l'informer qu'il allait vendre la société et qu'il devait démissionner pour qu'il soit repris dans les effectifs de la nouvelle société la Sarl Drôme Agregats ; son contrat de travail devait faire l'objet d'un transfert auprès de cette société, et n'avait aucun intérêt à démissionner ; c'est bien parce que M. [L] a affirmé que la démission était la condition pour la conclusion d'un contrat à durée indéterminée avec la nouvelle société qu'il a signé la lettre de démission qu'il n'a pas rédigée ; il considère avoir ainsi signé sous la contrainte la lettre de démission qu'il a contestée quelques jours plus tard; il a la même version des événements que la seconde salariée victime de la même contrainte, Mme [X] qui a démissionné le même jour ;

- il est évident que la démission imposée par le gérant de l'Eurl Marbrerie Christian Altoviti à ses deux salariés n'avait pour but que de permettre à la Sarl Drôme Agregats d'employer les salariés sans reprendre leur ancienneté et sans verser une quelconque indemnité de licenciement ; finalement, il n'a jamais cessé d'exercer ses fonctions et a été embauché par la société Randstad dès le 05 mars 2018, tout comme Mme [X],

- il considère dès lors être en droit de solliciter les indemnités afférentes à un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité légale de licenciement, des dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour réparer le préjudice résultant de la précarité qui lui a été imposée.

En l'état de ses dernières écritures en date du 13 avril 2021, Me [P] [E] es-qualité de liquidateur de l'Eurl Marbrerie Christian Altoviti demande de :

- confirmer en toutes ses dispositions Ie jugement rendu par Ie Conseil des Prud'hommes d'Orange le 7 Octobre 2020,

- débouter M. [D] [G] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [D] [G] à lui verser à la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [D] [G] aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel,

A titre infiniment subsidiaire,

Si la cour réformait le jugement du conseil de prud'hommes d'Orange en date du 7 octobre 2020 et requalifiait la démission de M. [D] [G] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- débouter M. [D] [G] de la demande de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure, celle-ci ne pouvant se cumuler avec des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- réduire dans de justes proportions la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de M. [D] [G] et la limiter au plancher d'indemnisation,

- débouter M. [D] [G] de toutes autres demandes fins et conclusions.

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Me Christian [E] es-qualité de liquidateur de l'Eurl Marbrerie Christian Altoviti fait valoir que :

- M. [D] [G] a librement notifié sa démission à l' Eurl Marbrerie Christian Altoviti et ne démontre pas qu'il aurait été victime d'un dol de la part de la société au motif que cette dernière aurait mis en euvre un 'stratagème' pour le forcer à démissionner ; aucune intention dolosive ni 'stratagème' n'est démontré par M. [D] [G] ni le chantage dont il s'estime être victime ; pendant plusieurs mois, M. [L] a tenté de maintenir les deux postes de sa petite société, ce qui explique qu'il ait sollicité une allocation de chômage partiel voulant éviter de recourir à un licenciement pour motif économique ou à une liquidation judiciaire, espérant que l'activité allait reprendre, avant d'accepter la proposition de M. [W], gérant de la Sarl Drôme et Agregats et de s'être assuré que les salariés seraient repris ; la reprise du personnel était donc actée ; aucune collusion frauduleuse ne saurait lui être reprochée alors qu'il a tenté de trouver une solution favorable pour les deux salariés ; cependant, M. [D] [G] a choisi de démissionner,

- les dispositions du contrat à durée indéterminée signé avec la nouvelle société le 1er janvier 2019 selon lesquelles le dit contrat avait pour objet de régulariser la situation de M. [D] [G] dès son embauche initiale le 12 mars 2018 confirment que c'est bien volontairement et en toute connaissance de cause qu'il a démissionné.

L'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 1], reprenant ses conclusions transmises le 22 avril 2021, demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Orange du 07 octobre 2020 en toutes ses dispositions,

- subsidiairement, la mettre hors de cause,

- débouter M. [D] [G] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- à titre infiniment subsidiairement, réduire dans de notables proportions les indemnisations sollicitées par M. [D] [G],

- dire et juger qu'elle ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L 3253-6 et L 3253-8 du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19, 20 et 21 et L 3253-17 du code du travail,

- dire et juger que son obligation de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,

- lui déclarer la décision opposable dans les limites prévues aux articles L 3253-6 et L 3253-8 du code du travail et les plafonds prévus aux articles L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail,

- dire et juger qu'elle n'est pas tenue de garantir une condamnation éventuelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- en tout état de cause, condamner M. [D] [G] au paiement de la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- M. [D] [G] a démissionné de ses fonctions par courrier remis en main propre à son employeur le 02 mars 2018 ; la rupture du contrat de travail est donc antérieure à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire prononcée le 13 janvier 2019 à l'encontre de l' Eurl Marbrerie Christian Altoviti ; le mandataire liquidateur n'a donc pas été à l'origine de la rupture et celle-ci n'est pas intervenue dans un délai de quinze jours suivants le jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ; elle doit donc être mise hors de cause,

- contrairement à ce que soutient M. [D] [G], il apparaît à la lecture du BODACC qu'aucune cession de fonds de commerce ni aucune cession dans le cadre de la liquidation judiciaire n'a été réalisée ; M. [D] [G] ne peut donc pas solliciter l'application de l'article L1224-1 du code du travail et prétendre à la collusion frauduleuse des sociétés Eurl Marbrerie Christian Altoviti et Drôme Agrégats,

- le courrier de M. [D] [G] est sans équivoque sur sa volonté de démissionner de ses fonctions allant jusqu'à demander à ne pas exécuter son préavis de 2 mois et mettant lui-même une date de fin de contrat ; ce n'est que plus de 10 jours plus tard que M. [D] [G] a contesté sa démission en prétextant qu'il aurait signé un courrier rédigé par son employeur, antidaté, et arguant du fait qu'il aurait dû conserver son ancienneté ; l'employeur a réfuté ces accusations ; à titre subsidiaire, il conviendra de réduire dans de notables proportions les demandes formulées par M. [D] [G].

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

MOTIFS

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur et lorsqu'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, le juge doit l'analyser en une prise d'acte qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.

Il appartient au juge de vérifier la réalité de cette volonté non équivoque de démissionner. Ce caractère équivoque ne pouvant résulter que de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission, ce n'est que si de telles circonstances sont caractérisées que le juge devra analyser cette démission, eut-elle été donnée sans réserve, en une prise d'acte de la rupture ayant les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient soit dans le cas contraire d'une démission. La démission est nécessairement équivoque lorsque le salarié énonce dans la lettre de rupture les faits qu'il reproche à l'employeur.

Même exprimée sans réserve, la démission peut être considérée comme équivoque lorsqu'il est établi qu'un différend antérieur ou concomitant à la rupture opposait les parties et la prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur entraîne la rupture immédiate du contrat de travail et ne peut en conséquence être rétractée. Dès lors, le comportement ultérieur du salarié est sans incidence

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il impute à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Dans cette hypothèse, il appartient au salarié de démontrer la réalité des griefs qu'il impute à son employeur, lesquels doivent présenter un caractère suffisamment grave pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, M. [D] [G] a signé une lettre de démission datée du 02 mars 2018, remise en main propre à l'Eurl Marbrerie Christian Altoviti à la même date, libellée de la façon suivante : 'je soussigné, [D] [G], ai l'honneur de vous présenter ma démission du poste de tailleur de pierre, marbrier poseur, à compter de la date de ce courrier.

J'ai bien noté que les termes de mon contrat de travail prévoient un préavis d'une durée de deux semaines. Cependant, et par dérogation, je sollicite la possibilité de ne pas effectuer ce préavis, et par conséquent de quitter l'entreprise dès le 02 mars 2018, mettant ainsi fin à mon contrat de travail.

Je vous demanderai de bien vouloir me transmettre dès que possible, un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail ainsi qu'une attestation Pôle emploi' .

Dans un courrier du 13 mars 2018, M. [D] [G] a contesté sa démission : 'Monsieur [L] [U] suite à ma convocation dans votre bureau au cours de laquelle vous m'avez demandé de signer une lettre de démission par le présent courrier...je vous demande à revenir sur la signature de la lettre de démission. Je demande à conserver mon contrat à durée indéterminée et mon ancienneté.

En effet, vous m'avez dit qu'il était obligatoire de signer cette lettre de démission parce que l'entreprise allait être rachetée et que je ne pouvais pas avoir deux contrats à temps plein en même temps. J'ai cru en votre bonne foi or renseignements pris, je n'avais aucune obligation de démissionner. Je vous confirme, comme je vous l'ai dit le lendemain matin que je m'oppose à cette signature. De plus sur la lettre de démission il ne s'agit pas de l'intitulé de mon poste puisque je suis débiteur machine poseur et pas tailleur de pierre marbrier poseur'.

M. [D] [G] ne rapporte pas la preuve qu'il aurait été contraint de démissionner dans la perspective d'une opération de rachat par la Sarl Drôme et Agrégats et qu'il aurait été victime de la collusion des deux sociétés pour échapper à l'application de l'article L1224-1 du code du travail.

A l'appui de ses prétentions, M. [D] [G] produit :

- un courriel envoyé par le gérant de l' Eurl Marbrerie Christian Altoviti le 06 février 2018 adressé à la Sarl Drôme et Agrégats dans lequel il explique qu'après avoir recueilli conseil auprès du vice président du tribunal de commerce qui lui a exposé deux solutions de reprise, machine et embauche du personnel ou vente du fonds de commerce en location gérance, il lui a confirmé que les 'deux méthodes étaient bonnes' et qu'il ne voyait donc aucune 'contre-indication à la vente des machines et à la reprise du personnel',

- une lettre de démission de Mme [K] [X] datée du 02 mars 2018 portant la mention manuscrite 'reçu en main propre' libellée dans les mêmes termes que la lettre de démission litigieuse et supportant la signature de la salariée,

- un contrat auprès de la société Randstad pour une mission d'interim du 05/03/2018 au 09/03/2018 qui prévoit comme lieu de mission la société SVMB ( société de valorisation de matériaux de Baronnies) en qualité de débiteur machine poseur,

- un contrat durée déterminée avec la Sarl Drôme Agregats le 12 mars 2018 pour une durée de trois mois, un avenant signé le 12 juin 2018 aux fins de prolongation de sa mission jusqu'au 31 juillet 2018,

- un contrat à durée déterminée avec la Sarl SVMB le 03 septembre 2018 jusqu'au 28 décembre 2018,

- un contrat à durée indéterminée avec la Sarl SVMB le 1er janvier 2019 qui a pour 'objet de régulariser la situation de M. [D] [G] depuis son embauche initiale le 12 mars

2018 par la société Drôme Agregats',

- un courrier de M. [L] du 23 avril 2018, dans lequel il mentionne bien que M. [D] [G] 'a repris le travail au sein d'une autre société',

- un modèle de lettre de démission figurant sur le site internet Service.public.fr.

Il résulte des éléments ainsi produits par M. [D] [G] que :

- la lettre de démission de M. [D] [G] et celle de Mme [K] [X] s'inspirent d'un modèle accessible sur le site internet Service.public.fr, ont été dactylographiées et ont un contenu libellé en termes identiques et remises entre les mains de l'employeur à la même date, sans qu'aucun élément ne puisse expliquer cette concordance de temps,

- une erreur a été commise dans la dénomination des fonctions exercées par M. [D] [G] puisqu'il avait été engagé par l' Eurl Marbrerie Christian Altoviti en qualité d' 'aide, poseur manutentionnaire' et non pas comme 'tailleur de pierre, marbrier poseur' comme mentionné dans la lettre de démission, cette définition correspondant plutôt aux fonctions exercées par Mme [K] [X] ; si M. [D] [G] avait rédigé lui-même cette lettre, il n'aurait certainement pas commis une telle erreur,

- M. [D] [G], tout comme Mme [K] [X], n'avaient aucun intérêt à démissionner dès lors qu'ils ont poursuivi leur travail dans les mêmes conditions mais sous la responsabilité juridique d'une autre société, soit la Sarl Drôme et Agregats, soit la Sarl SVBM et que M. [D] [G] a dû signer plusieurs contrats de travail.

L'Unedic CGEA AGS de [Localité 1] soutient qu'à la lecture du BODACC aucune opération de cession n'a eu lieu entre l'Eurl Marbrerie Christian Altoviti et la Sarl Drôme et Agregats, ce qui n'est pas contesté par M. [D] [G] ; il n'en demeure pas moins qu'il y a eu incontestablement rachat de tout ou partie de l' Eurl Marbrerie Christian Altoviti et des éléments d'actifs nécessaires à la poursuite de l'activité de la société cédante, comme l'établissent les différents contrats de travail signés entre M. [D] [G] avec l'une ou l'autre société, lesquelles ont le même gérant, M. [C] [W].

Si le contrat à durée indéterminée signé en 2019 vient régulariser la situation de travail depuis le 12 mars 2018, il n'en demeure pas moins que M. [D] [G] a perdu l'ancienneté qu'il avait acquise lors de ce transfert, soit près de 17 ans.

Enfin, M. [D] [G] s'est rétracté dans un court délai, onze jours, et a expliqué précisément et de façon circonstanciée, dans un nouveau courrier les raisons qui l'avaient obligé à démissionner, qui sont les mêmes que celles dénoncées par Mme [K] [X] qui n'avait pas plus d'intérêt à démissionner alors qu'elle avait acquis près de 4 ans d'ancienneté au moment du rachat de la société.

L'ensemble de ces éléments se rapportant aux circonstances entourant la signature de la lettre de démission de M. [D] [G] constituent autant d'indices concordants et sérieux de nature à corroborer les affirmations de M. [D] [G] selon lesquelles en l'obligeant à démissionner, son employeur échappait aux règles régissant le licenciement économique et la société repreneuse s'affranchissait de l'application, pourtant d'ordre public, de l'article L1224-1 du code du travail qui dispose que 'lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise'.

Il convient de préciser de surcroît que la mise à disposition aux exploitants successifs des éléments d'actifs nécessaires au fonctionnement de l'activité est suffisante pour l'application de cet article et que la démission des salariés ne peut faire échec à ces dispositions dès lors qu'ils avaient continué d'exercer leurs fonctions au service du nouvel employeur, ce qui est bien le cas de M. [D] [G].

Il s'en déduit que la démission de M. [D] [G] est dépourvue de volonté claire et non équivoque et résulte manifestement d'une pression morale de son employeur, l' Eurl Marbrerie Christian Altoviti, de sorte que la démission doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera donc infirmé.

Sur les conséquences financières :

- indemnité compensatrice de préavis :

L'article L1234-1 du code du travail dispose que lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :

1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;

2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois ;

3° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorable pour le salarié.

En application de l'article L1234-1 du code du travail, M. [D] [G] qui avait une ancienneté de 17 ans et 5 mois est en droit de solliciter un préavis d'une durée de deux mois, soit la somme de 3 527,66 euros outre 352,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, sommes non sérieusement discutées par les parties intimées.

- indemnité légale de licenciement :

L'article L1234-9 du code du travail prévoit que le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.

L'article R1234-2 du même code dispose que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :

1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ;

2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

En l'espèce, compte tenu de son ancienneté, M. [D] [G] a droit à une indemnité légale de licenciement d'un montant de 8 887,88 euros, dont le montant n'est pas sérieusement discuté par les autres parties intimées.

- dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement :

Selon l'article L1235-2 du code du travail, les motifs énoncés dans la lettre de licenciement prévue aux articles L. 1232-6, L. 1233-16 et L. 1233-42 peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l'employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d'Etat.

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement.

A défaut pour le salarié d'avoir formé auprès de l'employeur une demande en application de l'alinéa premier, l'irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire.

En l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, le préjudice résultant du vice de motivation de la lettre de rupture est réparé par l'indemnité allouée conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3.

Lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Quelle que soit la taille de l'entreprise ou l'ancienneté du salarié, le non-respect de la procédure ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts plafonnés à un mois de salaire.

En l'espèce, il est incontestable que l' Eurl Marbrerie Christian Altoviti n'a pas respecté les modalités de licenciement prévues à l'article L1232-2 du code du travail, de sorte que la procédure de licenciement est irrégulière.

M. [D] [G] est donc en droit de solliciter une somme de 1 763,83 euros à titre de dommages et intérêts.

- dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse :

L'article L1235-3 du code du travail prévoit que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.(...) Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous.

ancienneté du salaire dans l'entreprise ( en années complètes)

indemnité minimale ( en mois de salaire brut)

17 ans

entre 3 et 14 mois

Compte tenu de l'ancienneté du salarié, 17 ans, de son âge au moment de la rupture, 46 ans et du fait qu'il a poursuivi son activité professionnelle mais dans des conditions défavorables dès lors que le contrat signé avec la Sarl SVMB a été signé sur la base d'une réduction du temps de travail et de son licenciement survenu le 23 août 2019, du fait qu'il perçoive des allocations de Pôle emploi à compter du 1er mai 2019 à hauteur de 900 euros mensuels, il convient d'allouer au salarié à ce titre une somme de 15 000 euros.

- dommages et intérêts en réparation d'un préjudice résultant d'une situation de précarité qui lui a été imposée :

M. [D] [G] ne justifie pas avoir subi un préjudice distinct de celui résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse, la situation de précarité qu'il expose dans ses conclusions étant pris en compte dans l'évaluation de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

M. [D] [G] sera donc débouté de ce chef de demande.

Sur la demande de mise hors de cause de l'Unedic AGS CGEA de [Localité 1] :

Selon l'article L3253-8 du code du travail dispose que l'assurance mentionnée à l'article L. 3253-6 couvre:

1° Les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l'employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle ;

2° Les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :

a) Pendant la période d'observation ;

b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;

c) Dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;

d) Pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité ;

3° Les créances résultant de la rupture du contrat de travail des salariés auxquels a été proposé le contrat de sécurisation professionnelle, sous réserve que l'administrateur, l'employeur ou le liquidateur, selon le cas, ait proposé ce contrat aux intéressés au cours de l'une des périodes indiquées au 2°, y compris les contributions dues par l'employeur dans le cadre de ce contrat et les salaires dus pendant le délai de réponse du salarié ;

4° Les mesures d'accompagnement résultant d'un plan de sauvegarde de l'emploi déterminé par un accord collectif majoritaire ou par un document élaboré par l'employeur, conformément aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4, dès lors qu'il a été validé ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 1233-58 avant ou après l'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ;

5° Lorsque le tribunal prononce la liquidation judiciaire, dans la limite d'un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail, les sommes dues :

a) Au cours de la période d'observation ;

b) Au cours des quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;

c) Au cours du mois suivant le jugement de liquidation pour les représentants des salariés prévus par les articles L. 621-4 et L. 631-9 du code de commerce ;

d) Pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation et au cours des quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité.

La garantie des sommes et créances mentionnées aux 1°, 2° et 5° inclut les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale, ou d'origine conventionnelle imposée par la loi.

En l'espèce, l' Eurl Marbrerie Christian Altoviti a été placée en liquidation judiciaire suivant jugement du 13 novembre 2019.

Outre le fait que le licenciement n'a pas été prononcé par le liquidateur, les sommes dues par l'employeur au titre de la rupture du contrat de travail prononcé le 02 mars 2018 sont bien antérieure au jugement de liquidation.

Il convient en conséquence de faire droit à la demande de l'Unedic AGS CGEA de [Localité 1] d'être mise hors de cause.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière prud'homale et en dernier ressort ;

Met hors de cause de la présente procédure l'UNEDIC CGEA AGS de [Localité 1],

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Orange le 07 octobre 2020,

Statuant sur les dispositions réformées et y ajoutant,

Requalifie la démission de M. [D] [G] le 02 mars 2018 en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Fixe les créances de M. [D] [G] au passif de la liquidation de l'Eurl Marbrerie Christian Altoviti aux sommes suivantes :

- 3 527,66 euros outre 352,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de congés payés y afférente,

- 8 887,88 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 1 763,83 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure de licenciement irrégulière,

- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Enjoint Maître [E], es qualité de mandataire liquidateur de l' Eurl Marbrerie Christian Altoviti à établir et délivrer à M. [D] [G] les documents suivants : une attestation pôle emploi, un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte conformes aux dispositions du présent arrêt,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Dit que les dépens de la procédure de première instance et d'appel seront à la charge de la liquidation de l' Eurl Marbrerie Christian Altoviti.

Arrêt signé par le président et par le greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5ème chambre sociale ph
Numéro d'arrêt : 20/02743
Date de la décision : 27/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-27;20.02743 ?
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