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15/06/2023 | FRANCE | N°21/01089

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5e chambre pole social, 15 juin 2023, 21/01089


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 21/01089 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H7MO



EM/DO



TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PRIVAS

27 juin 2019



RG :19/00075





Société [7]



C/



[O]

CPAM DE L'ARDECHE



















Grosse délivrée le 15 JUIN 2023 à :



- Me ABDOU

- Me NINOTTA

- CPAM ARDECHE
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COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

5e chambre Pole social



ARRÊT DU 15 JUIN 2023





Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de PRIVAS en date du 27 Juin 2019, N°19/00075



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Madame Evelyne MARTIN, Conseill...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 21/01089 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H7MO

EM/DO

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PRIVAS

27 juin 2019

RG :19/00075

Société [7]

C/

[O]

CPAM DE L'ARDECHE

Grosse délivrée le 15 JUIN 2023 à :

- Me ABDOU

- Me NINOTTA

- CPAM ARDECHE

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5e chambre Pole social

ARRÊT DU 15 JUIN 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de PRIVAS en date du 27 Juin 2019, N°19/00075

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 04 Avril 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 15 Juin 2023.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

Société [7]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Valéry ABDOU de la SELARL ABDOU ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

INTIMÉS :

Monsieur [M] [O]

né le 16 Mai 1962 à [Localité 13]

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 2]

Représenté par Me Marylène NINOTTA de la SCP DELOCHE, avocat au barreau D'ARDECHE

CPAM DE L'ARDECHE

Service des affaires juridiques

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représenté par M. [D] [V] en vertu d'un pouvoir spécial

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 15 Juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

M. [M] [O], embauché en qualité de maçon du 21 mars 1994 au 24 février 2016 par la Sas [8] aux droits de laquelle vient la Sas [7], a été victime d'un accident le 18 janvier 2012 pour lequel l'employeur a établi une déclaration d'accident de travail le 19 janvier 2012 qui mentionnait : ' le salarié a été brûlé par de l'essence alors qu'il semblait manipuler une tronçonneuse thermique. Les circonstances de l'accident ne sont pas connues à ce jour'.

Le certificat médical initial établi le 18 janvier 2012 par le docteur [I] [L] mentionnait : 'brûlure 2e et 3e degré sur 15% de surface corporelle totale (main gauche-membres inférieurs droit et gauche)'.

Le 16 février 2012, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche a reconnu le caractère professionnel de cet accident.

L'état de santé de M. [M] [O] a été déclaré consolidé au 20 septembre 2015, et il a été fixé un taux d'incapacité permanente de 30%.

M. [M] [O] a sollicité la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et demandé à la caisse de mettre en oeuvre la procédure de conciliation ; après échec de cette procédure, M. [M] [O] a saisi aux mêmes fins le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Ardèche par requête du 10 février 2017.

Suivant jugement du 27 juin 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de Privas, désormais compétent pour statuer sur ce litige, a :

- dit que l'accident du travail subi le 18 janvier 2012 par M. [O] est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, la société [7] venant aux droits de la SAS [8], et que sa responsabilité est engagée sur le fondement de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale,

- fixé au maximum la majoration du capital prévue par la loi dans la limite des plafonds prévus par l'article L452-2 du code de la sécurité sociale,

- rappelé que la majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur, en application des dispositions de l'article L452-2 du code de la sécurité sociale,

Avant dire droit sur la liquidation des préjudices,

- ordonné une mesure d'expertise médicale,

- commis pour y procéder le Dr [G] [N], expert en matière de sécurité social, avec pour mission, de :

* à partir des déclarations de la victime, au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, le nom de l'établissement et services concernés et la nature des soins,

* recueillir les doléances de la victime et au besoin de ses proches ; l'interroger sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences,

* décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles,

* procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime, (...)

- dit que l'expert pourra s'adjoindre de tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises, de solliciter une consignation supplémentaire et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport ; dit que si le sapiteur n'a pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l'expert,

- dit que l'expert déposera son rapport au greffe du tribunal dans le délai de quatre mois suivant la notification du versement de la consignation fixée au service de la Régie, et à défaut d'une telle fixation à compter de sa saisine,

- fixé à 600 euros le montant de la provision à valoir sur les honoraires de l'expert, qui sera versé par M. [O] à la régie d'avances et des recettes de ce tribunal, dans le délai d'un mois à compter de la réception de la décision, à peine de caducité de la décision d'expertise, sauf à justifier de ce qu'elle bénéficie de l'aide juridictionnelle,

- désigné le président de la juridiction de céans en qualité de magistrat chargé du contrôle de l'expertise

- rappelé que la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche devra faire l'avance des réparations à venir pour le compte de l'employeur,

- enjoint la société [7] à communiquer le nom de sa compagnie d'assurance dans les meilleurs délais à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche,

- renvoyé la cause et les parties à l'audience de mise en état dématérialisé du 05 décembre 2019

- déclaré le jugement opposable à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche,

- sursis à statuer sur les demandes relatives à l'article 700 du code de procédure civile,

- réservé les dépens.

Par acte du 11 juillet 2019, la Sas [7] a régulièrement interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 04 juillet 2019.

L'affaire était radiée pour défaut de diligence des parties le 18 décembre 2020 pour être ré-inscrite à la demande de la Sas [7] le 17 mars 2021.

Suivant acte en date du 28 décembre 2022, l'affaire a été fixée à l'audience du 04 avril 2023 à laquelle elle a été retenue.

Par conclusions déposées et développées oralement à l'audience, la Sas [7] dont il n'est pas contesté qu'elle vient aux droits de la Sas [8] demande à la cour de :

- infirmer le jugement du 27 juin 2019 du pôle social du tribunal de grande instance de Privas en ce qu'il dit que l'accident du travail survenu le 18 janvier 2012 à M. [M] [O] est la conséquence de sa faute inexcusable, et fixe au maximum la majoration du capital,

- constater qu'elle ne pouvait avoir conscience du risque auquel était exposé son salarié,

- juger en conséquence qu'elle n'a commis aucune faute inexcusable dans la survenance de l'accident du travail de M. [O],

- débouter ce dernier de l'ensemble de ses demandes, tant sur la majoration de la rente qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que :

- lors de son intervention sur le chantier le 18 janvier 2012, M. [M] [O] avait pour mission de découper un mur en béton recouvert de faïence à l'aide d'une découpeuse thermique de la marque [12] qui ne présentait aucune difficulté de démarrage contrairement a ce qu'affirme le salarié ; si ce dernier éprouvait une gêne au moment de mettre en marche la machine, elle est uniquement due au fait qu'il est gaucher ; c'est pour cette raison que le salarié a fait appel à son chef de chantier pour mettre en marche la découpeuse,

- M. [M] [O] avance que la découpeuse serait ancienne, entendant ainsi qu'elle présentait un risque certain ; la machine en question avait fait l'objet d'une révision le 08 décembre 2011, soit un mois avant l'accident, à l'issue de laquelle aucune anomalie n'a été constatée ; le CHSCT, dans son procès-verbal du 23 janvier 2012, rappelle que la disqueuse n'avait pas été utilisée depuis cette opération de maintenance, ce qui permettait de conclure à l'absence totale d'anomalie ; dans ces conditions, elle considère qu'elle ne pouvait pas avoir conscience d'un risque auquel aurait a été exposé le salarié,

- la mission confiée à M. [M] [O] qui impliquait l'usage de la découpeuse n'était pas de nature à porter atteinte à sa sécurité ; elle s'oppose ainsi à l'affirmation de l'inspection du Travail selon laquelle la cause de l'accident résulterait de modalités d'utilisation non conformes à l'usage de la disqueuse ; en effet, l'inspection a considéré qu'il s'agissait d'un travail en hauteur ; or M. [M] [O] effectuait une découpe verticale et de plain-pied, ce qui correspond aux consignes de sécurité relatives à l'usage de la machine ; le salarié dans ses dépositions n'a jamais indiqué qu'il se trouvait en situation de hauteur ; il est constant que le salarié travaillait au sol ; le Tribunal ne pouvait donc pas se prévaloir de la qualification de travail en hauteur pour l'utilisation d'un appareil ' sur une zone située au-dessus de la hauteur d'homme, bras tendus au-dessus du corps ; l'Inspection du travail a avancé que le bouchon d'essence de la découpeuse ne permettait pas d'empêcher l'écoulement du carburant pour une coupe sur un mur vertical ; aucune expertise n'ayant été diligentée, elle a donc mandaté un expert qui conclut que le matériel était adapté pour être utilisé dans toutes les situations compte tenu de la nature des travaux le justifiant,

- l'expert mentionne que ' ce type de bouchon est d'usage très répandu et privilégie sur les matériels portatifs destinés à fonctionner en toutes situations avec des vibrations car il évite le risque de dévissage car vibration contrairement aux traditionnels bouchons a visser' ; ainsi les modalités d'utilisation de la disqueuse ne peuvent être incriminées ; l'expert conclut également que la propagation des flammes résultait d'une imprégnation d'essence qui ne pouvait résulter que d'une fuite importante, que M. [M] [O] ayant procédé au remplissage de la machine après avoir dejà réalisé une première saignée, c'est bien dans le cadre de cette opération qu'il faut apprécier les critères de la faute inexcusable,

- la cause du sinistre était imprévisible pour l'employeur ; les conclusions de l'expert sont sans équivoques quant à la cause du sinistre, à savoir que M. [M] [O] avait mal rebouché le réservoir d'essence ; compte tenu de son ancienneté et de son expérience, M. [M] [O] était l'une des personnes les plus à même d'utiliser une machine comme la découpeuse en toute sécurité ; il se trouve cependant que l'accident du 18 janvier 2012 n'est dû qu'au comportement de M. [M] [O] qui a mal refermé le bouchon du réservoir d'essence ; ainsi, c'est par cette cause imprévisible que l'accident est survenu ; or à aucun moment l'employeur n'aurait pu envisager qu'un salarié avec la compétence de M. [M] [O] agirait de la sorte ; elle ne saurait être tenue responsable d'une faute inexcusable alors qu'elle ne pouvait avoir conscience d'un danger.

Par conclusions déposées et développées oralement à l'audience, M. [M] [O] demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement en date du 27 juin 2019 du pôle social près le tribunal de grande instance Privas,

- confirmer ledit jugement en ce qu'il a dit que l'accident du travail survenu le 18/01/2012 était la conséquence de la faute inexcusable de son employeur et fixé au maximum la majoration de la rente,

- confirmer ledit jugement en ce qu'il a désigné le Dr [T] [B] aux fins de déterminer l'entier de son préjudice avec la mission tel que fixée dans le jugement,

- débouter l'employeur de l'intégralité de ses prétentions,

- condamner la société [7] venant aux droits de la SAS [8] à la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il fait valoir que :

- en l'affectant sur un chantier avec du matériel inadapté, l'employeur ne pouvait avoir que conscience du danger ; il n'est pas contesté que lors de son intervention sur le chantier du péage de Vienne le 18 janvier 2012, il avait pour mission de découper un mur en béton à l'aide d'une découpeuse thermique de maque [12] ; le matériel utilisé qui a pris feu était déjà ancien et avait du mal à démarrer ; cette machine était défaillante et avait un mois plus tôt fait l'objet d'une révision ; le CHSCT indique qu'entre cette révision et son utilisation, la machine n'a pas été utilisée : il ne peut donc pas être affirmé que ce matériel fonctionnait parfaitement le jour de l'accident ; il est certain qu'il n'a pas pu démarrer la machine et que c'est M. [E] qui l'a démarrée,

- pour tenter d'écarter sa responsabilité, l'employeur a eu recours en 2017 à un expert privé M. [S] qui énonce des faits qui sont pourtant contestés par d'autres éléments du dossier de sorte que son 'rapport' n'est pas fiable ; il adopte la thèse selon laquelle ses vêtements se seraient enflammés parce que lors du remplissage en essence, il a mal refermé le bouchon à essence et indique que cette disqueuse était munie d'un bouchon à baïonnette ; rien ne corrobore cette version ; si le bouchon n'avait pas été correctement installé, M. [E] qui a démarré la machine n'aurait pas manqué de s'en apercevoir, d'autant plus que, contrairement à ce prétend l'employeur, M. [E] ne s'est pas contenté de démarrer la machine mais l'a tenue en l'air pour lui montrer 'comment il fallait faire'; l'Inspection du travail considère que « l'entreprise [8] est en faute' ; l'employeur conteste que le travail effectué était un travail en hauteur alors qu'il a toujours indiqué qu' il avait dû tenir la disqueuse en l'air et à bout de bras, ce que ne conteste pas le chef d'équipe ; la documentation du fabricant préconise de ne pas travailler à 'bras levé c'est-à-dire à une hauteur supérieure aux épaules' ; il n'avait pas connaissance de ce type de préconisation et la documentation ne leur a jamais été fournie ; dès lors, l'employeur aurait dû avoir conscience du danger,

- l'employeur a manqué à son obligation de sécurité, il n'a pas veillé à ce que le chantier soit muni de matériel de base en cas d'incendie : sur le chantier, il n'y avait ni eau, ni extincteur, ni couverture ; s'il portait les EPI habituels, en revanche, il n'avait aucune protection anti-feu ; c'est en raison de ces carences et de ces fautes de l'employeur qu'il a eu son accident du travail; les fautes de l'employeur ont concouru à la réalisation de l'accident,

- du fait de cet accident, il a subi de graves préjudices : il a été conduit au service de réanimation des grands brûlés à Lyonet subira plusieurs interventions chirurgicales pour des greffes de peau ; il a été déclaré inapte à son emploi et licencié pour inaptitude ; il n'a pas retrouvé d'emploi ; il perçoit une pension d'invalidité 2ème catégorie outre 270 euros de la caisse Pro BTP; la perte de revenus est donc importante.

Par conclusions déposées et développées oralement à l'audience, la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche demande à la cour de :

- la recevoir en son intervention,

- lui décerner acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour sur le point de savoir si l'accident dont il a été victime le 18 janvier 2012 est imputable ou non à une faute inexcusable de l'employeur,

Dans l'affirmative,

- fixer le montant de la majoration de la rente, et le montant des préjudices extra patrimoniaux selon l'usage en vigueur,

- reconnaître l'action récursoire de la caisse primaire à l'encontre de la société [7].

Elle fait valoir qu'elle intervient dans la présente instance en tant que partie liée puisqu'il lui appartiendra, lorsque la cour se sera prononcée sur la reconnaissance de la faute inexcusable, de récupérer, le cas échéant, auprès de l'employeur, les sommes qu'elle sera amenée à verser à M. [A] [Y] (sic) en application des dispositions des articles L452-2 et L452-3 du code de la sécurité sociale.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures déposées et soutenues oralement lors de l'audience.

MOTIFS

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il résulte de l'application combinée des articles L452-1 du code de la sécurité sociale, L4121-1 et L4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur et le fait qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, sont constitutifs d'une faute inexcusable.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ou de la maladie l'affectant; il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, étant précisé que la faute de la victime, dès lors qu'elle ne revêt pas le caractère d'une faute intentionnelle, n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable.

Il incombe, néanmoins, au salarié de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l'employeur dont il se prévaut'; il lui appartient en conséquence de prouver, d'une part, que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait ses salariés et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires concernant ce risque, d'autre part, que ce manquement tenant au risque connu ou ayant dû être connu de l'employeur est une cause certaine et non simplement possible de l'accident ou de la maladie.

En l'espèce, les circonstances de l' accident de travail dont a été victime M. [M] [O] le 18 janvier 2012 peuvent être déterminées au vu :

- de la déclaration d'accident de travail établie par l'employeur le 19 janvier 2012 qui mentionne la survenue d'un accident le 18 janvier 2012 à 10h sur le chantier ASF Aire de Vienne Est à [Localité 11] : ' le salarié a été brûlé par de l'essence alors qu'il semblait manipuler une tronçonneuse thermique. Les circonstances de l'accident ne sont pas connues à ce jour' ,

- les auditions de M. [M] [O] par les policiers le :

* 20 janvier 2012 : '...je devais immédiatement me servir de la tronçonneuse thermique pour faire des arrêtes...dans les murs...j'ai commencé après avoir pris la tronçonneuse...j'ai fait une première saignée...j'ai éteint la tronçonneuse pour faire le tour, je l'ai rallumée après je ne me souviens plus; je l'ai redémarrée à l'aide du lanceur ; je précise que je suis gaucher et cela n'est pas évident pour les gauchers; j'ai débuté une nouvelle saignée sur le mur à une hauteur supérieure à moi et au bout de quelques secondes, elle s'est enflammée ; je la tenais à ce moment là à bout de bras ; je n'ai jamais vu de carburant se déverser sur moi ; la seule chose que j'ai vue, c'est que je commençais à prendre feu, d'abord le pantalon, je crois puis les mains...j'ai jeté la machine.. Question : avez-vous l'habitude de vous servir de cette machine ' Oui bien sûr. C'est moi qui l'avais fait (le complément carburant avant d'effectuer la deuxième saignée), j'avais bien regardé si le bouchon était bien fermé ; il l'était avant que je l'utilise...il y a quelques années que nous l'avons (la tronçonneuse)..je me souviens d'avoir vissé le bouchon...' ,

* 07 mars 2014 '...je me souviens désormais qu'après avoir effectué le complément de carburant de la tronçonneuse, que je soutiens avoir effectué correctement et méticuleusement ce n'est pas moi qui l'ai redémarrée mais [P] [E]. En effet, étant gaucher, je n'arrivais pas à la démarrer. Si le bouchon avait mal été vissé, il l'aurait remarqué....je n'arrive pas à trouver ce qui a pu déclencher ça...je n'ai pour moi commis aucune erreur. Je n'ai aucune idée quant à ce qui peut être imputé la responsabilité de l'accident...le bouchon était fermé et tenait à l'aide me semble-t-il d'une chaînette...',

- l'audition de M. [K] [J], directeur de la société, le :

* 16 novembre 2012 : '...à ma connaissance aucune règle de sécurité n'a été violée. Je n'ai absolument aucune idée de ce qui a pu se passer ce jour là...c'est la première fois que nous rencontrons ce type de problème...M. [M] [O] est un ouvrier qualifié qui travaille dans l'entreprise depuis 1994. Sa conduite est irréprochable et je ne l'ai jamais repris sur son comportement en général. Il est secouriste du travail...',

* 22 septembre 2015 : '...je n'avais pas connaissance d'un problème d'étanchéité sur cet appareil et pour ma part rien ne prouve qu'il y avait ce genre de problème. De plus cet appareil sortait de révision. Je n'ai jamais eu connaissance de ce type de problème sur cet outil. Je ne suis pas d'accord avec le rapport de l'inspection du travail qui parle de travail en hauteur car la personne travaillait de plein pied...le matériel devait être entrentenu ce qui était le cas...Quant à l'interdiction de la direction concernant l'utilisation de ce type d'appareil au sein de l'entreprise elle a été prise postérieurement à l'accident...A ma conaissance, rien n'interdisait l'utilisation de cet appareil dans ces conditions là. Cette machine était donc utilisée dans des conditions normales et il n'y avait pas d'interdiction de l'utiliser en hauteur...',

- audition de M. [W] [F], conducteur de travaux le 23 janvier 2012 '...cette machine a été révisée le 08/12/2011 par l'entreprise [9], aucune anomalie n'a été constatée. Le filtre a été nettoyé et la bougie a été changée... M. [M] [O] est qualifié pour utiliser cette machine, il peut l'utiliser seul et il l'a déjà utilisée précédemment, il en connaît donc bien le fonctionnement...',

- audition de M. [X] [Z], collègue de travail, le 28 janvier 2012 '...pour qu'il y ait le feu comme ça je pense que soit le bouchon de réservoir d'essence de la disqueuse était mal fermé, soit il avait de l'essence sur lui et une étincelle a déclenché le feu. En ce qui concerne la disqueuse, elle a bien brûlé. Je me rappelle qu'il avait fait le plein juste avant de ses servir de la disqueuse...',

- un compte rendu du Chsct du 23 janvier 2012 qui indique que les circonstances exactes ne sont pas connues. La tronçonneuse avait été récupérée suite à une révision chez notre fournisseur le 08/12/2011 et n'avait pas resservi depuis ; la direction a pris la décision d'interdire d'utiliser des machines thermiques sur le chantier, mais plutôt des machines électriques uniquement,

- audition de M. [P] [E] le 12 août 2015 '...j'ai démarré la tronçonneuse thermique pour découper du béton car M. [M] [O] n'y arrivait..Je me souviens très bien que le bouchon était en place après je ne peux pas dire s'il était bien vissé. Je n'ai pas vu d'essence couler au niveau du bouchon. Une fois démarée j'ai tenu la tronçonneuse en l'air pour montrer à [M] comment il fallait faire. Question : est-ce que cette tronçonneuse servait souvent '..Oui très régulièrement. Cette tronçonneuse n'était pas vieille...ce genre de tronçonneuse est adapté et utilisé pour les travaux en hauteur. Je me sers régulièrement de ce genre d'appareil dans mon travail...je l'ai démarrée et levée. Je n'ai pas constaté de problème d'étanchéité. Non je n'ai jamais vu d'accident avec ce genre de machine et pourtant cela fait 30 ans que je m'en sers...j'ai vu [M] faire le plein avant de vouloir s'en servir...'.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le 18 janvier 2012, M. [M] [O] a utilisé une disqueuse thermique pour découper du béton et effectuer une première saignée, qu'il a complété le réservoir de carburant avant de l'utiliser de nouveau, que ne parvenant pas à la redémarrer parce qu'il était gaucher et qu'il lui était mal aisé d'effectuer cette opération, c'est M. [P] [E], chef d'équipe, qui l'a démarrée ; M. [P] [E] confirme que le bouchon était en place et qu'il a tenu la machine 'en l'air' pour montrer à M. [M] [O] comment il devait la manipuler et précise ne pas avoir constaté de problème d'étanchéité.

La Sas [7] produit aux débats un rapport d'expertise de [6] qu'elle a sollicité, qui conclut que : 'la quantité de carburant qui s'est écoulée sur les vêtements de M. [O] pour ne pas permettre une extinction rapide n'est pas compatible avec une légère fuite de carburant mais bien la conséquence directe de l'absence de fermeture par l'opérateur du bouchon sur le réservoir, sachant par ailleurs que la mise en oeuvre de ce bouchon sécurisé est d'un emploi particulièrement simple et courant...' ; cependant, l'expert fait abstraction du fait que, peu de temps avant l'accident, M. [P] [E] a redémarré la machine et l'a 'tenue en l'air' pour montrer au salarié comment la manipuler, sans que le chef d'équipe n'ait constaté le moindre épanchement de carburant, ce qui aurait été le cas si le bouchon n'avait pas été fermé correctement.

[6] rappelle les modalités de fermeture du bouchon : 'la fermeture sécurisée est assurée manuellement par un mouvement double, d'enfoncement du bouchon dans l'orifice de remplissage 'appuyer' pour ensuite tourner d'1/4 de tour pour bloquer le bouchon' ; si M. [M] [O] n'avait pas respecté ce mode opératoire, lors de la manipulation de la machine en hauteur par M. [P] [E], le bouchon sera tombé ou du carburant se serait écoulé.

Il s'en déduit que les conclusions du rapport d'expertise produit par la société appelante n'apparaissent pas pertinentes, et ce d'autant plus que M. [M] [O] qui avait manifestement l'habitude d'utiliser ce type de matériel, a déclaré à plusieurs reprises avoir bien vissé le bouchon et que M. [P] [E] a déclaré que le 'bouchon était en place'.

Si la Sas [7] justifie par la production d'un bordereau de réparation que la machine a fait l'objet d'une révision le 08 décembre 2011 portant sur le 'nettoyage filtre à air et remplacement bougie essai.', cependant ce seul élément ne permet pas d'affirmer comme le fait le salarié, que la machine était défectueuse le 18 janvier 2012, ce d'autant plus qu'il l'a utilisée une première fois sans difficulté particulière avant la survenue de l'accident.

La société justifie que le risque d'incendie n'avait pas été identifié lors de l'éloboration du Plan particulier de sécurité et de protection de la santé relatif au chantier sur lequel travaillait M. [M] [O], et que seuls les risques de coupures, projections et éclats avaient été mis en évidence pour le sciage de maçonneries existantes.

Si les causes exactes de l'écoulement de carburant de la disqueuse ne sont pas déterminées, il n'en demeure pas moins que les observations formulées par l'inspection du travail de Vienne recueillies au cours de l'enquête pénale : 'l'entreprise [8] est en faute car l'instrument n'était pas adapté au travail à effectuer. La tronçonneuse thermique est en effet prévue pour réaliser des travaux au sol ou à hauteur d'homme mais pas en hauteur ; de l'essence a dû couler pendant que M. [M] [O] effectuait les travaux demandés. Le matériel adéquat dans ce cas-là aurait été une tronçonneuse électrique matériel d'ailleurs utilisé par l'entreprise [8] depuis l'accident...'. sont confortées par un document établi par le constructeur [12] qui a retranscrit les règles de sécurité relatives à l'usage d'une découpeuse à disque thermique selon lequel il est préconisé notamment : 'ne pas travailler à bras levés, c'est-à-dire à une hauteur supérieure aux épaules'.

Or, les déclarations de M. [M] [O] et de M. [P] [E] établissent suffisamment qu'au moment de l'accident, le salarié utilisait la découpeuse à disque thermique dans une position bras levés, comme l'ont rappelé les premiers juges, ce qui 'est susceptible d'entraîner un écoulement d'essence sur l'utilisateur', ce qui a bien été le cas en l'espèce.

L'utilisation d'une machine thermique contenant du carburant et le risque de projections et d'étincelles liés à son utilisation selon la nature du matériau à découper, impliquaient nécessairement la mise en oeuvre de précautions en terme de sécurité ; or, comme le relèvent justement les premiers juges, 'l'employeur ne démontre pas avoir fourni du matériel adapté en cas d'incendie -extincteur par exemple - ou des protections individuelles adaptées - vêtements protecteurs contre le feu - à l'utilisation d'une machine thermique'.

Il n'est pas contesté que M. [M] [O] a bénéficié régulièrement de plusieurs formations sur la sécurité depuis son embauche notamment sur l'utilisation de l'outillage portatif en 2009 et qu'il était porteur le jour de l'accident d'équipements de protection individuels - casque, gants, lunettes, chaussures, parka/veste de travail - ; il n'en demeure pas moins que l'employeur lui a confié une mission sans respecter les préconisations faites par le constructeur de la disqueuse, le chef d'équipe lui montrant la position en hauteur à adopter pour réaliser les travaux qui lui étaient confiés, qui était pourtant contraire aux normes de sécurité du constructeur, de sorte que l'employeur n'a manifestement pas pris toutes les mesures de sécurité nécessaires et efficaces pour préserver son salarié du risque auquel il était exposé.

Il résulte des éléments qui précèdent que la Sas [7] aurait dû avoir connaissance du risque auquel M. [M] [O] a été exposé le 18 janvier 2012 et n'a pas pris toutes les mesures nécessaires pour l'en préserver, de sorte que M. [M] [O] établit que l'accident du travail dont il a été victime le 18 janvier 2012 résulte de la faute inexcusable de son employeur.

Le jugement entrepris sera donc confirmé.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière de sécurité sociale et en dernier ressort ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le pôle social du Tribunal de grande instance de Privas le 27 juin 2019,

Déboute la Sas [7] de l'intégralité de ses prétentions,

Condamne la Sas [7] à payer à M. [M] [O] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Déclare le présent arrêt opposable à la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Ardèche,

Condamne la Sas [7] aux dépens de la procédure d'appel.

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5e chambre pole social
Numéro d'arrêt : 21/01089
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;21.01089 ?
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